Clair matin
(paroles : Louis Simon – musique : César Geoffray)Le matin, tout resplendit tout chante,
La terre rit, le ciel flamboie,
Mais pour nous, qu’il tonne pleuve ou vente,
De tous temps, nous chantons notre joie.Car chaque jour est un jour de fête :
Dans notre coeur le soleil luit toujours.
Pleine de joie, d’élan et d’amour,
notre chanson se lève chaque jour…
J’ai appris Clair matin à l’école primaire. Au lieu du vers qui dit « pleine de joie, d’élan et d’amour », le professeur de chant nous avait appris : « pleine de joie, d’élan et d’entrain ». C’est là l’une de mes premières découvertes scientifiques : avoir deviné que quelque chose clochait avec cet « entrain » qui ne rimait pas avec le reste, et avoir remis l’amour à la place qui lui revenait de droit. Le bel amour avait été censuré pour ne pas éveiller des sentiments prématurés dans de jeunes consciences des années cinquante. Quelle époque !
Mais j’étais déjà prévenu : dès l’âge de six ou sept ans on m’avait appris à me méfier de ce que je chantais ! Car ce n’était pas la première fois qu’on me cherchait des poux à propos de l’amour : ma mère avait été convoquée à l’école. L’« incident », si l’on peut dire, avait été le suivant : on nous avait dit : « Chacun va chanter une chanson qu’il connaît et qu’il aime bien ! » Et moi qui entendait ma mère, à la maison, chanter d’autres choses que des comptines cul-cul-la-praline, j’avais entonné ma chanson préférée. Et paf ! gros scandale ! Alors, puisque j’y suis, je vais dire merde à la censure, et je vais vous rechanter, bien des années plus tard, ces vers scandaleux, très haut et très fort :
La premièr’ fois que je l’ai vue,
Elle dormait, à moitié nue
Dans la lumière de l’été,
Au beau milieu d’un champ de blé.
Et sous le corsag’ blanc,
Là où battait son cœur,
Le soleil, gentiment,
Faisait vivre une fleur :
Comme un p’tit coqu’licot, mon âme !
Comme un p’tit coqu’licot.
Pour éviter que ce genre d’incident ne se répète, quand des amis de mes parents leur ont prêté le premier trente-trois tours de Georges Brassens, on nous a sermonnés ma soeur et moi, que Brave Margot, n’était pas une chanson à chanter à l’école. Je l’avais d’ailleurs deviné vu le rôle crucial joué par le même énigmatique « corsage » – le corps manifeste du délit. Quant à l’histoire elle-même, je n’y entravais que pouic : « Donner la gougoutte à son chat » ? Kézako ?
Je l’ai entendu chanter, Mouloudji, dix ans plus tard, en plein air, à une kermesse à Woluwé-Saint-Lambert. Ça ne marchait plus très fort pour lui et il faisait les fêtes de village. Mais quand il a chanté Le p’tit coqu’licot (de Raymond Asso et Claude Valéry), quelques spectateurs sont montés sur les tréteaux, et l’ont descendu de là et, suivis bientôt par plusieurs autres, l’ont porté en triomphe autour de la prairie où nous étions. Et le moment était bien choisi pour lui : sa chance avait tourné, malgré le petit coquelicot et les amants infidèles et il était en proie au doute. Et je le voyais là, perché sur deux épaules, qui n’y croyait pas tout à fait, mais rayonnant quand même.
PS : J’ai ajouté – en haut, à droite – une page intitulée « Musique, etc. » où sont répertoriées toutes les chansons présentes sur ce blog.
2 réponses à “Mouloudji (1922 – 1994)”
Moulou : Il était passé donner un récital dans un cinéma transformé pour cela en salle de concert. C’était à Meaux, en Seine et Marne, au tout début des années soixante-dix, aux alentours de la mort de De Gaulle. Il se déplaçait dans une 404 break, je crois, qu’il pilotait en alternance avec son pianiste (!). Le piano était calé derrière le dos du chauffeur et l’espace à côté servait de couchette pour celui qui n’était pas de quart (!!). Avec les autres jeunes d’une cité périphérique (on ne disait pas encore les quartiers) nous avions pu échanger quelques mots avec lui. Affabilité, gentillesse et disponibilité totale. Un grand bonhomme. Il parait que certains se sont offusqués que son corps mort ne se soit pas élevé contre la présence de Le Pen à son enterrement. Franchement, qu’est-ce-que l’on en a à f…..
je vais être ringard, mais… parfois… la censure avait son charme, elle donnait naissance à la résistance, modelait un contre-pouvoir, et c’est mieux qu’un consensus mou. Mais si la censure semble moins présente de nos jours, ce n’est qu’une apparence, car nous vivons le grand nivellement induit par l’auto-censure de « l’opinion ».
mes enfants rentrent au CP en septembre, je vais leur apprendre « Fernande »…………. (honte à moi, censurez !) 😉 🙂