La deuxième moitié des années 1980 a vu disparaître l’Empire soviétique dans un long processus de déliquescence. A la chute du mur de Berlin, en 1989, le monde entérina la fin annoncée d’un système politique liberticide et du capitalisme d’état qui l’accompagnait sur le plan économique. Rares furent ceux qui furent surpris.
Le capitalisme d’état était la seule alternative connue au libéralisme qui régnait en maître en-dehors de la zone d’influence communiste. La Chine et le Vietnam n’étaient encore en 1989 que des puissances insignifiantes à l’échelle de l’économie mondiale. Le capitalisme d’entreprise se retrouvait de fait seul, et ceux qui avaient toujours considéré que la fin du capitalisme d’état signifierait la confirmation définitive de sa supériorité ne se sentirent plus de joie. Dans un mouvement appelé ici « Reaganisme », là « Thatchérisme », ils entreprirent d’éliminer au sein de leur économie tout ce qui pouvait encore rappeler le géant vaincu.
La question qui se pose aujourd’hui est si oui ou non le capitalisme d’entreprise est lui-même entraîné à son tour dans un processus de décomposition comparable à celui qui signa la liquidation du capitalisme d’état soviétique.
Certains s’étonneront de ma question : « La situation n’est pas comparable ! », diront-ils. A quoi je leur répondrai : « En êtes-vous si sûrs ? ». Le degré de décomposition du capitalisme d’entreprise n’est peut-être pas encore sensible à ceux qu’une ligne directe ne relie pas directement au cœur du monde économique et financier. Or, je vous propose depuis quelques temps l’équivalent d’un tel fil.
Les revenus des établissements financiers américains ont baissé de 53 % au cours du seul deuxième trimestre – un commentateur suggérait aujourd’hui que les grandes banques d’affaires de Wall Street : les Goldman Sachs, Merrill Lynch, Morgan Stanley, ne retrouveraient jamais leur lustre d’antan et que le mieux qu’elles puissent espérer est leur absorption par une banque commerciale – comme ce fut déjà le cas en mars de Bear Stearns. Les taux que doivent consentir certaines municipalités américaines sur les obligations qu’elles émettent ont doublé entre hier et aujourd’hui (de 4,5% à 9%) et ceci en raison de la rétrogradation par les notateurs des deux principaux rehausseurs de crédit qui garantissaient ces obligations. Les actions des compagnies aériennes américaines – déjà en situation précaire – étaient aujourd’hui en chute libre en raison de la hausse du carburant. De même pour les constructeurs automobiles, dont Standard & Poor’s envisage de rétrograder la notation de crédit : Ford perdait 8,1% de sa valeur dans la journée et General Motors, 6,8 %.
« Il s’agit du pétrole, c’est un facteur extrinsèque ! », diront certains, à qui je demanderai alors s’il n’y avait personne, selon eux, en Union Soviétique pour blâmer les « facteurs extrinsèques », alors qu’elle était engagée dans le lent processus de sa désintégration.
A propos du projet de réforme de la monnaie que nous avons entrepris sur mon blog, un ami m’a fait observer : « Tu n’as pas remarqué que ça ressemble au système pratiqué en URSS entre 1933 et 1987 ? » et ma réponse a été : « Ça prouve peut–être que tout n’était pas à jeter ! »
Un autre ami m’a fait parvenir un article paru mardi dernier dans le New York Times :
Les officiels chinois expriment leur dédain lors de séminaires internationaux. Ainsi, dans une communication présentée le mois dernier au British Museum à Londres, Liu Mingkang, le président de la Commission des Régulateurs du secteur bancaire chinois, a reproché au gouvernement américain sa responsabilité dans la crise des subprimes qui gela pratiquement le marché des capitaux du monde occidental et exigea l’intervention de la Federal Reserve. Ces turbulences, déclara-t-il, « vont à l’encontre du processus global de civilisation ».
« Le désir de faire de l’argent ou de faire des affaires justifie-t-il que les régulateurs négligent leur devoir de supervision prudentielle et leur tâche de prévention de la mauvaise conduite ? », interrogea-t-il.
L’un des collègues de Mr. Liu, Liao Min, déclara fin mai au Financial Times que « Le consensus occidental quant à la relation entre le marché et le gouvernement devrait être réexaminé ».
« Ils ont tendance, dans les faits, à surestimer le pouvoir du marché et à ignorer le rôle de régulation du gouvernement, et cette conception faussée est à la source de la crise des subprimes », affirma Mr. Liao, directeur général de la commission.
Ma réponse à mon ami, à propos des Chinois : « Oui, ça ne m’étonne pas d’eux : leur attitude a beaucoup changé depuis qu’ils lisent mon blog 😉 ! ».
12 réponses à “Scénario connu ?”
LES USA… LA CHUTE D’AL CAPONE ?
J’ai une image en tête en suivant jour après jour les évènements de la Grande Crise en cours : Celle de la chute d’Al Capone.
… N’était-il pas tombé pour fraude fiscale ?
J’imagine les USA aujourd’hui comme Al Capone d’hier, parvenu au crépuscule de sa puissance, sur le point de chuter, mais pas tout à fait encore, inconscient total de ce qui l’attend, CAR NE POUVANT L’IMAGINER.
En effet, AL CAPONE est tombé non par là où il avait péché (ses crimes), mais par ce qu’il avait… négligé !!! Simplement négligé !!! …Oublié ? La compta, n’est-ce pas ? La prise en compte du Bien commun ? Le défaut de comptes » sincères et véritables « , comme on dit en France ?
J’imagine la stupéfaction qui a dû saisir Al Capone.
Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle, d’imaginer la stupéfaction qui guette les Américains contemplant leur effondrement collectif dans les deux ans qui viennent. Et pas seulement la débâcle dans le monde réel, mais aussi la débâcle dans leurs tètes : les idées habituelles qui se noient, les certitudes et les croyances qui ne sont plus.
Un monde qui finit, vraiment. 2009, vingt ans juste après la chute de l’URSS.
Quelle ironie cette chute sans adversaire !
Ce retour d’un scénario déjà vu, c’est ce que j’ai eu à l’esprit fin 2007 quand on a vu des « Fonds souverains » faire des apparitions remarquées au sein de l’actionnariat des grandes banques occidentales (je pense en particulier au fonds souverain de Singapour devenu 1er actionnaire de l’Union de banques suisses). Cela m’a subitement rappelé les prêts accordés par les occidentaux à des pays comme la Pologne pendant les années 90 pour la faire « tenir »…
La question que vous posez me semble très pertinente, également parce qu’on peut observer que plusieurs tendances fortes d’aujourd’hui ne sont même plus valables à moyen terme :
– augmentation des inégalités
– surexploitation des ressources
– dérapage du climat
– excès d’émission monétaire
– croissance à tout prix
– endettement
Si l’on prolonge les courbes par extrapolation, on aboutit inévitablement à des catastrophes. Est-ce que ce n’est pas aussi un phénomène qu’on observait à propos du fonctionnement du système soviétique ?
Je me réjouis que vous poursuiviez ce questionnement… 😉
J’adore les « théories parallèles » de l’histoire. Certains ont pu dire que la chute du bloc communiste a été organisé par les USA. A un moment où l’économie planifiée de l’URSS manquait de tout, manquait de devises pour acheter les produits essentiels, il semblerait que les USA ayant constaté les faiblesses structurelles grandissantes de cette économie soviétique (planifiée, consacrant une énorme partie des ressources au complexe militaro-industriel) aient fomenté un plan qui aurait consisté à maintenir les prix bas sur le marché pétrolier (à l’époque, l’Arabie Saoudite et d’autres pays avaient encore une capacité d’extraction élastique), minimisant les revenus en devises de l’URSS (gros producteur de pétrole) et donc entrainant son asphyxie alors que les USA attiraient parallèlement l’URSS dans une course folle à l’armement et aux dépenses militaires.
On pourrait dire que l’histoire s’inverse aujourd’hui. C’est l’économie américaine qui est dans une tourmente épouvantable, engluée dans des difficultés à venir sans fin, des endettements colossaux avec un prix du pétrole qui fait souffrir l’économie. Certains prédisent déjà que les USA ne seront plus la première puissance mondiale d’ici très peu, que l’effondrement réel menace leur économie. J’imagine que les Russes doivent bien rigoler maintenant, eux qui engrangent chaque année des revenus colossaux avec les ventes de minerais et hydrocarbures, qui ont produit ces quelques dernières années un nombres phénoménal de milliardaires. La Russie pourrait sans doute traverser la crise avec un minimum de dégat. Si elle décidait d’abaisser sa production de pétrole (elle en produit autant que l’Arabie Saoudite), j’imagine qu’elle plongerait le monde, et les USA dans les abimes. Après le bourbier afghan de l’URSS, les Russes doivent bien rigoler en contemplant le bourbier irakien qui est un échec total et lamentable sur tous les plans, un gouffre financier sans fond.
Après la chute du mur de Berlin, prélude à la fin de l’URSS, on verra peut-être la chute de « WALL » STREET.
On dit que l’histoire ne se répète jamais à l’identique.
Pour jouer un peu l’avocat du diable, j’aimerais faire remarquer que toutes les analogies ne se valent pas.
L’URSS occupait militairement ce qu’on appelait les pays satellites. Les populations des ces pays « frères » rêvaient d’émancipation et de consommation « occidentale », y compris souvent parmi les membres de la sphère dirigeante.
Les USA sont les pourvoyeurs de rêve « californien » à travers leur industrie du divertissement qui continue de subjuguer les peuples européens au moins, et mondiaux pour une grande partie.
Peu de peuples des économies dites développées aspirent à autre chose qu’à égaler « l’american way of life ».
L’emprise idéologique considérable qui s’exerce de cette façon, y compris et surtout parmi les élites politiques, économiques, artistiques, et médiatiques rend les conditions d’une implosion spontanée de l’hégémonie des USA moins probable.
Bien au contraire cette caste est l’ardent thuriféraire de l’ultra-capitalisme financier américain. Avec souvent la naïveté des convertis béats, pour preuve les derniers avatars d’EADS et du contrat annulé du ravitailleur aérien militaire américain.
Bien sûr, comme le dit Dani :
– augmentation des inégalités
– surexploitation des ressources
– dérapage du climat
– excès d’émission monétaire
– croissance à tout prix
– endettement
sont à prendre en compte, mais leur influence réelle sur l’hégémonie ne sont peut-être pas de nature à engendrer un risque systémique, tant la résilience de l’ultra-capitalisme financier mondialisé, et NON plus seulement américain est importante.
Certains parmi les plus influents et les plus riches (Soros, Buffet) considèrent que l’avenir de leur système est désormais en Asie…
C’est n’est pas tant l’effondrement de l’Amérique qui importe, que la pérennisation de l’ultra-capitalisme financier mondialisé… tant que… voir Dani
Vos articles, que je lis principalement a travers le site Contre Info, sont souvent passionnants.
Or, j’aimerais vous poser la question suivante:
– quelle est la difference entre le capitalisme d’entreprise -qui a mon avis au moins produit quelque chose-
et le capitalisme financier -qui a mon avis est essentiellement virtuel, donc du vent?
qui est pour quelqu’un comme moi qui n’est no economiste, ni sociologue, difficile a distinguer…
Merci!
Je ne suis ni économiste ni sociologue, et tout aussi passionné par les mêmes articles que vous, c’est dire que je me pose aussi les mêmes questions.
Considérez le capitalisme d’entreprise et le capitalisme financier comme deux vieux compères qui, au fil du temps, ont eu du mal à se passer l’un de l’autre.
Le capitalisme d’entreprise ne produit pas « au moins » quelque chose, il excellerait plutôt dans ce rôle là depuis déjà pas mal de siècles. Disons-le donc franchement, sa fonction première est la création de richesse, mais son évolution historique ne s’est pas arrêtée là et a connu bien d’autres développements. Même s’il a souvent engendré des rapports humains extrêmement inégalitaires à certaines phases de son évolution, et continue tendanciellement à le faire, son rôle structurant dans la formation de nos sociétés a été immense.
C’est aussi une évidence que, dans sa longue marche qui l’a menée du capitalisme « sauvage » au capitalisme managérial des trente glorieuses en passant par le paternalisme, le capitalisme d’entreprise a acquis une personnalité et une conscience morale distinctes de ses stricts intérêts économiques. Il a accompagné l’essor des états modernes dans un rapport dialectique à la fois conflictuel et constructif.
Je sais bien que je me fais moi aussi l’avocat du diable en disant de telles choses, mais il n’y a qu’à constater (je le vois tous les jours autour de moi) la passion et le désespoir avec lesquels des salariés s’accrochent à « leur » entreprise, menacée de disparition, pour comprendre qu’il y a autre chose derrière cette rage que le simple rapport à un salaire permettant à peine de vivoter.
L’entreprise capitaliste a aussi été ce lieu où se sont rencontrés des personnes avec des intérêts certes différents, voire opposés, parfois dans le sang et les larmes, mais qui n’avaient pas trouvé d’autre moyen d’apporter leur contribution à cette autre entreprise qu’est l’Humanité (je ne parle pas du journal). Pensez-vous par exemple sérieusement qu’il y aurait eu une évolution aussi considérable du statut des femmes dans nos sociétés, s’il n’y avait pas eu cette porte de service pour entrevoir, à tort ou à raison, une vie meilleure : le travail salarié en entreprise ?
Le capitalisme financier lui, du moins à mon avis, n’a jamais eu d’autre objet que lui même, c’est à dire créer de la Valeur à partir de la création de Richesses, celles-ci réalisée par son alter égo le capitalisme d’entreprise.
Vous constatez donc que je fais une différence entre la valeur et la richesse. Pour moi c’est une simple différence de bon sens, il suffit de comparer ce que représentent aujourd’hui les flux financiers par rapport aux flux de marchandises sur lesquels ils sont adossés -des sommes sans commune mesure- pour constater un quasi découplage des deux notions.
Cela n’a pas toujours été le cas. Le capitaliste d’entreprise a toujours eu besoin du capitaliste financier à la fois pour se projeter dans l’avenir (soit trouver les fonds nécessaires à la mise en œuvre de son projet d’entrepreneur), puis pour consolider, et symboliser par l’outil monétaire, le surplus de richesses ainsi créés. C’est ainsi que les deux fonctions ont pu apparaître sous un seul et même visage, celui du « capitaliste » honni à l’ère de l’alternative marxiste.
Le drame du basculement auquel nous assistons aujourd’hui, est précisément la prétention de la finance à vouloir larguer les amarres non pas seulement avec « l’économie réelle » (ce basculement est lui aussi tout aussi « réel ») mais avec ce qui a constitué l’essence même du développement des sociétés occidentales depuis la fin du moyen âge.
Pour finir, je crois que c’est une grande erreur de voir dans le capitalisme financier une sorte d’entité se nourrissant de virtuel et de « vent ». Le vent de l’histoire fait toujours très mal aux hommes qui subissent sa morsure. Derrière son triomphe se dissimulent de moins en moins de nouvelles couches sociales très puissantes et d’énormes rapports de force qu’il sera bien difficile d’inverser.
Vous pouvez ajouter la chute du bloc Union Européenne dans la foulée (5 ans ? 10 ans ?) de la chute actuelle du bloc américain. Les peuples le savent déjà et l’expriment.
Enfin tout ça c’est si ils n’appuient pas sur le bouton rouge, de désespoir.
Note également : ce dont ils ont tous manqué, c’est de bon sens, de valeurs morales et de recherche de la discipline.
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Recherchez la liberté et devenez esclaves de vos désirs. Recherchez la discipline et trouvez votre liberté.
Coda B.G.
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Et de rendre l’utilisation du pouvoir non attractive.
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Tous les gouvernements sont affligés d’un grave problème chronique : le pouvoir exerce une grande attraction sur les natures pathologiques. Ce n’est pas tant que le pouvoir corrompt, mais il fascine les sujets corruptibles. Ces gens ont tendance à s’enivrer de violence, ce qui crée rapidement les conditions d’une accoutumance fâcheuse.
Missionaria Protectiva Texte QIV (dicto)
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Les empires se dissolvent aussi parce que certaines de ses composantes apparaissent inutiles et couteuses. Gigantesques sur le papier et la carte, leur utilité apparait finalement réduite, ou négative.
Un empire meurt aussi parce que son centre ne vit pas la perte de ces provinces périphériques comme une amputation, mais comme un soulagement.
Elles se sont avérées des gouffres financiers et de ressources. Le glacis de l’Europe de l’est en est un cas, mais comme guépier merdeux, on peut citer aussi les Pays-Bas espagnols, l’Afghanistan (empire britannique et russe) et à partir du 19° siècle et la baisse du rendement économique de l’agriculture, l’Irlande.
Les 800 bases américaines dans le monde se verront vite comme une charge et le rendement de ce déploiement est, à ce jour, inexistant. C’est simplement l’engrenage et l’habitude qui permettent de continuer.
impossible à la lecture de ces commentaires de ne pas citer Gilles Deleuze, et de fournir un lien sur un article écrit en 1990, l’essentiel : http://aejcpp.free.fr/articles/controle_deleuze.htm
pour ma part, si l’espèce est colonisatrice, le capitalisme est un moyen de conserver une domination sur les peuples, rien de bien moral, un marketing de l’éthique pour le profit d’une poignée d’individus.
Merci a Linda Seredes de me/nous avoir apporté ces éclaircissements et merci surtout a karluss pour ce texte énormément stimulant de Gilles Deleuze…
(Voyer, Jean-Pierre – Une Enquête – éd Champ Libre 1976 )
Cette petite citation que m’inspire l’idée de la Chine apparaissant comme l’avenir de notre monde et offrant une porte de sortie bien morose à un capitalisme à bout de souffle et d’humanité.
si tu as envie de te defouler fais le plutot ici que dans la vrai vie un jeu bien sympa.
http://nev012.labrute.fr