Le lion malade de la peste

Les premiers signes de la crise se sont manifestés aux États–Unis en février 2007, au moment où éclata la « crise des subprimes ». Depuis, les organismes gouvernementaux et la presse du même bord étaient parvenus à contenir le sentiment qu’une crise plus générale accompagnée d’une récession étaient en train de s’installer. Les indices qui auraient indiqué le début de cette dernière présentent en effet une très forte inertie du fait de leur mode de calcul, et résistent tout particulièrement aux retournements de tendance.

Le climat a brutalement changé samedi matin quand la presse américaine, tirant les leçons de la journée de vendredi, annonça la nouvelle tant de fois retardée, d’une Amérique en récession.

Ce qui avait fini par souligner l’évidence de ce que les analystes suspectaient depuis déjà plus de six mois, ce fut le passage dans la même journée de trois seuils psychologiques : le saut d’un demi–point (de 5% à 5,5%) du taux de chômage entre avril et mai, le bond le plus élevé depuis vingt-deux ans ; un saut de plus de dix dollars (10,75 $) dans le prix du baril de pétrole sur le marché à terme au cours de la journée (et 16 $ en deux jours), bond équivalent au prix qui était celui du baril en 1998, enfin – conséquence des deux facteurs précédents : une chute de 3,1% des principaux indices boursiers américains.

Il s’avérait que le chiffre brut du taux de chômage : 5,5%, cachait en réalité des détails encore plus troublants, pas tant les 34 000 emplois perdus dans la construction, auxquels on pouvait s’attendre, que les 83 000 perdus eux dans le secteur industriel. A quoi s’ajoutait le saut du taux de chômage des jeunes (20 à 24 ans) de 8,9% à 10,4%.

Les propos de Trichet, annonçant que la Banque Centrale Européenne envisageait de relever ses taux, alors que le moment lointain où la Fed pourra à son tour relever les siens s’estompe dans les brumes de l’avenir, avaient fait plonger le dollar de 1,54 à 1,58 pour un euro. Le prix du baril de pétrole – exprimé en dollars – grimpait d’autant, tandis que les détenteurs de comptes libellés dans cette devise couraient se couvrir contre cette dépréciation en achetant de l’or noir sur les marchés à terme. A cela s’ajoutaient les bruits de bottes au Moyen-Orient où Shaul Mofaz, le ministre israélien des transports, affirmait que son pays attaquerait l’Iran si celui–ci n’abandonnait pas son programme nucléaire. Tout cela dans un climat de baisse de la production au Mexique et au Vénézuéla, et d’une sourde oreille croissante de l’Arabie Saoudite aux supplications américaines, l’allié privilégié de naguère encaissant de plus en plus mal la politique palestinienne anémique du Président Bush et n’étant surtout pas près d’oublier que les États–Unis ont soustrait l’Irak à la zone d’influence du Sunnisme pour l’offrir sur un plateau d’argent à l’Iran chiite.

Tout au long de la journée de vendredi, la bourse américaine s’assombrit d’heure en heure, ayant entrepris une longue et inexorable descente que seul le son de la cloche intervenant à seize heures interrompit. Le commentateur financier John Mauldin concluait son bulletin hebdomadaire par un laconique : « La journée de lundi sera intéressante ». On peut certainement y compter !

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6 réponses à “Le lion malade de la peste”

  1. Avatar de guillaume
    guillaume

    … ce fut le passage dans la même journée de trois seuils psychologiques : le saut d’un demi–point du taux de chômage entre avril et mai; un saut de plus de dix dollars dans le prix du baril de pétrole sur le marché à terme au cours de la journée, enfin une chute de 3,1% des principaux indices boursiers américains.

    Je rajouterais: +5,72% d’augmentation du taux Euribor 1Y dans la seule journée de vendredi ! augmentation purement psychologique…

    « Je vous appelle ;
    Que trouverai-je à mon retour ? »

  2. Avatar de michel
    michel

    Euh… 1$ pour 1,54-1,58€ ? Ne serait-ce pas plutôt le contraire ?

  3. Avatar de Leduc
    Leduc

    Est-ce qu’on est sur le point de voir les USA entrer dans la très grande dépression annoncée par LEAP2020 ?

    Ce que j’ai toujours redouté le plus dans cette crise systémique actuelle, c’est qu’une aggravation brutale arrive alors que l’administration Bush arrive à son terme et que les grands préparatifs commencent pour l’élection de la suivante. C’est vraiment le genre de période charnière où à mon sens il ne faudrait surtout pas qu’une crise économique majeure bouleverse le paysage politique avant ces échéances majeures.

    Tout ceci m’inquiète et me perturbe énormément, car on a potentiellement tous les ingrédients pour une crise majeure qui pourrait largement dépasser le cadre économique.

    Je me demande bien comment les candidats vont intégrer la crise économique surtout s’il s’avère qu’elle prend de l’ampleur et que ce qu’on a vu auparavant n’était que quelques signes avant-coureurs.

    Il me semble qu’une rechute de l’économie est fort possible. Les autorités ont peut-être réussi à faire croire pendant un trimestre que le pire de la crise était passé, mais si cette fois il s’avérait que les choses empirent j’imagine que le contre-choc sera encore plus violent et cette fois il sera très difficile de prendre au piège encore une fois tous les investisseurs généreux qui ont bien voulu renflouer les firmes qui en avaient besoin. On a peut-être reculé d’un pas pour bondir en avant dans cette crise. J’espère qu’il n’en sera pas ainsi mais je suis pessimiste quant aux développements futurs.

    Inflation sur les prix des hycrocarbures, des métaux, des minerais en tous genres, des produits agro-alimentaires, explosion des bulles immobilières les unes après les autres dans différents pays, crise du crédit persistante, dépréciations d’actifs à venir et lourdes pertes à inscrire pour les établissements financiers, baisse de la consommation et du PIB : si tout ceci continue à empirer dans les semaines à venir, l’été risque d’être « chaud ».

  4. Avatar de Benoit
    Benoit

    + Ambac et MBIA dégradés par S&P.

  5. Avatar de Jean-Paul Vignal
    Jean-Paul Vignal

    Il est de plus en plus clair pour un nombre croissant d’observateurs avertis de l’économie, dont beaucoup sont difficilement soupçonnables de radicalisme, que les raisons de la crise actuelle sont structurelles, et qu’il sera donc probablement difficile d’en sortir sans reformes structurelles profondes. La suppression de la régulation des marchés des matières premières et de l’énergie par des mécanismes qui privilégient la spéculation en est une. Tant que les marchés seront de fait régulés par des agents économiques dont l’intérêt est de multiplier les transactions, il faut faire preuve de beaucoup d’ingénuité pour s’étonner et regretter que les écarts de prix qui motivent et justifient ces transactions se multiplient et s’amplifient au fur et a mesure que l’ivresse de gains somptueux saisit les heureux gagnants de ce jeu dont le retour sur investissement peut être inouï pour ceux qui ont facilement accès a la seule ressource qui y compte : l’argent.

    Un ami me faisait remarquer hier que la hausse actuelle des denrées agricoles et de l’énergie étaient plus « justifiée » que celle des précédentes bulles. Les spéculateurs deviennent en effet plus subtils, car, cette fois, ils ont choisi de spéculer tranquillement sur des produits « subventionnés ». Quand on y réfléchit un peu, les bulles énergétiques et alimentaires sont en effet des bulles « à l’envers », c’est à dire que les prix étaient maintenus artificiellement bas en faveur du développement des autres activités. Compte tenu des pressions qui s’exercent actuellement sur le système pour investir dans les infrastructures du désormais incontournable développement durable, on peut se demander, par exemple si les Etats Unis auront longtemps les moyens et l’envie politique de dépenser quelques centaines de milliards de $ par an en dépenses militaires diverses pour maintenir le prix du pétrole sous son prix d’opportunité. Les spéculateurs répondent massivement : non !

    Il semble que, même politiquement, ils n’en ont plus les moyens. Les prix élevés du pétrole sont en effet une drogue dure pour tous les pays producteurs, comme viennent de le montrer ceux du Golfe en renvoyant sèchement GW Bush à ses chères études quand il leur a demandé d’ouvrir les vannes pour détendre un peu les marchés. S’ils ont le sens de l’humour, je suppose qu’ils lui ont même suggéré de taxer les prix à la production aux Etats-Unis, qui restent, on l’oublie parfois, un des principaux bénéficiaires de la hausse des cours comme le montre l’activité frénétique des foreurs dans tous les états du sud

    Même chose pour l’alimentation, dont les prix de revient sont de toute façon pour le moment techniquement très liés au prix de l’énergie (engrais, pesticides, tracteurs, machines agricoles, irrigation…) et le seront longtemps tant les décideurs qui se sont succédé depuis le premier choc pétrolier à la tête de la recherche agronomique dans le monde ont fait preuve d’impéritie et de manque de vision. Dans un pays comme la France, le revenu agricole a longtemps été constitué à 50% de subventions publiques pour maintenir des prix bas.

    A l’exception des pays producteurs de pétrole et peu peuplés, les politiques n’ont plus les moyens de défier la main magique du marché en continuant à subventionner massivement le gaspillage énergétique et la désertification agricole des pays développés pour gagner une élection de plus? Les spéculateurs à la hausse jouent donc sur du velours. car les fondamentaux sont clairement haussiers, ce qui n’etait le cas ni de l’immobilier (qui voudra habiter une maison énergivore et inconfortable dans 20 ans), ni encore moins de la technologie, même dite haute, où les certitudes sont aussi éphémères que la durée des vie d’une nouvelle génération de portables.

    Conclusion logique, semble t’il: tous les produits qui « bénéficient » de subventions publiques directes (produits agricoles) ou indirectes (énergie) ne devraient plus être cotés sur les marchés. Qui aura le culot de réclamer la fermeture « de salut public » de toutes ces lignes au CBOT, au NTME ou à l’ICE ? Les négociations de l’OMC y gagneraient pourtant beaucoup en clarté….

  6. Avatar de JLM

    Je voudrais répondre à Vignal sous la forme d’une métaphore. Disons que Vignal serait catholique bon teint et que je serais athée radical. Ces deux espèces s’entendent généralement très bien quand il s’agit de chanter la messe, et encore mieux quand ce n’est pas la même.

    Sur base de ce modèle, j’imagine aisément que trois pour cent des leaders d’opinion capitalistes partagent la même analyse que Vignal. Encore deux ou trois ans et tout le dispositif de Vignal sera mis en place. Mais attendez un peu. Dans une société capitaliste « à l’ancienne », le petit malin qui vendait ses savonnettes moins chères, pouvait librement foutre en l’air tout le capital (en partie social et collectif) précédemment investi par celui qui se déclarait son concurrent. Dans un monde en croissance illimitée, le massacre d’une infrastructure n’est pas comptabilisé.

    Renversement ! Demain l’entrepreneur « schumpétérien » devra incorporer dans son plan d’entreprise le coût de l’amortissement énergétique des infrastructures du gars qu’il fout par terre. Je ne vous dis pas la rente de situation des gars qui ont actuellement les usines. C’est une nouvelle féodalité qui s’annonce ! Évidemment, nous pouvons toujours vouloir revigorer la démocratie, et instituer des règles économiques, mais le voulons-nous ? Car au fond, en chacun de nous l’instinct de hiérarchie n’est-il pas aux aguets de toutes les modalités possibles pour la reproduction de son champ de manœuvre ?

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