Un exemplaire de L’implosion (2008) m’est parvenu hier soir et je n’ai pas résisté à la tentation de prendre dans une main le nouveau livre et dans l’autre, le précédent, pour comparer La crise des subprimes I : « Vers la crise du capitalisme américain ? » (2007) avec La crise des subprimes II : « L’implosion. La finance contre l’économie. Ce que révèle et annonce « la crise des subprimes » » (2008).
Première constatation, satisfaisante celle–ci et faite d’ailleurs par de nombreux commentateurs, Subprimes I annonçait la crise des subprimes et elle a bien eu lieu – à quelques variations près – de la manière que j’avais prévue. Subprimes I se cantonnait cependant au domaine immobilier et ne prévoyait pas les multiples métastases auxquelles la crise donnerait lieu, aujourd’hui comme hier. Franchement, si les subtilités des Residential Mortgage–Backed Securities m’étaient familières à l’époque où j’écrivais Subprimes I, les Collateralized Debt Obligations qui furent au cœur du tarissement du crédit qu’engendra la crise des subprimes m’étaient elles, parfaitement étrangères.
Deuxième constatation, inquiétante celle–là, Subprimes II se termine comme Subprimes I par la prédiction d’une nouvelle crise, plus généralisée cette fois, si bien que L’implosion aurait très bien pu s’appeler « Vers la crise du capitalisme ? », le mot « américain » étant tout simplement soustrait du titre du volume précédent.
Encore une fois, j’ignore comment les choses se passeront dans les détails, même si la toile d’interdépendance que tissent les Credit–Default Swaps entre les établissements financiers constitue certainement le maillon le plus faible de la partie du système qui résiste encore aujourd’hui. Ce dont je m’aperçois cependant, c’est que le processus amorcé en 2007, qui voit de nouveaux pans s’effondrer les uns après les autres, poursuit sa marche inexorable. La raison en est simple : de nouvelles mesures sont sans doute prises chaque jour, qualifiées d’« inédites », voire de « révolutionnaires », qui n’affectent en réalité que des manifestations superficielles du problème.
On nous annonce ainsi aujourd’hui qu’après une bataille de titans entre le Congrès et le Président Bush, la tâche herculéenne d’une proposition d’aide à l’immobilier résidentiel a enfin été votée par les députés américains (et doit encore être confirmée par le Sénat). Je n’entrerai pas dans le détail des mesures envisagées, je vais faire une chose beaucoup plus simple : je vais prendre la liste d’autres mesures, celles que je proposais personnellement dans « Vers la crise du capitalisme américain ? » (publié je vous le rappelle, en janvier 2007) pour empêcher que ne se déclenche la crise qu’on appellerait ensuite « des subprimes » et les cocher l’une après l’autre (p. 246–248).
1. Supprimer la détaxation des intérêts versés sur les prêts hypothécaires, facteur favorisant des bulles immobilières. Evoquée vaguement il y a de nombreuses années, la mesure n’a jamais été envisagée dans les discussions qui ont eu lieu au cours des deux dernières années.
2. Réintroduire le principe d’un apport personnel minimum de 20% du prix du logement. Les Government–Sponsored Entities (Fannie Mae et Freddie Mac) avaient récemment imposé un apport personnel minimum de 5% pour les prêts qu’elles garantissent. Sous la pression des établissements de financement, le seuil a été abaissé à 3,5%. Sans commentaire !
3. Interdire les « piggy–back », formule qui remplace l’apport personnel par un deuxième prêt garanti celui–ci par la plus-value croissante du logement. Les « piggy–backs » sont morts de leur belle mort quand a disparu la « plus-value croissante du logement », c’est–à–dire lorsque la bulle de l’immobilier a éclaté.
4. Réaffirmer la progressivité de l’impôt. Le débat actuel porte en réalité toujours sur la question de savoir si les allègements d’impôts pour les plus fortunés, introduits par le Président Bush lors de son premier mandat, seront rendus définitifs ou non. On est donc encore loin du compte.
5. Renationaliser les Government–Sponsored Entities pour éliminer le conflit existant entre leurs objectifs sociaux, imposés par l’Etat, et leur souci de rentabilité, exigé par leurs actionnaires. Bernanke a évoqué la renationalisation dans un discours prononcé en mars 2007 – discours sans conséquence puisque les mesures proposées aujourd’hui renforcent les objectifs sociaux tout en poussant davantage la privatisation, ce qui signifie bien entendu que les mesures envisagées accentueraient le conflit.
6. Ré-examiner la déréglementation massive de la finance intervenue à partir de 1981 à l’initiative du Président Reagan. Il faudra bien qu’on y vienne un jour mais sans doute pas avant qu’on n’ait touché le fond de la crise, qui interviendra en 2009 ou 2010. D’ici-là, vous pourrez trouver dans le Volume III de La crise des subprimes, la confirmation du pessimisme que j’ai exprimé dans L’implosion. Comment pourrait-il hélas en être autrement ?
6 réponses à “La crise des subprimes III”
[…] Original post by Blog de Paul Jorion […]
cherchez-vous un titre pour le volume III ? (le concours, le concours, le concours)…
vous allez devenir un véritable disciple de Schopenhauer ; le volume II va peut-être réveiller des consciences.
félicitations
Tout ceci va très très mal finir. Tout concourt vers la grande dissolution finale de l’économie et de nos sociétés. Alors que les naïfs voient déjà la crise comme terminée, à l’inverse les réalistes considèrent acquis que la chute arrivera seulement vers 2009 et qu’elle balaiera tout.
Moi et beaucoup d autres auront sombré dans la dépression bien avant l’économie réelle j’ai l’impression.
nouveau venu sur votre blog, j’ai découvert l’étendue de vos savoirs et ai pris grand plaisir à lire nombre de vos articles.
je découvrirai avec intérêt le dernier ouvrage qui n’est pas encore disponible à Bruxelles et poursuivrai
par les lectures des précedents livres… même si la logique voudrait que l’ordre choisi soit différent.
la clarté de vos écrits est remarquable et vos réflexions semblent habitées de cette même clarté.
sans doute d’autres commentaires après lecture.
Même si cette crise n’est pas encore passée, et que les effets définitifs se feront surement sentir vers 2009, pourquoi cette crise ne se terminerait-elle pas comme toutes les autres, c’est-à-dire par une récession ?
Les Etats-Unis évitent depuis déja un moment, (cf crise de 2001) d’entrer en récession grâce aux baisses de taux massives de la Fed. Ne serait-ce pas cette fois-ci, un mal nécessaire ?
et bien oui ! C’est ce qui se passe, les USA sont en récession, l’Europe sera prochainement contaminée, cette contagion va aussi gagner le reste du monde car les nouvelles zones de production seront touchées par le ralentissement de la consommation et leur croissance économique affectée.
et surtout, cette grave crise financière s’accompagne de la reconnaissance quasi unanime (enfin) des graves problèmes climatiques et de leurs conséquences notamment en terme de production agricole ainsi qu’une crise de l’énergie qui bouleversera nos tranquilles habitudes de surconsommation (du moins en occident) comme si le monde comprenait enfin que Marx n’était pas le seul à ne pas considérer les risques inévitables de pénurie.
Bon, je dois lire L’IMPLOSION, les prophéties de Paul Jorion, 320 pages de talent au service d’une future Constitution pour l’économie.
Cordialement.
Hervé (karluss)