Le Loup

Je lisais ce matin le compte-rendu d’une nouvelle édition des contes de Grimm, où l’auteur nous explique que le pouvoir des contes de fées vient du fait que quand nous les entendons contés pour la première fois nous croyons les choses qu’ils nous rapportent : nous croyons qu’on peut émerger, pétant de santé, du ventre d’un loup sur lequel est opéré une césarienne, après avoir été mangé tout cru par lui plusieurs heures auparavant.

Admettons. Mais est-il possible qu’un enfant – à l’âge où les mots individuels commencent à être compris – imagine vraiment qu’un loup puisse être grimé de manière convaincante en grand–mère ?

Dans un texte dont on me rappelait hier l’existence, consacré à la question de la « mentalité primitive », j’approuvais Lévy–Bruhl quand il affirmait que la pensée fonctionne avant tout sous le mode de l’affect (c’est ce présupposé qui guida mes expérimentations en Intelligence Artificielle), à l’encontre de Lévi–Strauss qui suppose lui que son mode premier est intellectuel : analytique du monde au sein duquel nous vivons.

Quand Armel avait trois ou quatre ans, il nous racontait les équipées qu’il entreprenait avec son ami Carbone (l’auteur du compte–rendu des frères Grimm préciserait : « ami imaginaire »), aventures dramatiques du fait de la menace constante que faisait planer sur les deux amis, la présence mystérieuse du… Loup.

Un jour qu’au détour d’un chemin creux nous découvrions un arbre récemment foudroyé, terrassé et calciné, aussi terrifiant que ceux qui retardent Blanche–Neige éperdue dans la nuit, Armel, roulant des yeux et brandissant vers le ciel un index accusateur, avait – pareil à Sherlock Holmes résolvant soudain le mystère du chien des Baskerville – laissé tomber son verdict : « Le loup ! »

Peu de temps plus tard, alors que sa mère et moi regardions à la télé les images charbonneuses d’un documentaire consacré à la plongée en eaux très profondes, et alors que le visage d’un homme-grenouille en gros-plan occupait tout l’écran, et tandis que nous n’avions pas entendu s’ouvrir derrière nous la porte de la chambre des enfants, une voix s’éleva dans la nuit, solennelle et lugubre, glaçant nos sangs parce qu’elle prononçait une fois encore les mots fatidiques : « Le loup ! »

Partager :

5 réponses à “Le Loup”

  1. Avatar de Bernard
    Bernard

    Quelle différence entre le storytelling d’Armel et celui des monétaristes ?

  2. Avatar de karlu$$
    karlu$$

    les loups de la Mortgage Bankers Association font-ils de la plongée pour aller pêcher le loup … ?
    (l’homme est un loup pour le bar)

  3. Avatar de Le Duc
    Le Duc

    Tous est fait pour retarder l’âge de raison dans la société moderne, que les adultes restent de grands enfants. Comportements adulescents, raisonnement affectifs, c’est ainsi, l’homme occidental est comme le petit enfant qu’il était lorsqu’il était jeune, pas fondamentalement différent, toujours ouvert et réceptif à tout un tas d’influences, complètement impressionnable et la plupart du temps par des éléments psychiques qui se situent bien en dessous de la raison, au niveau du sentiment voir de la sensation. Tant que l’homme occidental se comporte comme un enfant, naïf et influençable, alors toutes les formes de propagandes, de désinformation prendront sur lui avec une facilité insoupçonnable. Politique, économie, informations générales, plus ça sera gros et plus on le gobera. Après tout, on ne blâmera pas des enfants de prendre pour vrai au comptant ce que des personnes autorisées leurs donnent comme vérité toute faite.

  4. Avatar de tomate
    tomate

    Bonsoir !

    Petite anecdote :
    « Je peux vous assurer être un grand bêta d’enfant. De même, je eux vous assurer que, frequemment, Mr le loup , déguisé en Grande MERE, frappe à la porte d’entrée; puis à la porte de ma chambre, s’invite – l’effronté !!! – dans ma couche , m’avale tout cru, sans qu’aucune de ses quenottes ne blesse mon corps svelte et … blanc !!!! ……
    Et je me réveille!!!! Mince !!! encore raté !!!! j’aimerai tellement connaitre la suite !!!!

    En fait, je dois vous le confesser : mon loup à moi , je crois qu’il s’appelle D…. ! et c’est mon EX!!!!!
    Que voulez vous ???? Je l’aime encore ….

    PS : Bravo pour votre site !!! Poursuivez !!!!

  5. Avatar de Candide
    Candide

    C’est tout de même terrible pour le loup d’avoir ainsi cristalisé toutes les peurs de l’inconscient et d’en être devenu l’un des symboles les plus éminents (avec, par exemple, l’obscurité et ses hiboux et autres chauves-souris, ou le requin pour les animaux aquatiques). On en voit le résultat aujourd’hui dans ces milieux naturels.

    Cela dit, il semble que ces peurs collectivement partagées rejaillissent depuis la nuit des temps sur la Nature dans son ensemble, ce qui explique peut-être pourquoi nous la traitons si violemment…

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. @CORLAY Ah ! Cette publication sur les arbres vient donc redoubler votre intérêt dans cette activité du moment. Heureuses concordances.…

  2. @Régis Pasquet Merci de ce plan on ne peut plus sensé… Mais, pour que les citoyen-ne-s assurent « une partie de…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta