On trouve aujourd’hui chaque jour dans la presse américaine, des déclarations faites ici et là annonçant, sonnez clairons, résonnez trompettes, que la crise financière touche à sa fin. Aucun de ces optimistes n’est très connu, ce qui permet aux Stiglitz, Krugman, Warren Buffet, John Mauldin ou Bill Gross de PIMCO, de s’interroger : « Qui sont donc ces zozos ? » Sont-ils payés pour le faire ? Ou bien comptent-ils sur l’originalité de leurs propos pour leur assurer une renommée ?
Il y a deux dimensions à la crise : la catastrophe immobilière et la crise de confiance au sein du monde financier. A mon avis, les annonceurs de bonnes nouvelles travaillent au corps la confiance, en espérant que si elle se rétablit grâce à ce traitement musclé, la catastrophe immobilière ira du coup beaucoup mieux elle aussi. C’est ce qu’on appelle : « traiter le symptôme ». Ça n’a bien entendu jamais aucun impact sur la maladie elle–même, m’enfin ça ne peut pas faire de tort au moral.
Alors, comment se porte la catastrophe immobilière aux États–Unis ? Ça fait un moment que je ne vous en ai pas parlé mais ça ne l’a pas beaucoup gênée : elle croît chaque jour en vigueur. Le petit diagramme ci–dessous a paru dans le Wall Street Journal ce matin.
Il représente l’indice Case–Shiller : l’appréciation de l’immobilier résidentiel dans les 20 principales métropoles des États–Unis. Comme on le voit, le prix des maisons poursuit inexorablement son plongeon et sa chute va même en s’accélérant. Le chiffre le plus récemment publié : celui du mois de février, est de –12,7 %, représentant la dépréciation au cours de l’année qui précède. La dépréciation totale du parc immobilier résidentiel américain, depuis le sommet atteint en juillet 2006, est de 14,8 %. La chute constatée au cours des derniers trois mois correspond à une dépréciation annuelle de –25 %.
Au vu de la courbe, les acheteurs potentiels préfèrent bien entendu attendre : le nombre d’Américains qui déclarent vouloir acheter une maison dans les six mois à venir n’arrête pas de décliner : il est passé de mars à avril de 3,4 % à 2,4 %, ce dernier chiffre étant à peine supérieur à 2,3 %, le taux le plus faible jamais enregistré et qui date de février 1983, au plein cœur d’une période d’inflation galopante.
La chute des prix reflète bien entendu le nombre toujours croissant de résidences mises en vente, conséquence des défauts toujours plus nombreux parmi les consommateurs ayant contracté des prêts hypothécaires. J’ai affirmé depuis le début (eh oui ! trois ans déjà) qu’il s’agirait d’une crise de l’immobilier résidentiel américain dans son ensemble et non des seuls subprime, mais commençons par eux puisqu’ils constituent la partie la plus visible et la plus spectaculaire de la crise actuelle. Le nombre des subprimes accusant un retard de paiement de plus de 60 jours frise désormais les 40 %. Countrywide, bientôt absorbé par Bank of America, mais jusqu’ici toujours le premier établissement de financement de crédits au logement aux États–Unis, a annoncé il y a quelques jours que 35,9 % de ses prêts subprime sont dans ce cas : une augmentation de 2,3 % en un trimestre. Pour les prêts prime dans le portefeuille de Countrywide, le taux de défaut est passé, entre le quatrième trimestre 2007 et le premier trimestre 2008, de 5,76 % à 6,48 %.
Les prêts Pay Option ARM, sont eux aussi en pleine déconfiture, Countrywide annonçait mardi que, pour ceux qu’il détient dans son portefeuille, 9,4 % d’entre eux étaient en retard de paiement de plus de 90 jours ; le chiffre n’était que de 1 % il y a un an et il avait grimpé à 5,7% en décembre dernier. L’accélération est spectaculaire mais ne surprend pas si l’on pense à la finalité de ces prêts : permettre aux riches de se payer des logements bien au–delà de leurs moyens. Les Pay Option ARM leur ont offert le luxe de se comporter comme s’ils étaient pauvres : en remettant à plus tard la question importune du remboursement du principal, et en ne versant que des mensualités d’un montant moindre que les intérêts dus (*).
A ceux qui sont assis là, à se demander si la fin de la crise financière est pour mai ou pour juin – et qu’ils soient payés ou non pour se poser la question – je recommanderais donc de repasser voir… dans un an ou deux.
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(*) C’est ce qui explique pourquoi dans mon livre à paraître en mai, L’implosion. La finance contre l’économie : ce que révèle et annonce « la crise des subprimes » (Fayard 2008), je classe les Pay Option ARM dans la catégorie « emprunteurs en cavalerie », juste à côté des subprimes.
16 réponses à “La crise de l’immobilier américain s’aggrave”
Merci de cette mise au point.
Je m’interroge : Les chiffres du PIB U.S. et les bénéfices en progrès de grandes entreprises américaines au 1 er trimestre 2008 peuvent-ils être sincères et véritables ? Est-il possible que l’Amérique ne soit pas déjà en récession ? GEAB-LEAP affirme qu’elle l’est depuis… un an !
Cordialement.
Je précise les chiffres ( sauf erreur de ma part ) :
PIB US 4 ème Trimestre 2007 = + 0.6 %
PIB US 1-er Trimestre 2008 = + 0,6 % , annoncé hier.
Identiques… Est-ce possible ?
Question à Paul
Vous avez écrit » la titrisation fluidifie la circulation des capitaux, c’est–à–dire la mise en contact de ceux à même de faire des avances et de ceux capables de les faire fructifier ; sous la forme où elle existe aujourd’hui, elle s’effondre cependant en période de récession du secteur ; est-ce à dire qu’il faille l’interdire ? non, il faut en repenser les termes pour en faire un facteur de stabilité ; »
Mais, fondamentalement, au vu de ces chiffres et de l’ensemble de cette crise immobilière et subprime, j’ai vraiment des doutes : car en fait, la quantité de monnaie (compte tenu du mode de création) n’a pas de réelle limite et ceux qui sont capables de faire fructifier l’économie réelle ne devraient pas en manquer… quand à ceux qui ne font que faire « fructifier » la spéculation financière (ce que je me refuse à appeler « économie »), en avons-nous réellement besoin ?
Ma conclusion – en attendant vos éventuels arguments, Paul – est même que la titrisation devrait être totalement interdite si elle consiste à établir des ponts entre la « zone spéculative » et la zone de « l’économie réelle », comme elle le fait actuellement. Que les fournisseurs de crédits « pourris » supportent eux-mêmes les conséquences de leur rapacité sans chercher à « diluer » leurs pertes…
Est-ce que le taux de croissance n’est pas le taux de croissance nominal moins le taux d’inflation qui donne donc le taux de croissance réel ?
Or le taux d’inflation aux Etats-Unis est un peu trafiqué comme partout, mais aux Etats-Unis en particulier il ne comprend pas les produits alimentaires et l’énergie, c’est-à-dire ce qui augmente le plus.
A l’origine. ces produits étant en abondance aux Etats-Unis il a été décidé que cela n’avait pas d’intérêt de les intégrer au CPI (Core Inflation Index).
Par contre les produits technologiques dont les prix baissent sont bien représentés.
La variation annoncée du PIB tient compte du « déflateur du PIB » (encore appelé « Advance GDP Price Index ») destiné à prendre en compte l’inflation. Enfin, une certaine inflation …
Le déflateur annoncé hier était à 2.6%.
Je serais curieux de savoir qui détient les hypothèques : les banques prêteuses ou les titulaires des titres subprime ?
Ma question n’est pas innocente ; lorsque les emprunteurs ne peuvent plus payer et qu’il y a saisie, à qui revient ce que Philippe Derudder appelle « le bien réel » ?
La procédure de saisie est lancée au bout de 120 jours de non-paiement mais l’obligation pour la banque de remplacer les sommes manquantes des flux de la Residential Mortgage-Backed Security (RMBS) au sein de laquelle ce prêt hypothécaire particulier est inclus, est immédiate. Une fois la saisie effectuée, le prêt est remplacé au sein du « pool » de plusieurs milliers de prêts sous-jacent à la RMBS, par un autre, aux caractéristiques équivalentes. La maison saisie est alors sous la responsabilité de la banque qui a émis la RMBS et qui, du fait du prêt, avait obtenu un « premier lien » sur elle. La maison a alors le statut Real Estate Owned (REO) et est mise en vente par la banque. Si le produit de la vente devait être supérieur à la somme due à la banque (Outstanding Balance), la différence serait versée à l’emprunteur en défaut.
J’ai lu qq part (bulle immobilière.org ? le blog immobilier.com ? je ne sais plus) que la croissance de 0,6% du PIB américain au 1er trimestre était due à une modification dans son calcul, et notamment la sortie de je ne sais plus trop quel paramètre lié précisément à l’immobilier (prix de vente , stocks ? ).
C’est Roubini qui en parle : http://www.rgemonitor.com/blog/roubini/252541/
« First of all, if you exclude the increase of inventory of unsold goods (that moved positive after a negative figure in Q4) the Final Sales of Domestic Product were a negative 0.2%. In other terms, inventories of unsold goods added an artificial 0.8% to Q1 growth boosting it from a negative 0.2% to a positive 0.6%. »
Pour aller dans le sens de Greg:
« Dans un article au titre explicite, « Le racket des chiffres », publié dans la livraison de mai du mensuel Harper’s, l’économiste Kevin Phillips entreprend de « déconstruire » les principaux indicateurs économiques. Il s’appuie sur les calculs d’un économétricien californien, John Williams, mis en ligne sur ShadowStats.com. Se fondant sur la modification du calcul de la hausse des prix introduite en 1982 et celle du calcul du chômage adoptée en 1994, il parvient à la conclusion que, si les précédents critères avaient été maintenus, le chiffre de l’inflation serait aujourd’hui trois fois supérieur à l’officiel, et le taux des demandeurs d’emploi aux Etats-Unis ne serait pas de 5,2 % mais de 7,9 %. »
source : lemonde.fr
une vidéo (anglais) de Roubini, qui conteste les chiffres officiels:
http://www.cnbc.com/id/15840232?video=727381653&play=1
Merci Paul
Une précision si possible…. Le système Residential Mortgage-Backed Security (RMBS) est-il un organisme d’Etat fédéral, est-il contrôlé par la FED, ou par les banques elles-même sous forme de « mutuelle » ?
@ Paul
Ce serait intéressant d’avoir un article plus détaillé mettant en parallèle ce qui se passe pour les acheteurs (qui ne peuvent assurer les remboursements) et ce qui se passe pour le système bancaire sur le même sujet (les conséquences croisées des difficultés de remboursement des crédits)
Ceci dit, je lisais hier:
Larry Levin newsletter (15 mai 2008) sur le calcul de l’inflation aux USA :
Je me pose la question suivante. Pourquoi initialement, pendant l’année 2006, l’immobilier américain a t il démarré sa chute pour conduire ce que l’on sait? Car au final, est ce bien et seulement l’immobilier américain qui a été le dynamiteur de la crise ou alors faudrait-il l’associer à l’augmentation progressive des taux directeurs de la FED?
Bonjour Patrick,
A mon humble avis la réponse à votre question est : les deux mon capitaine!
c’est même la rencontre des deux qui a causé l’explosion :
historique (vite fait) :
– chute des valeurs technologique (en particulier Nasdaq) car éclatement de la bulle internet + attentats 2001
– relance par Greenspan (fed) grâce à une chute des taux US (donc par l’endettement)
– les investisseurs profitent des taux bas pour spéculer sur le marché immo (d’où hausse des prix)
– les banques accordent des crédits douteux (subprime, taux variables…) à tout va
– tensions inflationnistes poussent la fed à remonter les taux dés 2003 (+4, 25% en 3 ans)
– remontée des taux = alourdissement de la charge des dettes des ménages = saisis immobilières
– retournement du marché immo
– rentre alors en scène ce qui va transférer la crise immo (prix et crédits immo) en crise financière : la titrisation
Donc, oui, il semble évident que cette crise à des origines multiples (conjoncturelles, structurelles et surement systémique) qui TOUTES étaient prévisibles, surtout par les organismes en charge de la finance internationale! L’appât du gain les aura rendu aveugle… nous dirons ça…