Certains d’entre vous m’encouragent à ouvrir un débat relatif aux Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières de Frédéric Lordon, reproduits samedi par Contre Info.
Ces principes et ces propositions m’ont paru intéressants et « dans l’ensemble », j’y souscrirais, si certains amendements étaient possibles. Quelques remarques, trop rapides – parce qu’il faudrait traiter chacun de ces sujets de manière beaucoup plus approfondie – mais qui vous paraîtront familières si vous avez l’habitude de me lire ici :
1) la finance est d’ores et déjà globale et il ne me paraît ni possible, ni souhaitable, de vouloir la réformer à la seule échelle de l’Europe ;
2) le problème que soulèvent les salles de marché des établissements financiers est lié aux opérations qu’elles passent, et non au mode de rémunération des traders ;
3) les produits financiers dérivés jouent un rôle d’assurance très positif sur les marchés à terme ; interdire tous les dérivés, sous prétexte qu’ils permettent également des paris directionnels, me paraît excessif : seuls ces derniers sont en cause ;
4) la titrisation fluidifie la circulation des capitaux, c’est–à–dire la mise en contact de ceux à même de faire des avances et de ceux capables de les faire fructifier ; sous la forme où elle existe aujourd’hui, elle s’effondre cependant en période de récession du secteur ; est-ce à dire qu’il faille l’interdire ? non, il faut en repenser les termes pour en faire un facteur de stabilité ;
etc.
J’ai décidé hier de contacter Lordon, afin d’évoquer avec lui la meilleure manière de faire avancer le débat qu’il a ouvert. Voici le message que je lui ai fait parvenir :
Bonjour,
un ami m’écrit ceci :
Lordon … J’en ai profité pour lui suggérer la possibilité d’un travail de « salut public » en commun des néo–keynesiens, destiné à produire un document d’orientation à l’adresse des politiques.
Il m’a répondu que les différences étaient trop grandes pour élaborer ensemble. Admettons. Et espérons aussi que la crise ne s’aggrave pas à un tel point qu’elle ne fasse regretter rétrospectivement de n’avoir pas su, pas souhaité travailler collectivement pour le bien commun.J’ignore si je tombe dans la catégorie des gens avec qui vous considérez que « les différences sont trop grandes » mais je suis sensible à l’argument du « salut public » et du bien commun.
Vous écrivez :
Il faudrait être spécialement peu perspicace, ou bien malintentionné, pour ne pas voir que ce schéma n’a rien d’un plan achevé. Il n’est pas complet – bon nombre d’autres propositions pourraient lui être ajoutées –, et il reste à travailler sa mise en œuvre détaillée. Mais la matrice est là.
Je peux vous répondre – sur des points de détail puisque je suis d’accord sur le point de vue d’ensemble – dans mon blog, dans la presse, etc. Si vous êtes prêt à envisager un mode de travail plus directement « collaboratif » entre vous et moi, ayez la gentillesse de me le faire savoir.
Bien à vous,
Paul Jorion
Lordon m’a répondu un peu plus tard. Je ne reproduis pas sa réponse sur la première partie, disons que j’ai dû toucher une corde sensible parce qu’il a des paroles très peu amènes pour un certain nombre de personnes que je considère personnellement comme apportant une contribution très positive au débat actuel sur la finance. Lordon rejette sans équivoque toute idée de collaborer avec eux.
Sur la manière dont je pourrais personnellement faire avancer le débat qu’il a ouvert, il me répond ceci :
Quant aux actions communes, il ne me semble pas y être complètement rétif : j’ai pris l’initiative avec quelques personnes de lancer une pétition contre la déréglementation financière. N’hésitez pas à la signer (www.stop-finance.org) si vous vous y reconnaissez ! Vous y verrez le type de bien commun que nous y défendons. Comme vous le savez, le problème c’est que tous n’ont pas le même !
Je lis – peut-être à tort – une fin de non–recevoir dans sa réponse. Il faudra quoi qu’il en soit lancer le débat sur ces Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières de Frédéric Lordon, sans espérer qu’il s’agisse d’un réel dialogue avec lui. Comme nous avons déjà prouvé avoir une excellente capacité à clarifier et à faire avancer les choses, je propose que nous n’hésitions pas ! Je ferai moi, comme à mon habitude : je commenterai vos commentaires et quand il me semblera important de faire le point par un texte plus long et mieux argumenté, je consacrerai un billet à la question.
12 réponses à “Les Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières de Frédéric Lordon”
Ca me semble très difficile de lancer un débat sur ce texte extrêmement complexe … il faudrait prendre principe par principe et proposition par proposition (sans oublier d’en rajouter) et pouvoir commenter chacun…
La question, me semble t-il, est d’abord de savoir « ce que nous voulons »…
Mais déjà, une question fondamentale: L’Europe est-elle une zone d’activité financière autosuffisante (pour qu’une réglèmentation ne s’applique que dans son espace, sans qu’elle soit mondialisée)? Ce n’est pas votre avis, Paul, me semble t-il, et pourtant moi je pense que si… nous n’avons pas réellement des spéculations étatsuniennes si elles continuaient alors que l’Europe y aurait mis fin.
Mais je reconnais que c’est un sujet extraordinairement difficile. J’aurais encore une fois tendance à me rapprocher d’Allais (pourtant considéré comme un économiste libéral) – quitte à réactualiser certaines propositions – qui estime que la création monétaire « illimitée » par le système bancaire (commercial) est la cause première de toutes les crises et de toutes les bulles. Supprimez la cause, vous supprimez l’effet.
Bonjour,
Espérant contribuer positivement à votre réflexion, (je signale que je trouvais l’article cité en retard de plusieurs urgences) ici j’exprime mon point de vue sur la question : « une seule chose à changer et tous les problèmes sont réglés » http://w41k.info/16338
-> une manière de signaler que cette façon d’énoncer le problème est utilitaire.
Ce que je propose, avec mes amis qui veulent reprendre possession de la création de monnaie afin qu’elle ne soit pas une marchandise, est de rendre publiques (et internationales) toutes les productions de biens vitaux et tout ce qui dépasse un certain seuil de fortune. Tout cet argent doit être redéversé dans la société. Ne pas commencer par là c’est presque vouloir l’occulter… Le terme de « à but non lucratif » doit signifier « sans pertes non plus » et « à but social ».
l’Economie, doit être la recherche du rendement. Comment peut-il être « économique » de licencier en masse par exemple, à moins qu’on ai détourné le sens de ce mot depuis longtemps, ou que cette « économie » ne soit qu’égoïste ?
Les banques et leurs règles devront bien fermer boutique un jour. Une banque c’est juste une base de données, on a rien besoin d’autre. Un autre organisme que les financiers doivent être responsables de l’élaboration d’objectifs évolutifs concrets et communs à tous.
En pensant à la question : « L’Europe est-elle une zone d’activité financière autosuffisante » ?
je me suis posé la question : « mon quartier est-il une zone d’activité financière autosuffisante » ?
et la réponse, c’est que mon quartier devrait permettre normalement de financer des activités dont la taille correspond à celle de mon quartier. La finance mondiale ne devrait donc financer que des projets mondiaux. Qu’en pensez-vous ?
A Paul Jorion
Permettez-moi de me montrer déçu de la position que vous prenez sur la problématique de F Lordon.
J’attendais, et j’attends toujours une discussion forte et argumentée des réalités qu’il énonce avec précision :
– le détournement du risque financier du type « pile je gagne, face tu perds », par la titrisation, le dernier terme de cette proposition largement validé par les actions entreprises par la FED et la BCE, celle-ci dans le silence le plus total, pour apurer les problèmes bancaires de la crise des subprimes. (prop 1 et 2).
On peut en effet, juger qu’impliquer les seuls traders n’est pas suffisant, mais elle me paraît de nature à responsabiliser, et ce n’est qu’une mesure dans un contexte plus vaste.
– les effets de levier réels relevés par F Lordon, qui paraissent ahurissants, et pourtant tellement logiques au vu des taux de couverture qui sont ridiculement bas, et à ma connaissance déterminés aux niveaux des états souverains.
Un petit retour sur l’évolution historique de leurs taux serait utile, ainsi qu’une petite analyse de l’évolution en sens inverse initiée par la Chine actuellement (prop 3 et 4).
A noter que la proposition d’Allais était plus drastique, au moins au niveau des dépôts et permettrait de recouvrer la confiance de la clientèle captive de ces établissements.
– la dangerosité des hedge funds qui ont la capacité de matérialiser de la monnaie en fonction d’évènements ultérieurs, et qui outre le risque réel et l’effet de levier « au carré » souligné par F Lordon, prêtent la main à toutes les tentations de manipulations de l’information. (prop 5)
– la proposition 6 souligne le scandale de la situation actuelle, et on ne parle même pas de l’organisme central de règlementation financière opportunément situé dans le Delaware!!!
– la proposition 7 concerne un secteur que je découvre.
– la proposition 8 est pour moi, séduisante en ce sens qu’elle protège l’économie réelle, la question que je me pose est quel est l’avantage de conserver un marché purement financier dont on s’est passé pratiquement jusqu’aux années 80 sans inconvénient majeur, et dont j’attends toujours qu’on me montre qu’il a un effet positif sur l’économie réelle.
– la proposition 9, est pour moi subordonnée à l’interrogation plus haut
Tout ceci me paraît marqué au coin du bon sens, et pourrait être discuté point par point.
Certes, il me semble manquer, notamment, des mécanismes nécessaires pour réguler la circulation des marchandises entre pays pour protéger les économies locales, mais je pense que ces propositions sont liées au volet financier seul.
Et votre commentaire se résume en gros à ceci:
1 On ne peut rien faire au niveau européen (?), et d’ailleurs ce n’est pas souhaitable (pourquoi ?)
2 Le bilan titrisation et hedge funds est globalement positif, (tiens ça me rappelle un pays et quelqu’un…)
Cela ressemble fort à la pensée unique, et n’est pas démontré, bien au contraire !
Sur le premier point :
Si une initiative purement européenne ne peut rien changer, alors autant aller à la pêche tout de suite. Et quelle a été la réaction de la pensée unique à l’étranger, de ce point de vue, réponse des peuples français et néérlandais au référendum sur la constitution européenne !
Qu’on ne s’y trompe pas, si le non a été mis au placard dans un silence extraordinaire c’est que sa prise en compte ouvrait la discussion dans les termes de F Lordon, et si la discussion débordait (enfin) des mots-valises autorisés, on pouvait s’attendre à faire des découvertes.
Et je pense que ce blog peut être un terrain où les faux-semblants sont dépassés.
Sur le second, le discours sur le rôle positif d’assurance …, il me semblait que les acteurs financiers sont majeurs rationnels et responsables, et que, par exemple, ceux qui prêtent sur le marché immobilier prennent suffisamment de garanties ne serait-ce que sur les hypothèques…
En reprenant le papier de Lordon, je m’aperçois que s’il avait poussé sa proposition 8 un peu plus loin, il serait arrivé quasiment à notre proposition :
Plutôt que de parler de taux d’intérêts différents pour les « refinancements » des banques (n’oublions pas qu’il s’agit de la « monnaie centrale » et non pas de monnaie que les banques prêteraient), il aurait pu proposer une émission 100% centrale avec deux (ou plusieurs) taux différents suivant l’utilisation des fonds par les banques de prêts et les banques d’affaires, tel que nous les avons définies dans « La monnaie : projet de réforme ».
Néanmoins, une loi qui dirait par exemple » la BCE fixe les taux d’intérêts minimaux des prêts bancaires destinés à un investissement économique et les taux minimum des prêts à la sphère financière » serait (peut-être) une avancée… mais je me pose la question de comment empêcher une entreprise bénéficiant d’un taux « d’investissement » d’utiliser sa trésorerie ainsi créée pour spéculer dans la sphère financière….
@Stilgar : Serait il possible de ne pas libérer le montant des investissements hors présentation des contreparties « investissement économique » ? Un peu comme un prêt immobilier qui n’est débloqué que face à l’acte d’achat du bien, le prêt « investissement » ne serait débloqué, et ne produirait d’intérêt, qu’à hauteurs des factures d’équipements, manifestation du flux physique, qui produisent des effets de bord, TVA, impôt car résultat…, qui rendrait moins attractive la fraude.
L’important est que ce dispositif ne soit pas libérable hors de son utilisation « légitime ».
@egdltp
Bien que n’étant pas très au fait du « fonctionnement interne » des banques, je crois que ce serait effectivement possible et Paul pourra sans doute mieux répondre que moi. Cependant, si une entreprise obtient un prêt sur lequel elle payera disons 5% d’intérêts par an pour un investissement (qu’elle réalise, c’est la condition du prêt), c’est ce montant qu’elle peut libérer de sa trésorerie pour éventuellement spéculer, et l’affaire est concevable pour elle si elle espère 10 ou 20% annuels de gains sur cette spéculation…
@Stilgar : on peut alors mettre en place ce que propose l’inventeur du microcrédit : on ne prête plus qu’aux pauvres !!! Ou du moins pour ce type d’investissement !!! C’est pour cela que les femmes, qui investissement leur prêt dans du productif, sont mieux notées dans ces établissements que les hommes qui vont peut être le « jouer ». Un intérêt variant en fonction de l’apport personnel peut limiter aussi votre phénomène. Mais il est exact, qu’il ne sera jamais totalement oblitéré. Je ne pense pas qu’un gestionnaire augmente ses immobilisations pour pouvoir spéculer. De toutes façons, ces immobilisations en capital, étant physiques, sont toujours là pour sécuriser l’emprunt.
En fait, l’avidité des acteurs et leur amnésie militent pour que votre objection soit réelle. Mais ce système n’étant que moins mauvais, doit il être refusé car il n’est pas parfait ?
En écrivant, je vois une possibilité de limiter le biais : la part du résultat ou du CA issue de la spéculation et de la production. Le classement des établissements entre « productif » et « spéculatif » devra se faire en analysant sur une période glissante et avec un hystérésis la composition du résultat via la comptabilité analytique. Le classement est donné par le % majoritaire dans le résultat/le CA et l’accès au type d’emprunt est conditionné au dit classement. Pensez-vous que cela soit possible ?
@egdltp
Excusez moi..
Même si j’amenais une interrogation, je suis d’accord avec votre idée : j’aurais du le préciser, désolé.
Pas de mal, notre échange permet de préciser les modalités de mise en oeuvre de ce double circuit financier. Une personne plus habituée de la chose économique et/ou réglementaire peut-elle donner son avis ? Est-il possible (souhaitable ?) d’intégrer ce mécanisme dans la mise en oeuvre de la nouvelle définition monétaire de notre hôte ?
@ Stilgar et egdltp
Je comprends ce que vous tentez de faire : de jeter un pont entre notre projet de réforme pour la monnaie et la position de Lordon à ce sujet. Imposer une étanchéité entre deux « usages » possibles pour la monnaie me semble très difficile à réaliser car comment mettre en place le système complexe de surveillance qui serait nécessaire pour faire respecter cette nouvelle « prohibition » ? Si la même monnaie peut–être utilisée pour l’investissement et pour la spéculation, elle trouvera toujours le moyen de s’écouler du premier vers la seconde. Je serais plutôt partisan alors, comme Lordon, d’un double système.
Mais ma solution est d’un autre ordre : d’éjecter entièrement la spéculation hors du système. Ou comme je l’ai exprimé hier : de soustraire l’économie du domaine où peuvent s’exercer des paris. Et ceci, toujours selon la même philosophie : que s’il s’agit d’interdire, il vaut mieux que ce soit à partir d’un grand principe auquel la majorité puisse souscrire et dont un grand nombre d’implications découlent automatiquement, plutôt que par une intrication de règlements. Le changement d’un article de constitution requiert l’intervention d’un Conseil Constitutionnel et l’examen approfondi des principes alors que pour qu’un système compliqué de réglementations devienne lettre morte, il suffit qu’un climat de laissez-faire s’installe, il suffit que – comme dans le cas des deux administrations Bush – une directive vienne d’en haut de « fermer les yeux ».
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