Quand j’ai commencé à lire sur cette question de l’argent créé ex nihilo (suite à un commentaire sur le blog), j’ai constaté que le monde se partageait en deux : ceux qui « savaient » que c’était un scandale et ceux qui niaient qu’il y ait un scandale et qui se recrutaient essentiellement parmi les employés de banque.
En fac j’avais appris que l’« illusion » de création de monnaie était due au multiplicateur reflétant la vitesse de circulation de l’argent (c’était en Belgique et il y a longtemps et personne ne parlait de Maurice Allais). Ensuite, j’ai travaillé au cours des 18 dernières années dans des banques : j’ai travaillé en particulier dans le secteur du crédit des plus grands organismes de prêt américains. Jamais au grand jamais aucune des activités qui furent les miennes n’a impliqué d’une manière ou d’une autre de la création de monnaie – et pourtant je travaillais dans des secteurs clés.
Alors quelle explication possible ?
1. S’agit-il d’un complot si bien caché au cœur des banques que même les spécialistes n’y voient que du feu ?
2. Le cadre théorique au sein duquel le personnel des banques travaille est-il aveugle à cette création de monnaie qui aurait cependant lieu ?
3. Ou bien au contraire, les profanes en manière de finance « telle qu’elle fonctionne dans les banques » – y compris certains professeurs de finance – interprètent-ils mal l’effet multiplicateur de la monnaie dû au fait qu’elle circule ?
Réponses :
1. Première hypothèse : un complot si bien caché. Cela m’étonnerait. J’ai l’esprit assez critique et au cours de ces 18 années j’ai découvert – à vue de nez – une bonne cinquante de choses – importantes, voire très importantes – que l’on essayait de me cacher dans les banques. La création de monnaie n’en faisait pas partie.
2. Deuxième hypothèse : travailler dans une banque rend bête. C’est possible mais cet aveuglement dépasse alors le cadre des employés de banque puisque, comme je l’ai dit, mes propres professeurs d’économie partageaient cette interprétation. Inversement, je ne connais que Maurice Allais, parmi les professeurs d’économie, qui défende le point de vue du « scandale ». Irving Fisher est parfois invoqué à ce propos mais il me semble à tort, car je n’ai rien trouvé chez lui de ce genre. Pour ce qui touche à Allais, comme je l’ai montré dans Le monde enchanté de Maurice Allais, il commet une erreur qui découle d’un usage laxiste de la phrase « X considère que Y » qui est utilisée par lui deux fois, la première pour renvoyer à « X considère [à raison] que Y » et la seconde pour « X considère [à tort] que Y ».
En fait mon hypothèse aujourd’hui est la suivante.
Les « gens qui travaillent dans les banques » sont conscients qu’il est difficile de maintenir en permanence une équivalence entre la masse monétaire et la richesse effective, où les intérêts payés représentent plus ou moins bien la plus-value créée par l’activité humaine mais, à la différence des profanes en matière de finance, ils voient dans cette difficulté une peccadille par rapport aux problèmes énormes que pose le fonctionnement du système financier par ailleurs et quand on leur dit qu’il y a un « scandale » au cœur du système financier, il leur vient à l’esprit des dizaines de meilleurs candidats avant qu’ils ne pensent à celui-là !
Quant aux « gens qui disent que les banques créent de l’argent ex nihilo », la question qu’ils entendent réellement poser est celle-ci : « Est-il légitime que les banquiers soient les autorités en charge de maintenir en permanence une équivalence entre la masse monétaire et la richesse effective, où les intérêts payés représentent plus ou moins bien la plus-value créée par l’activité humaine ? ». Que leur réponse soit « Non ! », m’apparaît maintenant très clairement. Leur question est excellente et se passe en réalité très bien de l’hypothèse de la création d’argent ex nihilo, alors pourquoi ne pas la poser dans ces termes, sans chercher à la fonder sur cette base douteuse ?
17 réponses à “Bonne question et mauvaise hypothèse”
Bonjour
Je voudrais suggèrer une 4° explication .
Les banques (je veux parler des fondés de pouvoir, des « employés de banques ») , lorsqu’ils répondent positivement à une demande de crédit d’une entreprise ou d’un ménage ignorent littéralement s’ils vont utiliser pour cela des « épargnes préalables » ou faire (sans le savoir) de la « création monétaire ». Il faudrait rentrer dans les comptabilités des banques pour connaitre la répartition qui, je crois, est de 60/40 (mais sans garanties), tant le système est imbriqué. C’est d’ailleurs, je pense, une des raisons pour laquelle Allais demande la dissociation totale des activités bancaires telles qu’elles se constatent aujourd’hui et leur attribution à trois catégories d’établissements distincts et indépendants :
1. des banques de dépôt assurant seulement, à l’exclusion de toute opération de prêt, les encaissements et les paiements, et la garde des dépôts de leurs clients, les frais correspondants étant facturés à ces derniers, et les comptes des clients ne pouvant comporter aucun découvert ;
2. des banques de prêt empruntant à des termes donnés et prêtant les fonds empruntés à des termes plus courts, le montant global des prêts ne pouvant excéder le montant global des fonds empruntés ;
3. des banques d’affaires empruntant directement au public ou aux banques de prêt et investissant les fonds empruntés dans les entreprises
Mais il n’empêche: les 8000 milliards d’euros en circulation dans la zone monétaire euro qui, à l’origine, ont été créés par les banques commerciales, « demandent un intérêt »… disons 300 milliards d’euros par an.. ces 300 milliards ne seraient ils pas mieux dans les « poches de la collectivité » ?
Mais ces 8000 Md€ sont aussi de la monnaie temporaire, des crédits qui arrivent à échéance à différents termes, et qui imposent que chaque année soit au moins créée une quantité supplémentaire correspondante aux intérêts qu’il faudra bien payer… autant les payer à la collectivité puisqu’il n’y a, de la part des banques, que très peu de création réelle de richesse (ou si vous voulez, « création de richesse réelle »)…
Henry Ford : » Si les gens de cette nation comprenaient notre système bancaire et monétaire, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin »
Sans commentaires …..
Paul,
Il me semble que tu mêles le principe de la réserve fractionnaire et le coefficient multiplicateur du à la vitesse, à la circulation.
Telles que je comprends les choses, il y a deux monnaies : primaire (high power), basée sur les signes frappés par l’état, et secondaire, scripturale, l’équivalent moderne de la lettre de change.
La primaire, c’est la créance de l’état. Elle ne s’appuie – comme l’autre – sur rien si ce n’est la confiance, en l’occurence celle de la capacité de l’état à lever l’impôt et à maintenir la crédibilité, le pouvoir d’achat, de sa monnaie sur son territoire.
la seconde a une nature très différente. Elle est basée sur la créance que l’on peut accorder à une institution privée et sa capacité à effectuer une « clearance », c’est à dire à transformer – à matérialiser – un engagement privé en monnaie primaire.
C’est le principe des lettres de change des banquiers Lombards.
Un exemple de ce mécanisme est fourni par la (le nom m’échappe), cette sorte de « Western Union », des pakistanais qui transfèrent de l’argent de Islamabad à Londres et vice versa en compensant à la marge et localement les soldes des flux de sommes échangées.
En ajoutant à ce mécanisme de transfert et de compensation celui de dépôt, nait l’invention du crédit moderne de la banque et la réserve fractionnaire.
Quand le système s’installe, la promesse de compensation devient un équivalent monétaire. Dés lors, la question n’est plus tant celle des soldes, que des « retraits », c’est à dire des conversions entre monnaie privée (scripturale, lettre de change) et monnaie high power d’état. les banquiers modernes appellent cela les « fuites » i.e. hors de leur système.
Et au lieu de la relation 1-1 entre dépôts et versements nait celle de l’effet de levier. Les fuites sont, sur une période – nettement – moindres que la QT de scriptural en circulation.
L’usage montre qu’une réserve HP de l’ordre de 10% suffit à couvrir les fuites.
une fois compris cela, le crédit nait, et c’est bien une création monétaire ex nihilo, mais finalement pas plus que celle de la HP. Sa limite, originellement la crédibilité de l’émetteur de scriptural, est désormais systémique, sécurisée et contrainte par l’effet de levier des réserves obligatoires auprès des BC, qui organisent la pénurie de HP et fixent le taux de celle-ci qui se propage à celui de la scripturale.
Evidemment si la scripturale crée la promesse de HP, cette dernière doit suivre. Les Banques Centrales y pourvoient et impriment à mesure.
Le coefficient multiplicateur, celui de la vitesse de circulation, n’intervient qu’en second lieu. C’est la propagation du mécanisme de la réserve fractionnaire à travers le système interbancaire.
Une autre façon d’apprécier ce mécanisme c’est avec la dichotomie stock/flux. La monnaie, dans tous les cas, est une promesse de mobilisation de travail humain.
Son équivalence avec la quantité de biens disponibles est sans cesse et nécessairement remise en cause par son pouvoir de mobilisation des énergies et du résultat supplémentaire(*) induit.
On peut donc la lire selon deux axes contradictoires. La promesse avec son présupposé d’accroissement et/ou la nécessité de compensation.
Les monnaies de pénuries qui ont vécu lors des crises illustrent ce pouvoir à provoquer l’activité et à créer la richesse ex nihilo, tout simplement en permettant l’échange.
Le crédit bancaire fractionnaire supervisé par les BC, c’est l’institutionalisation de cette fonction inhérente au signe magique qui matérialise l’appartenance, la « réalité » de la société, de ses rétributions et de son avenir.
(*) Il conviendrait sans doute de s’interroger longuement sur ce fondamental de l’amplification tellement indissociable de notre folie civilisationnelle.
@Paul, pour moi il n’y a pas scandale, il y a escroquerie pyramidale.
Dans une banque, quelques personnes, seulement, savent de quoi il retourne. Notamment celles chargées de s’assurer que leur réserves obligatoires sont au niveau légal (imposé par la BC). Ces contrôles interviennent à certaine dates seulement, notamment en fin de trimestre : c’est la bonne époque pour parquer des fonds en CAT (Compte à terme) ou CDN (Certificats de dépôt négociable) à un bon taux car il y a alors demande de monnaie centrale par les banques.
@Philippe, la monnaie centrale n’est pas créée ex-nihilo. La BC possède dans son bilan des titres en contre-partie de cette monnaie. L’idéal sont les emprunts d’Etat car celui-ci aura toujours la possibilité de lever l’impôt, donc de récupérer les billets de la BC (!), pour rembourser, à l’échéance, ces obligations à la BC qui retrouvera ainsi ce qu’elle avait émis (elle recommencera avec de nouveaux emprunts)
Il s’agit plutôt d’un cercle vicieux (surtout si l’on tient compte de l’intérêt sur les obligs)
Ces opérations de création de monnaie centrale « imprimée » sont les POMO (Permanent open market operations) ; le pendant des TOMO (Temporary) avec lesquelles la BC crée de sa monnaie centrale sous forme électronique inscrite au compte de ses « deposit institutions » (les banques commerciales) avec pour garantie des titres déposés en gage par ces banques. Après un court délai (1 à 14 jours en période normale), la BC restitue la garantie à la banque et débite son compte (elle détruit sa monnaie centrale électronique, la banque peut rouler et modifier sa position avec un nouveau TOMO)
On comprend ainsi mieux les récentes acrobaties de la FED : ne souhaitant pas créer de monnaie supplémentaire (inflation), elle a échangé 200 B$ des 750 B$ de titres sûrs qu’elle avait à son bilan contre d’autres, disons, plus douteux. La quantité de dollars en circulation ne change pas, mais leur qualité baisse, puisque la garantie de remboursement par l’Etat étant impactée. (Le but était de transmettre aux banques dans le besoin des titres sûrs, qu’elles pourraient s’échanger ou se mettre en gage, contre des titres que les banques se refusaient … mais que la FED a accepté …)
En effet, le seul risque sur la monnaie fiduciaire est la défaillance de l’Etat (l’inflation ne joue pas ici car le contrat garantit seulement le remboursement dans la même devise, pas le pouvoir d’achat de la devise) , d’où les variations de différentes devises qui représentent les actions de l’Etat à l’image de celles d’une société cotée.
Exemple intéressant : pourquoi le Bund teuton à 10 ans porte-t-il un moindre taux d’intérêt que l’équivalent italien puisqu’il s’agit de la même devise ? le risque est évidemment la défaillance de l’Italie, surtout si Berlusconi passe (!) : elle pourrait souhaiter se retirer de la zone euro, convertir ses obligations, actuellement en euros, dans sa nouvelle devise (la lire ?) au taux qui va bien et les rembourser à échéance dans sa nouvelle devise. Comme Berlusconi veut une « dévaluation compétitive », le créditeur se retrouvera avec de la monnaie de singe … et se fait payer ce risque.
@ Armand
Un de mes amis est lui-même cadre de banque ; il a bien compris le système, et partage ce que vous et moi et quelques autres essayons d’expliquer sur ce blog de Paul Jorion . Dans un message récent il me fait néanmoins remarquer que si Paul n’a pas encore tout compris, nous risquons de compromettre sa démarche fort louable de dialogue avec des “opposants”. Elle n’est pas si courante et nous devrions en prendre acte et l’en féliciter.
Surtout, surtout , n’accusons pas systématiquement de tous les maux les banquiers et leurs employés. C’est l’histoire qui nous a amené là où nous en sommes. Effectivement je pense que les termes de “scandale” et, plus fort encore d’ “escroquerie pyramidale” s’ils sont factuellement défendables ne le sont pas moralement. Bien sûr, chacun a sa responsabilité à son niveau, mais je me demande si même ceux qui sont à la pointe de la pyramide ont bien conscience du “carcan monétaire” dans lequel ils tiennent le monde entier. Bien entendu ce n’est pas une raison pour laisser faire sans rien dire mais plus notre dialogue sera pacifié, plus il sera efficace.
Les scientifiques et technologues font des prouesses aves des machines que nos ancêtres n’auraient pu imaginer. Depuis que les questions biologiques et médicales sont également traitées par les mêmes démarches (observation, compréhension, quantification, modélisation … ) on arrive à concevoir des médicaments vraiment efficaces. Les médecins de Molière, qui étaient de bien braves gens, en perdraient leur suffisance. Les progrès en sciences sociales – pour moi la monnaie est aujourd’hui au coeur de nos problèmes sociaux – n’est à attendre, je le crains, que de ceux qui sauront s’emparer de ces méthodes.
Merci beaucoup pour le professionalisme de vos contributions.
Bonjour à tous.
M. Jorion, vous dites ne pas croire à la création monétaire ex-nihilo par les banques privées ou centrales. Dans ce cas, comment expliquer que la masse monétaire augmente perpétuellement depuis des décennies, et ce même en l’absence d’inflation notoire (cas de la zone euro depuis 2002 : environ 2% annuel d’inflation, autant de croissance, et pourtant presque 10% de masse monétaire M1 en plus chaque année) ?
Par ailleurs, vous écrivez que l’intérêt représenterait plus ou moins bien l’accroissement nécessaire de masse monétaire, lié à l’augmentation de l’activité économique réelle (si j’ai bien compris votre propos). Cependant, une question reste: d’où vient la monnaie qui est utilisée pour rembourser l’intérêt ? Elle est demandée aux emprunteurs, donc, in fine, aux travailleurs qui créent la richesse réelle, n’est-ce pas ? Mais où diable ces travailleurs, leurs patrons, les entreprises qui empruntent, vont-ils chercher cette monnaie ? Ne serait-ce pas, comme Allais le suggère, dans le stock de monnaie créée par une autre banque, pour alimenter une autre demande de crédit ? Dans ce cas, nous retombons bien sur une banque créatrice, par son émission de crédit, de monnaie ex nihilo. L’effet multiplicateur de la vitesse de circulation, quant à lui, ne me semble pas un candidat honnête a priori, puisque si cela était le cas, il faudrait, à masse monétaire donnée, que la vitesse augmente exponentiellement pour satisfaire l’augmentation « apparente » de la masse monétaire observée. Ce n’est pas le cas, et il y a donc forcément, quelque part, une (ou plusieurs) « source(s) » de monnaie.
Le mécanisme qui « crée (ou détruit) de la valeur » par la cotation boursière est aussi à mon sens une très grosse stupidité. Comment peut-on imaginer qu’une entreprise ne vaille plus rien sur un coup de sang des traders, alors que tout ce qui fait sa richesse (ses usines, ses employés, son savoir faire, etc.) est encore là ? Là aussi, il y a des masses monétaires, découplées de toute réalité physique, qui se créent ex nihilo, et s’évanouissent tout aussi vite, dans la plus incroyable irrationalité. Certains me diront que c’est bien là le but du jeu, et que ce mécanisme permet d’attribuer les ressources financières aux entreprises les plus performantes (quels que soient les critères retenus pour évaluer cette performance). Dès lors, nous nous retrouvons face à un mécanisme de création ex nihilo de valeur, monétaire ou « monétisable », qui en plus d’avoir ce vice, se caractérise par le fait que ceux qui en profitent ou en pâtissent n’ont quasiment aucun contrôle dessus ! C’est insensé !
Bref, vous aurez compris que je ne peux pas, en ayant conscience de ces faits scandaleux, approuver le système monétaire et financier. Aussi, je vous encourage et vous félicite, M. Jorion, pour votre action en faveur de l’information des citoyens.
Cordialement,
Brieuc
@ Brieuc
Je n’ai pas le sentiment d’avoir jamais dit que les banques centrales ne créent pas de monnaie : je ne m’en suis pris qu’à l’idée que les banques commerciales créent de la monnaie quand elles prêtent de l’argent et exigent un intérêt. J’ai dit que la création de monnaie ici est une illusion d’optique due au fait qu’il y a création de richesse par la combinaison du capital avancé par la banque, le travail fourni par l’emprunteur et, s’il s’agit d’agriculture, etc. de l’action du soleil. L’intérêt correspond à une « part » de la création de richesse qui a eu lieu en utilisant le capital fourni par la banque.
Pour dire les choses un peu autrement que je ne l’ai fait jusqu’ici : je ne m’oppose pas au fait de dire que les banques commerciales créent de la monnaie si on affirme alors de la même manière que celui qui emprunte à la banque en crée aussi puisqu’il lui reste au bout du compte la richesse qu’il a crée grâce au capital emprunté, moins la part qui revient à la banque, à savoir les intérêts sur la somme prêtée.
Le problème ici pour les partisans de la création de monnaie « ex nihilo », serait qu’ils auraient bien du mal à dénoncer un scandale dans la création de monnaie par le travailleur. Vous avez dû comprendre si vous m’avez lu jusqu’ici – car je l’ai déjà dit plusieurs fois – que j’essaie de montrer aux partisans du « ex nihilo » que ce qu’ils remettent en question ce n’est pas le « scandale de la monnaie ex nihilo » mais la propriété privée. Si c’est ça qu’ils entendent dire, ça ne me dérange pas, c’est une position politique valide, mais qu’au moins ils le disent. S’ils ne remettent pas cela en question, ils doivent admettre qu’il est légitime que celui qui fait les avances reçoive une part de la richesse créée.
Je suis de plus en plus d’accord que l’expressio « ex nihilo » concernant la création monétaire par les banques (centrales ou commerciales) est « mal comprise » et sujet à tous les débats, sans fin.
Pouvons nous trouver (ensemble) une autre formulation?
– André Chaîneau en propose une première (« Mécanismes politiques et monétaires »): » la monnaie est créée par les banques lors d’une demande satisfaite de crédit bancaire par des agents non bancaires »
– Dominique Plihon en propose une seconde (« La monnaie et ses mécanismes »): » Il y a 3 sources de création monétaire, contreparties de la masse monétaire créée: 1) Contrepartie extérieure (marché des changes); 2) Créances nettes sur l’Etat; 3) Créances sur l’économie (ménages et entreprises) »
Pour ma part je proposerais: » La monnaie est créée par les banques commerciales, seules autorisées à ce faire, lors d’une demande satisfaite de crédit dépassant les épargnes antérieures disponibles; le demandeur de crédit est donc cocréateur de monnaie »
D’autres idées ou formulations ?
Allez, on va tenter une explication qui essaiera de mettre tout le monde d’accord : bien sûr la banque ne crée pas de monnaie.
C’est le pauvre emprunteur qui la crée par son travail, et qui la dépose à sa banque quand il rembourse par exemple les intérêts sur la construction de sa maison.
Mais la masse monétaire a bien augmenté. Et elle est bel est bien maintenant dans le système financier.
Si on généralise, la monnaie est créée par tout agent économique qui recourt au crédit et réussit à rembourser ses intérêts.
La maison n’a pas augmenté de valeur pour autant.
@ Bernard
Moi ça me va ! … mais c’est parce que je n’ai jamais rien dit d’autre ! Mais ceux qui croient à l’existence d’un « scandale » à dénoncer risquent d’être déçus !
Ceci dit, si c’est l’hypothèse d’un scandale qui a fait avancer les choses et nous a conduit au texte de notre projet pour la monnaie, il n’y a rien à regretter !
Bernard a écrit » Si on généralise, la monnaie est créée par tout agent économique qui recourt au crédit et réussit à rembourser ses intérêts. »
Trois bémols ..
1 – Ce n’est quand même pas l’agent économique qui a recourt au crédit qui crée la monnaie, le droit ne lui est pas accordé : c’est quand même la banque qui s’en charge.
2 – C’est la banque qui en reçoit les intérêts
3 – Pour que « globalement » il y ait assez de monnaie pour que les emprunteurs puissent réussir à rembourser les intérêt, il faut que « globalement » d’autres emprunteurs aient permis, par leur demande crédit acceptée, l’augmentation de la masse monétaire. Car en fait, si on peut débattre du terme « création ex nihilo » en ce qui concerne la demande (satisfaite) de création monétaire à la suite de demande de crédit, les intérêts sont bien comptabilisés (au débit de l’emprunteur puis par transfert vers la banque), « ex nihilo »
(je ne sais pas si vous voyez bien ce que je veux dire;-), mais de toute façon, pour que la globalité des emprunteurs ne s’appauvrisse pas, il faut bien que la masse monétaire créée par le crédit, soit en constante augmentation d’un minimum correspondant aux intérêts.
PS: Comme quelques économistes je pense que, contrairement à l’idée communément admise, l’augmentation des taux d’intérêts, contrairement au but officiel de diminuer l’inflation, participe au contraire à celle-ci, puisque les entreprises transfèrent cette charge (de leurs emprunts) sur les prix de vente (toutes choses restant égales par ailleurs)…
Bonjour,
@ Paul Jorion,
Je comprends votre point de vue. Il me semble en fait que vous avez tendance (volontairement ou inconsciemment ?) à confondre monnaie et richesse. C’est ce qui se passe quand vous écrivez « je ne m’oppose pas au fait de dire que les banques commerciales créent de la monnaie si on affirme alors de la même manière que celui qui emprunte à la banque en crée aussi puisqu’il lui reste au bout du compte la richesse qu’il a créée grâce au capital emprunté ».
De mon point de vue, il y a deux choses totalement distinctes : la richesse créée par le travailleur, qui ne nécessite que du travail de sa part et du capital réel (matériaux, outils, etc, qui eux-mêmes ne sont issus que du travail, depuis la matière première extraite du sol de notre planète), et de l’autre un symbole monétaire représentant au temps t la valeur conventionnelle de tout ce travail, et nécessaire, dans notre monde, pour faciliter l’échange du travail.
Dire que ce qui a été créé par le travail de l’emprunteur est aussi de la monnaie n’est possible qu’à la condition d’assimiler la monnaie à la richesse et la richesse à la monnaie. Je ne fais pas cette identification, car je la trouve pernicieuse, du fait des natures très différentes de la monnaie et de la richesse.
Dès lors, quand vous écrivez « Le problème ici pour les partisans de la création de monnaie « ex nihilo », serait qu’ils auraient bien du mal à dénoncer un scandale dans la création de monnaie par le travailleur », vous faites ce que je considère comme une erreur, puisque selon moi, le travailleur crée de la richesse, de la valeur, mais pas de la monnaie. C’est la banque privée, et elle seule, qui crée la monnaie, dont la somme représente plus ou moins exactement la valeur créée. Et l’intérêt est un système pernicieux pour représenter l’accroissement de richesse, car il est totalement déconnecté de la somme de travail fourni. Et cet intérêt lui-même est créé par un appel de crédit ailleurs, crédit accordé à un autre travailleur sur le marché.
Dans l’absolu, vous avez raison quand vous dites que la monnaie n’est pas créée ex-nihilo, puisque cette monnaie est temporaire (elle est détruite par le remboursement du principal). Par contre, l’intérêt, lui, n’est pas émis en même temps que le principal, et donc il faut bien trouver dans le circuit financier et commercial plus de monnaie que ce qui été émis par la banque. Le crédit bancaire avec intérêt est donc un système qui demande plus de monnaie en remboursement que ce qui a été accordé à l’emprunteur (on est tous d’accord là-dessus). Or, cette monnaie supplémentaire, dans un monde où 97% de la monnaie est scripturale, provient d’une autre écriture, ailleurs dans le monde. Cette écriture est elle-même probablement génératrice d’intérêt, et donc en remboursant, principal et intérêt, la première écriture, il devient impossible de rembourser la seconde. Ce qui crée un nouvel appel de crédit, en un troisième point. Etc.
De ce fait, même si il reste possible de refuser l’appellation « ex nihilo » pour la création monétaire privée, il n’en reste pas moins que le système bancaire, globalement, crée de la monnaie à partir de rien, sur une demande de la part des acteurs commerciaux. Et en effet, il est scandaleux que des institutions privées profitent seules de cet accroissement de la richesse globale (à travers l’accaparement de la monnaie la représentant grâce à l’intérêt).
En clair, nous avons tous raison : les banques créent la monnaie (ex nihilo, ou pas, c’est tout comme), et accaparent pour elles-mêmes le droit d’acquérir la richesse réelle ainsi créée.
Brieuc
Je suis tout à fait en accord avec ce que dit Stilgar, et n’ai jamais dit autre chose.
La remarque 1 me paraît purement sémantique, car le fondement de la création de monnaie est bien à la fois l’adhésion de l’emprunteur au système capitaliste de l’intérêt, et par là à la logique de pensée économique unique qui nous régit, cette adhésion étant bien réelle même si on peut se poser la question de savoir si elle résulte d’un libre choix, ou acquise « à l’insu de son plein gré », s’il existe des alternatives…
C’est même LA question à se poser
Ce n’est quand même pas le préposé aux écritures qui doit être incriminé !
La remarque 2 est une évidence.
Il est quand même assez clair pour moi que, cette création de monnaie est réelle, et qu’elle crée en tant que telle une inflation monétaire, au moins en période de croissance, dans la sphère de l’économie réelle, et que cette inflation est encore démultipliée dans la sphère financière.
Et que Stilgar a raison quand il dit que l’intérêt génère de l’inflation, ne serait-elle que monétaire.
Mais tout ceci n’est qu’un détail technique sur la vraie question qui nous préoccupe tous
Pour la signification profonde de tout celà voir la magnifique contribution de Fabrice Flipo sur » Un nouveau paradigme… »
P Jorion dit
« Le problème ici pour les partisans de la création de monnaie « ex nihilo », serait qu’ils auraient bien du mal à dénoncer un scandale dans la création de monnaie par le travailleur. Vous avez dû comprendre si vous m’avez lu jusqu’ici – car je l’ai déjà dit plusieurs fois – que j’essaie de montrer aux partisans du « ex nihilo » que ce qu’ils remettent en question ce n’est pas le « scandale de la monnaie ex nihilo » mais la propriété privée.
Si c’est ça qu’ils entendent dire, ça ne me dérange pas, c’est une position politique valide, mais qu’au moins ils le disent. S’ils ne remettent pas cela en question, ils doivent admettre qu’il est légitime que celui qui fait les avances reçoive une part de la richesse créée. »
——
Je n’avais pas « percuté » sur ce paragraphe qui est pour moi à la fois essentiel et dangereux car sa rationalité apparente cache pour moi un redoutable contresens.
Payer celui qui fait des avances, c’est s’inscrire dans le processus capitaliste d’accumulation, mais loin de défendre une logique de propriété privée, c’est au contraire nier cette propriété privée et priver le citoyen de la moindre prise sur son environnement.
Ce point de vue a été exposé magistralement par H. Arendt il y a cinquante ans maintenant dans « Condition de l’homme moderne », livre dans lequel elle expose une vision philosophique et politique de la genèse de la formation de la société capitaliste, dans laquelle le « gouvernement [est] nommé pour protéger chacun des propriétaires concurrents dans leur lutte pour l’enrichissement », processus d’accumulation qui sacrifie la propriété privée traditionnelle chaque fois que celle-ci s’oppose à ce processus, réduisant à terme le domaine privé de chacun à sa force de travail et à une zone d’intimité délocalisable.
La lecture de ce livre est parfaitement terrifiante,
– par l’examen de l’état d’avancement actuel du processus qui ne laisse d’ailleurs aucun doute sur la clairvoyance de la vision, les exemples de découplage forcé des populations avec leur propriété traditionnelle sont maintenant la règle, des traders largement dédommagés, aux déplacés du tiers monde ou du canal St martin, aux agriculteurs traditionnels trainés en justice par leurs voisins productivistes OGM, les chomeurs sommés d’accepter un travail avec 2h de déplacement….
– par la cohérence de cette logique avec non seulement le discours monétariste actuel, mais maintenant le discours politique.
– par le constat de la dégradation inexorable de la propriété publique y compris dans ses composantes vitales comme l’air et l’eau ou le climat.
Cette logique ce compétition ne laissant au final (au mieux) qu’un petit lot de vainqueurs, il faut espérer charitablement pour eux que, dans sa croissance forcée, ils auront trouvé un moyen d’émigrer de cette planète invivable.
Le choix, apparemment raisonnable, que vous proposez ne me paraît donc pas exister.
Paul Jorion a écrit: « …/… j’essaie de montrer aux partisans du « ex nihilo » que ce qu’ils remettent en question ce n’est pas le « scandale de la monnaie ex nihilo » mais la propriété privée. »
Je suppose que vous entendez par là « … la propriété privée du droit d’émettre la monnaie » ? C’est bien là en effet qu’est le scandale. Du fait que la monnaie moderne est totalement dématérialisée, électronique, et créée ex nihilo sur une base conventionnelle, il serait logique et juste que sa création, puisqu’elle sert la société, soit tout à la fois faite par la société, et profite à la société.
Une proposition existe pour redonner à la monnaie la place qui est la sienne (moyen d’échange). C’est le sociétalisme. Dans cette proposition la monnaie est créée ex nihilo par le travail, directement sur le compte du travailleur. Elle représente la valeur du travail accompli (chaque société définissant conventionnellement le mode de détermination de cette valeur). La monnaie est détruite par la consommation (ce qui est logique, puisque le bien consommé étant retiré du marché, il n’y a plus lieu de le représenter symboliquement par la monnaie).
Reste à assurer la seconde fonction de la monnaie : celle de réserve de valeur. Comme le système sociétaliste est pensé comme solidaire dès la base, avec un revenu inconditionnel garanti, il n’y a pas lieu de créer un outil de réserve. C’est la solidarité structurelle du système qui l’assure, équitablement, pour tous, et tout temps. En cas de besoin, la monnaie est créée par avance, et l’avance est compensée par une moindre création sur le travail futur du bénéficiaire. L’avance est gratuite (pas d’intérêt).
Bien sûr, il n’est pas possible d’appliquer immédiatement cette proposition au capitalisme, et le propos du présent débat n’est pas de faire la révolution ! Je signalais ce point pour illustrer le fait qu’il est possible d’imaginer d’autres formes monétaires temporaires, fluides, gratuites, etc, utilisables par des sociétés capables de les utiliser.
Le drame de notre époque, c’est de croire que la matière et le travail sont abondants et inépuisables, tandis que l’argent est rare et doit être cher. Or, c’est l’inverse qui est vrai: la matière se fait rare au regard de nos capacités modernes d’exploitation, le travail se fait rare de par les besoins de loisir, la réduction de l’activité professionnelle, le niveau d’éducation (qui aide à prendre conscience de ses droits) etc, tandis que la monnaie, créée ex nihilo à la demande et électronique, est abondante et (devrait être) gratuite.
La prise de conscience de cette inversion des rôles est primordiale pour sortir de l’ornière. Question à 100 points : Serait-il possible de faire comprendre cela à des dirigeants de banques centrales ou de grands groupes financiers? Question à 10 milliards de points : Si oui, serait-il possible qu’il en prennent conscience sans en profiter honteusement, vu leur position actuelle dans la création monétaire ?
Brieuc
J’enfonce le clou suite aux propos de Brieuc
Le concept de la monnaie a évolué et s’est transformé au cours des siècles, des coquillages à l’or, pour aboutir à une totale dématérialisation qui a pour conséquence qu’aucune monnaie n’a de contrepartie en matières précieuses ou rares.
Donc, si une collectivité a :
1 – un besoin,
2 – la volonté de le satisfaire,
3 – les moyens techniques et énergétiques,
4 – Un excès de main d’œuvre et le savoir-faire,
… Pourquoi ne peut-elle réaliser ce besoin par faute de financement ?
L’obstacle épistémologique est le suivant :
La monnaie reste conçue comme une réalité matérielle (précieuse) de quantité finie donc rare et épuisable, alors qu’elle ne l’est plus puisqu’elle est dématérialisée
Bon, j’ai vu passé la question récemment sur un autre site, alors j’essaye de m’y coller, mais différement. Pour simplifier, je considère des crédits sans intérêts et tous in fine. Je prétends montrer qu’il n’y a nulle part de création monétaire, juste des va-et-vient entre le présent et le futur (et, en vrai, des échanges avec d’autres monnaies.)
Situation initiale: masse monétaire de 100, aucun emprunt. On peut faire un tableau explicatif avec l’argent disponible chaque année:
an 0: 100
an 1: 100
…
an 10: 100
maintenant, supposons que quelqu’un (un agent A) aille à la banque et emprunte 20 à rembourser dans 10 ans. La banque note qu’elle a un titre de créance qui vaut 20, et donne 20 à l’agent A. L’argent disponible devient:
an 0: 120 (+dette de 20)
an 1: 120 (+dette de 20)
…
an 9: 120 (+dette de 20)
an 10: 100
l’an 10 passe à 100 car le titre de dette est détruit avec de l’argent en circulation. Les intérêts ne changent rien à la situation, car il s’agit juste d’un changement de main de l’argent en circulation.
Je ne suis pas économiste, mais de ce que j’ai compris du fonctionnement des banques centrales, ni l’état, ni les banques ne peuvent créer de l’argent qui ne sera pas remboursé plus tard. Par contre, les banques sont contraintes par les ratios de solvabilité à limiter les dettes qu’elles possèdent. Bref, aucune création de monnaie, juste un volume d’argent en circulation à peu près équivalent à la somme des dettes détenues par les banques (j’ai l’impression que le montant X initial devient négligeable).
Toujours dans ce que je crois avoir compris, ça veut dire que si, dans une année, il y a plus de dettes remboursées que de dettes créées, l’argent disponible décroit, et sinon il croît. Dans l’hypothèse académique où la production reste constante, dans le premier cas on a une déflation (moins d’argent qui permet d’acheter autant), dans le second de l’inflation (plus d’argent pour acheter autant).
Le fait de dire que le total de l’ »argent » reste constant (dans mon exemple égal à 100) semble contredire l’inflation qu’on a toujours eu: chacun sait qu’une baguette d’aujourd’hui, avec un prix traduit en francs, vaut beaucoup plus cher qu’une baguette d’il y a 50 ans en francs. Mais c’est ne pas prendre en compte que l’endettement général a beaucoup augmenté en 50 ans, et qu’il y a maintenant beaucoup plus d’argent en circulation, donc plus de richesse supposée.
L’inflation peut en principe continuer tant qu’il est possible de s’endetter plus qu’on ne l’est actuellement, et rien ne l’empêche tant qu’on considère des ratios d’endettement: si l’argent disponible augmente de 10%, ça veut dire que le travail est rémunéré 10% de plus. Donc *en moyenne* les revenus augmentent en même temps que l’endettement. Par contre, chaque agent économique va essayer de récupérer une plus grosse part possible de cet argent en circulation, si possible supérieure à la dette qu’il a contracté. L’avantage, c’est que ça incite les gens à investir plutôt qu’à thésauriser. Par contre, si plus personne ne veut acheter les dettes de l’état et que les banques ne peuvent plus prêter à cause de leurs ratios de solvabilité, on est arrivé au taquet: il devient obligatoire de commencer à payer pour réduire la dette, ce qui entraîne d’abord une déflation puis, puisqu’il devient plus avantageux de stocker son tas d’or que de l’investir, une récession.