Wall Street est entré ce matin en régime de crise. La Federal Reserve de New York est intervenue, comme elle l’avait fait en 1998, quand elle avait coordonné les efforts d’un certain nombre d’établissements financiers pour sauver le fonds d’investissement spéculatif Long–Term Capital Management. La Fed de New York a orchestré aujourd’hui l’aide que la banque commerciale JP Morgan apportera, avec son soutien, à Bear Stearns, la cinquième banque d’investissement sur la place de Wall Street, en panne sèche de liquidités.
Différence notable : cette fois les fonds de la Fed de New York seront directement exposés. L’opération implique pour JP Morgan de prêter à Bear Stearns des fonds qu’elle aura elle–même empruntés à la Fed. A la suite de nouvelles dispositions prises mardi, la banque d’investissement aurait pu s’adresser directement à la Fed – sans passer par l’intermédiaire d’une banque commerciale – à partir du 27 de ce mois. Il n’a apparemment pas été possible de patienter aussi longtemps. Le PDG de Bear Stearns, Alan Schwartz, déclarait ce matin à la presse : « Nos positions en liquidité se sont significativement détériorées au cours des dernières vingt–quatre heures ». L’action de la firme, qui s’était déjà dépréciée de 63 % depuis le début de l’année, perdait aussitôt 27 dollars, soit 47 % de sa valeur.
JP Morgan mettra en gage auprès de la Fed un portefeuille d’obligations que Bear Stearns aura déposé auprès d’elle. Toute déperdition de valeur de ces titres – et c’est là que réside la nouveauté – sera prise en charge par la Fed de New York.
Je ne reviens pas en détail sur Bear Stearns car j’ai eu l’occasion de vous rapporter depuis un an le parcours accidenté de cette banque d’investissement (*), victime de son rôle central dans l’émission de Residential Mortgage–Backed Securities, ces obligations créées en reconditionnant sous la forme d’une obligation unique plusieurs milliers de prêts hypothécaires individuels.
Fait significatif du risque systémique qui guette aujourd’hui le système financier dans son ensemble, les mesures d’aide prises mardi par la Federal Reserve avaient contribué à précipiter la chute de Carlyle Capital, un fonds de placement appartenant au groupe Carlyle, l’un des principaux acteurs sur le marché des fusions et acquisitions. Ironie du sort, Carlyle Capital avait adopté comme stratégie celle qui avait conduit Long–Term Capital Management à sa perte. Sa longue agonie avait été le drame qui avait animé Wall Street durant la première partie de la semaine. Le facteur qui a apparemment scellé le destin du fonds dans la journée d’hier est le fait que lorsque la Federal Reserve avait libéré mardi dernier de nouveaux capitaux, en acceptant de prendre en gage des Residential Mortgage–Backed Securities, elle avait permis du même coup à celles–ci de retrouver un prix, facilitant la revente par les créanciers de Carlyle Capital des avoirs déposés chez eux en collatéral des sommes empruntées, et qu’ils avaient saisis.
(*) En particulier dans Wall Street, cette semaine et dans La métastase VI – Les patrons
7 réponses à “Wall Street en régime de crise”
Bonjour Paul,
« Le système financier prêt à rebondir » hier, « Wall Street en régime de crise » aujourd’hui : que de changements en une journée !
Remarque, si le CEO de BSC déclare sans rire qu’en 24 heures sa situation a changé alors même que son ex-CEO déclarait lundi que la rumeur d’un problème de liquidité chez BSC était « ridiculous, totally ridiculous » on peut s’attendre à bien pire ou bien plus comique selon son point de vue.
D’autant que ce prêt est sur une durée de 28 jours, tout comme les 200 B$ d’échange de Tresauries liquides (i.e. vendables donc gageables) contre divers titres AAa illiquides (invendables / non gageables), et tout comme les derniers 60 B$ –pardon 100 B$– de la TAF. Trois autres épisodes de ce grand guignol sont donc assurés pour avril.
Quelque chose ne me parait pas (encore) clair dans cette histoire : la FED a prêté SANS GARANTIE (« unsecured loan ») à JPM, qui reprête avec garantie à BSC. Je ne pense pas que JPM remonte ces garanties à la FED, sinon pourquoi BSC ne l’aurait-elle pas fait elle-même puisqu’elle est l’un des « primary dealers » de la FED ?
Montant insuffisant et/ou qualité de ces garanties ? La FED n’aurait pas hésiter à augmenter le volume de ses repos quotidiens, elle qui affirme, chaque jour, qu’elle fera tout pour apporter des « liquidités » et qui le fait (de 60 B$ à 100 B$)
Une bonne partie de la réponse doit donc être dans la valeur réelle des « garanties » proposées par BSC : la FED ne pouvait les accepter ; BSC a déjà des « repos » en cours à la FED : peut-être n’ont-ils plus de titres avec garantie suffisante.
La FED s’expose donc à une perte séche en cas de défaillance de BSC car JPM ne sera pas tenu de rembourser la FED ; ils le disent d’ailleurs très clairement : ils ne prennent aucun risque dans cette histoire.
En tout état de cause ce qui doit être relevé est que la FED accepte des contre-parties douteuses en place des Tresauries (cas du swap de 200B$) voire aucune garantie. C’est désormais du bricolage au quotidien.
Que le dollar s’effondre ne doit donc pas étonner. C’est ainsi que disparaissent les monnaies fiduciaires emportées par la pyramide inversée de J. Exter qui s’effondre : la finance et ses effets de levier écrase les banques et leur effets de levier qui détruit ensuite la monnaie. Ne subsiste que les monnaies ayant une valeur intrinsèque.
Une partie de l’explication : BSC est « primary dealer » ce qui permet à cette banque d’affaires de dealer les Tresauries que le desk de la FED vend au nom du Trésor US ; mais BSC n’est pas « institution deposit », c’est-à-dire une banque de dépôt ou commerciale de premier rang qui dispose d’un compte à la FED où elle est créditée de monnaie centrale contre le dépôt d’une garantie. Il lui fallait donc bien un intermédaire tel JPM qui dispose de cette qualité. Et l’élargissement des bienfaits de la FED à d’autres organismes que ses dépositaires ne semblait pas possible dans cette urgence.
Les quelques petites dernières nouvelles du front :
– S&P vient de dégrader BSC à BBB, la limite du « junk » : BSC ne peut plus émettre de papier commercial pour se refinancer (sans même prendre en compte le gel de ce marché)
– Si lundi BSC n’est pas reprise, elle devra annoncer sa faillite
– JPM, l’un des deux prétendants en lice pour cette reprise « parce qu’il a une bonne connaissance de l’exposition de BSC », est le plus gros intervenant sur le marché des dérivés.
Au 30/09/2007, et selon le « Comptroller of the Currency » (l’équivalent US de notre Cour des Comptes), JPM est engagé sur un notionnel (la valeur sous-jacente de ces contrats de gré à gré) de 91.7 T$ (dont 7.8 T$ sur les dérivés de crédit) soit 74 fois son actif estimé de 1.2 T$. Un hedge fund normal parie sur un levier de 15 fois son capital; un agressif sur un levier double de 30.
Ces contrats OTC – Over The Counter, i.e. hors bilan – se négocient de gré à gré, hors marché réglementé. Il n’y a donc pas de chambre de compensation qui, chaque jour, réaliserait des appels de marge, pour éviter la dérive des encours du côté des positions perdantes, et assurerait, grâce à son propre capital, les pertes de la journée en cas de défaillance de la partie perdante.
Ces contrats OTC ne valent que ce que vaut la partie perdante. La partie gagnante peut donc ne rien gagner en cas de défaillance. Si elle jouait sur deux tableaux (en misant sur un écart par exemple) pensant que la perte sur un contrat serait compensée par le gain sur un autre, elle se retrouve avec une perte à assumer face à une de ses contre-parties sans le gain espéré de l’autre, d’où le danger systémique de ces contrats que Warren Buffett qualifiait « d’armes de destruction financière massive »
BSC était de son côté engagé sur un notionnel de 13 T$ au 30/11/07
Supposon que JPM soit la contre-partie principale de BSC, puisqu’il « connait bien son exposition ». Si BSC défaille alors JPM implose puis, dans la même seconde, tout Wall Street et la finance.
– Bush vient de convoquer, pour ce lundi, le fameux « groupe de travail sur les marchés financiers », plus connu par son surnom de PPP – Plunge Protection Team
Oui, le Président Bush réunit lundi le « Groupe de Travail sur les Marchés Financiers » : Henry Paulson, le ministre des finances, Ben Bernanke, le président de la Fed, Christopher Cox, le président de la Securities and Exchange Commission, l’autorité des marchés – boursier en particulier, et Walter Lukken, le président de la Commodity Futures Trading Commission, le régulateur des marchés à terme. Ceci dit, je serais étonné s’ils n’étaient pas déjà tous très occupés ce weekend !
Petite rectification : l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) est le régulateur des banques commerciales américaines ; l’Office of Thrift Supervision (OTS) supervise les Caisses d’Epargne (Savings and Loans ou « thrift ») et les banques coopératives (Credit Unions). L’équivalent américain de la Cour des Comptes est le GAO : le Government Accountability Office.
Merci pour la correction OCC / GAO Paul.
Une autre nouvelle : serait-ce au tour de LEH ? D’après Roubini, qui cite Fitch, le numéro 4 (BSC est le n° 5) des banques d’affaires, LEH, avait presque autant de déchets toxiques (~54%) dans ses MBS/ABS que BSC.
Un pool de 40 banques dirigées par JPM et C vient de lui accorder 2 B$ *sans garantie* sur 3 ans (mais en remplacement d’une ancienne ligne). LEH « conseillait » en début de semaine de surpondérer les MBS de 5% dans les portefeuilles (depuis leur dernier conseil de sous-pondérer de 3%) : avait-ils du papier à vendre en urgence ?
En tout cas, tout le beau monde que tu cites devrait être très occupé la semaine prochaine !
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