– Sombrer. – Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand’chose à bord, sous la lourde rafale…
Pas grand’chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte. – Allons donc, de la place ! –
Vieux fantôme éventé, la Mort change de face :
La Mer ! …Noyés ? – Eh allons donc ! Les noyés sont d’eau douce,
Coulés ! corps et biens ! Et jusqu’au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !La fin, Tristan Corbière
Quand je réfléchis à cette question d’une constitution pour l’économie j’aborde toujours ma réponse en me demandant : « Qu’est-ce que l’espèce peut digérer ? » Comme vous le savez je n’ai pas une très haute opinion de la race humaine sous sa forme originale : brutale et arrogante dans son « état de nature », mais je l’aime sous sa forme avancée : l’« état de culture », celle où elle est parvenue à s’auto–domestiquer. Ceci dit, cette auto–domestication possède à mon sens des limites : tout n’y est pas possible, la nature primaire peut être infléchie mais non éradiquée et il convient toujours d’une certaine manière, de « faire avec ».
C’est là qu’intervient la première partie de mon « non » à la décroissance : l’espèce est « colonisatrice », au sens que l’on donne à ce terme en dynamique des populations, et à cela on ne pourra à mon avis rien faire. Mais ceci n’exclut pas qu’il existe un devoir de poser la question de la décroissance, quitte à lui répondre « non ». Paradoxalement, c’est dans ce que disent certains de ses partisans que je trouverai la seconde partie de mon « non » : mon refus du pessimisme de l’âme heideggérien.
J’ai bien connu à une époque, Michel de Certeau. J’avais vingt–huit ans et les conversations que nous avons eues à Cambridge ont été des moments privilégiés dans ma vie. Nous étions d’accord sur tout et en réalité sur rien. Je me souviens d’une remarque de Lacan, dans un de ses séminaires, je cite de mémoire : « C’est vrai que je dis là la même chose que X (je crois me souvenir qu’il s’agissait de Daniel Lagache – on me corrigera là–dessus), mais vous comprenez bien que si X et moi nous disons la même chose, ça ne peut pas avoir la même signification ! » Pareil pour de Certeau et moi : son point de départ et son point d’aboutissement restaient cette « abdication » de l’homme que Marcel Gauchet – après Feuerbach – dénonce à juste titre dans la religion : attribuer à Dieu un pouvoir qui est en réalité le nôtre, et y renoncer au nom de cette illusion.
Le mot « Heimweh » est un de ces mots germaniques véritablement intraduisibles en français. Quand Heidegger reprend à Novalis « la philosophie comme Heimweh », on traduit par « mal du pays » ou par « nostalgie » et on effleure maladroitement ce qu’il a cherché à dire. Le « Heimweh » c’est le pessimisme de l’âme provoqué par la détresse devant quelque chose qui nous dépasse et qui nous écrase à ce point par sa puissance qu’il ne nous laisse comme seule consolation que la nostalgie du sein maternel : c’est ça la philosophie comme la conçoit Le philosophe H.
Si je vous raconte tout cela, c’est parce que la décroissance chez Alain de Benoist a sa racine dans son « sens du sacré », qui pêche dans les mêmes eaux que le « Heimweh » chez Heidegger : le repli dans l’humilité. Ce n’est pas moi qui l’invente : lisons le chef de file de la « Nouvelle Droite » citant le Heidegger des Chemins qui ne mènent nulle part : « La détresse en tant que détresse nous montre la trace du salut. Le salut évoque le sacré. Le sacré relie le divin. Le divin approche le dieu ». Et c’est pourquoi je fonde ma seconde raison pour rejeter la décroissance dans le fait que de Benoist précisément la soutienne.
Ce faisant, je risque bien entendu de jeter le bébé avec l’eau du bain mais ce risque, je l’assume. Et j’irai plus loin : je m’élève en faux contre de Benoist quand il affirme que « Le décès de l’espérance révolutionnaire dans un salut terrestre constitue l’événement spirituel de cette fin de siècle [PJ : le XXè] » parce que ce décès n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu tant que je serai là. Je l’ai dit : nous sommes une espèce brutale et arrogante. La brutalité m’est abjecte, l’arrogance au contraire m’est hautement sympathique, c’est elle qui sous–tend tous ces gros mots qui me font du bien quand je les prononce : Raison, Progrès, Moderne, Esprit des Lumières !
La planète est trop petite et nous l’avons enfumée. Nettoyons la, je ne suis pas contre. Mais surtout, nom de Dieu, conquérons les étoiles !
26 réponses à “Pourquoi je ne suis pas en faveur de la décroissance”
Malgré la très judicieuse remarque sur Michel de Certeau, je prends le risque de dire que suis tout à fait d’accord avec Paul. Les principes sur lesquels se fonde la décroissance ne sont pas critiquables, car ils reprennent la plupart des thèmes du développement durable vrai, pas ceux de l’ersatz surmédiatisé que l’on nous sert tous les jours. Mais je n’aime pas trop l’esprit qui me rappelle souvent une version moderne du malthusianisme et du repli égoïste sur soi. Plutôt que d’utiliser le terme de décroissance, je préférerais de loin que l’on parle de croissance raisonnée et raisonnable, pour espérer donner un jour à 8/10 milliards d’humains une vie convenable. Il « faut » absolument ne pas se résigner à la décroissance, et croire, au contraire, que le savoir peut toujours être créateur d’autre chose que de la destruction des hommes et de l’environnement!
Jean-Paul
Il y a quelques bonnes raisons pour préférer l’expression « objecteur de croissance »
Sur le fond, l’essentiel est de bien voir qu’A de B ne souscrit à la décroissance que pour convertir ses lecteurs à la pensée de Heidegger : c’est particulièrement clair si on considère l’ordre dans lequel il a rangé les textes réunis dans son livre ; le plus récent figure en tête, il exerce un rôle de captatio benevolentiae à l’égard d’un public qu’on peut supposer intéressé par le thème de la décroissance, et conclut sur la nécessité de dépasser les vieux clivages. Puis viennent les textes “Sur l’écologie I” et “Sur l’écologie II” qui reprennent, le premier une intervention faite en 1993 à un colloque annuel du GRECE, « Les enjeux de l’écologie », l’autre un bouquet d’articles publiés dans Eléments en 1994 (Les deux écologies, Ecologie et religion, La fin de l’idéologie du progrès). C’est là qu’il développe l’essentiel : condamnation de l’écologie “superficielle” – i.e. environnementaliste – condamnation du christianisme, des Lumières, et de l’idéologie du progrès. Enfin le dernier texte, qui reprend un article paru en 1993 dans Krisis, “La nature et sa valeur intrinsèque”, culmine et conclut sur un éloge dithyrambique de Heidegger. Bien entendu, il a bien le droit d’être heideggerien, et nous gardons le droit de ne pas le suivre. Jean-Louis
Oui, c’est bien cela l’heideggeromania et la non liquidation du nazisme. La « décroissance est une mauvaise bannière pour des idées justes car elle suggère la mort, l’entropie, le retour à l’inorganique. L’homme est un vivant pensant : il n’est pas que vivant, il n’est pas un Super vivant, pour être pensant il faut qu’il soit vivant-mourant, c’est la relativisation de la vie par la mort qui permet l’épanouissement du vecteur médiant, celui de la conscience de conscience, de la pensée.
Il ne faut pas oublier la mort, mais transformer le vivant pensant en mourant pensant est une erreur et une faute. Oui, conquérons les étoiles ! Mireille.
(Dé)croissance de quoi ? Evident ?
Le plus à craindre est de croire ne pas être d’accord, ou en avoir envie .
Puisque la discussion se met à tourner autour d’Alain de Benoist, voici copie de la lettre ouverte que je lui ai adressée il y a 3/4 ans, qu’on trouve sur le site de La Revue du MAUSS , mais qui semble ignorée de nombre d’entre vous/nous :
Alain
LETTRE OUVERTE À ALAIN DE BENOIST,
Précisant une fois pour toutes que le MAUSS n’a rien à voir avec la Nouvelle Droite…
Par Alain Caillé
Et puisque le débat sur A. de Benoist renvoie à la discussion sur la décroissance, voilà ce que j’ai écrit pour Entropia (à paraître dans le prochain numéro) et qui reprend ce que j’avais dit à Bayeux,
Alain
[…] Aujourd’hui, je réponds à Paul Jorion et à Jean-Louis Prat : pourquoi je ne suis pas en faveur de la décroissance […]
Serge Latouche et Alain Caillé se rejoignent sur la décolonisation de l’imaginaire économique et, bien évidemment se sépareraient peut-être lorsqu’il s’agit de remplacer l’existant par du neuf.
Alain Caillé propose de suivre le fil d’Ariane : nous sommes arrivés au bout d’un cul de sac, il convient de faire faire marche arrière jusqu’à la bifurcation manquée, mais, comme il le souligne, à quel embranchement faut-il s’arrêter? Caillé propose une image aisément acceptable par nous tous : en revenir aux chiffres des années soixante-dix, ce qui rassure et ouvre la voie de son opérationnalisation. Il suffirait donc de repartir du bon pied, de simplement plonger la main dans notre sac à valeurs et d’en sortir cette fois les bonnes billes. Au risque de simplement rejouer une variante moins risquée ? Dans cette hypothèse et à en rester là je ne vois pas comment s’opérera la transvaluation axiologique, sur laquelle nous sommes tous d’accord.
La pluralité des espaces de discussion qui sur l’Internet offrent un débat sur une vision non conforme de l’économie (*) étonne quelque peu. S’il ne s’agit pas encore de les fédérer, d’établir des « espaces de collaboration » entre diverses tendances, il conviendrait peut-être de proposer un « label », un signe de reconnaissance affichant dès maintenant et sur des voies diverses le partage d’une dynamique de l’invention démocratique. Il serait rassurant de constater qu’au-delà des fragmentations qui s’annoncent, nous sommes cependant déjà au-delà, rassemblés dans la chaleur d’un débat constituant.
(*) à titre d’exemple, Economie Autrement (près de mille signataires en quelques jours, surprenant !)
Croissance, décroissance….. que voici des termes employés comme fétiches ou comme épouvantails….
Encore une fois, il serait fort opportun de se préoccuper des définitions avant de se lancer dans des débats homériques. Lorsqu’on parle de « croissance », il s’agit de croissance économique, c’est-à-dire d’augmentation du PIB (produit intérieur brut), c’est-à-dire de la valeur ajoutée collective de l’Etat considéré, c’est-à-dire de la valeur estimée de la production de richesses et donc des revenus distribués et/ou réinvestis. En toute rigueur mathématique, la décroissance serait de diminuer cette « production » de richesses.
Or, il se trouve que cette estimation est fort discutable : le PIB ne prend en compte que les valeurs ajoutées, donc uniquement des valeurs positives (ce qui est créé). Il ne tient compte en aucune manière des dégâts et des pertes. Vous souhaitez faire augmenter le PIB… : Cassez les vitres de votre voisinage pendant la nuit : les dégâts n’apparaîtront pas dans la comptabilité nationale, mais l’augmentation de la valeur ajoutée des vitriers et l’augmentation des primes d’assurances seront pris en compte. Le PIB aura augmenté ! Il en va naturellement de même avec l’ensemble des dégâts, notamment écologiques et sociaux.
Le PIB, de plus, ne tient pas compte de « productions » non-échangées monétairement sur un marché. Ainsi, la salade que vous avez cultivée dans votre jardin n’a pas de valeur (même si elle est très bonne et se conserve bien) alors que celle que vous achetez au supermarché a une valeur intégrée dans le calcul du PIB (alors qu’elle est moins bonne et se conserve mal). Nombre de « valeurs authentiques » ne sont pas prises en compte…
La croissance du PIB n’est donc pas un bon outil d’évaluation du « progrès » de nos sociétés. Or, je constate très, voire trop, souvent dans les débats de sourds sur la croissance/la décroissance qu’on assimile tout simplement la notion de croissance (quantitative) à la notion de progrès (qualitative). Sans distinction, ce débat ne nous mène nulle part, et il reste tendu entre ceux qui ont déjà installé leurs premières colonies sur mars et ceux qui adorent les bougies. Sans parler encore ici du mot « développement ». Sérieusement, les caricatures… bof !
Personnellement, JE NE SAIS PAS si le progrès à l’avenir sera le corollaire d’une croissance ou d’une décroissance économique, mais je suis convaincu que la croissance érigée en valeur suprême de nos sociétés a déjà commis trop de dégâts. Je sais aussi qu’une croissance infinie de la production/consommation des ressources naturelles de notre planète n’est PAS POSSIBLE. Notre monde a des limites physiques objectives : ceux qui croient en une croissance matérielle infinie sont des utopistes. Le prochain système solaire se trouve à plus de 4 années-lumières et il faudrait plusieurs centaines de siècles pour l’atteindre…
Par contre, on peut peut-être imaginer une « croissance » qui se définirait différemment et qui ne serait pas le corollaire d’une plus importante exploitation des ressources naturelles. Mais là-dessus, on ne lit pas grand chose de pertinent pour l’instant. Qui a des propositions véritablement crédibles ?
Je ne peux que recommander la lecture d’un article par Jean-Marc Jancovici qui expose assez bien les difficultés de cette question.
Si nous essayons de raisonner en estimant que notre planète est une entreprise et que nous basons notre réflexion sur un compte de résultat consolidé, nous pouvons observer que l’humanité ne distribue plus uniquement les dividendes mais qu’elle puise allégrement dans le capital. Aucune entreprise ne peut fonctionner longtemps en puisant dans son capital : à terme, c’est la faillite. Par exemple, nous pêchons aujourd’hui tellement de poissons que la reproduction de certaines espèces est compromise. Le capital-poissons diminue dramatiquement. Il en va de même des hydrocarbures, de l’eau douce, des forêts, etc.
A ce point de la réflexion, je pense que les débats trop souvent stériles sur la croissance ou sur la décroissance sont souvent dus au fait que l’on néglige de prendre en compte la signification précise et CONCRETE de ces notions. Du coup, tous les amalgames deviennent possibles. Je suis tout de même un peu surpris de retrouver de tels débats sur un blog au sein duquel on discute de l’éventualité d’une « constitution économique ». Ne serait-ce pas l’occasion de réfléchir à d’autres BUTS pour nos économies qu’un but strictement QUANTITATIF et sans âme. Je penche personnellement pour une économie qui serait bridée (afin qu’elle cesse d’envahir tous les domaines de la vie) et orientée vers des buts humains, sociaux, culturels, écologiques. Qu’elle passe de but à moyen. Qu’elle soit finalement, en fonction des systèmes statistiques utilisés, croissante ou décroissante me semble presque secondaire. Si seulement le mot « décroissance » pouvait servir d’aiguillon dans le débat plutôt que de prétexte à tous les simplismes…
A Dani,
Quand je m’en prends – sur un ton emprunté à Tristan Corbière – à la “décroissance », je ne renvoie pas à une mesure du Produit Intérieur Brut : je me réfère au mouvement dit « décroissant » dont l’aspiration est – je cite Alain Caillé dans son article à paraître dans Entropia :
C’est à cette vision proprement utopique – au sens de « hors d’atteinte dans le contexte actuel » – que j’en oppose une autre également « hors d’atteinte » mais qui a valeur de symbole : « conquérons les étoiles ! »
@Paul :
Je comprends bien votre démarche dans ce sens. Cependant, je trouve gênant que le terme « décroissance » puisse finir par « appartenir » à certains. Je préfère personnellement en rester à des concepts « économiques » (surtout lorsqu’ils sont économiques à la base…) et tenter de les définir, de les confronter. Si des indésirables (je pense ici à la nouvelle droite, par ex.) tentent de s’emparer du terme « décroissance », je trouve fort regrettable qu’ils finissent par y arriver avec la complicité involontaire de tous ceux qui leur donnent quitus. Je vous avoue que j’ai avant tout réagi à votre titre et surtout aux premiers commentaires à votre article …
A titre personnel, j’aime parfois assez le terme « décroissance » avec tout ce qu’il contient de délibérément provocateur pour le système économique actuel. Malheureusement, je constate aussi que ce même terme contient en germe des discussions qui finissent par nous éloigner des préoccupations directement liées à la critique de la croissance. J’ai d’ailleurs l’impression que le terme « décroissance » est nettement moins « connoté » chez moi (en Suisse) qu’en France…
Comme je l’ai déjà dit, je ne sais pas s’il faut se fixer un but de « décroissance » comme d’autres se fixent un but de « croissance ». Peut-être qu’il serait sain de fixer d’autres buts à l’économie… En ce sens, je ne suis ni pour la croissance, ni pour la décroissance (moi aussi), mais pour des tas d’autres choses…
Quelques réflexions décousues, mais en relation (il me semble) avec le sujet :
1) La Croissance (… Les Réformes, L’Europe, etc…) « L’esprit de Platon à la vie dure. Nous sommes incapables d’échapper à cette tradition philosophique qui veut que ce que nous voyons et mesurons dans le monde ne soit qu’une représentation superficielle et imparfaite d’une réalité cachée. » (Stephen Jay Gould : la mal-mesure de l’homme). (à propos des relations entre corrélations et causes. )
Dans « Pourquoi la Grèce », Jacqueline de Romilly montre comment, avec Platon, on passe de ce qui faisait la spécificité de la pensée grecque jusqu’à Socrate – à savoir la recherche de certains traits récurrents dans la diversité des objets concrets – à une vision du réél comme étant une déclinaison de concepts abstraits prééxistants à leur matérialisation.
Le concept de croissance comme généralité abstraite et structurante me semble relever de ce travers.
2) Pourquoi ce concept métaphysique de « croissance » posé comme condition nécessaire au fonctionnement des sociétés humaines ? Il me semble qu’il serait utile pour clarifier le débat et mettre à jour les différences d’appréciation, de mettre cette nécessité de « croissance » dans une perspective anthropologique et historique.
Le concept de « nécessité de croissance » me semble n’être qu’une déclinaison d’un moyen de réalisation d’un rapport dominants/dominés dans le cadre de la structure économique actuelle (capitaliste) : vendre plus pour gagner plus ; gagner plus pour épater sa concierge et ses voisins avec sa belle voiture (ou les français avec le yacht et la flotte aérienne de son copain Bolloré). A la lecture des écrits de Pascal Picq et al., il semblerait que ce type de rapport de domination (physique et symbolique) soit déja présent chez nos cousins germains les grands singes. En remontant plus loin encore, on peut attribuer à la sélection darwinienne la constitution de groupes hiérarchisés au sein des différentes espèces de mammifères sociaux.
Au fur et à mesure du dévelopement des sociétés humaines dont le moteur à été cette lutte animale pour le pouvoir – les racines animales de la culture humaine pour paraphraser D. Lestel – (la survie du groupe – clan, tribu, chefferie, état – étant dépendante de la nécessité d’une vie en société hiérarchisée) la croissance de surplus est devenue le principal moyen et but du processus de domination (la force militaire coercitive nécessaire au maintien du rapport hiérarchique devenant de plus en plus dépendante de cette accumulation.)
Le problème est que la sélection darwinienne n’a pas d’objectifs téléonomiques quant à la survie de notre espèce, et que peut être seule la prise de pouvoir par notre néo-cortex pour changer les fatalités biologiques pourrait nous permettre d’avoir une certaine chance de survie.
3) Concernant certains types de croissance quantitative (qui se mesurent en unités physiques – Kg, nombre d’unités, surfaces au sol etc…), on approche des limites assignées par le fait que l’on vit sur une planête qui à un rayon de ~ 6360 km, et que l’on dispose de environ 80 000 km carrés de terres habitables si on enlève les déserts (antarctique, zones sub-tropicales de l’hémisphère nord, hauts plateaux et toundra divers…). On est actuellement environs 6,5 milliards d’homo sapiens sur cette planète, on sera bientôt 8 milliards (c’est pour simplifier la division) donc chacun de nous dispose de facto de 1 hectare (100m X 100m !) pour assumer sa subsistance et installer sa petite maison, sa piscine et sa quote part d’infrastructure (routes, super-marchés, entreprises {éventuellement on pourrait aussi laisser un peu de place pour maintenir certaines espèces animales et végétales dans un environnement protégé}…). Pour ce qui est de différentes limitations physiques, voir le blog de J.M. Jancovici cité plus haut, et regarder sur Wikipédia les productions et réserves mondiales de plomb, platine, cuivre etc… en extrapolant ce qu’il faudrait produire si les Chinois et les Hindous consommaient comme les Américains.
4) Concernant la croissance de variables se mesurant uniquement en « valeur » (typiquement les propriétés intellectuelles, (logiciels, entertainments… mais aussi santé, éducation…), reste à définir ce que l’on entend par « valeur » et sur quoi on fait reposer cette valeur (quantité de travail social?). Si d’autre part, l’accumulation démesurée de valeur(monétaire) dans ce secteur permet à ceux qui en bénéficient (Bill Gates par ex.) de racheter tout ou partie des biens visés par le § 3), le problème du partage de certaines ressources nécessaires existant en quantités finies reste entier.
Il me semble que le vrai problème à résoudre est de proposer une structure de fonctionnement économique et social permettant à tous les hommes de vivre en harmonie sur cette planète ; les problèmes de nature écologique (dont une éventuelle décroissance de la production de certaines denrées), ne pourront être résolus que sur cette base. C’est pourquoi votre idée de constitution économique (de mon point de vue permettant de réguler les interactions humaines de façon équitable et de contenir l’esprit de compétition et de domination dans des limites raisonnables en les orientant vers des activités utiles à tous) me plaît bien sur le principe. Reste à la définir concrètement.
Y a-t-il un lien entre « la croissance » au sens bêtement idéologique (dépassé) et la spirale générée par le mécanisme du prêt à intérêt. Autrement dit, dans quelle mesure l’aspiration à une nouvelle croissance masque-t-elle une volonté, pour certains, de pérenniser l’intérêt (en terme de position de pouvoir) du prêt à intérêt ? Je ne sais pas si cette question est bien posée.
§
Latouche propose « A-croissance » sur le modèle athée, cela nous libérerait de la croissance comme théos.
§
À propos de « vers les étoiles ». C’est quand même curieux comme notre même monde peut être vu différemment. Lorsque je rêve la conquête des étoiles, c’est toujours à bord d’une carriole avançant de nuit au travers d’un bocage, au rythme des sabots d’un cheval sur le chemin pavé, à la lumière d’une lanterne…
Déjà, qu’à toute vitesse, nous ne pensons plus qu’à trois ou six mois, il nous faudra bien ralentir lorsqu’il s’agira de prendre patience et d’apprécier chaque seconde, avant que de goûter au rire des filles de Bételgeuse, … dans dix mille, cent mille ans…
La vie est le changement perpétuel, la croissance ou la décroissance c’est aussi un changement ! On parle de quoi ? Si ce n’est que la croissance de la quantité du nombre de biens de consommation jetables ce n’est de toute évidence pas un problème de croissance ou de décroissance mais bien d’une certaine perrénité de ces biens utiles pour qu’on ne les reproduise pas éternellement en polluant à chaque fois. Quant à la croissance financière ce n’est qu’une image.
@ JLM :
Je pense que le problème est fondamentalement bien posé : la question du lien entre la croissance (vous dites idéologique, mais j’aurais envie de dire tout simplement économique, ce qui contient pour moi à la fois les faits et l’idéologie corollaire) et l’émission monétaire.
Nous avons déjà abordé la question de l’émission monétaire, dont la majeure partie est le fait du crédit. Donc, si la monnaie émise est en même temps du crédit, elle est « émise contre le paiement d’un intérêt ». Or, pour moi, il n’en va pas de même si mon voisin décide de se priver d’une certaine somme et de me la louer contre un loyer, donc avec paiement d’un intérêt OU si une banque commerciale « créant » de la monnaie, accepte de la créer contre paiement d’un intérêt.
D’abord pour une question de légitimité : on ne se prive pas de ce qu’on crée pour l’occasion, et cela ne « mérite » (si j’ose dire) pas forcément le paiement d’un intérêt. C’est en tout cas discutable et devrait faire l’objet de discussions….
Et surtout, parce que « la quantité de monnaie nécessaire au remboursement d’un tel emprunt est supérieure à la quantité de monnaie créée » !!! Si tout le monde voulait rembourser ses dettes, cela ne serait pas possible car il n’y aurait tout simplement PAS ASSEZ de monnaie…
Or, si la monnaie existante n’est pas suffisante, il faut alors créer de nouvelles quantités de monnaie permettant de rembourser principal et intérêts liés aux anciennes créations, et ces nouvelles quantités créées le sont parce qu’elles sont liées à une croissance. Pour gagner le droit à l’emprunt de nouvelle monnaie, il faut croître…
Je ne sais pas si c’est clair ou confus….mais la notion de croissance et celles de crédit sont liées dans notre économie moderne, dont le sang est une « monnaie de crédit »….
Mais c’est une chose à creuser….
[…] eux sur ces questions. Comme vous le verrez, à un certain moment le débat se mit à s’intituler « Pourquoi Paul Jorion est il contre la décroissance ? », une référence à mon billet du 23 février intitulé Pourquoi je ne suis pas en faveur de ladécroissance. Je rappelle en deux mots ce que j’y expliquais : que – c’est le biologiste qui parle – l’espèce est foncièrement « colonisatrice » et qu’il ne me paraît pas réaliste – c’est l’anthropologue qui parle – de considérer qu’il lui soit possible de 1) ralentir, 2) stopper, 3) enclencher la marche–arrière. La fuite en avant est trop enracinée dans sa nature et on perdrait moins de temps et on gaspillerait moins d’énergie en canalisant de manière plus réaliste cette fougue vers des objectifs de rationalisation, nettoyage, domestication avancée des énergies renouvelables, etc. Ceci dit, je suis le premier à dire qu’il n’y a pas une minute à perdre ! […]
A Dani,
Quand je m’en prends – sur un ton emprunté à Tristan Corbière – à la « décroissance », je ne renvoie pas à une mesure du Produit Intérieur Brut : je me réfère au mouvement dit « décroissant » dont l’aspiration est – je cite Alain Caillé dans son article à paraître dans Entropia :
C’est à cette vision proprement utopique – au sens de « hors d’atteinte dans le contexte actuel » – que j’en oppose une autre également « hors d’atteinte » mais qui a valeur de symbole : « conquérons les étoiles ! »
===>> Paul Jorion déteste la décroissance parce qu’il aime la croissance ; il aime la croissance parce qu’elle apporte la technologie qui permet de conquérir les étoiles. Malheureusement ladite technologie a une part maudite : sa consommation de nature. L’utopie qui consiste à vouloir conquérir les étoiles ne peut que déboucher sur un apartheid mondial, car elle ne peut déboucher que sur une technique profondément inégalitaire. Faute de ne pas voir cette « part maudite » et de s’en tenir à une technique deux ex machina, sortie de nulle part, une fusée qui ne consommerait rien, en somme, les principes d’ingénierie sont ignorés, l’utopie faussement humaniste de conquête des étoiles tourne au cauchemar et tournera de plus en plus au cauchemar. Les ignorer revient en réalité à sacraliser l’évolution technique, nouvelle Nature qui nous amènera tous à devenir des surhommes ! Le problème est que cette thèse est un pur acte de foi, dénué de tout fondement matériel. Moi bassement matérialiste préfère dévoiler l’escroquerie d’une technique qui n’a rien d’un deus ex machina ni d’une toute–puissance humaine, mais qui entretient de faux rêves au profit d’une minorité, la majorité s’apercevant trop tard que les dettes contractées sur leur corps inorganique par la minorité pour visiter les étoiles ne sera jamais remboursée. La conquête des étoiles est une vision fantasmatique, largement relayée depuis St Simon par les marchands de sommeil qui ne veulent donner à voir qu’une partie des bilans comptables. On retrouve ici une contradiction courante dans les études marxistes : sacraliser l’outil, mais refuser ce qui le rend possible – et son inéluctable coût. Cela ne peut se faire qu’au prix d’un déni de principe de réalité, d’un saut dans l’utopie – au mauvais sens du terme.
L’utopie des 20 millions de villages a par contre pour elle l’argument d’être physiquement faisable. L’ennui, et c’est là son tort le plus concret, est qu’elle brise le rêve de Prométhée entretenu par cette techno-logie, cette foi dans un développement technique autonome, porté par une rationalité immanente dont les modernes seraient les instruments, cette ruse de l’histoire qui nous permettrait de conquérir les étoiles, comme elle nous a permis de quitter l’affreux « âge de pierre ». Mais Zeus, qui a puni Prométhée, n’a-t-il pas sauvé les hommes en apportant la justice ? La justice mène aux 20 millions de villages, le reste à l’exploitation radicale et sans précédent d’une partie de l’humanité par une autre.
La décroissance n’est positive que pour ceux qui ont fait le deuil de cette foi absurde dans la technologie qui ne cesse de demander encore des corps et du sang comme preuves de notre dévouement à sa cause. Assumer une véritable bifurcation technique, qui irait vers des techniques égalitaires, implique de rompre avec cette idolâtrie.
Prométhée , Utopique , mais Orphée :
http://www.franceculture.fr/emission-repliques-le-complexe-d-orphee-2012-06-02
avec Michéa
@flipo
Non mais Jorion oriente « la part maudite » vers les étoiles, justement pour éviter l’asservissement usuel, l’objectif est une soupape à la croissance mécanique, du pur gaspillage libérateur ! La décroissance devrait également gérer la « part maudite ». Et en dehors de l’économique, mis à part la poésie et l’érotisme comment faire pour gérer le trop plein ???
[…] la suite de mon Pourquoi je ne suis pas en faveur de la décroissance un débat s’est initié dans le cadre du groupe de discussion réunissant les sympathisants du […]
de fait, il n’y a pas vraiment à être « contre » ou « pour » la décroissance, comme d’ailleurs la croissance : comment décrète-t-on la décroissance ? une économie ou croît ou qui décroît est résultat d’un nombre de paramètres extrêmement important, non ? en revanche, les résultats des travaux du GIEC sont à prendre en considération, c’est l’enjeu du siècle, qu’on le veuille ou non : ne pas adhérer à l’avis de scientifiques du monde entier compétents dans leur domaine, cela revient à dire que la terre est plate !
😉
Bonjour à vous. Tout d’abord je voudrais dire que je suis surpris que le nom d’A.d.B revienne si fréquemment dans une discussion sur la décroissance. N’est-ce pas lui faire une place trop grande sachant que ses thèses sont dénoncées par le « canal historique » de la décroissance.
Sinon, je voudrais préciser que, selon moi, les mots employés par Paul Jorion : « progrès, moderne » sont une forme déguisée de ce qu’il appelle la nature première de l’homme. Ce sont les caches sexe de la colonisation moderne précisément, car celle-ci opère davantage sur la « colonisation de l’imaginaire » que par les armes traditionnelles… l’utopie « vers les étoiles » n’est-elle pas une forme adolescentrique de désir ; dans la mesure où elle souligne l’incapacité de l’humain à se poser des limites ? Si le rêve et l’utopie sont essentiels, au sens Marcusien du terme ( la capacité à dépasser le réel pour adopter un point de vue qui n’enferme pas dans ce seul réel) ; l’expression à quand même des relents de guerre froide…
Je veux bien qu’on discute sur la pertinence du terme « décroissance », mais précisons qu’il a le mérite de mettre à distance le discours idéologique ambiant. Bien sur, il faut aller plus loin dans la définition du terme pour éviter les relents malthusiens… mais je pense pour ma part que ce terme est « une première étape » qui peut permettre d’orienter d’autres points de vues que ceux des seules voies médiatiques ou politiques actuelles.
Cordialement
Comme vous le savez je n’ai pas une très haute opinion de la race humaine sous sa forme originale : brutale et arrogante dans son « état de nature », mais je l’aime sous sa forme avancée : l’« état de culture »
Les élites qui nous gouvernent n’ont pas aussi une très haute opinion de la race humaine, surtout celle des inférieurs celle des pauvres sous leur forme originale : ignorante, inculte, incompétente encore beaucoup trop couteuse à nourrir comme pour chaque tête de bétail par exemple, mais ils nous aiment et nous fréquentent uniquement que sous la condition et la forme sociale la plus avancé, l’« état de culture moderne » le moins dérangeant possible.
Le monde moderne est d’ailleurs si bien conditionné jusqu’à la moelle que je me demande même si état de culture le plus avancé pourra vraiment permettre de nous en sortir. Car celui que je préfère encore montrer du doigt au nom même de la croissance ou de la croissance n’est peut-être pas plus guère différent de moi sur le fond. Tous ces nouveaux termes modernes ne font que détourner davantage les êtres de l’essentiel jour après jour.
Il n’y a pas à être pour ou contre la décroissance car elle n’est rien d’autre que le pendant de la croissance, de même pour la vieillesse et la jeunesse, de même pour la mort et la vie. Comme le disait très justement le Bouddha : « Tout ce qui est né doit mourir, tout ce qui a un commencement doit finir. Tout est toujours en transformation ». Il alla jusqu’à dire à ses disciples que le Bouddhisme également allait disparaitra 5000 ans après sa naissance, mais que la vérité profonde ne disparaîtrait pas.
D’un autre côté, je trouve légitime de se poser la question de ‘quelle croissance on veut’, pour ‘quelle décroissance’, vu que l’un et l’autre sont liés. On peut penser qu’une croissance dopée aux hormones hypothèques la vieillesse alors qu’une croissance sobre et dosée anticipe, voire prépare la vieillesse. Force est de constater que la sagesse est étrangère à notre civilisation.
Maintenant que la décroissance prend le pas sur la croissance, il est même devenu trop tard pour se poser le question de ‘quelle croissance on veut’
@ Paul (commentaire « à cheval » sur votre article ci-dessus et votre autre intitulé « Le capitalisme programme la destruction de la planète », daté du 2 juin 2012)
Je me souviens d’avoir lu ce billet où vous exposez votre opinion sur la décroissance mais à l’époque je n’osais pas encore laisser de commentaire sur votre magnifique blog.
Néanmoins, j’étais en train de rédiger le premier article d’écodouble, le préambule, où j’écrivais :
« Le futur dans nos esprits se voit comme étant libre de contrainte. Il n’est plus que loisirs et produits industriels de consommation, toujours éphémères.
Malheureusement, très peu d’humains ont véritablement conscience que pour leur fabrication et leur distribution, ces produits de l’économie nécessiteront toujours plus d’énergie et de matières premières. Ils causeront par là même d’incalculables et irréversibles destructions dans la biosphère. Cette inconscience égoïste s’avère être du mépris envers les humains à venir, auxquels nous sommes en passe de léguer une planète morte, vidée de ses richesses minérales et vivantes. »
(L’article complet sous le lien suivant : http://ecodouble.farmserv.org/index.php?post/p234 )
J’ai souvent évoqué ensuite, sur écodouble, ou même en réaction à des articles de votre blog, le constat que le capitalisme programme la destruction de la Planète.
Cela a du agasser tellement, qu’aucun de vos lecteurs n’a réagi jamais à mes commentaires ; mais il est vrai que je n’ai pas le talent de Peak Oil 2008 ; ou de vigneron, dans son genre à lui, qui n’aime pas les cassandres. D’ailleurs personne n’aime les cassandres : c’est des casse-pieds rabat-joie.
Nous arrivons donc tous les deux à la même conclusion au sujet du capitalisme générant la fin de la Planète.
Je précise cependant que j’ai la plupart du temps rajouté que le communisme ou le socialisme programment eux aussi la destruction de Notre Terre, simplement parce que ces systèmes prônent la croissance tout autant que le capitalisme, même si ce n’est pas alors, comme pour ce dernier, la dette et les intérêts qui causent la destruction. Quoique ?
En tout cas, par ma reflexion, je ne vois plus qu’un système possible : l’économie écologique ! c’est-à-dire l’écodouble, tirant son énergie du flux d’énergie solaire nous parvenant.
Mais pour moi l’écodouble c’est la décroissance ; énergétique et matérielle ; avec, dans le même temps, les conquêtes, pour tous, du bonheur spirituel, de la nourriture saine, de la joie de vivre, de la justice, de la santé, de l’éducation, de la culture, d’un habitat digne, d’un environnement sain, etc, etc …
Et rien n’empêche que tout cela vienne grâce à une constitution pour l’économie ; d’ailleurs je l’espère car l’idée est superbe ; et sans doute salvatrice, à la condition d’y bien formuler, en tout premier lieu, la nécessité de protéger l’unique Nature.
Alors question : Les conquêtes que je viens de que vous énumérer ne sont-elles pas celles que vous envisagez ? lorsque vous écrivez : » … surtout, nom de Dieu, conquérons les étoiles ! ».
Et si oui, seriez-vous alors, in fine, pour la décroissance ?