Les « déclencheurs » des produits financiers structurés

Oui, je sais, le titre n’est pas très accrocheur mais voilà, je suis obligé de consacrer un billet à ces maudits déclencheurs – comme je vais devoir en consacrer un autre à la différence entre « risque de crédit » et « risque de marché » – et la raison en est la suivante : un édifice qui implose en ce moment en coulisses et dont je devrai parler immanquablement dans les jours qui viennent quand les gravats de sa façade encombreront la rue.

D’abord un petit rappel, parce que j’ai déjà parlé des déclencheurs. Il y a bien longtemps, souvenez–vous, à l’époque de la crise des subprimes. En ces temps déjà lointains on guettait l’évolution de l’indice ABX qui permettait de s’assurer contre le risque de pertes sur les Asset–Backed Securities, ces obligations adossées chacune à plusieurs milliers de prêts hypothécaires subprime. Deux séries de l’indice ABX étaient lancées chaque année, correspondant aux grades allant, par ordre décroissant, de « AAA » à « BBB– ». Chaque instance de l’indice reflétait le risque de non–remboursement associé à un panier de vingt ABS spécifiques. J’expliquais dans Comment fonctionne l’indice ABX le rôle joué par les déclencheurs :

« Ceux qui souscrivent à cette assurance, et ceux qui les vendent, disposent–ils des données objectives pour déterminer une valeur probable du panier quand il arrivera à maturité ? Oui, parce que ceux qui émettent les ABS ainsi que d’autres organismes qui s’intéressent à leur rendement, opèrent mois par mois le suivi des paiements faits par les emprunteurs et attachent une importance toute particulière à certains seuils internes à ces obligations : les « triggers », les « déclencheurs ». Les deux principaux déclencheurs sont ceux de retards de paiement (60 jours) et de pertes cumulées. J’explique de quoi il s’agit. Les ABS sont divisées en « tranches » (en français dans le texte) qui correspondent à différentes formules de versement aux investisseurs : prioritaire ou non–prioritaire, en début ou en fin de période, portant sur le principal ou sur les intérêts ou sur les deux combinés, etc. Certains des fonds qui sont collectés mensuellement auprès des emprunteurs sont alloués à des fonds de réserve constitués au sein de l’obligation. Certains seuils ont été également préalablement déterminés, conjointement par l’émetteur et par une « rating agency », telles Standard & Poor’s, Moody’s ou Fitch, qui déclencheront (d’où le nom « déclencheur ») s’ils sont atteints, le transvasement de fonds en réserve dans les tranches prioritaires ».

Voilà. Maintenant que le fonctionnement des déclencheurs a été présenté, je vais raconter une histoire, une histoire vraie. A cette époque je travaillais pour une firme qui émettait des Asset–Backed Securities (vous vous demandiez en effet comment je pouvais savoir toutes ces choses !) et je venais d’être transféré d’un service à un autre et mon rôle était désormais de contrôler la validité de ce type de modèles financiers. Je me mettais donc au courant en lisant les minutes de réunions passées quand mon attention fut attirée par une bizarrerie : le comité ad hoc avait approuvé le modèle utilisé pour la valorisation des ABS au mois de décembre 2006, n’y consacrant alors que quelques lignes, pour y revenir ensuite très longuement en avril et en mai 2007. La raison de ce regain d’intérêt était la suivante : le comité avait été avisé lors de sa première réunion que le modèle–maison n’intégrait pas la modélisation des déclencheurs et il était précisé dans le compte rendu que la firme assurant l’audit comptable n’y voyait rien d’anormal, la « norme sectorielle » étant en effet d’ignorer l’impact éventuel de ces déclencheurs, dont l’intérêt était purement théorique puisqu’ils n’étaient, dans les faits, jamais activés. Mais cinq mois plus tard, en avril 2007, la situation avait changé du tout au tout. Les emprunteurs du secteur immobilier subprime tombaient désormais comme des mouches et les ABS remplies de leurs prêts atteignaient en masse le niveau fixé pour le déclencheur des retards de paiement. A chaque « accident », une banque correspondante signalait le fait à ma firme (en se trompant d’ailleurs assez souvent). Une des mes collègues surchargeait alors notre modèle statique pour lui faire refléter l’impact du déclencheur sur la réallocation des fonds au sein de la structure de l’ABS. Dès que j’eus compris la situation j’empoignai ma plus belle plume et rédigeai un rapport réclamant l’intégration immédiate des déclencheurs dans notre modèle des Asset–Backed Securities. On connaît la suite de l’histoire : il était déjà bien trop tard !

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Une réponse à “Les « déclencheurs » des produits financiers structurés”

  1. Avatar de Franck

    Bonjour,

    Merci pour cet article très interessant.

    Franck

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