Northern Rock : le retour de l’Etat

Le spectre dans Un spectre hante la finance, mon billet daté du 15 janvier, était celui de la nationalisation. J’évoquais alors

« la nationalisation éventuelle de Northern Rock, au cinquième rang des organismes de crédit britanniques, en crise depuis septembre de l’année dernière quand elle eut le triste privilège de la seule panique bancaire qu’ait connu le Royaume–Uni au cours du siècle écoulé. La banque centrale anglaise était intervenue en avançant à la firme 25 milliards de livres, ayant pris l’initiative inédite de garantir la totalité des fonds des déposants, alors que la garantie habituelle ne couvre que la totalité des premières 2.000 livres et 90 % des 33.000 livres suivantes ».

Les difficultés de la banque résultaient du tarissement du crédit qui était intervenu au mois d’août dernier dans le sillage de la crise des subprimes. En effet, contrairement à la plupart des établissements de prêt hypothécaire qui se financent essentiellement grâce aux dépôts de clients sur des comptes à vue ou des livrets–épargne, Northern Rock se finançait directement sur le marché des capitaux à court terme. Quand celui–ci s’assécha, la firme se retrouva dans l’impossibilité de trouver de nouveaux fonds. Ses clients eurent vent de ses difficultés et se précipitèrent alors en masse pour retirer leurs avoirs qu’ils estimaient menacés.

Le mois dernier, l’option de la nationalisation apparaissait encore peu probable : trois groupes financiers se trouvaient en effet sur les rangs pour reprendre l’affaire tandis que Goldman Sachs mettait au point, à la demande du gouvernement britannique, une formule de titrisation de la dette, autrement dit, sa vente auprès d’investisseurs. La semaine dernière restaient cependant seuls en lice le groupe Virgin ainsi qu’un autre, représentant celui–ci certains des dirigeants actuels de la firme. L’offre de Virgin était la plus attrayante des deux mais la formule proposée aurait supposé que la valeur de la firme se voie multipliée plusieurs fois avant que le contribuable britannique ne retrouve les sommes avancées. Le gouvernement choisit en conséquence la voie de la nationalisation.

Les réactions de la presse économique sont intéressantes. Le Wall Street Journal donne le ton quand il mentionne sur un ton froid et objectif que « la décision du gouvernement britannique pourrait marquer le début d’une phase nouvelle et plus acrimonieuse de la crise financière où les mesures prises par les gouvernements et les régulateurs provoqueront d’inévitables frictions avec certains groupes puissants ». On ne pourrait sans doute mieux dire. Les commentateurs plus engagés parlent de « disgrâce » et de « démission nécessaire » du ministre des finances Alistair Darling – qui ne se démonte nullement et évoque les « conséquences de problème nés aux États–Unis ». Il s’agit d’un très mauvais coup, ajoutent–ils, pour la réputation de Londres comme centre financier d’excellence – où la capitale anglaise domine en effet aujourd’hui très confortablement New York, le numéro deux.

Il est clair cependant que ce que les adversaires de la nationalisation craignent surtout, dans ce qu’ils qualifient aussi de « voie rarement empruntée par un pays développé », c’est qu’une nationalisation réussisse là où le secteur privé a lamentablement échoué. La principale récrimination porte en effet sur « la concurrence déloyale » qu’une entreprise nationalisée – dont la solvabilité serait assurée – constituerait pour les banques du secteur privé. L’agence de notation Standard & Poor’s ne s’y elle pas trompée et n’a pas fait dans le sentiment en annonçant, sitôt la nationalisation connue, qu’elle améliorait la notation de Northern Rock de « A– » à « A ». Heureusement, déclarent les détracteurs de la nationalisation, que les règlements européens obligeront alors Northern Rock à réduire de taille pour compenser cet avantage illégitime. Mais, s’indignent–ils à l’avance, les pouvoirs publics licencieront–ils de gaieté de cœur une proportion suffisante des 6.300 employés de la firme… dans une région (Newcastle) qui – ajoutent–ils alors au comble de l’indignation – vote traditionnellement Labour ?

La mesure de nationalisation a été votée aux Commons par une large majorité (302 voix pour, 222 contre) et passera probablement aisément l’obstacle d’un vote à la chambre des Lords. Ce qui donne des sueurs froides à ses adversaires, c’est sa clause prévoyant que la nationalisation pourrait s’appliquer à toute banque qui se retrouverait dans la même situation que Northern Rock. Le premier ministre Gordon Brown s’est voulu rassurant : « Nous n’avons personne en vue », a–t–il déclaré.

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6 réponses à “Northern Rock : le retour de l’Etat”

  1. Avatar de Christophe Delestras
    Christophe Delestras

    Trois remarques
    1. C’est inédit : dissociation entre un État et les diplodocus du privé. Il n’est pas impossible que le procédé fasse « jurisprudence ».
    2. Il n’est pas dit que la solvabilité d’une entreprise une fois nationalisée soit « assurée » à moyen terme, dans un pays affaibli comme la France, par exemple…
    3. La photo illustrant votre article sur Contreinfo ne nous montre que des vieux faisant la queue devant la Northern. Toute la société est plombée par l’épargne des vieux et les peurs des vieux. Je ne parle pas en l’air : je suis moi-même un 50+ !

  2. Avatar de rosay
    rosay

    Comme à l’habitude, Nationalisation des PERTES et Privatisation des Bénéfices. Rien de nouveau sous le soleil.

    Le libéralisme prend Honnêtement les populations pour des demeurés.

    Salut et Fraternité
    Amitiés Social.Rosay.

  3. Avatar de JLM

    Quelques économistes considèrent que la monnaie est une dette, qu’elle soit scripturale ou fiduciaire. La monnaie fiduciaire est une dette de l’état, dans le sens où l’État garantit qu’elle est échangeable à tout moment contre n’importe quoi d’autre). Les banques créent donc de la monnaie en permettant la multiplication des échanges sociaux par l’intermédiaire de la circulation accélérée de dettes.

    Faire évoluer l’idée de monnaie dans ce sens rendrait l’idée de constitution également plus immédiate, il s’agirait de garantir les conditions permettant à chacun, (à chacun je répète) de remplir ses obligations, et non pas à quelques-uns de tirer leur épingle du jeu lors d’une crise dans la chaîne de résolution des dettes. Il y aurait donc un arrimage conscient et permanent de la monnaie à la stabilité de l’État; c’est à dire que toute l’énergie autour de la monnaie ne serait pas focalisée sur le chacun pour soi, mais sur la reconnaissance que le « petit tas d’or » de chacun ne vaut que par la pérennité du sytème d’échange comme valeur ultime de la valeur (est-ce que ce n’est pas joliment dit ? ).

    Ce qui serait intéressant à suivre dans ce moment de résolution générale de la chaîne des crédits, ce sont les transferts des droits réels résultant des faillites pour cause de pénurie de crédit….

  4. […] L’attitude du gouvernement travailliste dans l’affaire du sauvetage de Northern Rock (voir Northern Rock : le retour de l’Etat) est intéressante pour ce qu’elle augure de la manière dont la crise financière sera gérée en Grande–Bretagne. Gordon Brown, le premier ministre, a semblé dire : « Oui, Londres est bien aujourd’hui la capitale financière du monde. Non, cela ne signifie pas que le capitalisme fonctionne sans anicroche. Qu’on ne se voile pas la face : en cas de pépin l’Etat sera toujours appelé à reprendre les rênes. Jusqu’à ce que les choses s’arrangent bien sûr et qu’on redonne carte blanche aux pirates… pour un tour ! » […]

  5. […] n’a pas hésité un instant. Seuls bâtons dans les roues, comme je l’expliquais dans Northern Rock : le retour de l’Etat – l’ultra-libéralisme inscrit dans le fonctionnement des institutions européennes : Il est […]

  6. Avatar de Denis

    Bonjour,

    On va sans doute revenir à un peu plus d’intervention dans l’économie.
    Merci.

    Denis.

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