Dans son premier commentaire au « scandale » des banques qui créent de l’argent ?, Guillaume reproduit le passage clé du texte de Maurice Allais. Prix Nobel ou pas, qu’est–ce qui ne marche pas dans son raisonnement ? Relisons–le :
« Fondamentalement, le mécanisme du crédit aboutit à une création de moyens de paiement ex nihilo, car le détenteur d’un dépôt auprès d’une banque le considère comme une encaisse disponible, alors que, dans le même temps, la banque a prêté la plus grande partie de ce dépôt qui, redéposée ou non dans une banque, est considérée comme une encaisse disponible par son récipiendaire. À chaque opération de crédit il y a ainsi duplication monétaire. Au total, le mécanisme du crédit aboutit à une création de monnaie ex nihilo par de simples jeux d’écriture ».
La confusion réside dans le mot « considère ». Le fait que quelqu’un « considère » quelque chose ne veut pas dire que ce soit vrai, à preuve : « Oscar considère qu’on fabrique le gruyère en coulant le fromage autour des trous ». Maintenant, « Le détenteur d’un dépôt auprès d’une banque le considère comme une encaisse disponible » : Eusèbe a de l’argent sur son compte à vue et est convaincu qu’il peut retirer cet argent s’il se rend à la banque. La banque a en réalité prêté l’argent qui se trouvait sur son compte à Casimir : « la banque a prêté la plus grande partie de ce dépôt qui, redéposée ou non dans une banque, est considérée comme une encaisse disponible par son récipiendaire ». Voilà donc deux larrons, Eusèbe et Casimir, qui « considèrent » qu’ils possèdent le même argent. Quel scandale s’écrie Maurice Allais : la banque a dupliqué l’argent d’Eusèbe ! Pas vraiment : le « même argent » ne se trouve jusqu’ici que dans les « considérations » de nos deux compères. Le lendemain matin ils vont tous deux à la banque et retirent « leur » argent. Casimir reçoit l’ex– argent d’Eusèbe et celui–ci reçoit de l’argent qu’il « considère » le sien mais qui n’est en réalité pas le sien, le sien étant dans la poche de Casimir. Quel argent reçoit–il ? Je suppose que, selon Maurice Allais, la banque exécute une opération « scripturale » et donne à Eusèbe cet argent ex nihilo.
Voici maintenant l’explication du mystère « épistémologique » que plusieurs commentateurs ont mentionné et que je formulerai ainsi : « Les gens normaux se laissent aisément convaincre que les banques commerciales créent de l’argent ex nihilo tandis que les employés de banque affirment être certains que ce n’est pas le cas ». Les employés de banque savent que quand Casimir « considère » qu’il possède l’argent d’Eusèbe, il a raison parce que cet argent est effectivement dans sa poche. Ils savent aussi que quand Eusèbe « considère » que l’argent qu’il a déposé sur son compte à vue, y est toujours, il se trompe. Quand il se présente à la banque le lendemain matin, il existe deux possibilités : ou bien on lui donne « son » argent quand il le réclame, ou bien on le lui refuse. Je commence par le premier cas de figure, celui où on lui donne l’argent qu’il réclame. Il y a deux tactiques possibles pour la banque : ou bien elle lui donne de l’argent qu’elle est allée puiser sur le compte d’un troisième larron, d’Oscar par exemple, celui qui a une théorie curieuse sur le gruyère, ou bien elle utilise de l’argent qu’elle a obtenu en s’endettant, par exemple en émettant des certificats de dépôt. Deuxième cas de figure, Eusèbe se présente à la banque et celle–ci lui refuse l’argent qu’il « considérait » pourtant être sur son compte. Pourquoi ? Parce que ce matin–là, il y a une panique bancaire : il y a des milliers d’Eusèbes à faire la queue et à qui on explique que leurs « considérations » sont sans objet parce que les caisses sont vides. Voilà pour le monde réel. Dans le monde de Maurice Allais, terni au contraire par le « scandale » de la « multiplication des petits pains » – ce qu’il appelle « duplication monétaire » – il n’y a jamais de panique bancaire : à chacun qui se présente on dit « Attendez une seconde ! », hop ! petit tour de passe–passe « scriptural » et voici de l’argent frais créé ex nihilo ! Les employés de banque n’ont malheureusement jamais assisté à cela : le monde où ils vivent est beaucoup moins poétique, où les banques n’ont pas plus d’argent que ce qu’elles ont en caisse !
Gilbert Rachmuhl nous rappelait que le Prix Nobel d’économie est en fait décerné par la Banque Centrale suédoise. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les banquiers suédois ne sont pas très rancuniers, à moins, plus simplement, qu’ils ne lisent pas le français !
25 réponses à “Le monde enchanté de Maurice Allais”
Monsieur Jorion,
j’ai une question à vous poser, il me semble que les banques peuvent prêter plus d’argent qu’elles n’ont en caisse. J’avais lu quelque part que les banques prêtaient jusqu’a 10 fois en moyenne l’argent que leurs clients avaient déposé, cela ne revient-il pas à créer de la monnaie ex-nihilio ? D’autant qu’en général cet argent prêté leur rapporte des intérêts.
Ce problème d’émission monétaire est à mon avis assez bien résumé par Bernard Maris dans son anti-manuel d’économie :
« Création et destruction monétaires
C’est le principe fondamental de l’émission monétaire : si je fais un crédit papier de 100 et si je sais qu’une grande partie de ce crédit reviendra chez moi, banquier, je peux multiplier le crédit bien au-delà du stock d’or dont je dispose. Dans le cas n° 1, mon « multiplicateur de crédit » est de 5; dans le cas n° 2, de 2; dans le cas n° 3, de 10. Le mécanisme est décrit dans l’adage: « Les prêts font les dépôts. » Le crédit fait les dépôts, il fait l’argent. Et non l’inverse ! Avis à ceux qui croient que l’épargne fait l’argent. Quel contresens économique ! Retenons que la création monétaire est une mise en branle de forces économiques, du travail, des matières premières, des inventions, de la technique, de la production, de la consommation, une anticipation de l’activité économique.
Cette création monétaire était en principe garantie par de la marchandise, du métal, de l’or et de l’argent : une assurance métallique. Mais la vraie garantie de la création monétaire, c’est l’anticipation de l’activité économique, du cycle production-consommation. Encore faut-il que cette anticipation soit saine : toute création monétaire saine débouche sur une destruction monétaire équivalente. Par exemple, je prête de l’argent à un constructeur de voitures, je lui fais un crédit. Avec ce crédit, il embauche des ouvriers qui construisent les voitures et il les paye. Avec leur salaire, les ouvriers achètent les voitures. L’argent revient chez le constructeur, et le constructeur rembourse son banquier. Argent créé, argent détruit égalent opération saine. Crédit, remboursement.
Prenons un second exemple. Je suis banquier, j’anticipe sur la nouvelle économie, sur des téléphones portables avec Internet, et je facilite la création d’entreprises qui en fabriquent, mais personne ne veut de cette nouvelle génération de téléphones. J’ai payé des gens, en tant que fabricant, mais ceux-ci ne veulent pas de ma marchandise. Je suis donc incapable de rembourser et ma dette ne s’éteint pas. La création monétaire n’est pas suivie d’une destruction. Je traîne mes dettes, comme le Japon traîne des dettes suite à une immense spéculation immobilière, comme France Telecom traîne des dettes suite à une mauvaise anticipation de l’activité économique, comme Vivendi traîne des dettes suite à des investissements dans des portails sans clients sur Internet, comme l’Argentine traîne des dettes vis-à-vis du FMI parce qu’elle a été incapable de faire fructifier l’argent qu’il lui a prêté, à tort.
Nous percevons mieux la nature de la monnaie : des dettes (des créances sur la banque émettrice) qui circulent. Des dettes, qui, si elles sont saines, doivent, par l’activité économique, provoquer leur remboursement.
Aujourd’hui, la monnaie est détachée de tout support matériel, on peut en créer à l’infini. Pourquoi, pendant très longtemps, les économistes se sont-ils opposés à ce que la monnaie n’ait pas de couverture métallique ? Comme Ricardo par exemple, à l’origine de l’Acte de Peel (1844), acte qui inspira longtemps la politique de la Banque d’Angleterre, établissant que tout billet devait avoir une stricte couverture en or (9). La raison en est que les économistes n’avaient pas confiance dans la capacité des banquiers à anticiper l’activité économique. En France, la faillite de la banque créée par Law détruisit pour un siècle la confiance des Français dans le papier monnaie. Law était un banquier écossais qui émettait des billets garantis par le développement du commerce de la France avec les premiers comptoirs, notamment la Louisiane. Quand on a commencé à se méfier de la réussite des entreprises vers cet État et ailleurs, le système de crédit créé par Law s’est écroulé. Tout le monde a voulu se débarrasser de ses billets estampillés « Banque Law » et réclamer de l’or. Faillite généralisée, ruine des petits épargnants, qui, comme toujours, comme pour France Telecom ou Enron, sont les derniers attirés par l’aubaine et les premiers roulés. Troubles publics, enrichissement scandaleux de spéculateurs qui avaient flairé la faillite du système. »
Bonjour,
Et que se passe-t-il quand tous les clients vont à la banque et réclament leur argent en même temps ?
Le gouvernement garantit les dettes de la banque, et au besoin injecte de l’argent « Frais » (voir déboires de Northern Rock).
Pour financer cette opération, le gouvernement emprunte…
La baisse des taux d’intérêt permet au gouvernements de rembourser leurs dettes en monnaie de moindre valeur.
Au total dans le monde réel mondialisé de 2008, il n’ y a pas vraiment de panique bancaire, les gouvernements en liaison avec les banques centrales ont tous les moyens nécessaires pour retarder a l’infini le solde de tous les comptes.
C’est ce crédit à l’infini qui a permis cette formidable création de « valeurs » virtuelles (produits dérivés, etc.).
La création de monnaie ex nihilo ne ferait pas autre chose.
Enfin, quand nous parlons de « l’argent », nous voyons bien que le sens donné à cette expression diffère selon que l’on est dealer (biftons, thune etc..), banquier, macro-économiste, ou historien..
S’agit–il d’ une différence d’ interprétation d’ un seul objet par des observateurs à sensibilité différente ?
Cet objet est t-il plus complexe ? L’argent existe–t-il autrement que sous forme de valeur attachée a une reconnaissance de dette ? Peut-on à un moment quelconque dissocier l’argent du crédit ?
Au total, tous les observateurs ont raison, ils observent un objet multi-dimensionnel qui existe effectivement de leur point de vue mais qui ne saurait être compris sans « prendre de la hauteur » pour regarder ses autres facettes.
La logique bivalente d’Aristote qui nous fait dire ceci « est » ou « n’est pas » ainsi nous trompe d’emblée dès lors que l’ objet étudié existe autrement.
Cordialement.
Je suis ce fil de discussion sur la création monétaire depuis son début il y a quelque jour et je continue à le trouver un peu curieux : je pensais (naïvement ?) que les phénomènes de création monétaire étaient connus et décrits par les économistes depuis longtemps. Ma référence (déjà bien lointaine) était le manuel de Denize Flouzat, Economie contemporaine, T2, La création monétaire. Du coup, je l’ai ressorti. On y apprenait au chap. IV que « la création de monnaie est assurée par trois catégories d’agents monétaires : les banques (banques commerciales), la Banque centrale (Banque de France) et le Trésor ». Suivait, pour les banques commerciales, tout un développement sur le multiplicateur de crédit.
L’idée de ce fil, si je comprends bien, est que les économistes, même prix de la Banque de Suède, sont restés trop généralistes, trop théoriques, et qu’il faut redescendre des hauteurs théoriques, se faire « fourmi » ou « termite » (B. Latour), se faire ethnographe, pour aller voir, au plus proche du terrain, ce qui se passe réellement ?
Dans ce cas, cela me fait penser à ce qui se passait en anatomie avant Vésale. Le magister du haut de sa chaire récitait Galien ou Hippocrate, pendant que le barbier, au pied de la chaire, disséquait le cadavre. Mais le magister n’avait jamais ni disséqué ni observé lui même le cadavre et décrivait souvent des choses qui n’existaient pas !!! (cf. une illustration ici).
Bref, s’agit-il, relativement aux phénomènes monétaires, de se faire enfin Vésale et de descendre de la chaire ?
A mon sens, le « monde enchanté » est plutôt le fait de l’employé de banque qui ne voit la monnaie qu’à travers ses entrées-sorties de son institution. Si on regarde le phénomène monétaire sur l’ensemble d’une économie, par exemple par le biais d’un « circuit économique », il faudra bien accepter que la monnaie scripturale permet les mêmes prodiges que la monnaie fiduciaire : mesurer la valeur des choses, servir d’intermédiaire dans les échanges et constituer une réserve de valeur. Le monde réel utilise la monnaie scripturale tout aussi bien que la monnaie fiduciaire…
Je me suis étendu plus largement pour répondre sur ce point en commentant le billet – Le « scandale » des banques qui créent de l’argent. C’est avant tout une question de définition du mot « monnaie ». Ne tournons pas autour du pot : quelle que soit la forme qu’elle prend, la monnaie reste un « moyen de paiement ». Si celui-ci est précaire, basé sur un pronostic uniquement, il n’en reste pas moins un moyen de paiement, donc de la MONNAIE !
Ou alors, il faut changer le sens de mots…
Je me demande d’ailleurs si le mot « monnaie » n’est pas victime du même genre d’imprécision que le mot « Gruyère ». Ce dernier est un fromage d’origine suisse, SANS TROUS, régulièrement confondu par la population française avec un autre fromage suisse nommée Emmental, qui lui se caractérise par d’énormes trous… On m’a même une fois proposé de manger du « Gruyère d’Emmental »….. Imaginez, un fromage romand d’une vallée alémanique…
Jetez un coup d’oeil à mon autre commentaire, dans le « scandale ». Je pense que nous avons un effort à faire en matière de définitions pour clarifier notre débat, au demeurant fort intéressant ! 😉
Merci à Yann pour l’explication d’oncle Bernard.
Le débat c’est pas, selon moi, d’étudier le mode de fonctionnement du crédit bancaire, c’est de constater que le monde vit à crédit et que ces crédits ne sont faisables que par des entreprises privées…
Comme le dit Dani :
« Je me demande d’ailleurs si le mot “monnaie” n’est pas victime du même genre d’imprécision que le mot “Gruyère”. Ce dernier est un fromage d’origine suisse, SANS TROUS, régulièrement confondu par la population française avec un autre fromage suisse nommée Emmental, qui lui se caractérise par d’énormes trous… ».
Jean-Michel dit
on y apprenait au chap. IV que “la création de monnaie est assurée par trois catégories d’agents monétaires : les banques (banques commerciales), la Banque centrale (Banque de France) et le Trésor”
– banques centrales, OK mais fiduciaire donc très limité en volume
– le Trésor, FAUX, plus depuis Maastricht en Europe (art 104), idem pour le dollar. Le Trésor ne peut qu’émettre des
reconnaissance de dette mais il utilise de l’argent déjà créé par les banques
– Les banques (elles sont donc les principales créatrices de prêts)
Si encore le Trésor pouvait justement émettre, le scandale serait directement moins important.
Bon dimanche
[…] 2. Deuxième hypothèse : travailler dans une banque rend bête. C’est possible mais cet aveuglement dépasse alors le cadre des employés de banque puisque, comme je l’ai dit, mes propres professeurs d’économie partageaient cette interprétation. Inversement, je ne connais que Maurice Allais, parmi les professeurs d’économie, qui défende le point de vue du « scandale ». Irving Fisher est parfois invoqué à ce propos mais il me semble à tort, car je n’ai rien trouvé chez lui de ce genre. Pour ce qui touche à Allais, comme je l’ai montré dans Le monde enchanté de Maurice Allais, il commet une erreur qui découle d’un usage laxiste de la phrase « X considère que Y » qui est utilisée par lui deux fois, la première pour renvoyer à « X considère [à raison] que Y » et la seconde pour « X considère [à tort] que Y ». […]
[…] que la croyance qu’elles le font a son origine dans une erreur de raisonnement de Maurice Allais (Le monde enchanté de Maurice Allais), qui compte deux fois la même somme et puis s’indigne. Maurice Allais dit : « J’ajoute les […]
Je pense que l’erreur de Paul Jorion est de dire » les banques n’ont pas plus d’argent que ce qu’elles ont en caisse ! » car , en lisant ce qui précède (ce qu’il écrit), on pourrait penser que les banques sont capables de fournir aux Eusèbes qui se présentent aux caisses lors d’une panique bancaire, tous les billets de banques (l’argent) qui corresponds à leur « crédit ».
C’est évidemment faux, puisque les pièces et billets ne représentent que 15% de la masse monétaire M1, celle immédiatement disponible (fiduciaire + dépots à vue)
Mais si les banques ne peuvent « rembourser » sous forme de billets les demandes correspondantes aux montants des dépots à vue, quel intérêt pour les Euphèbes de demander (ensemble) le remboursement sous cette forme… la monnaie scripturale (« l’état » du compte bancaire) a autant de légitimité que la monnaie fiduciaire… comme elle, elle est garantie par la Banque Centrale, et nous l’avons vu dernièrement au Royaune Uni, en dernier ressort par l’Etat.
La monnaie (fiduciaire ou non), c’est toujours un problème de « fidus »
Je reconnais néanmoins qu’Allais n’a pas été très précis dans cette citation (extrait de « La crise monétaire d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires. », Éd. Clément Juglar, 1999, p. 63.): il aurait du parler des « fuites » de monnaie fiduciaire qui limitent (aussi) les possibilités de création monétaire par les banques commerciales, de la nécessité des réserves obligatoires et j’ignore si, lorsqu’il écrit » dépôts » , il pense ou non à cette catégorie particulière que sont les « dépôts à vue »… je crois que non, car il l’aurait sans doute précisé.
Je réfléchissais à cette phrase d’Allais, origine de cet article de Paul, phrase qui me « perturbe » également…
En fait, Allais aurait dû écrire » « Fondamentalement, le mécanisme du crédit aboutit à une création de moyens de paiement ex nihilo, car le détenteur d’un dépôt auprès d’une banque le considère comme une encaisse disponible, alors que, dans le même temps, la banque a prêté, en le créant sous forme d’un crédit nouveau, l’équivalent de la plus grande partie de ce dépôt initial. Ce nouveau crédit, redéposée ou non dans une banque, est considérée comme une encaisse disponible par son récipiendaire. À chaque opération de crédit il y a ainsi duplication monétaire. Au total, le mécanisme du crédit aboutit à une création de monnaie ex nihilo par de simples jeux d’écriture ».
En fait, globalement, l’erreur est de penser que c’est la « même » monnaie qui passe d’un compte 1 à un compte 2 tout en restant simultanément présente sur les 2 comptes (ce qui ne se peut évidemment pas). C’est seulement qu’en fait la monnaie présente sur un compte 1 permet à la banque de créer un nouveau crédit qui sera présent sur un compte 2 – ou simplement transféré dans une autre banque – qui, de nouveau, pourront créer de nouveaux crédits tant que cette monnaie est présente sur le compte.
Il est évident que cette capacité de création monétaire des banques n’est pas illimitée. D’une part il faut qu’elles aient la « demande » (assortie de garanties) correspondante à ces nouveaux crédits, d’autre part il y a « les fuites » en monnaie centrale (obligation d’assurer les demandes d’espèces et les réserves obligatoires proportionnelles aux crédits émis)
AJH
C’est mieux comme cela mais ça ne « sauve » pas Allais pour autant. Il ne parle que de comptes-courants – je suppose qu’on est d’accord là–dessus. Dans le cas, d’un Certificat de Dépôt, le déposant sait que son argent n’est pas immédiatement disponible : qu’il a disparu de son compte pendant la durée du CD.
Dans le cas du compte-courant, dont l’argent a été re–prêté à quelqu’un d’autre, les deux clients peuvent bien se « représenter » tous deux que le même argent est disponible en deux endroits différents mais ce n’est pas vrai : comme je le disais dans mon billet initial : si le déposant réclame ses sous, la banque devra les trouver ailleurs – éventuellement sur un autre compte-courant. Quand tous les déposants réclament leurs sous en même temps, ce qui rend l’opération impossible, c’est le fait qu’il soit impossible de « débobiner » simultanément la chaîne des transferts, ce n’est pas le fait que plus d’argent a été prêté qu’il n’en a été déposé. C’est un problème de vases communicants et les difficultés dont on parle sont dues à la viscosité du liquide, pas au fait que son volume aurait augmenté.
pour corser le tout il faudrait rajouter le cas des échéances impayées et le non remboursement de la créance… visqueuse !
finalement on en est toujours rendu à l’éternel problème des robinets qui fuient, des baignoires qui se remplissent, sans compter les moments où ça s’évapore !!! 😉
Non Paul, il n’y a pas de transfert d’un compte à un autre et il n’y a pas de prêts de compte courants de déposants à des emprunteurs qui obtiendraient un crédit. Les banques ne prêtent pas l’argent des déposants (en DaV)[1], mais seulement l’argent des épargnants (avec leur accord, et contre rémunération) ou de la monnaie qu’elles empruntent sur les marchés monétaires (ce qui revient au même), pour environ 40% des crédits qu’elles accordent (d’après Dominique Plihon).
Par contre, oui, la capacité des banques à émettre de la nouvelle monnaie par le crédit est lié au montant des dépôts de ses clients et à ses « fuites » en monnaie centrale. Si ses clients « vident leur comptes », la banque va devoir restreindre le montant de ses crédits, ou faire appel à ses fonds propres ou à d’autres formes de financement (Term Auction Credit par exemple) afin de satisfaire aux régles prudentielles et aux réserves obligatoires.
De même, si un déposant « réclame ses sous » la banque pourra toujours (sauf si elle même n’a plus aucun crédit auprès des autres banques, puisque tout fonctionne sur la confiance) lui faire un chèque ou un virement sans devoir trouver ailleurs ces « signes » puisqu’il s’agit seulement d’une soustraction sur un compte simultanément à une addition sur un autre. Et il en serait de même si tous les déposants réclament leurs dépôts en même temps (à part pour les intérêts dus qui n’auraient pas encore été émis par de nouveaux crédits dans l’ensemble du système bancaire)… il n’y a aucune viscosité nécessaire ici ni aucun tour de passe-passe entre les comptes de différents déposants.
Pratiquement les banques ne pourraient pas rembourser en même temps tous les déposants si ceux-ci réclamaient d’être payés *en espèces*, puisque celles ci ne représentent que 15% de la totalité de la masse monétaire M1 (monnaie fiduciaire + dépôts à vue)… ou alors il faudrait que très vite la banque centrale, seule autorisée à imprimer la monnaie fiduciaire, puisse faire imprimer tous ces billets… mais là les banques commerciales n’ont aucune responsabilité sur ce fait.
Allais à écrit ce livre où l’on trouve cette citation « enchantée » (il s’agit de « la crise mondiale d’aujourd’hui ») à près de 90 ans … parmis ceux des livres de lui que j’ai lu, c’est la seule fois où j’ai trouvé cette mauvaise explication (ou imprécision), mais peut être pensait-il que « le lecteur attentif aurait corrigé de lui même? » 😉
[1] Cette « magouille » apparaitrait sur vos relevés bancaires, et personne n’a jamais vu, sur ceux ci, une écriture négative « prêt à X » , même pour une période limitée.
@Gibus…
Oui, l’augmentation permanente de la masse monétaire circulante est due à ce que le montant (global) des crédits en création dépasse le montant (global) des crédits (+ intérêts) arrivant à échéance. Nous sommes « condamnés » à une augmentation permanente de la masse monétaire pour payer les intérêts… et l’évaporation c’est quand les emprunteurs ne peuvent plus rembourser le capital (pour les intérêts c’est un peu différent car il s’agit de chiffre d’affaire que la banque ne fera pas… dans le cas d’une création monétaire du moins…)
AJH
Stilgar dit : Les banques ne prêtent pas l’argent des déposants (en DaV) … !!!!!
Pourtant j’étais persuadé qu’il s’agissait de la principale base des ressources monétaires utilisées principalement pour les crédits consommation et prêts personnels, donc de l’argent déposé et utilisé pour du crédit.
Pour les épargnants, jamais une banque ne conditionne ses offres de produits d’épargne en sollicitant l’accord du souscripteur au sujet de l’utilisation de cette future ressource.
Juste un mot sur l’évaporation, ne faudrait-il pas y adjoindre l’incidence de l’inflation ?
« épargnons bio ! »
Bonne journée !
Je ne vois pas l’ombre d’un quelconque effet de l’âge entacher la phrase de E. Allais, qui s’adressait à tout un chacun sans détailler l’opération bancaire de création de crédit nouveau.
Par contre, cet « enchantement » que j’appellerai l’ »enchantement n°1″ est bien que la somme initiale sert de contrepartie à plusieurs crédits et donc, sera rémunérée de plusieurs intérêts. Que la banque associe l’épargnant initial ou pas à la bonne affaire ne change rien à celle-ci, sinon qu’il est de bonne politique de faire adhérer de plus en plus d’épargnants à cet enchantement.
Il existe pour moi un « enchantement n°2 », plus difficile à saisir dans son mécanisme, mais les spécialistes de la finance que vous êtes vont pouvoir démolir ou valider ma vision des choses et probablement en identifier les personnages réels.
Il concerne le mode de fonctionnement des marchés à terme où je pense que le débouclage des positions ne se traduit pas par une opération à somme nulle, résultat neutre qui semble être, à ce que j’ai cru, peut-être à tort, la position de Paul.
Je l’appellerai l’enchantement n°2 ou celui de la « sandale de verre de « Finacendrillon »
Sur le plan général, une telle position ne pourrait expliquer que des établissements financiers « respectables » aillent jouer au casino (même si celui-ci annonce que sa banque est neutre) sans avoir une martingale.
Elle ne colle pas, non plus, avec l’affirmation de D. Bouton, soutenant que le seul problème de la Société Générale dans l’affaire Kerviel était l’inexistence de « positions de couverture ». Leur absence en cas de dysfonctionnement valide donc leur existence.
Le conte enchanté repose sur le fait que Finacendrillon a pris une position « put », sur le projet de carrosse en cours de fabrication, prévu pour être livré à la date de mariage du Prince à un savetier amoureux d’elle, et qu’elle avait promis de rendre disponible plus tôt pour aller au bal avec lui à minuit, date de débouclage de sa position, à ce brave savetier quelque peu benêt ou simplement fou amoureux, et qui l’avait récompensée de ce prodige en lui offrant une sandale de verre. Le carrosse n’ayant pas été évidemment endommagé, la fourmi « call » le lui a racheté sur la base de la position « put ».
Moralité :
Après les 12 coups de minuit, il reste bien la sandale de verre.
@karluss : penser que les banques prêtent l’argent des déposants est effectivement proche du « sens commun », mais c’est inexact. J’en reviens à dire qu’il y a bien création monétaire…
Une banque seule, du fait des « fuites » auxquelles elle doit faire face, a un pouvoir de création monétaire limité… mais ces « fuites » partent dans d’autres banques. Ainsi, l’ensemble du système bancaire a une capacité de création monétaire quasi illimitée (on en a déjà parlé, il suffit qu’il y ait de la « demande »)
Vous avez raison en ce qui concerne votre remarque sur les épargnants… je voulais seulement bien faire la différence entre les déposants (qui souhaitent garder la disponibilité de leur dépôts , même si ces dépôts ne pourront jamais être restitués en totalité en « espèces » pour tous) et ceux qui acceptent que leur épargne soit « re-prêtée » (où, quand, comment sont des problèmes qu’ils peuvent préciser avec leur banquier)
AJH
les paniques bancaires sont l’exception qui confirme la règle.
@ Stilgar
Si, comme tu le dis,
alors la phrase où Allais écrit
est tout simplement fausse.
Si c’est uniquement l’épargne qui est re–prêtée, alors l’épargnant qui considérerait son dépôt « comme une encaisse disponible », n’a tout bêtement pas compris à quoi il s’engage.
Penser qu’Allais se soit trompé m’est « insupportable ». Je vais donc relire demain La crise mondiale d’aujourd’hui pour tenter de comprendre d’où vient cette mauvaise compréhension s’il y en a une, à moins que d’ici là un des lecteurs de cet échange ait une idée lumineuse pour répondre à ce dilemme.
Il y a évidemment l’hypothèse inverse que je ne puis rejeter d’un revers de manche : celle où moi je me trompe… 🙂
A propos, Paul, mon message concernant Gorz est parti avant relecture … j’aurais dû te remercier en plus de te dire que je l’avais déjà lu : voilà qui est fait.
AJH
Après relecture rapide de « la crise mondiale d’aujourd’hui », et relecture des différents articles de ce blog concernant la monnaie, je considère d’une manière (presque) définitive qu’Allais s’est mal exprimé dans ce paragraphe qui semble nous diviser, et comme je l’ai déjà écrit, je n’ai vu nulle part ailleurs dans ceux de ses livres que j’ai lu (pas tous, il a beaucoup écrit, et je n’ai pas lu par exemple des « pavés » tels que « Économie et intérêt » et « Traité d’économie pure » qui font plus de 1000 pages chacun.)
Je suis évidemment prêt à faire amende honorable si j’ai tout faux 😉
Celui qui a le mieux expliqué sur ce blog le processus de création monétaire par les Banques Centrales et Commerciales, c’est, à mon sens, « Armand » dans :
http://www.pauljorion.com/blog/?p=348#comment-3348 ainsi que les commentaires suivants 3349, 3351, mais aussi dans deux autres articles de ce blog « Le scandale des banques qui créent – effectivement – de l’argent » et » Le « scandale » des banques qui créent de l’argent ? » , que je vous invite à relire…
Revenez donc ici nous aider, Armand… 😉
Dans un commentaire qui m’a fait « tilt », http://www.pauljorion.com/blog/?p=348#comment-3345 , Paul écrit « j’ai travaillé dans des établissements bancaires où l’on se donnait beaucoup de peine pour trouver l’argent à prêter aux consommateurs. »
… mais s’agissait-il de « vraies » banques ou d’établissements financiers (qui eux ne disposent pas du droit de création monétaire)?
… on peut aussi penser qu’il s’agissait de banques qui ne disposaient plus d’assez d’actifs pour offrir de nouveau crédits compte tenu des fuites et des réserves obligatoires.
AJH
Évidemment les banques ne peuvent prêter à l’infini. Pour commencer il faut un dépôt primaire, donc si la réserve obligatoire est de 10%, alors un dépôt de 100$ permet de passer 1000$. Le problème n’est pas de passer plus que ce que les banques possèdent, mais de passer l’excédent (900$) en demandant de l’intérêt, alors qu’elles ne payent de l’intérêt que sur le dépôt primaire.
Y a aussi le fait que des compagnies grâce à leurs profits se retrouvent à partager le contrôle des banques, ce qui occasionne un pouvoir de contrôle excessif sur la production déconnectée des besoins vitaux de la population.
[…] le crâne pour m’obliger à penser différemment, ben, j’aurais encore confiance dans le seul prix en l’honneur d’Alfred Nobel français et, bien sûr, dans les compétences d’ Etienne […]
C’est amusant de relire ce fil relancé par le commentaire d’Oppossum http://www.pauljorion.com/blog/?p=3314#comment-28360.
Peut être Monsieur Jorion a t-il compris maintenant que les banques commerciales créaient à partir de rien (mais pas sans demande préalable), lors de crédit aux collectivités publiques, aux entreprises et aux ménages, « leur signes monétaires » (monnaie de crédit issue de reconnaissance de dette) que chacun peut utiliser, en respectant évidemment certaines règles dont la principale reste la nécessité de se fournir et de disposer de la quantité suffisante de monnaie centrale (la seule qui vaille aux yeux de certains) pour assurer la demande de cette monnaie.
Allais ne s’est pas trompé, mais Monsieur Jorion n’a pas voulu considérer que la monnaie dont parlait Allais n’était pas celle de la Banque Centrale (mais celle dont nous nous servons avec nos cartes de crédits, nos chèques et nos virements) et a t-il maintenant pigé les causes de « l’inflation monétaire » par un crédit bancaire tout à fait excessif et sans contreparties valables (comptabilisation excessive des actifs).
@ Anne.J
Ne vous énervez pas. Relisez les échanges et vous verrez que ce paragraphe de Allais était invoqué par ceux qui imaginaient que les reconnaissances de dettes des banques commerciales étaient un strict équivalent de la monnaie banque centrale.
Quant à affirmer qu’on ne peut introduire davantage de confusion dans un seul paragraphe en utilisant de manière ambiguë les expressions « monnaie », « moyen de paiement », « encaisse disponible », « duplication monétaire », je persiste et signe.
Je vous rappelle enfin que la plupart de ceux qui invoquaient ce paragraphe de Allais, niaient aussi que son affirmation centrale, « la banque a prêté la plus grande partie de ce dépôt », soit même possible : pour eux, les banques commerciales ne prêtaient pas l’argent des déposants, qui en restaient propriétaires. Nous avons fait bien du chemin depuis !
» Nous avons fait bien du chemin depuis ! »
Oui, nous avons (re)découvert que seules les banques commerciales disposent du pouvoir de « monétiser » des actifs privés ou publics et que de ce fait toute la monnaie « écrite » des banques commerciales (qui représente quand même 85% des moyens de paiements directement utilisables par le public, les 15 autres % étant les billets de banque, évidemment issus de la Banque Centrale), était donc bien issue de cette technique et de ce droit juridique donné aux banques commerciales…. ce qui n’empêchait pas que les banques commerciales, comme d’autres établissements financiers, peuvent aussi (re)prêter la monnaie en dépôt qu’elles ont elles mêmes émise par le crédit . Aj Holbecq, je crois, avait calculé les rapports, mais je ne retrouve plus le fil.