J’ai toujours voulu dépasser ici le niveau des explications simplistes : quand on m’affirme, par exemple, que la crise des subprimes est due au fait que les consommateurs sont paresseux et ne prennent pas la peine de lire le contrat de leur prêt hypothécaire ou que les banquiers sont avides et se goinfrent de commissions, je dis : « Non, dans un contexte où le prix des logements est en constante augmentation, la stratégie est parfaitement rationnelle et payante, pour les uns et pour les autres » et je poursuis en mettant en évidence la déduction fiscale sur les intérêts d’un prêt immobilier dont bénéficie le consommateur ainsi que la possibilité pour la banquier de comptabiliser un gain immédiat lorsqu’il titrise un prêt au logement, etc. Et c’est pourquoi j’accueille toujours avec plaisir tout élargissement du contexte, tel celui qu’autorise un article qui m’a été transmis par Ton vieux copain Michel : « Is the 2007 U.S. Sub-Prime Financial Crisis So Different ? An International Historical Comparison » par Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff.
Comme le titre de l’article le suggère, le contexte est élargi ici à dix–huit crises d’origine bancaire ayant eu d’importantes conséquences sur le plan économique et envisagées dans un contexte purement national. Ces crises ont touché les États–Unis en 1984, le Japon – pour les dix années qui suivirent – en 1992 mais aussi des pays beaucoup plus petits comme la Norvège en 1987 ou la Finlande en 1991. Les auteurs gardent en mémoire l’ensemble de ces cas individuels mais retiennent aussi les cinq crises les plus graves parmi celles–là et calculent l’évolution de certains indices économiques et financiers au cours des années durant lesquelles ces pays furent en crise et comparent avec ces chiffres ceux qui valent pour les États–Unis aujourd’hui.
Les parallèles sont instructifs pour ce qui touche par exemple au prix de l’immobilier ou au solde de la balance des paiements. La figure 1 de l’article compare l’évolution du prix de l’immobilier aux États–Unis dans la crise actuelle (en bleu), pour l’échantillon de dix–huit crises ayant touché des pays industrialisés au cours des trente dernières années (en rouge) et pour l’échantillon réduit des cinq crises les plus sévères (en vert) : Espagne (1977), Norvège (1987), Finlande (1991), Suède (1991) et Japon (1992). En abscisse, T indique l’année du début de la crise, t+1, l’année suivante, etc. Le cas le plus sévère est, comme on peut l’observer, celui des États–Unis en ce moment.
La figure 3 du même article exprime le solde de la balance des paiements (ici négatif) comme une fraction du PIB. La comparaison porte entre les États–Unis et les dix–huit pays de l’échantillon total. Même remarque que précédemment : le cas le plus sévère est celui des États–Unis en ce moment.
Reinhart et Rogoff observent qu’au début de ces crises, certains analystes ne manquent pas de noter les ressemblances entre la situation présente et des crises plus anciennes mais sont alors enclins à mettre en exergue l’un ou l’autre facteur qui expliquerait pourquoi « les choses sont très différentes aujourd’hui ». C’est là en effet l’un des arguments qui fut utilisé pour nier l’existence d’une bulle immobilière aux États–Unis. On se souvient du fameux discours d’Alan Greenspan en mars 2003, The Home Mortgage Market, (*) auquel je consacre plusieurs pages dans « Vers la crise du capitalisme américain ? » (2007 : 217–219) et où il attribuait l’apparence d’une bulle immobilière à un « fondamental » : au fait que le prix de la construction neuve étant moins susceptible de bénéficier des gains de productivité dus à l’informatique que les autre secteurs, connaissait un renchérissement relatif, encourageant le prix de la construction ancienne à s’aligner sur lui.
Plus intéressant encore est le facteur dont les auteurs déterminent qu’il joua le rôle principal dans le déclenchement de la crise : la dérégulation. Je cite Reinhart et Rogoff :
« La majorité de ces crises historiques furent précédées, comme l’ont montré Kaminsky and Reinhart (1999), par une libéralisation de la finance. Bien que dans le cas des États–Unis il n’y ait pas eu de libéralisation de jure particulièrement frappante, il y a bien eu libéralisation de facto [PJ : huit ans de laissez–faire encouragé par les administrations Bush I et Bush II]. De nouvelles entités financières, très peu– voire non– régulées, ont été appelées à jouer un rôle plus important au sein du système financier, augmentant sans aucun doute sa stabilité face à certains types de chocs mais accroissant potentiellement les vulnérabilités dans le cas de certains autres ».
(*) The Home Mortgage Market, Remarks by Chairman Alan Greenspan at the annual convention of the Independent Community Bankers of America, Orlando, Florida, 4 mars 2003
Une réponse à “Crises et régulation du système financier”
Reinhart et Rogoff démontrent ici que cette crise est plus sévère que les 5 crises majeures des 30 dernières années.
Le nombre phénoménal d’Américains touchés, le niveau de globalisation exceptionnel (les communistes chinois ayant aidé les taux à rester bas trop longtemps) et l’innovation financière expliquent-ils que cette crise soit la plus sévère ?
Aussi, je viens de finir de lire votre excellent ouvrage « Vers la crise du capitalisme américain ». L’idéologie « chosen people » a ainsi encouragé l’anesthésie face aux risques, générant une effet de cavalerie (Ponzi effect) dont nous commençons à voir l’effet dévastateur se dérouler aujourd’hui.
Enfin, quelle est votre analyse de la présence d’une femme et d’un métis dans la course à la présidentielle ? Est-ce dans la continuité de ce fondamentalisme puritain ou est-ce un signe de changement ?