Jérôme Kerviel et l’assurance de classe

Bien qu’il ne soit pas mentionné dans ses références bibliographiques, « Les héritiers. Les étudiants et la culture » de Pierre Bourdieu et Jean–Claude Passeron (1964) est un ouvrage qui nous avions pris comme modèle, Geneviève Delbos et moi à l’époque où nous rédigions « La transmission des savoirs » (1984).

A la lecture d’extraits des procès–verbaux des auditions de Jérôme Kerviel, un passage du livre m’est revenu en mémoire : c’est celui où les auteurs rapportent une expérience dans laquelle il était demandé à un groupe d’étudiants de définir des mots compliqués mais fictifs. Les étudiants issus des milieux populaires étaient en général volontiers disposés à admettre qu’ils ignoraient la signification du mot. Au contraire, plus l’origine sociale des parents était élevée, plus les répondants étaient prompts à définir le mot, recourant bien entendu aux explications les plus fantaisistes. Le facteur qui rendait compte du culot observé avait un nom : l’assurance de classe.

Kerviel dit :

« Fin juillet (…) Mon résultat grimpe : 500 millions d’euros (…) Je masque par une opération fictive (…). Il est vrai que je me retrouvais très intimidé par ce montant de 500 millions et surtout de ne pas savoir comment l’annoncer (…). Au 31 décembre, je n’ai plus de « pose » et mon « matelas » (gains en réserve) est monté à 1,4 milliard d’euros toujours pas déclarés à la banque. A ce stade, je suis dépassé par l’événement et ne sais comment le présenter à la banque, cela représente un cash non déclaré de 1,4 milliard d’euros ».

La presse parle de Grandes Écoles contre Facultés mais ce n’est pas du cursus qu’il s’agit à vrai dire – même si les deux dimensions se recouvrent bien sûr un peu – il s’agit d’assurance de classe. S’il était né dans le velours, Kerviel aurait dit :

« Patron, je crois que c’est bon pour la boîte : j’ai 1,4 milliard de positif. Si vous voulez on pourra discuter plus tard comment j’ai fait mais là, j’ai besoin qu’on m’aide à me mettre flat (défaire les positions) ». Le patron aurait répondu : « Ah ! C’est pas mal. Bon : on va vous aider ! »

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