La réaction des parlementaires de la majorité au Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française me remet en mémoire un souvenir d’il y a plus de trente ans. La scène se passe à la préfecture d’un petit département rural. Mon interlocuteur est assis à son bureau et feuillette un dossier rempli de directives en provenance de Paris : « Oui, très bien : on applique !… Non, non : pas ça ! Ça, ce serait la révolution ici ! On passe !… Oui… Oui… Non : révolution !… », et ainsi de suite.
Les parlementaires de la majorité ont réagi de la même manière aux recommandations de la commission Attali : ils trient et retiennent ce qui leur convient et écartent ce qui – du moins, dans leur esprit – mettrait à feu et à sang la république. Tout le « révolutionnaire » passe ainsi à la trappe. Comme ils sont conservateurs, ce qui leur convient risque de n’être que ce sur quoi tout le monde était tacitement d’accord avant même que la Commission n’entame ses travaux et qui ne fera pas de différence énorme, étant privé de ce qui avait été conçu, dans l’esprit de ses membres, comme devant le compléter. Mr. Attali leur oppose que les recommandations de la Commission constituent un tout. En disant cela, il se contente de répéter ce que lui avait promis le Président de la République : « Tout ce que vous proposerez, je le ferai ».
Je ne m’occupe pas de distinguer « ce qui me plaît personnellement » de « ce qui me déplaît » parmi ces propositions, ni non plus de déterminer si telle ou telle d’entre elle est authentiquement « révolutionnaire » ou non : je me contente de débattre des principes. J’avais autrefois récolté un bouquet de félicitations mêlées d’insultes pour avoir remis en question les définitions de « Blanc » et de « Noir » dans les tests d’intelligence utilisés aux États–Unis (Intelligence and Race : the House of Cards). Est en effet considéré comme Noir, quiconque possède au moins un ancêtre africain, est Blanc qui n’en possède au contraire aucun. J’avais souligné que les deux définitions étaient incomparables et interdisaient du coup tout rapprochement intéressant. Un panier de recommandations comme celles de la Commission Attali est semblable au Noir américain : il suffit que l’une de ses recommandations soit révolutionnaire pour que le panier le soit dans son entier. C’est alors au Président de décider s’il est personnellement révolutionnaire ou non. S’il l’est, il doit effectivement faire appliquer le tout. Si non, il choisit à sa convenance, et ce qui survit à son tri perd toute cohérence pour s’effriter en une mosaïque d’initiatives disparates. Je ne sais pas ce que, ni le Président, ni Mr. Attali, avaient en tête quand l’un proposa à l’autre le projet de la Commission pour la libération de la croissance française, et l’autre en accepta la direction. Mais à Mr. Attali, j’ai une proposition à faire, que voici.
J’ai suggéré en septembre de l’année dernière que l’on s’attelle à la rédaction d’une « constitution pour l’économie » et j’entends y revenir bientôt. Avec une constitution, il n’est nullement nécessaire de dire : « C’est à prendre ou à laisser » parce que cela va de soi ! Avec une constitution, il n’est pas utile non plus d’entrer dans les détails : ses articles ne contiennent par définition que des principes directeurs. Des mesures précises découlent cependant directement de ceux–ci parce qu’elles n’en sont en réalité que les corollaires. Quant aux points de détail, il suffit de passer toute réglementation envisagée au test de sa constitutionnalité.
Alors voici ma proposition à Jacques Attali : « Vous et vos collaborateurs avez réalisé un travail remarquable : en détail comme en profondeur. Son application ne dépend désormais plus de vous mais du Président de la République, de son gouvernement et de sa majorité, aussi passons sans tarder à l’étape suivante. Des principes directeurs existent nécessairement, dont les recommandations que vous proposez représentent autant d’instances particulières. Quels sont ces principes ? Examinons–les et faisons en les articles d’une « constitution pour l’économie » ! ».
L’avantage ? Les révolutions, aussi justifiées soient–elles, sont toujours à l’origine de dérapages sanglants. Ecrire une constitution est une exercice bien plus paisible qui permet d’en faire entièrement l’économie : d’abord parce qu’il n’en a nul besoin comme d’un préalable, ensuite parce qu’il peut également prévenir celle qui couve. Comme nous le rappelle chaque jour l’actualité, c’est désormais l’absence d’une
« constitution pour l’économie » qui engendre ses propres dérapages sanglants et un tel projet en acquiert du coup un caractère d’évidence. Seul manque encore la volonté de l’écrire. Remettre à plat les vieilles certitudes requiert sans doute comme aiguillon le sentiment d’une urgence. Si celui–ci n’est pas encore ressenti, les mois qui viennent y veilleront hélas. Quoi qu’il en soit, pourquoi attendre davantage ?
2 réponses à “Jacques Attali, la révolution et la constitution”
Je suis très choqué qu’un ex haut fonctionnaire se permette de remettre en cause les statuts des coiffeurs et des chauffeurs de taxi.
Il y a d’autres professions reglementées plus avantagées : médecins, pharmaciens (je crois qu’Attali remet en cause leur numérus clausus), sans parler des banques.
Les hommes politiques, médias, et autres « élites » présentent les français comme conservateurs, mais la culpabilisation ne fonctionne pas. Les personnes qui comme moi travaillons dans des petites structures s’adaptent beaucoup plus à la mondialisation que ces soi-disants « élites ». Les inadaptés ce sont eux.
Je ne pense pas que c’est comme cela que l’on pourra libérer la croissance.
Je pense plutôt qu’il y a un problème de demande globale.
Les études économiques montrent que depuis les années 80 la part des salaires dans le PNB à regressé.
Cela dit sans remise à plat de la mondialisation financière impossible de réduire la part à accorder aux actionnaires.
à JLS
le billet d’Attali, en date du 26 janvier, « Comme un oiseau sur la branche« … ne me semble pas très éloigné de vos propos… ?!