Les assureurs d’obligations (III. Les deux prix du risque)

J’ai déjà parlé de Bill Ackman, le manager d’un hedge fund appelé Pershing Square Capital Management [Les assureurs d’obligations (I. Résumé des épisodes précédents)]. C’est lui qui avait attiré l’attention de Laetitia sur le risque de faillite des « rehausseurs de crédit » ou « monolines ». La firme d’Ackman est l’auteur d’un rapport fascinant sur les rehausseurs et leur business que Philippe Barbrel (de ContreInfo) a eu l’amabilité de me communiquer. J’y ai découvert que le risque peut avoir deux prix. Je vais expliquer comment et pourquoi.

La logique de l’assurance consiste a réclamer une prime qui contient deux éléments : d’une part, une composante « fixe » : les frais et le profit de l’assureur et de l’autre, une composante « variable » qui reflète le risque financier que court l’assureur en cas de sinistre. Cette partie–là de la prime, celle qui reflète le débours de l’assureur lorsqu’un sinistre a lieu, combine deux éléments en les multipliant : le montant de la perte à compenser et la probabilité de l’événement. Cette dernière est estimée à partir de données historiques et reprise dans des tables actuarielles. Un calcul correct de la partie de la prime qui couvre le risque est bien évidemment essentiel à la bonne santé du secteur de l’assurance.

La finance a adopté cette logique de l’assurance et j’ai eu l’occasion d’expliquer l’année dernière à l’occasion de la crise des subprimes (Crise du « subprime » et titrisation) et du tarissement du crédit (Le mécanisme de la crise du crédit) que les deux crises découlaient du fait que la prime de risque comprise dans le taux d’intérêt associé aux prêts subprime ne couvrait plus le risque effectivement couru et ceci en raison du taux croissant de défaillance de cette population d’emprunteurs ; les instruments financiers impliqués dans le premier cas étaient les ABS (Asset–Backed Securities) et dans le second, les CDO (Collateralized–Debt Obligations). Oui, je sais, avec les événements de la Société Générale, tout cela est déjà si loin !

Dans le cas d’une obligation émise par une entreprise, le risque de crédit associé au fait que celle–ci puisse éventuellement faire faillite est reflété par son coupon. De manière générale, à même maturité, ce coupon est plus élevé que celui d’une obligation d’état ; la différence entre les deux taux, la « marge » ou « spread » correspond au sentiment que le risque de non–remboursement est plus élevé dans le cas de la firme que dans celui de l’État. Quand la faillite menace, la notation de crédit attribuée à la compagnie par les notateurs (Standard & Poor’s, Fitch, Moody’s) se dégrade jusqu’à atteindre à la baisse la notation « junk », en français :
« camelote ». Le coupon élevé d’un « junk bond » reflète alors ce risque élevé. Autrement dit, et pour résumer : le marché évalue le risque de crédit d’une entreprise et cette évaluation du risque s’exprime dans la « marge » ou « spread » des obligations qu’elle émet. Bien.

Je passe maintenant aux « rehausseurs de crédit » et au miracle des deux prix du risque. Les « rehausseurs de crédit » sont des assureurs d’obligations. Quel est le prix du risque d’une obligation ? Je viens de l’expliquer, c’est la « marge » ou « spread » : la différence entre le coupon de ce titre et celui d’une obligation d’Etat, censément sans risque. Quelle devrait être alors, la partie de la prime couvrant le risque de l’obligation, qu’un rehausseur de crédit devrait exiger ? La « marge » ou « spread » bien entendu puisque c’est la prime de risque que le marché a « spontanément » calculée (avec l’aide bienveillante des agences de notation). Et c’est ici que le miracle intervient, la prime exigée par les rehausseurs de crédit a toujours été plus faible : le tiers ou la moitié seulement du spread. Cette différence a permis, comme le rappelle le Wall Street Journal d’aujourd’hui, une opération lucrative intitulée « negative basis trade », opération sur la base négative, qui consiste pour une banque à acheter un CDO et à ensuite l’assurer auprès d’un rehausseur de crédit ; comme la prime est moins élevée que le spread, il existe un bénéfice immédiat que, nous assure le Wall Street Journal, certaines banques n’hésitent pas à comptabiliser aussitôt comme recettes.

Il y a donc deux prix au risque de crédit d’une obligation : celui du marché (conseillé par les notateurs) et celui, plus faible, des rehausseurs du crédit. L’un des deux (au moins) se trompe. Vous saurez lequel dans notre dernier épisode : Les assureurs d’obligations (IV. La fin), à paraître très bientôt !

(à suivre…)

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2 réponses à “Les assureurs d’obligations (III. Les deux prix du risque)”

  1. […] dans Les assureurs d’obligations (III. Les deux prix du risque) que la prochaine fois que j’évoquerais ces firmes, ce serait dans un billet intitulé « Les […]

  2. […] dans Les assureurs d’obligations (III. Les deux prix du risque) que la prochaine fois que j’évoquerais ces firmes, ce serait dans un billet intitulé « Les […]

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  1. Le problème c’est que les « parents » de l’IA sont ultra minoritaire (0,0001% au pif) et que c’est toute la société…

  2. Bah, quand les consommations d’électricité s’additionnent : voitures, IA, robot… Ça peut être un sujet d’inquiétude tout de même !

  3. @Chabian Les uns comme les autres vont devoir se calmer question consommation. Aux mêmes USA, la consommation d’électricité pour faire…

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