Comme mes lecteurs le savent, j’ai toujours considéré jusqu’ici que la réponse à cette question était oui. Alan Greenspan est cité un nombre considérable de fois de manière critique mais favorable dans « Vers la crise du capitalisme américain ? » (2007), et il en avait été de même dans mon ouvrage précédent, « Investing in a Post–Enron World » (2003). Or Mr. Greenspan vient de devenir membre du conseil de direction de Paulson & Co. un hedge fund, un fonds d’investissement spéculatif, au capital de 11 milliards de dollars, dirigé par John Paulson.
J’ai parlé de John Paulson (à ne pas confondre avec son homonyme, Henry Paulson, le ministre américain des finances) dans un billet du mois de juin intitulé Wall Street, cette semaine. J’y disais la chose suivante : « Paulson accuse Bear Stearns de manipulation des marchés. Il est lui présent sur le marché des credit swaps où il parie sur la baisse du prix des ABS (l’indice ABX, dont il a déjà été question ici). Il s’insurge devant le fait que Bear Stearns interfère avec la logique des marchés en intervenant à temps pour empêcher que certains logements ne soient saisis et leurs habitants défaillants mis à la rue. Vingt–cinq dirigeants de hedge funds, semblables à celui de Paulson, signèrent la semaine dernière une déclaration commune où ils affirment qu’ils « n’essaient pas de chasser des emprunteurs de prêts sous–prime de leur logement – mais veulent simplement s’assurer que les banques aient à coeur de séparer les intérêts de leur salle de marché [qui joue aussi bien à la baisse des marchés qu’à leur hausse] de ceux de leur organisme de prêt au logement [qui aime voir les emprunteurs rembourser leurs dettes] » ».
J’ajouterai à cela que, selon le Wall Street Journal, Bear Stearns avait demandé à une organisation sectorielle de codifier le droit d’un établissement financier à modifier les prêts qu’il a accordés et que Paulson avait lui confié sa contre–attaque à une personnalité respectée : Harvey Pitt, un ancien président de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité des marchés boursiers américains. J’ajouterai aussi, pour souligner que Mr. Paulson est un brave homme, qu’il a dédié une partie des 3 à 4 milliards de dollars qu’il a gagnés en pariant sur la crise des subprimes, plus précisément la somme de 15 millions de dollars, au Center for Responsible Lending, une oeuvre qui procure une aide légale aux familles menacées de la saisie de leur logement.
À un journaliste du Wall Street Journal qui lui demandait hier : « Vos trois clients – PIMCO, Deutsche Bank et maintenant Paulson – ont parié à la baisse de l’immobilier résidentiel et du crédit au logement. Y a–t–il une connexion ? », Greenspan avait répondu : « Tiens, je ne l’avais pas noté avant que vous m’en fassiez la remarque ».
J’ai expliqué dans La faute à Greenspan ? qu’à mon sens, et contrairement a ce qui se répète en ville, la politique de Greenspan en matière de taux d’intérêt n’est pas responsable de la bulle immobilière américaine. J’ai fait cependant remarquer dans Alan Greenspan, l’homme qui n’a pas vu venir la tourmente que la position stratégique qu’il occupait à la tête de la Federal Reserve rend inexcusable son aveuglement prolongé à l’existence de cette même bulle. Même s’il est, comme il le proclame, personnellement convaincu de son innocence, il me paraît bien léger de sa part d’ignorer totalement la façon dont son rôle est aujourd’hui perçu du public. Il ne faudra pas attendre que la crise actuelle prenne toute l’ampleur qui sera un jour la sienne pour qu’un responsable soit recherché pour les dégâts déjà constatés. Par légèreté ou par arrogance, Mr. Greenspan vient de se désigner au poste peu enviable de bouc–émissaire.
2 réponses à “Monsieur Greenspan est-il intelligent ?”
Bonjour,
moi je trouve que Mr Greenspan de par sa politique généreuse et dévastatrice des baisses des taux d’intérêt, a favorisé cette explosion des produits de titrisation qui plombent les banques. Ces produits ont été vendus à des gérants de fonds avides de surperformance par rapport aux taux d’intérêt (trés bas).
Je suis commissaire aux comptes de ce type d’OPCVM et nous n’avons pas les compétences pour mesurer le risque de ce type de produits ni pour la valorisation ni de critiquer les cours obtenus par des contributeurs de cours. C’est désolant de voir mon impuissance vis à vis de ce tsunami financier. Je compte arrêter de faire ce boulot qui me pèse de par mon impuissance.
je compte aller vivre dans l’océan indien là ou il est simple de faire du commerce.
Acheter et vendre : tout simplement.
Salut Paul,
Je ne doute pas un seul instant que Greenspan soit très intelligent mais je m’étonne qu’un homme pareil puisse décider d’aller bosser à 81 ans pour un hedge fund. N’y aurait pas là une confusion des genres qui ne peut s’expliquer que par une avidité sans bornes ? A moins qu’il ne craigne manquer d’argent lorsqu’il aura 120 ans. Fear and greed. Car enfin réfléchissons… Greenspan a été pendant des années le gardien sourcilleux de la bonne santé de la sphère économico-financière. Qu’on lui conteste certaines décisions, quoi de plus normal. Mais personne ne contestera qu’il avait à cœur à maintenir le système à flot et à garantir tout ce qu’il y avait derrière : l’emploi, les gens, l’avenir. Or ne voilà-t-il pas qu’il se met désormais au service d’une sorte de prédateur dont la seule fonction consiste à faire de l’argent en profitant des inefficiences du marché. Bien sûr, Greenspan n’est plus le patron de la Fed donc il n’y a pas de conflit d’intérêts. Il n’empêche que ça m’interpelle quelque part au niveau du vécu. Je sais d’avance ce que l’idéologue néo-libéral va me répondre. 1. Que la finance n’a rien à voir avec la morale. 2. Qu’un hedge fund a une fonction régulatrice. 3. Qu’en zoologie, les parasites sont précieux et participent au même titre que d’autres espèces à l’écosystème. 4. Que le couple hôte/parasite peut parfois évoluer jusqu’à la symbiose. Sans doute est-ce le cas avec Greenspan employé de Paulson, qu’il faudrait désormais appeler Greenson ou Paulspan.
Michel