Comme Wittgenstein l’avait très bien perçu quand il s’est intéressé au fatras de notes qui constitue Le rameau d’or, rédigé au début du XXè siècle par Sir George Frazer : tout fait « folklorique » a nécessairement un sens du fait de sa survivance au sein d’une tradition, même si ce sens est en réalité très éloigné de sa signification littérale apparente. Le rôle joué dans la présidentielle américaine par les élections primaires en Iowa – qui se déroulent en avant–première de celles de tous les autres états – m’a remis en mémoire les « Remarques sur Le rameau d’or » du philosophe viennois de Cambridge.
L’Iowa est un état excentrique : il est massivement démocrate avec 130.000 électeurs inscrits sous la bannière de ce parti contre 80.000 pour les républicains et ceci bien qu’il soit par ailleurs essentiellement rural. Dans un tel contexte sociologique, son inclination à gauche est très inattendue : aux primaires de 1992, 76 % des électeurs démocrates de l’état avaient soutenu la candidature d’un gauchiste local, Tom Harkin, contre 4 % seulement pour Bill Clinton – qui devait bien entendu cependant l’emporter.
Pourquoi avoir laissé à un état excentrique et numériquement marginal dans le processus de nomination (les 45 membres de sa délégation à la Convention qui clôt les primaires ne pèsent pas lourd par rapport aux 370 que la Californie envoie elle) le pouvoir de lancer initialement le processus des présidentielles sur ce qui s’avérera une fausse piste ?
La réponse me semble résider dans la manière dont la victoire d’Obama a sapé le caractère d’inévitabilité de la candidature d’Hillary Clinton : il n’est pas bon sans doute qu’un candidat ait pour seule qualité d’être « inévitable », c’est–à–dire que sa stature dans un contexte qui n’est pas celui de la présidentielle semble le désigner d’office : il faut encore qu’il se montre bien assuré sur ses jambes et que la dynamique d’un outsider ne puisse pas le déstabiliser. Si cela devait toutefois être le cas, il devrait alors à son tour se montrer capable dans un rôle d’outsider. Autrement dit, la présence du grain de sable Iowa permet le cas échéant de tester les candidats dans deux rôles où des qualités essentielles pour un bon dirigeant sont mises à l’épreuve : celles du favori pourvu de l’aura que lui assure sa domination et celles du challenger qui ne devra qu’à sa détermination de reprendre le dessus alors que sa confiance en soi est nécessairement ébranlée.
Quant à la tactique adoptée par Giulani chez les républicains de jeter à la face de l’Iowa son excentricité et son insignifiance numérique, en ignorant purement et simplement l’état dans sa campagne électorale, je doute qu’elle s’avère payante sur le long terme : Giulani s’est délibérément refusé ainsi une occasion de démontrer à l’électorat son cran dans l’adversité et celui–ci lui préférera sans aucun doute un candidat qui aura survécu à l’expérience du doute au fort de la bataille.
Une réponse à “Le sens des choses folkloriques”
Très subtile analyse d’une situation qu’on peut repérer dans moultes occasions: le peuple n’aime pas qu’on lui dicte son vote, tout homme politique doit se montrer suffisament humble pour le mériter. Cela me fait penser au statut du roi chez les Yanomanis qui doit accepter d’être ridiculisé pour obtenir le pouvoir (Pierre Clastres), peut -être aussi relire Masse et puissance de E. Canetti. Il faut que le puissant sache qu’il est dans la sphère du pouvoir du peuple, que celui le fait et le défait à sa guise (il sufffit de voir comment le CPE a été abandonné si vite).