Qui perd gagne ou Freud en Amérique

Aux États-Unis on vous dit, « De Freud, il ne reste rien, n’est-ce pas ? » Et je réponds invariablement que ce n’est pas du tout l’impression que j’en ai, qu’il me semble au contraire que le freudisme a complètement imbibé de son influence la société et la culture américaines. Ce qui le rend invisible, ce n’est pas son absence mais son omniprésence : non tant sa défaite que le caractère absolu de sa victoire. Le concept de psychothérapie, de guérison par la narration de son histoire, est à ce point acquis ici qu’on considère que nul n’est suffisamment fou pour qu’une bonne conversation ne puisse le remettre sur pied. « Oui », me dit-on, « mais quand même, cette idée que tout comportement a un motif caché, d’origine sexuelle. Ça, avouez-le, plus personne n’y croit ! »

Je pourrais qualifier cette objection de « puritaine » mais ce serait une étiquette de plus qui, en matière d’explication, nous laisserait sur notre faim. Si je trouvais un Américain parfaitement ouvert sur ces questions, voici ce qu’il me déclarerait en fait : « Il est vrai que vous pourrez prendre chaque individu en particulier et me montrer que son comportement a un motif caché, d’origine sexuelle, et en ce sens vous pourriez avancer qu’il s’agit d’une règle et qu’elle s’applique à tous. Et je vous répondrais, « Non » : vous avez bien observé ce motif à l’oeuvre dans chacun des cas que vous avez examinés, mais cela ne vous autorise pas pour autant à dire qu’il s’agit d’un principe d’application universelle ». Et ce qu’il révélerait ainsi, c’est qu’il ne s’agit pas de puritanisme dans ce déni, mais de la manifestation d’un des autres crédos qui oeuvrent sous-terrainement dans la culture américaine : l’affirmation irréfutable de la capacité individuelle au choix, au libre-arbitre. On constate sans doute que chaque individu succombe mais cela ne fait pas pour autant de cette défaite la conséquence inéluctable d’une loi naturelle, car chacun demeure confronté, en toute liberté, au choix de succomber ou non. Autrement dit, l’éventualité de la sainteté reste ouverte en principe, sans qu’il faille, si elle devait se manifester, crier au miracle. La rumeur aux États–Unis que Freud est mort, plutôt que de relever du puritanisme, manifeste en réalité la foi absolue des Américains dans l’individualisme.

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2 réponses à “Qui perd gagne ou Freud en Amérique”

  1. Avatar de Orengo
    Orengo

    Le voyage de Freud aux Usa…; un long voyage , un bateau, un malaise de Freud en compagnie de JUNG, un steward du paquebot qui lit Psychopathologie de la Vie quotidienne , …; mais aussi bien plus tard …l’introduction par Pontalis à l’analyse Profane qui nous en révèle le véritable enjeu, afin de favoriser l’implantation de la psychanalyse aux Etats – Unis.. Une belle épopée .

  2. Avatar de Orengo
    Orengo

    Allez on rentre un peu dans le détail :

    lettre de Freud à Jones…8 décembre 1912 : <<… je vous remercie de vos justes remarques sur Jung. Il se conduit en effet comme un parfait idiot, il se prend pour le Christ en personne , et dans les choses particulières qu'il dit il ta toujours quelque chose du <>( coquin ). Mais il a joué à merveille à Munich, il y a reçu un châtiment sévère, et comme il considère la psychanalyse comme sa propriété et que sa position contre moi est loin de l’indifférence j’espère comme vous qu’il restera à nos côtés. Les lettres que je reçois de lui sont remarquables, passant de la tendresse à l’insolence arrogante. Il souhaite un traitement, mais ma dernière crise( 1 ) m’a fait hélas perdre une portion de mon autorité. Il doit y avoir quelque élément psychique dans cette attaque qui en outre était largement fonde sur la fatigue, un mauvais sommeil, et le tabac , car je ne puis oublier que 6 et 4 ans plus tôt j’ai souffert de symptômes très proches mais loin d’être si intenses dans la même chambre du Parkhotel ; à chaque fois qu’il m’a fallu quitter la table . Lorsque Jung, dans sa dernière lettre a fait de nouveau allusion à ma « névrose « , je n’ai pu trouver de meilleur expédient que de proposer que chaque analyste s’occupe de sa propre névrose plutôt qu’à celle des autres …… En tout cas, il y a une part suspecte de malhonnêteté, de manque de simplicité cet de franchise , dans sa constitution.

    (1) en 1909 avant leur départ de Brême pour l’Amérique, Freud avait eu un malaise, dans des conditions psychologiques très voisines ( allusion au deuxième évanouissement en présence de Jung , intervenu au cours de leur réunion du 24 novembre 1912 à Munich.).;… malaise mais aussi ombre de Fliess, où Freud avait rendu une visite à celui alors qu’il était malade…;

    Extrait de l’introduction à la question de L’analyse profane , par J-B Pontalis / ….. des Américains , venus d’Outre -Atlantique pour se faire analyser par Freud, pratiquent la psychanalyse un fois leur retour aux Etats -Unis , situation que la société psychanalytique américaine ne saurait admettre. Pourquoi ? Si la psychanalyse s’ouvre à des gens qui n’ont pas la qualification médicale, elle s’offre du même coup à la critique la plus grave: elle ne se différencie plus des thérapies, sectes, et fausse sciences toujours prêtes à proliférer sur le sol américain, elle tombe à son tour sous la ‘accusation de charlatanisme .

     » La Médecine qui a conquis relativement tard au Etats- Unis son statut scientifiques et , par là sa dignité , court le risque d’être confondue avec ce qui la conteste ou la menace . Pour conjurer ce risque , une seule solution : tenir la psychanalyse pour une spécialisation médicale. Nul doute que ce soit là un un souci qui a orienté et oriente encore la psychanalyse made in USA . Non seulement les Sociétés- je parle de celles affiliées à L’Association psychanalytique internationale – n’admettent que des médecins . Mais au- delà de cette réglementation, c’est tout le mouvement des idées psychanalytiques qui se trouvent infléchi par l’exigence de satisfaire aux normes admises de la respectabilité scientifique . Le rôle majeur longtemps tenu par Heinz Hartmann ne s’explique guère autrement. Ni la volonté d’intégrer la psychanalyse à des disciplines supposées voisines : la biologie , l’éthologie; la psychologie cognitive; ni le soin, si manifeste dans les publications, mis à distinguer les data des hypothèses, ou de reproduire in extenso, comme le ferait un magnétophone, une séance. Ou encore celui d’étalonner les résultats des cures . Pour un peu, si on le pouvait, on inventerait un appareil de mesure pour chiffrer, par exemple , le prix du complexe de castration….

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