Il y a quelques années, j’ai commencé à voir double, puis triple. L’autre jour, je regardais la pleine lune et j’ai compté sept images.
L’oculiste m’a dit « Vos cristallins sont pourris, il faut les remplacer ». Il y a deux ans, j’ai eu une hernie. Le chirurgien m’a montré ce qui ressemblait à un morceau de rideau et m’a dit : « On va vous ouvrir et on va vous mettre ça à l’intérieur : c’est plus solide que les muscles qu’on a là dans l’aine ». Passe encore. Mais qu’on vous ouvre l’oeil pour aller remplacer une pièce, l’idée ne me plaisait pas trop. J’ai mis des gouttes, pris des pilules et adressé des prières à Pazuzu.
Il y a quelques semaines, nous partions en week-end à Julian, dans la montagne qui surplombe le désert d’Anza Borrego. Je me suis lancé sur la bretelle de l’autoroute et au moment où j’ai débouché sur la 405, je ne voyais rien : je ne voyais pas les démarcations entre les voies, je ne savais pas où aller. J’ai dit « Je ne peux plus faire ça : je vais tuer quelqu’un ou je vais nous tuer nous ! ». J’ai quitté l’autoroute dès que j’ai pu et nous sommes rentrés à la maison : adieu les pommes juteuses que nous allions cueillir à Julian !
On fait une incision de 3 mm à la limite de l’iris et du blanc. On insuffle un gaz inerte pour que le liquide vitreux ne s’échappe pas. On introduit une aiguille qui émet des ultra–sons et désintègre le cristallin pourri que le Bon Dieu vous avait donné. On aspire les débris et on place la pièce de rechange en plastique. Puis on referme. Vous pouvez rouvrir l’oeil quelques heures plus tard. Le nouveau cristallin est plus petit : au début ça joue un peu.
Là, j’ai un oeil gauche neuf : avec lui, je ne vois plus qu’une seule lune. On change le droit lundi. Adriana me dit : « Ça fait des éclairs ! Ça fait des éclairs dans ta pupille ! » On voit ça dans les bandes dessinées : des yeux qui lancent des éclairs. Ici, c’est le revêtement de la nouvelle lentille, comme des lunettes de soleil polarisantes. « Ça donne la chair de poule : tu as l’air d’un cyborg ! ». Eh ! On n’arrête pas le progrès ! Et puis, « cyborg », je trouve ça assez chic !
4 réponses à “Le cyborg vous parle”
Bonjour Monsieur Jorion,
Je vous lis depuis quelques semaines, sans intervenir parce que je n’ai simplement rien à dire sur ces évènements que je tente, péniblement, de comprendre. Je ne suis pas du tout au fait des choses économiques. Je suis « tombé » sur ce blog par hazard, en cherchant quelques explications sur le pourquoi et le comment de cette crise financière qui est devenue, en quelques semaines, LE sujet de conversation autour de la machine à café …
Après les articles d’actualité, j’ai eu la curiosité de parcourir les autres. Jusqu’à celui-ci, qui me fait réagir.
Cette petite opération qui vous a sauvé la vue, et donc aussi un peu la vie, me semble être un des résultats colatéraux de ce grand Monopoly monétaire que vous décrivez si bien. Un tel progrès technique, développé aussi rapidement et mis à disposition du public à un prix immédiatement raisonnable … cela aurait-il été possible dans une société fonctionnant d’une autre manière, sur d’autres principes ? Auriez-vous été sauvé en Corée du Nord, à Cuba, en Iran ?
Bref, ce système monétaire capitaliste que tout le monde villipende aujourd’hui a eu aussi de bons côtés, il me semble …
Comment faire pour en garder les bons côtés tout en se débarrassant, définitivement si possible, des mauvais ? Est-ce seulement possible ? Je n’ai personnellement pas le début d’une réponse …
Cordialement.
Paul, je suis moi-même un cyborg !! Je suis sourd depuis une maladie que j’ai eu à deux ans et je me suis fait implanté l’an dernier.
Il y a une étrange fascination avec la technologie médicale. J’avais peur de l’opération et on disait que l’implant cochléaire n’était pas terrible.
Et du jour au lendemain, je me suis trouvé propulsé dans la « science-fiction »… Je n’aurais jamais cru pouvoir entendre la respiration, l’étalement de la crème hydratante sur la peau du visage, le murmure des feuilles, un tas de choses extraordinaires pour moi mais tellement banal pour vous, entendants.
C’est un véritable miracle, je découvre la musique, je découvre avec plaisir les comédies musicales (qui m’ennuyaient franchement avant l’opération), je découvre aussi les voix des autres, ma voix qui change.
Il y a tout de même quelque chose d’absolument génial dans la créativité de l’homme et je suis heureux de vivre à notre époque malgré tous ces problèmes de régulation économique et de société. C’est surtout cet aspect de chose qui me pousse à ne pas vouloir (car on a envie de penser à quelque chose… par rapport à nous-mêmes) penser qu’il faut tout remettre en cause. Le capitalisme a puissamment contribué aux inventions, comme celles-ci ont puissamment contribué au capitalisme.
Néanmoins, quand on veut maximiser le gain à titre individuel, ou pour une entreprise, sans considération éthique ou morale, il y a énormément de gaspillage. Je pense qu’on pourrait investir encore plus, par exemple, dans les implants cochléaire ou des aides auditives.
Parce qu’il n’y a pas de marché assez important, il y a eu des aides auditives révolutionnaires qui ont disparu ou qui ne sont pas bien vendues, faute de moyens financiers et c’est vraiment déplorable. Je crois vraiment en une régulation des ressources, d’abord par une régulation du système financier mondial… qui est pour moi la source principale de grosses avidités… qui elles-mêmes entraînent d’autres avidités… au détriment d’un certain altruisme avec un retour de bénéfices possibles (certes moindres, mais quels progrès technologiques et humains !).
En plus pour qu’un appareil auditif (qui transporte des sons aigus en sons graves, permettant aux sourds profonds d’avoir presque toute la gamme des fréquences, donc de plutôt bien entendre) puisse être vendu sur le marché, il faut 2 millions d’euros… j’enrage quand je vois qu’on met des milliards et des milliards dans des trous noirs financiers…. :(((((((
réponse à Ricquet
Monsieur, malgré ce que vous semblez dire il y a encore beaucoup de personnes en France
qui ne peuvent pas se faire opérer car il n’en ont pas les moyens
j’ai moi-même été obligée de refuser une opération de l’oreille car le chirurgien, dans un hôpital public, demandait une somme qui dépassait largement mes moyens malgré le remboursement partiel de la sécurité sociale
en ce qui concerne mes yeux ,de même, pas de quoi me faire opérer et pourtant je travaille
Voyez vous,nous ne gagnons pas tous au » Monopole »!!tout n’est pas réglé malgré les progrès techniques ici et ailleurs
amicalement amy