Tout sujet parlant vit la dynamique d’engendrement de la parole comme une expérience émotionnelle ou « affective »

La pensée comme dynamique de mots. I. Principes généraux (3)

Une description en termes proprement « physiques » de la dynamique objective de la parole sera proposée par la suite. J’indique entretemps que pour ce qui touche aux sujets parlants eux–mêmes, leur expérience subjective de la dynamique de la parole est – du début d’un acte de parole jusqu’à sa conclusion – une expérience de nature émotionnelle ou « affective ». L’opinion commune veut que les émotions constituent un obstacle à l’expression de la pensée rationnelle. Il est vrai qu’au-delà d’un certain seuil, les émotions peuvent effectivement produire un désarroi et constituer un handicap à la parole. Dans les circonstances normales cependant, l’« expression de ses sentiments » – qui est bien la formulation à laquelle recourent spontanément les locuteurs pour décrire la motivation de leurs interventions – débouche en règle générale sur un discours rationnel. La raison en réside dans la structure du réseau qui sous–tend l’expression de la parole : celui–ci canalise l’engendrement de la parole au long de chemins ramifiés sans doute mais contraints de telle manière que l’expression de ses sentiments génère nécessairement une ou plusieurs séquences de phrases pourvues toutes de signification.

Les gens affirment parler pour « exprimer leurs sentiments », pour « se soulager », pour « s’ôter ça de la tête » et telle est bien en effet l’expérience ressentie dans l’expression de la parole : au départ, les locuteurs éprouvent une sensation qui peut varier d’une insatisfaction mineure au sentiment d’un sérieux malaise (dont les causes seront examinées de manière détaillée dans la Section 18) et entreprennent de « dire ce qu’ils ont sur le coeur » jusqu’à ce que s’éteigne en eux ce besoin de s’exprimer ; parvenus à ce point d’aboutissement, ils se disent alors soulagés et s’affirment se retrouver
« l’âme en paix ». Ce sentiment s’interrompt lorsqu’une nouvelle source d’irritation mineure ou majeure est ressentie et relance la dynamique. Je montrerai en Section 15 que d’un point de vue objectif, la dynamique est caractérisée de manière plus exacte comme l’atteinte d’un puits de potentiel au sein d’un espace de mots soumis à une dynamique de minimisation. La caractérisation comme « dynamique d’affect » n’est toutefois pas incorrecte puisque du point de vue subjectif du locuteur, le processus vécu est celui d’un soulagement émotionnel. De plus, le paramètre déterminant le gradient de descente au sein de l’espace de mots est celui d’une valeur d’« affect » associée aux mots (ou plutôt, comme nous le verrons, à des paires de mots), à l’intérieur de l’« espace–de–mots » auquel le réseau s’assimile.

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  1. @CORLAY Ah ! Cette publication sur les arbres vient donc redoubler votre intérêt dans cette activité du moment. Heureuses concordances.…

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