Neuf mois plus tard : la crise du capitalisme américain

La Revue du MAUSS, qui publia « Vers la crise du capitalisme américain ? » dans sa collection à La Découverte m’a demandé de dresser un rapide bilan de l’évolution de la situation depuis la parution du livre à la fin du mois de janvier dernier. Voici ce bilan !

Dans La Revue du MAUSS en ligne.

« Vers la crise du capitalisme américain ? » a paru il y a neuf mois exactement. J’ai repris ici l’argumentaire du livre et je l’ai complété par les événements qui sont intervenus depuis. Mon compte-rendu est bien entendu schématique puisqu’il y aurait là matière à un nouvel ouvrage. Certains des détails sont assez techniques – parce que la crise affecte certains des rouages les plus complexes du système financier américain – mais je me suis efforcé d’en dégager les principes, qui sont eux par nature, généraux.

Le système américain de subventionnement de l’accès à la propriété de son logement rate la cible qui lui avait été définie : les ménages défavorisés, et s’adresse de préférence à ceux qui disposaient déjà de moyens financiers adéquats. Pourquoi ? Parce qu’il fut privatisé et que pour une entreprise motivée par le profit, il y a davantage d’argent à gagner en concentrant ses efforts sur les consommateurs les plus aisés. Ainsi, le gouvernement détaxe les intérêts à verser dans le remboursement d’un prêt : plus on a emprunté, plus on y gagne. Les Government–Sponsored Entities (Fannie Mae, Freddie Mac), en titrisant les prêts au logement sont censées huiler ainsi les circuits du crédit mais, comme le révéla Passmore, un collaborateur de Greenspan, le bénéfice en revient uniquement aux actionnaires de ces entreprises et à leurs cadres supérieurs. Les banques se retirent des quartiers à risque, laissant la place aux véritables requins du prêt au logement.

L’afflux de capitaux en excès – dus au subventionnement mal dirigé – génère à partir de 1996 une bulle financière dans l’immobilier résidentiel américain, bulle qui finit par interdire l’accès aux nouveaux entrants traditionnels que sont les jeunes et les immigrés. Faute de recrutement à la base, le stock de maisons neuves et anciennes cherchant acheteur se met alors à gonfler, forçant le prix de l’immobilier à baisser à partir de la fin 2006. Or le marché de l’immobilier résidentiel s’était habitué à une situation où le prix grimpait de manière constante et chacun des acteurs présents sur le marché s’était adapté à cette situation : les emprunteurs, les organismes de prêt, les banques d’investissement de Wall Street et les régulateurs des marchés financiers au niveau fédéral.

1. Les emprunteurs découvrirent dans la hausse constante du prix des maisons une planche à billets, soit qu’ils refinancent leur crédit immobilier pour un montant plus élevé, soit qu’ils mettent en gage la valeur qui s’accumule inexorablement dans les murs (« Home Equity Line of Credit » ou HELOC). Ils consacrent l’argent frais généré par l’immobilier à rembourser les dettes contractées sur leurs cartes de crédit ou à l’achat de nouveaux biens de consommation.

2. Les banques délivrent des prêts au logement sans exiger de l’emprunteur aucune contribution personnelle, sachant que la valeur de l’habitation se sera de toute manière rapidement accrue.

Les banques tirent parti de la faculté dont elles disposent de mettre les opérations de titrisation de prêts au logement hors–bilan. Elles peuvent ainsi réduire le volume des réserves qu’elles sont obligées de constituer, et utilisent plus pleinement leurs capitaux. Elles se délestent ainsi de leur portefeuille de prêts sur les banques d’investissement de Wall Street. Ceci conduit à une dé–responsabilisation qui encourage le laxisme dans les conditions d’attribution des prêts, Wall Street étant preneur de ceux–ci quelle que soit la solvabilité des emprunteurs.

3. Les banques d’investissement de Wall Street vendent à tout va les titres constitués en reconditionnant sous forme d’obligations les prêts au logement : Mortgage–Backed Securities (MBS pour les crédits prime), Asset–Backed Securities (ABS pour les crédits subprime). Elles perdent de vue que la bonne santé de ce marché dépend de la garantie d’un bénéfice pour l’acheteur du produit, en l’occurrence, d’une sur–évaluation de la prime d’assurance contre le risque de non–remboursement par l’emprunteur, prime qui est comprise dans le taux d’intérêt associé au prêt. Or le calcul d’une prime de risque se fait traditionnellement sur le long terme, alors que le contexte est ici très différent sous deux aspects : d’une part parce que les assureurs sont émiettés en une multitude d’investisseurs qui se sont portés acheteurs de MBS ou d’ABS, d’autre part parce que, dans ce cas–ci, le risque de non–remboursement n’est pas distribué statistiquement dans le temps : il correspond ici à des périodes de crises ponctuelles de l’immobilier, périodes durant lesquelles le risque de défaut de l’emprunteur est élevé, alors qu’il est pratiquement nul le reste du temps. Même si la fonction d’« assureur » n’était pas parcellisée, comme elle l’est ici, en une multitude d’investisseurs, la concentration du risque dans le temps le rend très difficile à absorber et les investisseurs préfèrent se retirer en masse dès que la prime de risque se révèle incapable de réellement couvrir celui–ci.

4. Dans le climat non–interventionniste instauré par les deux présidences Bush, les régulateurs fédéraux s’abstiennent d’intervenir malgré les nuages qui s’amoncellent.

Alors que le prix de l’immobilier baisse, le processus s’enraie : un prêt subprime, désormais déficitaire, devient invendable sur le marché secondaire de Wall Street, aussi bien sous la forme d’un titre ABS adossé à ces prêts subprime, qu’« en vrac ». Le même principe s’applique également aux Collateralized–Debt Obligations (CDO) composées de « tranches » d’ABS ; il s’applique à son tour à tout Billet de trésorerie adossé à ces ABS et, en bout de chaîne, les investisseurs se détournent des Structured Investment Vehicles (SIV), firmes spécialisées qui se financent en émettant de tels Billets de trésorerie.

Nous sommes en août 2007 : le système de crédit américain au jour le jour est paralysé. Il reprend depuis un peu du poil de la bête à la suite de diverses interventions de la Federal Reserve et des banques centrales européennes. D’autres surprises sont cependant possibles. À surveiller en particulier : l’ensemble des implications de l’effet de levier qu’autorise le crédit et qui permet de multiplier les chances de gain comme les risques de perte, l’ensemble des produits financiers appelés « instruments dérivés », les « falaises de crédit » existant pour les entreprises comme pour les instruments de dette, falaises implicites au système de notation du crédit par des agences spécialisées, enfin, les surprises que réservent les modèles financiers ne reposant pas sur une modélisation mathématique appropriée mais seulement sur une « norme industrielle standard », c’est–à–dire sur le consensus du monde de la finance.

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Une réponse à “Neuf mois plus tard : la crise du capitalisme américain”

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  1. AGI et ses magouilles c’est l’adolescence de l’humanité. Parents: accrochez vous. Ça va secouer.

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