Un des contes de Borgès s’appelle « Légende », il est très court : pas même une demi-page. Il raconte une rencontre entre Abel et Caïn. La scène se passe après le meurtre, la nuit autour d’un feu. L’un des frères dit à l’autre : « Je sais que l’un de nous est mort mais je ne sais plus qui de nous a tué l’autre » et l’autre lui répond : « Oui : oublier, c’est pardonner ». Ils n’ont pas oublié le meurtre bien entendu, seulement qui, des deux frères, fut le meurtrier et qui la victime.
Ma mère n’a jamais voulu parler de la fin de ses oncles et tantes, morts dans des camps. C’est moi, adolescent, qui ai voulu savoir, voulu combler le silence. J’ai découvert alors des noms comme Sobibor ou Bergen–Belsen et l’horreur qu’ils récèlent. Je parle de ces choses avec mes enfants, comme avec Charlotte, l’année dernière à San Francisco. Il ne faut pas que ces événements s’oublient. Ce que j’espère seulement, c’est que quand j’en parle, mes mots ressemblent à ceux des deux frères : « Ces choses indicibles ont eu lieu mais je ne sais plus si elles nous arrivèrent à nous, ou si nous les avons infligées à d’autres ».
Une réponse à “Abel et Caïn”
« oublies »: oblata, « offrande, hostie », patisserie légère (moyen Age) se vendait dans les églises. Ces gaufrettes étaient coloriées et ornées de signes religieux.