Le plaisir de la femme est replié sur lui-même, elle y coule devant moi, elle s’enfonce d’abord petit à petit, puis chavire et disparaît rapidement vers le fond : « Mets ton habit, scaphandrier », et l’homme la perd de vue, et la seule chose qu’il puisse faire, c’est observer le corps qui est resté étendu là tandis que l’âme a disparu, absorbée dans un trou noir, dont on sait que de la lumière y est contenue mais sans qu’elle puisse jamais s’en échapper. Tant que la femme est seule avec son plaisir, l’homme la protège. Dans le film « The Matrix », un héros imagine vaquer à ses occupations dans le monde virtuel qu’il croit authentique, alors que dans l’univers réel, son corps dont les yeux sont clos, est agité comme en proie au plaisir, tandis que son amante veille sur lui.
Le plaisir de la femme est au centre. Et comme c’est vers ce centre que son regard converge, ses yeux sont nécessairement fermés. Les yeux de l’homme tentent de la retrouver là où elle s’est retirée : ils fouillent le centre de la femme où sa jouissance et elle ont pris rendez-vous. Et de ses yeux ouverts l’homme fixe ces yeux fermés tout proches de son propre visage. Et au-delà de l’ourlet des lèvres gonflées, par la bouche entrouverte, il entrevoit le centre, et provenant de ce centre, il entend le chant rauque et modulé des soufflets de la forge de Vulcain.
C’est là le coeur de la relation entre les hommes et les femmes : la jouissance que l’un et l’autre tirent précisément de cet objet qu’on imaginerait « abstrait » et qui est le rapport qui existe entre eux. On a utilisé les termes « actif » et « passif », pour évoquer ceci. Mais ces termes n’ont aucun rapport avec ce dont il s’agit : d’une capture, interne pour la femme et externe pour l’homme, car son centre qui captive la femme est au sein d’elle-même tandis que pour l’homme, qu’il captive également, il est à l’extérieur de lui-même.
La femme aime son plaisir parce qu’elle peut s’y perdre, mais elle veut aussi s’y soustraire et pour la même raison : parce qu’elle craint de s’y perdre. Le désir de l’homme c’est qu’elle y reste : c’est lui l’allié de l’une de ces deux tensions contradictoires qui déchirent le corps de la femme. Elle peut, en se concentrant, échapper à l’orgasme en s’ébrouant comme un chien trempé par l’averse. L’homme au contraire aime l’observer prisonnière de sa jouissance et il va tenter de l’y maintenir. Il la sait en sûreté, parce qu’il surveille le monde aussi longtemps qu’elle s’y trouve ; ce dont elle doute, ne faisant confiance en cette matière – la chose est bien connue – ni à lui ni à elle-même. Du coup, il cherche à l’immobiliser pour qu’elle s’y livre toute entière, privée du pouvoir de s’y arracher en se débattant. Le plus militant, le plus prosaïque, ne se contente pas de la métaphore, il l’entrave littéralement, et pour ce faire, il se procure des cordes.
Toutes les femmes ne sont pas réconciliées avec le périple intérieur, intestin, de leur jouissance. L’homme le sait, parce qu’au tréfonds de celles qui ne le sont pas, il fait froid, et ce froid glace le coeur de celui qui, s’il avait fait preuve de quelqu’intelligence, n’aurait jamais dû pénétrer jusque-là.
C’est bien à la quatrième blessure narcissique infligée à l’humanité à laquelle nous assistons. – Blessure copernicienne (la terre n’est…