Dans la tribune du Monde : L’économie a besoin d’une authentique constitution, j’ai réutilisé une idée que j’avais déjà évoquée dans Les tâches et les responsabilités qui sont aujourd’hui les nôtres : celle de l’économie comme un processus semblable à ceux que l’on rencontre dans la nature laissée à elle-même, et donc bien different de ceux qui caractérisent les institutions qui furent à proprement parler inventées par les hommes, comme les systèmes politiques et, en particulier, comme la démocratie.
J’ai voulu alors préciser que les cycles qui caractérisent l’économie capitaliste se recontrent déjà dans la nature et qu’on les trouve en particulier dans les interactions entre une population de proies et une population de prédateurs. Bien que je ne l’aie pas fait dans Les tâches et les responsabilités qui sont aujourd’hui les nôtres, ce rapprochement n’est cependant pas nouveau pour moi : il date de mon premier poste dans le monde financier quand, travaillant avec Jean-François Casanova à la Banque de l’Union Européenne à Paris en 1990, j’avais mis au point un système automatique de vente et d’achat de contrats futures – d’un assez bon rendement d’ailleurs – fondé sur le modèle de Lotka-Volterra qui rend compte précisément des fluctuations de populations d’un écosystème contenant deux espèces : l’une de proies et l’autre de prédateurs. L’idée m’était venue du fait que le prix se constitue à la frontière où interagissent là aussi deux types d’acteurs dont le nombre fluctue : les acheteurs et les vendeurs.
Didier Sornette, l’auteur de Why Stock Markets Crash : Critical Events in Complex Financial Systems, Princeton University Press (2004), que j’avais eu l’occasion de rencontrer à l’époque où il habitait Los Angeles, me fait remarquer que si les cycles caractérisent bien le chiffre de population quand un très petit nombre d’espèces de proies interagit avec un très petit nombre d’espèces de prédateurs, des systèmes équilibrés se créent dès que le nombre d’espèces en présence est plus élevé. Et il se pose la question « Est–ce que les cycles économiques et financiers résultent de la faible diversité des acteurs en présence ? » Si c’était le cas, la question qui se poserait alors serait celle-ci : suffirait-il d’introduire d’autres espèces – en plus des acheteurs et des vendeurs – pour déboucher sur un système économique plus équilibré ? Concours : que pourraient-elles bien être ?
3 réponses à “Proies et prédateurs”
Dans la nature on est forcément proie ou prédateur, je ne crois pas qu’il y ait d’autres alternatives. Quoique : entre la poule et le renard, l’homme a pourtant inventé un tiers différent : l’éleveur. Mais si en économie l’éleveur est l’allégorie du planificateur, alors ce n’est pas une solution sauf à croire que le marché est inutile car que la planification peut lui être bien supérieure. Mais c’est actuellement une opinion bien minoritaire.
Si les écosystèmes simples sont chaotiques et les réseaux trophiques complexes sont stables, et que l’on essaie de transposer à l’économie ce modèle, je ne pense pas que cela signifie qu’il faille inventer de nouveaux tiers autres que l’acheteur et que le vendeur. Mais tout simplement que tous les vendeurs et que tous les acheteurs ne puissent pas vendre et acheter n’importe quel bien. Par exemple dans la nature si le renard mange la poule qui mange l’asticot qui mange les cadavres de renards on ne verra jamais de poule manger de renard ou de renards des asticots. Or en économie celui qui achète des actions peut aussi acheter des voitures et vendre des fruits,… Donc si on cherche la stabilité du système économique en prenant comme modèle les réseaux trophiques complexes, cela veut dire que l’acteur alpha achète un bien A et vend un bien B, un autre acteur béta achète du B et vend du C et enfin un troisième acteur gamma achète du C et vend du A. Et chacun de ces trois acteurs ne peut acheter ou vendre d’autres biens.
Concrètement cela peut signifier que les acteurs qui achètent des biens et des services ne peuvent vendre des crédits, que ceux qui vendent des crédits ne peuvent créer de l’argent ex nihilo, que la banque centrale ne peut que créer de l’argent mais pas vendre de crédits ni acheter de biens et de services,… que les agences de notations ne doivent pas être payées par les banques, que les juges ne doivent pas être payés par aucune des parties d’un procès,… Bref on retrouve des principes simples et évidents mais que la dérèglementation des marchés a abrogés car ils avaient l’intolérable inconvénient de protéger les faibles et de responsabiliser les forts.
L’organisation bien réglée d’une chaîne trophique, même complexe, semble néanmoins receler un ordre hiérarchique…
Laurent fait toutefois remarquer qu’une forme de variété existe déjà de par la multiplicité des produits sur lesquels peut se répartir l’appétit compétitif. Toutefois, nous remarquons bien que les problèmes arrivent lorsqu’une exponentielle « de désirs désirés » s’emballe positivement ou négativement autour d’un type de produit.
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Je serais ravi d’entamer un dialogue « général », sur le blog de Jorion, mais à quel niveau faut-il placer l’intérêt général ?
Est-ce au niveau de la survie d’une société particulière ?
Au niveau de l’espèce humaine, mais sous d’autres formes de société ?
Au niveau de la survie de la vie sur terre en général, sans se préoccuper de l’espèce humaine ?
Au niveau de l’idée de vie dans le cosmos ( « la nature prenant conscience d’elle-même « ), considérant que l’expérience, ici, est ratée et que les leçons de cet essai manqué mérite désormais tous nos efforts pour être diffusées vers d’autres tentatives galactiques pour d’autres civilisations à venir ?
Pourquoi pas, ce but n’est-il pas noble et de nature à mobiliser deux ou trois générations déjà condamnées ?
Vraiment, je n’ai pas de préjugés sur le niveau aujourd’hui pertinent, simplement, sans rire, je m’interroge, aux quatre niveaux, nécessairement !
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Si je comprends bien l’idée de Jorion, en mettant en pratique la loi de la « variété nécessaire « , il rechercherait le moyen de couper court aux emballements en évitant les manières fortes comme l’application après coup d’une politique monétaire, une règle morale, ou juridique,… le plan, etc.
L’idée serait de construire un mode d’organisation des acteurs qui, une fois institué, régulerait « naturellement » des les « runaways »; sans que l’on ait plus à y penser en quelque sorte…
Je ne sais pas trop s’il y aurait moyen de faire intervenir automatiquement et systématiquement l’intérêt général dans la formation des prix des transactions, mais peut-être peut-on envisager quelque chose pour une classe de produits sensibles.
Si l’image suivante vaut quelque chose, nous pouvons visualiser un runaway comme un puits de potentiel entraînant une trop grande part de d’énergie et vidant le reste du réseau de celle nécessaire à son fonctionnement ?
S’il était possible d’établir une sorte de mesure du risque de déséquilibre, il serait alors envisageable d’associer au prix d’une transaction la face inverse d’une monnaie, laquelle afficherait une « prime de risque collectif », laquelle devrait être prise en charge par les acteurs de la transaction et serait versée à un fond universel de solidarité (il est tard, je rêve déjà). Une transaction liée à une espérance de gain hors normes serait ainsi taxée anticipative ment. Inversement, je ne vois pas très bien comment réagir à l’excès d’inaction par manque de rentabilité, et sur quelles bases soutenir…
la bonne volonté…
Messieurs,
actuellement en classes préparatoires scientifiques, j’effectue un travail sur les équations de Lotka-Volterra, et plus particulièrement sur leurs applications hors de la biologie, comme c’est le cas ici.
C’est pouquoi, j’aurais souhaité connaitre la nature exacte de ce qui joue le rôle de la proie et celui du prédateur (les volumes d’achats/ventes?Le nombre d’acheteurs/vendeurs?), et si possible, les coefficients complémentaires utilisés dans le cas d’équations plus complexes.
Je vous remercie par avance pour le temps que vous pourrez me consacrer.