Qu’est-ce que penser ?

Il y a à première vue deux types de penser distincts : l’« association libre » et le « calcul ». L’« association libre » caractériserait le fonctionnement de cerveau en roue libre, le « calcul », son fonctionnement dirigé.

1. Dans l’« association libre », c’est la configuration du réseau de nos éléments de mémoire, de nos traces mnésiques, qui détermine comment la pensée se constitue dans ses séquences. Le rêve parcourt sans contraintes le réseau des traces mnésiques connectées dans notre cerveau. L’émotion, qui dans la veille inhibe certains parcours possibles, est ici déconnectée : il n’y a pas dans le rêve de « dynamique d’affect » qui dirigerait la pensée.

2. Dans le « calcul », il y a enchaînement – apparemment contrôlé par la conscience – des étapes successives d’une procédure suivie systématiquement. Dans ce cas–ci, un espace de représentation se met d’abord en place, ensuite des images y sont mises en scène, celles-ci sont finalement manipulées selon les enchaînements imposés par la procédure suivie.

Dans la veille, l’affect canalise, décide à certaines bifurcations de diriger le train de pensées vers tel branchement plutôt que vers tel autre en fonction de l’urgence ressentie. Il joue un rôle identique à celui d’un gradient, tout comme avec une rivière qui descend vers la mer parce qu’il existe un gradient, une pente, parce que l’eau qui la constitue suit la courbe de la pente la plus raide jusqu’à atteindre le niveau de la mer. C’est un effet de la gravité : le centre de la terre joue le rôle d’un attracteur (que l’on appelle aussi en physique un « puits de potentiel »). Dans la pensée, l’intention ou le souci jouent le même rôle que la gravité dans le cas de la rivière qui s’écoule vers la mer. Je m’explique.

1. Le « souci » est un puits de potentiel auquel nous ne pouvons rien faire, il appelle l’« association libre » vers lui.

2. En réalité le « calcul » opère de la même manière : l’intention est aussi un
« souci » qui nous possède. Aussitôt que l’intention se présente, la vision du projet accompli agit comme un puits de potentiel. Celui-ci ne sera atteint que plus tard, mais il guide vers lui parce qu’il s’est créé au moment où l’intention est apparue. Si la procédure à suivre est déjà inscrite dans notre mémoire, c’est le gradient seul qui la guide. Sinon, nous consultons le manuel chaque fois que l’inquiétude (l’affect) nous prend quant à la suite correcte des opérations et interrompt notre effort.

3. Dans une conversation, on n’a pas le temps matériel d’« avoir l’intention de dire » tout ce que l’on dit rffevtivement « emporté par son élan » : une fois lancée sur sa pente, la parole se poursuit jusqu’à extinction, jusqu’à ce que le gradient d’affect vienne mourir dans un puits de potentiel. C’est le discours de l’autre qui, mettant mon affect en émoi, relance le processus, à savoir recrée un nouveau gradient.

4. On s’entend parler quand on parle, mais on s’entend parler aussi bien quand on pense ou quand on lit. Si ce que l’on dit, on n’a jamais eu
« l’intention de le dire », alors ce que l’on dit, on le découvre seulement au moment où on se l’entend dire. Et ce que nous disons met notre affect en émoi au même titre que ce que l’on entend dire par autrui.

5. Notre parole (aussi bien intérieure qu’extérieure), au moment où nous l’entendons, modifie notre affect alors même que notre discours est en train de se dérouler. Il y a rétroaction (feedback), effet en boucle, et la dynamique se réalimente avec un retard qui est le temps qui se passe entre le moment où je « me l’entends dire » et le moment où cela « met mon affect en émoi ».

La cause efficiente chez Aristote est la manière dont nous nous représentons spontanément la pensée, avec une intention comme son point de départ. Au contraire, dans la perspective plus correcte du gradient, le « puits de
potentiel » s’assimile à la cause finale d’Aristote.

La logique d’Aristote (analytique et dialectique) est une modélisation de la dynamique de gradient telle qu’elle s’exerce sur la pensée. La logique formelle contemporaine est un modèle très partiel de la logique classique (aristotélicienne et scolastique), un objet algébrique très particulier de la famille des « treillis ».

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3 réponses à “Qu’est-ce que penser ?”

  1. Avatar de lizo lonh venance

    Selon moi, nous ne pouvons pas trouver une définition claire á la pnsée car celle-ci n’a pas de fin et même en se disant qu’on cherche á lui attribuer une définition, on se fait une pensée déja et lorsqu’on vie on pense toujours. de même, je peux dire que ceux qui sont déja morts pensent. aissi, je me demande pourquoi peut on se demander la definition de la philosophie? celle-ci est comme la philosophie qui n’s pas encore de définition dépuis des temps et pour moi,elle demeurera toujours san definition.
    Si nous arrivons á trouver une defionition á la philosophie, cela sera claire pour la penssée.
    lizo lonh venance en classe de secopnde c.

    1. Avatar de péne
      péne

      oui tu as parfaitement raison, mais t’aurais pu te faciliter la tache tout en disant qu’on ne peut conceptualiser ce mot et de ce fait il nous serait très difficile de le définir. la pensée est cette matière que l’on ne peut emprisonner, ni saisir…

  2. Avatar de coucou
    coucou

    Ces derniers mois, je replongeais plutôt dans les archives monétaires et économiques du blog, mais ce billet que je découvre est très intéressant.

    La logique aristotélicienne a certainement contribué à former cet objet oral totalement perdu aujourd’hui : la rhétorique.

    Je pense en particulier au « palais de la mémoire » tel que le définit La Rhétorique à Herennius.

    Quelle est la place de l’affect du locuteur dans un discours structuré comme cela ? Quelle est la part de ‘l’association libre » ? Et celle du « calcul » ?

    La dynamique du « lieu commun », du « topos », survit surtout de nos jours dans les slogans de masse : « n’écoute que toi », « change les choses » (céréales Crunch !) et autres « sois toi-même ». Cependant ce sont des lieux vides, passés et repassés, le topos dans son sens péjoratif..

    La crise présente peut nous ramener à la fois vers une économie plus saine, et vers un discours qui utilise de vrais mots, pas des signifiants dont les signifiés seraient enterrés depuis longtemps.

    Le malicieux Beckett notamment, avait senti le coup venir, en habillant le silence de ses pièces d’onomatopées, d’interjections, de répliques dérisoires, de gestes gratuits.

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