À l’occasion de la sortie de « Sicko », un documentaire consacré aux défaillances du système de santé américain par Michael Moore, le metteur en scène acclamé à Cannes en 2004 pour son « Fahrenheit 9/11 », une charge contre le Président Bush et sa décision d’envahir l’Irak, BusinessWeek publie cette semaine (*) une étude comparative entre les systèmes de santé français et américain, dont la France sort vainqueur haut la main. Classée au premier rang par l’OMS, la France domine les États–Unis qui n’arrivent que 37ème. Les raisons en sont simples : plus longue espérance de vie (deux ans de plus en France), taux de décès néo–natal plus favorable (à peine un peu plus de la moitié du chiffre américain), coût pour les familles (près de quatre fois moindre en France), et ainsi de suite.
Comme je le signalais dans l’entretien le 10 mai dernier avec les lecteurs de Télérama (« L’Amérique étonnera le monde par sa nouvelle ouverture »), où je répondais négativement à une question qui m’était posée sur une éventuelle dérive totalitaire des États–Unis, l’Amérique est avant tout pragmatique et quand les choses vont mal, elle se pose des questions, d’où le titre donné par Télérama à notre entretien, à partir d’une phrase que j’avais prononcée. Et comme en ce moment ça ne va pas du tout (politique étrangère dans l’impasse, misère du système financier, système de santé boiteux, incapacité à mettre en place une nouvelle législation sur l’immigration), l’Amérique va se montrer particulièrement ouverte et généreuse.
Ceci dit, les Américains sont très sensibles à toute critique de la manière dont les choses se passent chez eux. S’il vous arrivait de suggérer par exemple qu’une démocratie authentique a éliminé la peine de mort, ne possède pas une population carcérale constituée essentiellement des représentants de ses minorités ethniques, ou interdit que l’argent à la disposition d’un candidat soit l’élément déterminant dans le résultat d’une élection, c’est que, tout simplement, vous ne comprenez pas le sens des mots. Si vous insistez, on vous réprimandera : c’est un Français, de Tocqueville, qui a écrit que les deux mots « Amérique » et « démocratie » sont synonymes. « Vous êtes français vous-même (**), c’est une chose que vous devriez savoir ! »
J’ai connu Kate, en 1998, peu de temps après mon arrivée aux États–Unis, à l’époque où j’habitais Laguna Beach en Californie méridionale. C’est Kate qui m’a offert la faïence qui m’a permis l’année suivante de m’installer à Pasadena. L’immigrant n’est rien sans ce genre de courte-échelle. Elle nous a un jour persuadés, Brenda et moi (l’immigrant n’est rien non plus sans la tendresse d’une petite amie) de l’accompagner à un Pow-Wow à Big Bear, un lac dans la montagne, à une heure et demie de route de Los Angeles. Une Amérindienne (pas une jeunesse : une femme de mon âge) m’avait repéré dans la foule et m’a invité à participer à la danse rituelle. On trouve également des photos de moi me trémoussant dans des villages reculés de l’Afrique Occidentale où la foule scande et se tord de rire de voir le Yovo (le Blanc) qui « sait danser comme nous » – ou surtout « ose danser comme nous ». Et pendant qu’on roulait, Kate nous racontait son séjour en Afrique du Sud, à l’époque de l’apartheid. Et elle décrivait en particulier une scène à laquelle elle avait assisté dans un bureau où on délivrait ce qui devait être des cartes d’identité permettant de se déplacer d’une région à l’autre du pays. Et à cette évocation, Kate était émue et revivait son indignation. Moi, qui depuis un an passait sous les fourches caudines de l’immigration américaine, qui faisait la queue, avec à chaque fois à mes côtés, mille familles mexicaines, tous en files interminables sous le soleil californien, voire à des moments de la journée qui ne sont pas des heures de Chrétien, je savais qu’il n’était pas nécessaire d’aller aussi loin que l’Afrique du Sud pour assister à des scènes semblables, ni surtout, leçon inestimable pour en être l’un des acteurs, que ce genre de traitement pas très humain des personnes n’a pas nécessairement lieu à des milliers de kilomètres de chez soi.
Une telle ignorance du fonctionnement ordinaire de sa propre société (comme dans l’expression « fascisme ordinaire ») n’est évidemment pas réservée aux seuls Américains.
(*) BusinessWeek, 9 et 16 juillet 2007.
(**) Confusion née de la distance.
@konrad, Pascal, Khanard et les amis de PJ ”Mango est là. Rentrons à la maison, vite vite » 😂