Qui sont les emprunteurs « sous–prime » ?

Quand je parle des prêts hypothécaires du secteur immobilier que les Américains appellent « sous-prime » (subprime), aussi bien dans mes blogs que dans « Vers la crise du capitalisme américain ? », je décris la population qui souscrit à de tels emprunts comme celle de « ménages aux revenus modestes » et j’ajoute souvent qu’il s’agit de familles qui ne disposent pas de moyens financiers suffisants pour s’acheter un logement. J’ai également précisé quelquefois que ces ménages appartiennent à la moitié de la population qui se partagent quelques maigres 2,8 % du patrimoine national américain.

Il s’agit là d’autant de manières de définir le secteur « sous–prime » au sein du contexte économique. Ceci dit, ce n’est pas là du tout la manière dont les Américains eux–mêmes s’expriment à ce sujet. Ils caractérisent le secteur comme celui de « households with blemished [tarnished] credit » ou encore
« with imperfect credit », c’est–à–dire au crédit « compromis » ou
« imparfait ». Ce dont il est donc question pour eux, c’est de l’histoire personnelle d’un individu et de la manière dont il a géré et dont il gère les dettes qu’il a contractées. Il n’est plus question de familles ou de ménages mais d’un individu et de l’inclinaison qui est la sienne à honorer ses engagements financiers. Un retard de paiement, une dette impayée, une déclaration de faillite personnelle, autant de facteurs objectifs qui déterminent un profil de crédit personnel comme « sous–prime » ; il est « prime » lorsqu’ il est au contraire impeccable.

Autrement dit, j’adopte une perspective sociologique et l’Américain, une perspective que je qualifierais de psycho–éthique, celle de la responsabilité individuelle. Pour moi, le consommateur « sous–prime » reflète en tant qu’acteur les propriétés globales d’un champ économique, pour eux, il s’agit d’une personne qui n’a pas eu la force de caractère de s’acquitter, en toute connaissance de cause et comme agent libre, des engagements financiers qu’il avait contractés au fil des années.

Ceci dit, le malentendu n’est pas total et l’Américain m’accordera que le particulier « sous–prime » n’est en général pas très riche, mais il insistera sur le fait que ce n’est pas là l’essentiel. Et précisément, pour utiliser la distinction aristotélicienne entre une propriété « accidentelle », qu’un individu d’une sorte particulière peut présenter ou non, et une propriété « essentielle », que tous les individus de cette sorte présentent nécessairement, la pauvreté de l’emprunteur « sous–prime » est pour l’Américain une propriété
« accidentelle » et pour moi une propriété « essentielle ».

Quand j’ai écrit plus haut que ma perspective est « sociologique », je m’apprêtais en réalité à écrire « économique » et ceci en raison du fait que quand j’ai appris l’économie à l’école, il allait de soi qu’une perspective
« économique » est automatiquement une perspective « sociologique ». Mais les choses ont changé, l’« individualisme méthodologique » en matière d’économie proposé par Schumpeter, von Hayek et von Mises, et adopté par les économistes américains (de l’Ecole de Chicago en particulier), a envahi les sciences économiques et a imposé l’idée que l’économie repose sur des comportements individuels et peut être légitimement analysée en termes de décisions, c’est–à–dire de responsabilité personnelle.

Or, ce postulat est faux et pour une raison très simple : les comportements collectifs relèvent souvent d’une logique propre, ce qu’on appelle en physique les « propriétés émergentes » des phénomènes complexes, qui ne s’assimile pas à la somme, ni même au produit, des comportements individuels. J’en offre un très bon exemple dans un texte récent, « Adam Smith’s Invisible Hand Revisited » (*), où je montre que la relative stabilité des prix sur les marchés boursiers est due à la loi des grands nombres, un principe purement statistique : au fait qu’en raison de la complexité du processus de formation des prix à la bourse, il existe toujours environ une moitié des agents présents sur les marchés qui se trompent quant à l’évolution future du prix, à la hausse ou à la baisse, et une autre moité qui a vu juste. L’analyse économique fondée sur l’« individualisme méthodologique » est obligée de fonder son explication de la formation de la cote sur deux certitudes motivant les décisions d’acheter ou de vendre : celle des 50 % d’entre eux qui ont raison et celle des 50 % restants qui ont tort et, confrontée à ce match nul affligeant, elle n’arrive, bien entendu, pas à conclure quoi que ce soit.

(*) Adam Smith’s ‘Invisible Hand’ Revisited. An Agent-Based Simulation of the New York Stock Exchange, Proceedings of the First World Congress on Social Simulation, Kyoto, Vol.1 : 247-254 ; également sur mon site internet.

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Une réponse à “Qui sont les emprunteurs « sous–prime » ?”

  1. Avatar de JLS
    JLS

    Quel est le pourcentage de sous-prime par rapport au secteur Prime ?
    JLS

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  1. Hé ! Hé ! Cher Paul, vous nous avez tous calés, vous avez gagné la première Manche !

  2. Je dis au moment-même qu’il s’agit probablement de schiste, recherche faite, il s’agirait plutôt d’annite (une roche dont honnêtement j’ignorais…

  3. Là vous parlez d’il y a 45 ans ! Beaucoup d’eau a passé sous les ponts … Non, c’est ailleurs…

  4. A première vue des roches de schiste, ainsi que granitique, je dirais que nous sommes plutôt dans le Finistère. Constatant…

  5. Suite du même. A la deuxième vue, les arbres de terre ferme, pas du tout torturés par le vent, excluent…

  6. Marée basse. Petit coefficient (j’ai contrôlé sur l’annuaire, sinon j’aurais cru à un gros coefficient). J’hésite entre la Côte Sauvage…

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