Ma mère est morte en janvier 2003. Deux semaines plus tôt je l’avais vue pour la dernière fois, impuissante, dans sa chambre de réanimation à l’hôpital de Vannes. Et donc ce matin-là où j’ai appris la nouvelle, j’escaladais et je dégringolais les rues de San Francisco avec l’envie de prier, cette envie qui transcende dans ces moments-là le fait que l’on croie ou non en Dieu, que l’on aie une religion ou que l’on n’en aie point. Et je suis passé dans Columbus Street, devant la librairie City Lights.
Quand on connaît la boutique, on finit par s’y retrouver dans sa configuration labyrinthique. Au sous-sol, il y a la collection la plus complète que je connaisse d’ouvrages en anglais sur le bouddhisme et le taoïsme. Au premier étage, il y a une petite pièce, et cette petite pièce est deux choses à la fois : c’est la partie d’une librairie et c’est aussi un joli sanctuaire. Les livres sont disposés avec dévotion sur des présentoirs, comme des offrandes. Ce qui se comprend quand on sait que c’est Lawrence Ferlinghetti, le poète « beat », qui la fonda, il y a bien longtemps. Il y a des photographies, certaines de très grand format. Une en particulier, de Jack Kerouac et de Neal Cassady. Est-il dieu possible d’avoir l’air plus breton que Ti Jean Duluoz ? Et c’est là que j’ai pu prier, à ma manière.
Tout va bien, la forme c’est le vide et
le vide c’est la forme, et nous sommes ici pour toujours, sous
une forme ou sous une autre – qui est vide. Tout va
bien, nous ne sommes ni ici, ni là, ni où que ce soit d’ailleurs.
Tout va bien : tous les chats sont assoupis.
C’est Kerouac qui a écrit ces paroles du Bouddha à quelqu’un qui l’écoute, ce soutra.
Kerouac est mort en 1969 et il y a donc eu vingt-trois ans de l’histoire de cette planète au cours desquels j’aurais pu le rencontrer, comme j’ai rencontré Arthur Koestler, parce qu’Helena Wayne-Malinowska a voulu – comme l’on crée une oeuvre d’art – nous présenter un jour l’un à l’autre. Pour Kerouac, ça ne s’est pas fait : je ne l’ai jamais vu, je ne lui ai jamais parlé. Mais j’ai connu Jean Pouillon, François Debauche, Edmund Leach, Jacques Lacan. Il ne faut pas trop demander.
2 réponses à “Le sanctuaire”
« Tout va bien : tous les chats sont assoupis », et bien, que faire de ceux de Schrödinger ?
c’est comme la dette, elle est morte-vivante, souverainement.
C’est étrange ça !
Je clique au hasard dans le passé de …
Et revoici Karluss… et « les chats »…mais?
Qu’est ce qui se passe dans ce Lac ein?