La France s’apprête à voter. Pour qui voter ? Voter pour quoi ? Jacques Attali écrit « pour l’identité nationale ». Mais c’est quoi l’identité nationale ? Cela m’a rappelé le dernier paragraphe d’un récit inédit que j’avais intitulé « Dix–sept portraits de femmes ». C’est de moi, Paul Jorion, que parle le narrateur.
Il ne s’agit peut–être pas de l’identité nationale, en tout cas, de l’identité culturelle :
« Tout ce que je viens de dire est sans doute bien vu, quant à son caractère et quant à ses motifs, mais cela prouve-t-il pour autant que ce soient là les raisons pour lesquelles il raconte son histoire ? Moi qui le fréquente, je sais qu’il a connu des périodes très semblables dans sa vie et qu’il écrivait sans doute aussi à ces époques, mais rien qui ait un rapport avec ce qu’on trouve ici : c’étaient des mathématiques appliquées, de l’économie, ou de la philosophie. Alors pourquoi cette fois-ci son histoire à lui ? Il a perdu sa femme, et c’est de cela qu’il nous parle. Et qu’est-ce qu’il faisait avec sa femme à Los Angeles et puis à San Francisco ? Vous voyez, vous n’avez pas compris ! Avec sa femme, il parlait français. Et maintenant il est seul. Et comme Robinson Crusoë sur son île, qui s’écoute parler pour ne pas oublier ce que les mots veulent dire, ou comme les héros de « Fahrenheit 451 », qui ont appris un livre par coeur et se le répètent, il couche sur le papier des phrases en français, une par une, alors il les relit et il les trouve moches, bancales, gauches, et il les reconstruit patiemment, mot après mot. Parce que c’est ça qui compte pour lui en ce moment, pas ses espoirs ou ses petites misères : c’est écrire des phrases dont il se sente obligé de « bien les écrire », en français, pour ne pas perdre la langue qui est la sienne » (San Francisco, 2003)
Une réponse à “L’identité nationale”
– … et vous avez fait quoi pendant la guerre, Monsieur Joyce ?
– J’ai écrit Ulysse, et vous ?