Dans « Vers la crise du capitalisme américain ? » j’évoque longuement Fannie Mae et Freddie Mac, les Government Sponsored Entities (*) américaines (GSE). J’explique comment ces organismes de promotion du prêt au logement furent créés par l’État fédéral, pour être ensuite privatisés – du moins partiellement. Au fil des années, elles se sont constitué chacune un portefeuille gigantesque de Mortgage–Backed Securities (MBS), des titres constitués en agrégeant sous forme d’une obligation unique quelques milliers de prêts au logement individuels. Le marché des MBS représente désormais des sommes considérables (5,2 mille milliards de dollars), dépassant celui des Treasuries, les obligations d’état américaines (4,9 mille milliards de dollars).
Ces GSE, tiraillées aujourd’hui entre les directives de leur père biologique, l’État, et leurs multiples petits maîtres contemporains, leurs actionnaires, se sont transformées en mastodontes qui bénéficient – par leur naissance – de taux financiers privilégiés, et visent à l’hégémonie économique – du fait de leur finalité d’entreprise à but lucratif. L’accumulation, par deux organismes au statut ambigu, d’une part considérable d’un marché financier énorme, constitue désormais un risque systémique, lequel est encore aggravé par le fait que, pour des raisons historiques, les GSE ne sont astreintes qu’à la constitution de provisions moindres que celles des autres établissements financiers (3,5 % contre 6 à 8 %) et qu’aucun scénario de redressement judiciaire n’est prévu au cas où elles seraient acculées à la faillite.
Les commentateurs américains réclament depuis des années que le processus de privatisation des GSE soit conduit à son terme afin que soient levées ces ambiguïtés. Jusqu’à mardi dernier j’étais, à ma connaissance, seul contre tous quand je prônais dans « Vers la crise du capitalisme américain ? » (p. 248) que le processus de privatisation soit au contraire renversé et que l’on renationalise Fannie Mae et Freddie Mac. Or, j’ai reçu au cours de la semaine écoulée, un renfort tout à fait inattendu : Ben S. Bernanke, le successeur d’Alan Greenspan à la présidence du conseil des gouverneurs de la Federal Reserve, la Banque Centrale américaine, qui, dans un discours intitulé « Les avoirs des GSE, risque systémique et logement à prix accessible », réclame justement cela !
Nos analyses diffèrent sans doute et je préfère – en toute modestie – la mienne, pour la raison essentielle que l’Américain, toujours tenté de confondre les États–Unis avec la planète tout entière, ignore en général ce qui se passe ailleurs, alors que l’Européen, obligé en permanence de se comparer à l’Amérique et à ses propres voisins, est davantage conscient de l’existence d’alternatives institutionnelles.
N’accordant aucune chance d’être entendue à ma propre proposition, je la qualifiais d’« anathème » dans le contexte américain ; toutefois, soucieux d’assurer mes arrières, je mentionnais qu’« on a[vait] vu en 1933, une Amérique tout aussi calviniste qu’aujourd’hui accepter avec reconnaissance le programme social–démocrate du New Deal » (pp. 244–245), je précisais encore que « rien n’oblige à penser que la réponse du gouvernement américain en cas de crise grave doive nécessairement faire partie de l’arsenal des solutions déjà connues » (p. 245). Je ne croyais pas si bien dire puisque Bernanke déclarait mardi que « le portefeuille des GSE devrait être subordonné à un objectif public clairement défini. Un objectif à vocation publique et au rendement mesurable permettrait d’assurer que ce soit la société dans son ensemble – et non les seuls actionnaires des GSE – qui récolte un profit substantiel en échange d’une acceptation du risque inhérent à de tels portefeuilles ». Cet objectif devrait être, selon lui, le marché du logement à un prix accessible, le seul, ajoutait–il, qui bénéficierait réellement d’une liquidité accrue sur le marché secondaire des capitaux, c’est–à–dire du fait que des collections de tels prêts soient titrisés sous forme de Mortgage–Backed Securities. Il ajoutait enfin que « la renaissance de la mission des GSE en matière de logement à un prix accessible pourrait stimuler le développement d’approches innovantes dans le domaine de l’évaluation et de la gestion du risque financier associé à de tels prêts ».
Voilà ! Encore faut–il, bien sûr, qu’il soit entendu, le poste qu’il occupe devrait cependant lui en offrir les moyens. Esprit du New Deal, es–tu là ?
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(*) Je vois souvent écrire aujourd’hui « Enterprises » au lieu d’« Entities » mais ceci semble être une interprétation récente, même si OFHEO, l’organisme de tutelle des GSE a également pris le parti d’« Enterprises ».
Mais c’est quand même se donner beaucoup de mal pour reproduire en moins bien ce qui existe déjà dans la…