1. Paul
Jorion dit :
25 septembre 2008 à 23:32
Etienne
Chouard a pris la peine de réunir en un « volume » tous les propos que nous
avons échangés ici sur le processus de création de la monnaie. Qui se porte
volontaire pour en faire autant avec ce que nous disons de la pensée chinoise ?
Introduction :
heureux qui comme Ulysse… |
|
Le rôle de l’individu et des
masses dans la régulation du trafic en chine populaire |
|
Chapitre
I : de l’Amérique à la Chine |
|
La Chine s’irrite de la dévaluation du dollar (from
Contre Info) |
Suite
de La Chine tire-t-elle les ficelles (de Carrere à Lou) |
|
Chapitre
II : Sur la pensée occidentale et la pensée chinoise |
|
Paul Jorion : rappel sur L’éthique
protestante et l’esprit du capitalisme |
Publié par Paul Jorion
dans Sociologie
à propos de son voyage en
Chine
Lorsque les feux sont rouges mais que les piétons en
attente constituent une masse suffisante, ils entreprennent soudain de
traverser, jugeant que l’amoncellement des cadavres finirait bien par stopper
l’automobile ou le bus qui s’aviserait d’exercer son bon droit.
Inversement, le piéton isolé qui traverse lorsque le
signal est vert pour lui et refuserait de laisser passe le véhicule qui annonce
sa détermination inébranlable en klaxonnant abondamment, serait immédiatement
massacré.
Alors que je menaçais du poing le taxi qui venait ainsi de
tenter de me renverser, une bonne dame s’adresse à moi en mauvais anglais et me
dit : « Si vous voulez un taxi, ce n’est pas la bonne manière : il faut vous
rendre à la station ! ». Je lui réponds « Non, non, vous ne m’avez pas compris
: je me contentais de le maudire ! »
Publié par Paul Jorion
dans Histoire,
Politique à propos de
son voyage en Chine
Armel m’avait dit à propos de la grande muraille de Chine,
« C’est raide ! » et j’avais répondu « Oui ». Il avait ajouté, suspectant que
je ne l’avais pas réellement entendu : « C’est très raide ! » et j’avais dit «
Oui, oui ! ». Mais il avait raison : je n’avais pas enregistré. Sans quoi je
n’aurais pas été sidéré en découvrant ce mur d’enceinte long de six mille
kilomètres, suivant avec une détermination inébranlable la ligne de crête d’un
massif montagneux. Quand la roche devient falaise, la muraille plonge à sa
suite sans tergiverser.
Il existe deux versions de la genèse de la grande muraille
de Chine. Selon l’une, Qin Shi Huang réunifia les sept royaumes combattants et
connecta entre elles, sur la frontière septentrionale, plusieurs enceintes
préexistantes. Dans la deuxième version, il y a bien plus longtemps, Xuandi
avait été un jour averti par le devin impérial qu’un enfant était né à
l’extérieur de l’empire, qui l’évincerait ; Xuandi avait aussitôt ordonné la
construction de la muraille.
La seconde version me semble bien plus vraisemblable : les peurs fantasmatiques
des hommes ont joué un rôle plus décisif dans leur histoire que leur évaluation
objective des dangers qui les menaçaient réellement.
Ce bulletin a été publié le Jeudi 5 avril 2007 03:07 et
est classé dans Histoire,
Politique
Vous pouvez suivre les réponses à ce bulletin avec le fil RSS 2.0. Vous pouvez aller à la fin et répondre. Les pings ne
sont pas admis.
2 réponses à “La grande
muraille de Chine”
1. Benoit et François dit :
Bonjour. Nous devons faire un exposé sur l’économie et le
tourisme de la grande muraille de Chine. Est ce que vous avez des informations,
ou des adresses pour en avoir, sur le sujet. Est ce que le merchandising est
développé? J’ai cru comprendre qu’il ni avait pas de magasins prés de la
muraille pour ne pas dénaturer le site! Est ce vrai? Est ce que vous connaisez
une aproximation des chiffre d’affaire qu’elle engendre?
Cela serait gentil de votre part si vous pouviez nous éclairer sur le sujet.
Merci d’avance.
2. Paul Jorion dit :
Non, malheureusement je ne sais pas grand-chose quant à
l’exploitation commerciale de la muraille. Nous l’avons parcourue au nord de
Pekin sur une distance d’un kilomètre environ. Comme vous pouvez le voir sur
les photos, la région est très escarpée. Mon fils qui s’était rendu en Chine en
2004 m’a décrit le bout qu’il a lui visité qui était manifestement différent
mais sinon très semblable. A l’endroit où le car nous a déposé il y avait pas
mal de boutiques de souvenirs, de même à certains endroits en contrebas de la
muraille – sans que cela ne défigure le site. Le fait que le merchandising soit
limité ne nous a pas frappé : la densité de commerces m’a semblé sensiblement
la même que ce que j’aurais pu observer un peu partout dans le monde.
Publié par Paul Jorion
dans Anthropologie,
Philosophie,
Philosophie des sciences, Questions essentielles
Notre pensée occidentale est fondée sur le principe que
l’identité est ancrée à une substance. Bien que la forme ait changé au fil des
années, la continuité de la substance garantit que ce bébé sur la photo, c’est
déjà moi ! Héraclite a dénoncé notre manque de rigueur sur ce plan : nous
croyons nous attacher à la substance,
alors que nous n’avons d’yeux que pour la forme
: on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, nous lui conservons son
nom en fonction de sa forme alors que sa substance n’en finit pas de se
précipite vers la mer.
Dans la pensée traditionnelle chinoise, la chose – dont le
caractère qui la représente dans la langue est l’un des attributs – est un principe qui existe indépendamment des
substances et des formes sous lesquelles il se manifeste. Ainsi le même
principe apparaît comme rat des champs en hiver et comme alouette dès que
revient le printemps. Nous, Occidentaux, lisons dans le changement de forme
d’un même principe (1), une métamorphose cyclique : Van der Meersch observe à
propos de la divination chinoise :
« Cependant, alors que le sept était considéré comme le
principe mâle jeune, ne pouvant que se développer jusqu’à neuf, neuf était
considéré comme le principe mâle vieilli, prêt à se muer dans le principe
femelle huit. De même, huit était considéré comme le principe femelle jeune, ne
pouvant que se concentrer jusqu’à six, alors que six était considéré comme le
principe femelle vieilli, prêt à se muer dans le principe mâle sept ». (2)
Su Tung-po (dynastie Sung, correspondant à notre Haut
Moyen Age) écrivait
« Montagne, rocher, bambou, arbre, rides sur l’eau, brumes
et nuages, toutes ces choses de la nature n’ont pas de forme fixe ; en
revanche, elles ont chacune une ligne interne constante. C’est cela qui doit
guider l’esprit du peintre » (3).
Quand nous voulons exprimer les choses selon la conception
chinoise nous devons recourir au partitif
(4): « Il y a du printemps dans l’air », disons–nous, alors que le
calendrier n’affiche encore que le 12 mars mais que le principe de la «
printanéité » s’est manifesté prématurément.
Les principes peuvent se combiner : quand « du cheval »
rencontre « du blanc », nous avons « du cheval blanc ». Quand « du cheval »
rencontre « du bœuf », nous avons « de l’animal de trait ». Le fameux
philosophe Koung–soun Loung (il naît quelques années avant la mort d’Aristote)
avait proposé le paradoxe « Un cheval blanc n’est pas un cheval », plus évident
sous la forme du chinois archaïque : « du cheval du blanc n’est pas du cheval
». Ce qui va de soi puisque deux principes sont nécessairement davantage qu’un
seul.
Ses adversaires faisaient prévaloir une distinction que
Koung–soun Loung ignorait : celle qui sépare les principes pénétrables et impénétrables : quand un « pénétrable »
comme la blancheur rencontre un « impénétrable » comme l’équinité, affirmaient–ils on n’obtient
pas davantage, contrairement à ce qui s’observe lorsque les deux principes sont
impénétrables, comme avec cheval–bœuf. Ils se trompaient bien entendu : le
principe de l’animal de trait ne combine pas l’équinité et la bovinité
selon leur union
comme s’exprime la théorie des ensembles, additionnant l’ensemble des chevaux à
celui des bœufs, mais selon leur intersection
: là où la blancheur intersecte l’équinité,
nous avons « du cheval blanc », là où l’équinité
rencontre la bovinité, nous
trouvons le principe de l’animal de trait.
Koung–soun Loung avait raison : « Le cheval blanc
(chinois) n’est pas un cheval », il combine effectivement deux principes et est donc davantage que le
simple cheval – le fait que les chevaux blancs soient moins nombreux que les
chevaux est une considération d’un autre ordre : une question d’extension, ce n’est pas une
considération de principes.
———–
(1) J’en parle plus longuement dans « Typologie
des savoirs et transmission informatique », in D. Chevallier (ed.), Savoir faire et pouvoir transmettre,
Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1991: 169-187 ; également sur ma page
Internet.
(2) van der Meersch, L., « De la tortue à l’achillée », in
Divination et Rationalité, Le
Seuil, Paris, 1974 : 29-51
(3) Cheng, F., Vide
et plein, le langage pictural chinois, Le Seuil, Paris, 1979 :
44-45
(4) Cette découverte essentielle est due à Chad Hansen,
voir Language and Logic in Ancient China,
Ann Arbor : The University of Michigan Press, 1983
08 Avril 2007
Publié
par Paul Jorion
dans Economie à propos de son voyage en Chine
Lors de la visite guidée de la Cité Interdite, la guide
nous avait dit : « Ne vous laissez pas avoir : si on vous dit un prix, répondez
‘Tài quélà !’, ‘C’est trop cher !’, et offrez un dixième de la somme qu’on
exige de vous’ ».
Au marché aux antiquités Panjiayuan à Pékin, la marchande demande 800 yuan pour
quatre tasses de porcelaine jaune, Adriana suit le conseil de la guide et fixe
sa première offre à 100 yuan, pas loin donc du dixième de la somme demandée. La
marchande signifie qu’on souhaite sa mort en faisant le geste de se couper le cou.
Elle se baisse alors et mettant la main au niveau du sol, d’un geste rapide, la
remonte d’une vingtaine de centimètres pour ensuite pointer l’index vers
Adriana, puis, retournant le doigt vers elle–même, elle abaisse rapidement la
main, indiquant qu’elle répondra par une ristourne supplémentaire à toute
meilleure offre.
Le premier rabais est de100 yuan et Adriana augmentera
alors à chaque étape du marchandage la somme qu’elle offre de 10 yuan.
Il y a quelques jours, dans la même situation, je m’étais dit
que payer la moitié de ce qui vous est demandé ne peut en aucun cas être une
mauvaise affaire et j’avais offert initialement environ 40 % de la somme
demandée. Le marché s’était bien entendu rapidement conclu pas loin de la
moitié.
Dans le cas des quatre tasses jaunes, après forces
mimiques de part et d’autre, départs feints d’Adriana, poursuivie alors par la
marchande qui frappe véhémentement du doigt sa calculatrice où est indiqué le
montant nouvellement réduit, le prix de l’offre et celui de la demande se
rencontrèrent inéluctablement au bout de six échanges aux alentours de 200
yuan, 180 précisément, soit 22,5% de la somme exigée initialement. La rencontre
s’était faite bien entendu par la seule vertu de l’arithmétique.
Un gars arrive, il désigne un objet et demande à la femme,
« Combien ? », elle répond 200. Il en sort 30 de sa poche, qu’il lui glisse
dans le creux de l’aisselle et s’en va. Elle ne dit mot et donc consent. Soit
15 % de la somme exigée, Adriana s’est fait avoir.
15 AOUT 2008
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Histoire,
Politique
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
(photo)
Certaines images de feux d’artifice ont été dédoublées et
les petits Chinois représentant les différents peuples de la Chine
appartenaient tous à la majorité Han. Mieux encore : l’une des petites chantait
en réalité en play-back, la vraie chanteuse étant moins jolie que celle qui
avait été choisie pour la représenter. Aucun ambassadeur n’a encore été
rappelé, mais la colère n’en gronde pas moins.
La raison de tant d’indignation : le manque de sincérité
qui sous-tend ces efforts minuscules de représenter la réalité sous une forme
améliorée. S’ils mentent sur les détails, peut-on alors les croire sur l’image
globale qu’ils s’efforcent de créer ? Ou est la vérité ? Où est la propagande ?
J’ai connu à Bruxelles à la fin des années soixante, une
vieille dame de 107 ans, supporter enthousiaste de la révolution culturelle
chinoise. Ouvrant des magazines au réalisme socialiste indéfectible, elle me
prenait à témoin: “Et ça !”, s’exclamait-elle, en me montrant l’image d’une
dizaine de tracteurs d’un modèle désuet.
(photo)
On n’en est plus là
! L’année dernière nous avons passé deux semaines à Pékin et à Shanghai et nous riions en
entendant à la veille de l’ouverture des Jeux Olympiques, des reporters
américains s’interroger : y a-t-il des automobiles à Pékin ? Serons-nous suivis
dans la rue ? Pourrons-nous nous rendre dans une autre ville si nous le
souhaitons ?
Nous nous sommes bien sûr promenés à Pékin et à Shanghai comme nous l’aurions
fait à Paris ou à San Francisco. Certains des restaurants
où nous avons passé la soirée sont parmi les meilleurs où nous ayons mangé.
J’ai constamment dû faire attention de ne
pas me faire renverser par les voitures dans les rues de Pékin.
Oui mais les droits de l’homme et le Tibet ? Les droits de
l’homme sont essentiels et les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes.
Ceci dit, le Tibet appartient de temps immémoriaux aux marches de la Chine
comme la Mongole Intérieure ou la Mandchourie : quand elle est affaiblie, elle
les perd par la force, quand elle devient plus forte elle les réintroduit par
la force dans son périmètre. Dans cette perspective historique, la question du
Tibet s’assimile davantage à la question plus générale des droits de l’homme.
La Chine affirme qu’elle y vient, et c’est là qu’il conviendra de ne pas
relâcher sa vigilance.
En attendant, il faut se souvenir aussi de la parabole de
la paille et la poutre : ne pas se cantonner dans le deux poids deux mesures,
comme quand la critique de la Chine dans le domaine des droits de l’homme
émane, par exemple, de pays qui jugeraient normal l’existence de tribunaux
d’exception pour quiconque aura été qualifié de “combattant ennemi”, qui
accepteraient le retrait de l’Habeas Corpus de leurs principes fondamentaux ou
l’usage de la torture “quand les circonstances l’exigent”.
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y
aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
KARLUSS :
Dingue, ils ont même mis un hologramme de Paul Jorion sur
la grande muraille, rempart et protection contre la titrisation occidentale
Sinon, le Tibet, quel malheur de voir tyranniser un tel
peuple, anéantir une telle culture et tant de sagesse. C’est de la prédation
pure, on n’en sortira jamais, il faut toujours rester sur ses gardes au service
de bas instincts. C’est vraiment triste, je me sens proche des Tibétains.
(achetez Libé)
XAVIER :
Le Tibet est un des exemples évidents où l’objectivité est
difficile.
D’une part, on peut y voir le refus opposé à un peuple à
“l’autodétermination”, comme pour l’Irlande, comme la Corse, comme la Flandre…
D’autre part, on peut aussi y voir une revendication
légitime d’un Etat de revenir à ses anciennes frontières et surtout faire
disparaître un système moyenageux peu enviable.
Vae victis ?
Pas toujours. Nous avons été éduqués pour aider ceux qui
donnent l’impression d’être les plus faibles.
Et ici, c’est évidemment le “pauvre” Tibet qui est faible
devant “l’immense Chine”.
Je ne prendrai pas position, car toutes les recherches que
j’ai menées ont donné des résultats chaque fois partisans et manichéistes.
Quant aux petites concessions à la vérité pure et dure,
soyons clairs, les impératifs d’une représentation devant un milliard de
téléspectateurs souffre malheureusement de telles concessions.
Même si comparaison n’est pas raison, l’impératif de la
rapidité fait que pour la plupart des grands hommes, les télés ont dans leurs
stocks des interviews d’amis ou de connaissances, qui “parlent comme si le
malheur était arrivé”.
Est-ce mieux ? Le téléspectateur est-il si impatient
d’entendre les panégyriques des hommes disparus ?
C’est l’impératif du direct.
Merci pour avoir mis en avant ces incohérences.
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Politique,
Sociologie
J’ai lu plusieurs histoires sur l’Inde et sur la Chine au
cours de la semaine écoulée.
Sur l’Inde, j’ai appris que ses citoyens se sont découvert un nouvel engouement
pour les grandes surfaces alimentaires où l’on trouve dans des conditions
hygiéniques jusqu’ici inégalées de la nourriture de bonne qualité et bon
marché. Malheureusement, l’état des routes et la faiblesse du transport routier
font que 30 % des victuailles pourrissent avant d’atteindre leur destination et
limitent le nombre de grandes surfaces de ce type qui pourront être créées :
les détaillants revoient leur expansion à la baisse.
J’ai appris encore qu’entre ceux qui se font écraser en essayant de traverser
les voies parce que les passerelles sont encombrées, ceux qui tombent des quais
en raison de la presse, ceux qui tombent du toit des wagons et ceux qui se font
arracher la tête en essayant de prendre l’air, Mumbai (ex–Bombay) compte en
moyenne 13 morts par jour sur son système de ferroviaire où le rapport du
nombre de voyageurs à celui du nombre de places dans les voitures est de 2,5.
En Chine, les autorités ont pris
des mesures pour mettre un frein aux projets grandioses des régions et des
municipalités. Il faudra désormais faire la preuve qu’une autoroute à péage
rentrera dans ses frais, qu’une nouvelle route conduit réellement quelque part,
que des réunions auront effectivement lieu dans les salles monumentales des
bâtiments polyvalents que les municipalités enthousiastes font pousser comme
des champignons.
Entre deux pays, l’un qui étouffe par manque d’infrastructure et l’autre qui en
construit à tour de bras et à tout hasard, si j’avais des sous et qu’il me
faille les placer quelque part, je n’aurais sans doute pas beaucoup
d’hésitation.
Une réponse à “Les deux nouvelles
grandes puissances”
Effectivement, la circulation en Inde est assez démente. Je me souviens d’un
car où je me trouvais où plusieurs fois j’ai vu des personnes à deux roues,
vélo ou scooter, se jeter dans le fossé pour éviter d’être écrasés par le car.
En Inde on peut voir des gens monter à califourchon sur
les tampons des trains (de banlieue seulement).
Malgré le développement récent ,
l’Inde reste très pauvre, en particulier le nord de l’Inde où la misère est
vraiment très forte, autant qu’en Afrique Noire, avec il est vrai plus de
riches et d’élite intellectuelle et administrative.
Malgré tout, je pense que le devéloppement de l’Inde est
plus sain que celui de la Chine.
Même si je ne suis pas sûr que l’Inde puisse rattraper la Chine.
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Sociologie
Sous la plume de Vincent Remy, un excellent article tirant
le meilleur parti de l’information contenue dans mon « Vers la crise du
capitalisme américain ? »
Télérama n° 2991 - 12 Mai 2007
L’économie américaine va-t-elle s’effondrer ?
Vincent Remy
…
N’empêche, pour [Emmanuel Todd], la messe est dite : « Qu’est-ce que cette
économie dans laquelle les services financiers, l’assurance et l’immobilier ont
progressé deux fois plus vite que l’industrie entre 1994 et 2000 ? » Les
services comptabilisés dans le PNB américain, sans valeur d’échange sur les
marchés internationaux, sont « lourdement surestimés ». Conclusion : « Nous ne
savons pas encore comment, et à quel rythme, les investisseurs européens,
japonais et autres seront plumés, mais ils le seront. Le plus vraisemblable est
une panique boursière d’une ampleur jamais vue suivie d’un effondrement du
dollar, enchaînement qui aurait pour effet de mettre un terme au statut
“impérial” des Etats-Unis. »
Cinq ans plus tard, la prédiction d’Emmanuel Todd ne s’est
pas réalisée. Mais la
situation financière de l’Amérique s’est encore aggravée, à cause d’un facteur
que Todd n’avait pas prévu – l’émergence de la Chine – et de l’emballement du
marché immobilier. Quel rapport entre les deux ? C’est justement ce que
nous révèle, dans un fascinant ouvrage, l’anthropologue belge Paul Jorion,
installé en Californie, où il est devenu spécialiste du crédit… Revenons aux
Jones, puisque c’est d’eux, ces citoyens de la classe moyenne, que parle Paul
Jorion. Comme les deux tiers des ménages (contre 40 % en 1945), les Jones sont
devenus récemment propriétaires de leur maison. Enfin, pas vraiment : ils ont
emprunté 80 % du prix et se sont tournés vers Fannie Mae, organisme
semi-gouvernemental qui a hypothéqué leurs murs. Fannie Mae, deuxième
entreprise du pays, et son petit frère, Freddie Mac, garantissent à eux seuls
pour 4 000 milliards de prêts immobiliers !
Comme tous leurs compatriotes, les Jones sont affublés
depuis 1989 d’une cote de crédit, la « cote Fico », qui situe chaque
consommateur en fonction de ses revenus et de son passé d’emprunteur – dettes,
retards de paiement, saisies. Par chance, les Jones ont une bonne cote et ont
donc obtenu un bon taux. Pour l’heure, on ne leur demande que de verser les
intérêts, ils rembourseront le capital plus tard… Et comme ils n’ont pas
d’économies, la banque leur a proposé un prêt à la consommation pour acheter
leur Nissan en gageant le « capital captif dans les murs », c’est-à-dire leurs
20 % d’apport. La maison
se retrouve ainsi entièrement hypothéquée, mais les Jones vont pouvoir
l’équiper en mobilier chinois ! D’autant qu’on leur a aussi proposé en
2006, à côté de leur carte de crédit classique, une carte au taux moins élevé,
mais gagée elle aussi sur la maison…
Bref, les Jones ont beaucoup plus de chance que les
Sanchez. Eux, comme la plupart des Noirs et des Hispaniques, ont une mauvaise
cote Fico et n’ont pu obtenir qu’un contrat « sub-prime », à un très mauvais
taux, mais sur… 125 % du prix de leur maison. Ils ont donc un « capital propre
captif négatif » ! C’est-à-dire une montagne de dettes.
Ainsi va l’Amérique de Bush : 1 % de la population détient
un tiers de la richesse du pays, cette infime proportion ayant bénéficié de la
moitié de la richesse créée de 1990 à 2006. Les 50 % les moins riches n’en
détiennent que 2,8 % : c’est pourtant ces gens-là que le gouvernement Bush a
voulu rendre propriétaires, contribuant ainsi massivement à leur précarité.
Insolvables, ils sont la proie de compagnies qui tirent parti de leur dénuement
: 900 000 saisies ont été effectuées l’an dernier.
Pendant ce temps, Freddie
Mac a « empaqueté » les milliers de prêts hypothécaires de ces dernières années
sous forme d’obligations, lesquelles sont à l’origine d’un nouveau marché
financier, coté en Bourse. Et qui achète ces obligations ? Les Chinois, qui,
non contents de soutenir la dette du gouvernement américain en achetant les
bons du Trésor, financent désormais de façon massive l’immobilier résidentiel.
Pourquoi ? « La Chine a encore besoin de la locomotive que constitue la
consommation des ménages américains », répond Paul Jorion. Lesquels ménages ont
une dette moyenne égale à 120 % de leur revenu annuel. A ce niveau de
surendettement, toute hausse des taux d’intérêt exposerait la moitié de
l’Amérique à des difficultés financières très sérieuses.
Dans son livre,
écrit avant l’accélération de la crise immobilière, avant l’effritement du
dollar et avant la montée des tensions sino-américaines, Paul Jorion cite
Jeffrey A. Frankel, professeur à Harvard : « Quand les Orientaux se retireront
de nos marchés, les Américains découvriront que les taux d’intérêt grimpent et
que la valeur des actifs (valeurs boursières, logements, sociétés) baisse.
Lorsque d’autres pays ont subi des crises de ce type, leurs populations ont été
prises de panique. » Pour Attali, la fin de l’empire américain ne se produira
« pas avant 2025 ». Mais les phénomènes qu’il décrit – désindustrialisation,
hypertrophie de la finance, autonomisation d’Internet, crise écologique –
semblent déjà bien amorcés. L’Amérique, rappelle Emmanuel Todd, « s’est
toujours développée en épuisant ses sols, en gaspillant son pétrole, en
cherchant à l’extérieur les hommes dont elle avait besoin pour travailler ». Et
en s’endettant… Une fois tournée la page désastreuse de l’ère Bush, saurat-elle
se sauver et engager à temps une indispensable révolution idéologique ?
A LIRE
Vers la crise du capitalisme américain ?
de Paul Jorion, éd. La Découverte, 254 p., 20 €.
Publié par Paul Jorion
dans Philosophie,
Philosophie des sciences, Questions essentielles
On trouve sous la plume de Schelling cette pensée
merveilleuse que l’Homme est le moyen que la nature s’est donnée pour prendre
conscience d’elle–même. Les manifestations de cette prise de conscience ont
adopté des formes diverses selon les lieux et les époques, et au sein d’une
culture particulière, telle la nôtre, révèlent un processus en constant
devenir. Faut-il alors reconnaître l’ensemble de ces manifestations comme
également valides, la nature ayant eu autant de manières de prendre conscience
d’elle-même qu’il y eut d’opinions exprimées?
Aux débuts historiques de notre culture occidentale (la Chine est différente), un trait des
représentations que l’Homme se fait de la nature et de lui–même en son sein,
est que les explications produites ne parviennent pas à rester confinées dans
le cadre qu’offre la nature elle–même, elles ne peuvent s’empêcher de s’en
échapper constamment et invoquent un au–delà de son contexte : une mythologie
d’agents inobservables et proprement « sur–naturels ». La plupart des systèmes
de croyance traditionnels sont de ce type, qui doivent couronner leurs chaînes
explicatives par un « primus movens », un dieu introduit à un niveau arbitraire
de la chaîne et censé rendre compte en dernière instance d’une famille de
phénomènes liés entre eux pour des raisons essentiellement affectives.
C’est là qu’il convient de situer le critère de qualité minimum que doit
présenter une conscience de la nature par elle–même : qu’elle trouve à se
déployer entièrement au sein de son cadre, sans aucun débordement. La
distinction est simple et permet d’écarter une multitude de tentatives ne
présentant sur le plan conceptuel qu’un intérêt « documentaire »– même si elles
jouèrent un rôle dramatique dans l’histoire de la race humaine.
La pensée chinoise traditionnelle
(essentiellement athée) a accompli cette tâche et, au sein de notre tradition,
Aristote est le premier qui réussit cette gageure en proposant un système
complet, composé d’une part d’observations empiriques de la nature, et d’autre
part de « raisonnements » fondés sur celles–ci. Avec la philosophie d’abord,
puis avec la philosophie naturelle
qu’offre la science ensuite, des représentations de la nature sont produites
qui ne requièrent rien d’autre comme termes d’un raisonnement, que sa décomposition en ses éléments et la
description de l’interaction de ceux–ci à différents niveaux d’agrégation.
Le raisonnement, c’est
évidemment pour Aristote, la faculté d’engendrer le syllogisme, c’est-à-dire,
la possibilité d’associer deux concepts par le truchement d’un troisième – le moyen terme - auquel chacun d’eux est
lié. La Raison s’assimile à la puissance du syllogisme d’étendre par ce moyen
la« sphère d’influence conceptuelle » de chaque terme de proche en proche, de
syllogisme en syllogisme, de manière potentiellement infinie ; ce pouvoir,
c’est celui d’exporter une certitude acquise au–delà de son cercle immédiat.
C’est dans la prise de conscience de la puissance du syllogisme par Socrate,
Platon et Aristote mais aussi par leurs adversaires sophistes, Protagoras et
Gorgias, que réside le miracle grec (*),
la capacité d’expliquer la nature en ses propres termes.
(*) « Le miracle grec », Papiers du Collège International de Philosophie, Nº 51,
Reconstitutions, 2000 :17-38 ; également sur mon site Internet.
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Politique
Le Vice-Premier Ministre chinois, Madame Wu, est à
Washington à la tête d’une délégation de quinze personnalités de haut rang. Du
jamais vu !
La semaine dernière, le Wall Street
Journal a publié une opinion libre de Madame Wu. On pouvait y lire
ceci : « Bénéfice mutuel et “chacun y gagne”, voilà de quoi sont faites les
relations commerciales entre la Chine et les États-Unis […] La croissance
rapide des marchés chinois stimule les exportations américaines. La Chine
exporte vers l’Amérique tandis que ses investissements en titres obligataires
américains aident les États-Unis à maîtriser leur inflation et leurs taux
d’intérêt, encourageant ainsi chez eux une croissance accélérée et la création
d’emplois ». Dans son message de bienvenue (sic) prononcé ce matin, le ministre
des finances américain, Henry Paulson, déclarait : « Les Américains ont de
nombreuses vertus – nous sommes un peuple innovant et travailleur – mais nous
sommes également impatients. Même la notion de “dialogue” peut sembler trop
passive aux yeux de l’éthique orientée vers l’action des Américains ». Inutile
de se demander qui des deux était de bonne et qui de mauvaise humeur.
Il y a deux ans, le gouvernement chinois avait tenté d’acquérir par l’entremise
de la société d’état Cnooc,
la firme pétrolière américaine Unocal,
provoquant une levée de boucliers. Les États-Unis avaient invoqué leurs
intérêts stratégiques et l’affaire ne s’était pas faite. On a annoncé hier une
prise de participation du gouvernement chinois d’un montant de 3 milliards de
dollars dans la « private–equity » Blackstone, une de ces sociétés de placement
qui achètent des compagnies battant de l’aile, les rabibochent et les revendent
au prix fort, autrement dit, le type même d’entreprise financière qui bénéficie
en ce moment des taux d’intérêt bas que la Chine contribue à maintenir en
achetant à tire–larigot des bons du Trésor américains. La participation
chinoise équivaut à 9,7 % de la capitalisation de la firme, juste au–dessous
des 10 % fatidiques qui exigeraient une ratification du gouvernement américain
; la Chine renonce également à réclamer un ou plusieurs sièges au conseil de
direction. Un commentateur financier parlait hier d’humiliation pour la Chine.
Ah oui ? Je ne mettrais pas ma main à couper que ce soit là la manière dont les
Chinois eux perçoivent la chose.
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Politique
Mercredi dernier, l’indice Dow Jones avait perdu 1 % de sa
valeur. La raison en avait été un bond du taux d’intérêt à 10 ans, qui était
passé dans la journée de 4,7 % à 4, 97 %. Une des rumeurs à l’ouverture des
marchés boursiers avait été que la Chine vendait une partie des Bons du Trésor
américains dont elle possède des quantités considérables dans ses coffres.
Hier, mardi, le Dow Jones a subit le même sort : il a à
nouveau perdu 1 % de sa valeur, alors que le taux à 10 ans frôlait cette fois
les 5,25 %. Le jour précédent, Alan Greenspan, qui n’est plus Président de la
Réserve Fédérale, la Banque Centrale américaine, mais demeure très écouté,
avait déclaré à l’occasion d’un colloque consacré à l’immobilier, que la Chine
n’entend pas liquider son énorme portefeuille d’obligations américaines. Ses
auditeurs avaient dû pousser un soupir de soulagement. Quand ils l’entendirent
préciser que la raison en était qu’il ne trouverait pas preneur, ils avaient dû
s’étouffer.
À cela, se sont ajoutées dans la journée d’hier, les
nouvelles de l’inflation galopante en Chine, qui obligera le gouvernement de
contenir l’expansion de ses exportations, et signifiera à terme, moins d’argent
à consacrer à la dette budgétaire américaine.
Dans « Vers la crise du capitalisme américain ? », un
sous–chapitre s’intitule « Les États–Unis otages de la Chine ? » (pages 236 à 238). Dans la section que je consacre au «
scénario catastrophe », j’écris : « 2.2. La Chine cesse de financer la dette
budgétaire américaine en achetant des Bons du Trésor et des Mortgage-Backed Securities à l’aide de
son surplus de dollars ; les taux d’intérêt grimpent » (page 243).
La chute de la bourse est une mauvaise nouvelle en soi. La
montée des taux d’intérêt est également une mauvaise nouvelle pour les
États–Unis dans la mesure où la croissance est en perte de vitesse à 0,6 % pour
le premier trimestre 2007 : le renchérissement du crédit dans un climat où
l’économie aurait besoin au contraire d’un bon coup de fouet, présage mal de
l’avenir. Mais la hausse des taux d’intérêt est essentiellement une mauvaise
nouvelle en raison de son impact sur la crise en cours dans l’immobilier : pour
soulager les emprunteurs menacés de la saisie, la Federal Reserve avait
l’intention dans les mois à venir de recourir au seul moyen dont elle dispose :
diminuer le taux d’intérêt à très court terme dont elle détermine le niveau par
décret. L’envolée des taux sur les marchés en a décidé autrement. Le rêve que
la Fed entretenait de venir en aide aux propriétaires endettés en leur
permettant de se refinancer à un taux plus avantageux, s’envole en fumée.
Publié par Paul Jorion
dans Histoire,
Sociologie
San Francisco
possède une communauté chinoise très importante, et ceci, depuis le XIXè siècle :
une partie considérable du centre-ville est encore occupée par le quartier
chinois, le « Chinatown ». L’île la plus importante de la Baie de San Francisco
est Angel Island, un centre de détention pour immigrants, essentiellement
chinois, y existait autrefois.
Quand on a commencé à évoquer les camps d’internement pour
Japonais et Américains d’origine japonaise durant la deuxième guerre mondiale,
certains se sont interrogés sur les ressemblances et les dissemblances avec
d’autres camps qui existaient, à la même époque, en Europe occupée. Dans la
brochure qu’on vous offre à l’entrée du musée du centre de détention d’Angel
Island, on s’est efforcé de calquer l’histoire du centre sur celle de ces camps
d’internement pour Japonais.
À la fin du XIXè siècle, certaines minorités se sont vu
imposer des quota ou des interdictions d’immigrer. Ce
sont là des choses américaines que l’on ne peut guère comprendre en Europe.
Seule la réunion des familles trouvait grâce aux yeux du Ministère des Affaires
Étrangères. Donc les Chinois qui essayaient d’entrer aux États-Unis par San
Francisco étaient arrêtés et languissaient dans le centre de détention d’Angel
Island. C’est du moins là la version officielle aujourd’hui.
Lorsque la visite guidée atteint l’un des dortoirs,
l’indignation est à son comble à la vue des échafaudages de lits en ferraille
empilés jusqu’au plafond. Moi qui n’hésite jamais à mettre les pieds dans le
plat, je laisse échapper « Est-ce que ce n’est pas l’équipement standard des
casernes ? » À quoi le guide a la grâce de me répondre, « Ben, c’est ce qu’il
m’a toujours semblé aussi ! »
Dans une autre pièce une anomalie saute aux yeux, un
curieux rapprochement s’opère dans l’esprit du visiteur entre une
représentation de la vie quotidienne au Centre, mise en scène grâce à des
mannequins de cire du genre Musée Grévin, et une photo des années vingt ou
trente qui pend au mur d’une des pièces visitées précédemment. La scénette a
manifestement été reconstituée à partir de la photo d’époque. Un fonctionnaire
« Anglo », comme l’on dit ici pour désigner les blancs au teint clair (ce qui
comprend aussi bien les Scandinaves et les Germains), est assis derrière un
bureau et prend des notes. Un autre Anglo est debout, son visage sévère est
empreint d’un air inquisiteur : c’est un flic en civil ou un officiel de la
même engeance, il s’adresse au troisième personnage, assis sur une chaise et
qui, lui, est Chinois. C’est ici qu’intervient l’anomalie : les deux blancs de
la scénette sont habillés comme sur la photo, mais pas le Chinois. Le mannequin
chinois est en bleu de chauffe et casquette comme on les voit sur les photos de
la Révolution Culturelle. Le Chinois de la photo, lui, est en complet
trois–pièces et feutre clair. « Vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre ! »
Et voici ce que j’ai appris en cuisinant le personnel du
Musée, sur ce qui s’est réellement passé. En 1906, lors du grand tremblement de
terre qui détruisit le centre de San Francisco, les archives brûlèrent à la
mairie. Chaque chef de famille se trouva dans l’obligation de ré-engistrer son
ménage. Un grand nombre d’entre eux se déclarèrent à la tête de familles
nombreuses dont la plupart des enfants demeuraient encore en Chine. Ils
passèrent alors des petites annonces dans leur ville natale afin de vendre au
prix fort le droit de prétendre être le fils ou la fille d’un résident du Chinatown de San Francisco. Ce sont
essentiellement des avocats et des médecins qui se portèrent candidats et, en
cette époque reculée, ces « professionals » étaient tous des hommes. Ceci
explique du coup, une seconde anomalie : les textes gravés en caractères
chinois sur les murs. Il en existe dans les chambres réservées aux hommes et
non dans les dortoirs des femmes. On en trouve plusieurs couches : le personnel
du Centre recouvrait les inscriptions d’un enduit épais et les occupants
suivants se remettaient à graver. Les femmes étaient probablement
d’authentiques filles de Chinois san franciscains ou des clandestines, et ne savaient
pas écrire.
Les prisonniers s’étaient constitués en association et
disposaient d’avocats en Chine comme en ville. On apprend que seul un pour cent
et demi des détenus se voyaient finalement rapatriés. Au début, on avait tenté
de les nourrir avec de la tambouille pour hôpital ou pour prison mais ils
s’étaient rebellés contre cette nourriture infâme et il leur fut ensuite
possible de commander leurs plats à Chinatown.
La communication avec les citadins se faisait à l’aide de petits messages
collés au-dessous des assiettes. Les prisonniers faisaient savoir à leurs
parents putatifs : « Je passe mercredi, ils vont me demander combien de
fenêtres il y avait dans ma maison natale. Dépannez–moi ! ».
Publié par Paul Jorion
dans Economie
Une affaire qui passionne depuis quelques temps les
milieux financiers internationaux, c’est la tentative de la banque britannique Barclays d’absorber la banque
néerlandaise ABN Amro. Les
deux banques avaient présenté l’affaire comme pratiquement conclue. L’annonce
avait cependant donné des idées à d’autres et en particulier à un consortium
constitué de la Banque Royale d’Ecosse,
du groupe belgo–néerlandais Fortis
et de l’espagnole Banco Santander,
consortium qui fit une offre concurrente et d’un montant plus élevé.
Les choses en étaient là jusqu’à ce matin, quand la Barclays annonçait qu’elle bonifiait
son offre. Les sous, elle les a trouvés à Singapour et en Chine. La
participation du gouvernement de Singapour (Temasek)
se montera à 1,4 milliards d’euros. La Chine (la Banque Chinoise de Développement) prend elle une
participation de 2,2 milliards d’euros dans la Barclays, qu’elle complètera de 7,6 milliards d’euros
supplémentaires si la fusion avec ABN
Amro se concrétise. Si l’affaire se fait, la prise de participation
totale de la Chine pourrait se monter à 13,5 milliards d’euros.
Ce n’est peut–être pas la première fois que la Chine
s’engage de cette manière, mais c’est la première fois qu’elle le fait à
concurrence de telles sommes. C’est l’histoire d’une progression : en 2005, Lenovo rachetait pour 1,25 milliards de
dollars la production d’ordinateurs personnels d’IBM, un peu plus tard, et la
même année, la Société Pétrolière
Nationale Chinoise acquérait Pétro-Kazakhstan
pour 4,18 milliards de dollars. Au début de cette année, la Chine a
investi 3 milliards de dollars dans Blackstone,
une « private equity », une firme de placement américaine. J’en parlais
ici–même en mai dans La symbiose
Chine – États-Unis. Nouvelles du front. On disait à l’époque
que la Chine espérait ainsi se familiariser avec la technologie financière de
pointe. C’est chose faite : c’est en effet Blackstone
qui a conseillé à la Chine sa prise de participation dans la Barclays.
20 décembre 2007
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Subprime
J’écrivais le 7 décembre dans La
Saint–Nicolas des emprunteurs subprime, à propos du « Plan Paulson »
:
« Les investisseurs auraient bien sûr tout à perdre d’une
situation se détériorant encore davantage mais ils soulignaient que dans les
tentatives passées de venir en aide aux consommateurs au bord de la saisie, 40
% d’entre eux finissaient par déchoir de toute manière après une longue agonie
– coûteuse pour les investisseurs. Seuls les plus gros d’entre eux bien sûr
furent entendus et on pouvait déjà s’attendre à ce que certains des autres ne
résisteraient pas à la tentation d’entamer des poursuites judiciaires contre
les organismes de prêt, l’accord négocié par Paulson ayant bien précisé qu’il
n’immunisait pas ceux–ci sur le plan légal. »
Autre aspect sur lequel nul ne voulait s’appesantir mais
qui serait l’une des conséquences du nouveau plan : l’éventualité d’interventions
du même type à l’avenir rend le rendement futur des Asset–Backed Securities complètement imprévisible,
remettant en question la viabilité–même de l’instrument financier. Aujourd’hui,
Greenspan attire l’attention sur cet aspect de la question. Il affirme dans un
entretien avec le Wall Street Journal : « Imaginons que je sois un organisme de
prêt hypothécaire et que j’apprenne que mes contrats avec les emprunteurs
peuvent être abrogés pour des raisons politiques, il me paraîtra indispensable
d’augmenter le montant de la prime que j’exige pour contrebalancer ce risque.
Chaque fois que l’on sape ainsi le droit contractuel, les effets s’en font
sentir sur les primes de risque futures ». Que recommande–t–il à la place ?
Attachez vos ceintures, c’est un « libertarien » qui parle, un partisan de l’«
État–veilleur–de nuit » : « Ce que nous évoquons, c’est une aide d’urgence,
semblable aux initiatives gouvernementales en cas de catastrophe naturelle »
et, ajoute–t–il : « Il est beaucoup moins dangereux pour l’économie et bien
plus simple, et sans conséquences à long terme pour les marchés, d’offrir aux
propriétaires des sommes en argent liquide ».
J’écrivais le 8 novembre dans Où
l’on devine la partie immergée de l’iceberg :
« Depuis plusieurs jours la presse s’amuse à comparer la
capitalisation des compagnies d’assurance qui couvrent le risque de défaut de
diverses obligations – capitalisation parfois très faible, comme dans le cas
d’ACA : 95 millions de dollars – avec la somme de 2,5 mille milliards de
dollars que représente ce marché aujourd’hui fragilisé ».
On n’en resterait malheureusement pas là : Standard &
Poor’s rétrogradait la firme aujourd’hui, abaissant sa notation de « A » à «
CCC ». Le New York Times rapportait ce matin que sont en ce moment réunis en
conseil de guerre des représentants de Merrill Lynch, Bear Stearns et d’autres
établissements sur la place de Wall Street, afin de se porter caution
collectivement pour ACA Capital Holdings, la firme mère d’ACA Financials dont
je parlais le 8 novembre, firme qui garantit des obligations pour un montant de
26 milliards de dollars. Ces banques courent donc colmater cette brèche
supplémentaires tout en sachant que, devrait–il y en avoir bien davantage,
elles ne pourraient les colmater toutes.
Enfin, j’écrivais
le 23 mai dans La symbiose Chine – États-Unis. Nouvelles du front
:
« Il y a deux ans, le gouvernement chinois avait tenté
d’acquérir par l’entremise de la société d’état Cnooc, la firme pétrolière
américaine Unocal, provoquant une levée de boucliers. Les États-Unis avaient
invoqué leurs intérêts stratégiques et l’affaire ne s’était pas faite. On a
annoncé hier une prise de participation du gouvernement chinois d’un montant de
3 milliards de dollars dans la “private–equity” Blackstone, une de ces sociétés
de placement qui achètent des compagnies battant de l’aile, les rabibochent et
les revendent au prix fort, autrement dit, le type même d’entreprise financière
qui bénéficie en ce moment des taux d’intérêt bas que la Chine contribue à
maintenir en achetant à tire–larigot des bons du Trésor américains. La
participation chinoise équivaut à 9,7 % de la capitalisation de la firme, juste
au–dessous des 10 % fatidiques qui exigeraient une ratification du gouvernement
américain ; la Chine renonce également à réclamer un ou plusieurs sièges au
conseil de direction ».
Il faudra y ajouter la participation à hauteur d’un
milliard de dollars, soit 6 % de son capital, prise par Citic Securities, une
banque contrôlée par le gouvernement chinois, dans Bear Stearns en octobre. On
apprenait encore ce matin que pour parer à des pertes de 3,6 milliards de
dollars essuyées au cours du quatrième trimestre, résultant de charges se
montant à 9,4 milliards de dollars liées à des investissements malheureux dans
des prêts hypothécaires subprime,
Morgan Stanley, la deuxième banque d’investissement américaine après Goldman
Sachs, avait accepté une prise de participation se montant à 5 milliards de
dollars, soit 9,9 % de son capital, par le fonds souverain chinois Compagnie
Chinoise d’Investissement, le même qui avait déjà investi 3 milliards de
dollars dans Blackstone le 22 mai.
L’annonce intervient dans le contexte de l’investissement
récent de 7,5 milliards de dollars dans CitiGroup, la deuxième banque
commerciale américaine, par un fonds souverain d’Abou Dhabi et des 9,2
milliards de dollars investis par Singapour dans l’Union de Banques Suisses. La
plupart de ces participations ne sont pas de type courant, les conditions
d’allocation étant le plus souvent très favorables aux participants et
trahissant du coup une réelle détresse chez les bénéficiaires. Il s’agit bien
sûr jusqu’ici de participations qui restent en–dessous du « seuil de visibilité
» des 10 % et ne sont pas automatiquement accompagnées de l’obtention de sièges
au conseil d’administration de ces établissements financiers, mais des charges
de montants équivalents seront sans aucun doute comptabilisées en 2008, voire
en 2009. Une question se posera alors sur le plan stratégique : quelle sera la
participation maximale tolérable de la Chine et de ces autres nations dans les
principales banques commerciales et d’investissement américaines ? La question
sera douloureuse car l’argent frais sera indispensable pour maintenir la
solvabilité de certaines d’entre elles, parmi les toutes premières.
3 réponses à “La journée des précisions supplémentaires”
Dans les années 80 l’Amérique vivait déjà au-dessus de ses
moyens et à fini par ne plus supporter d’être financée par un ami à savoir le
Japon. Aujourd’hui ellle est financée par des ennemis avérés ou potentiels
comme la Chine, la Russie ou certains pays musulmans. Je doute que cela puisse
durer et qu’il s’agisse d’un deal win-win. Quelle est votre avis sur l’issue de
cette situation ?
Merci
Tout ceci est très troublant. On annonce depuis des mois
l’effondrement de l’empire américain (je n’ai pas fini de lire votre livre),
mais on se rend compte que la dette des Etats-Unis se convertit pour alimenter
sa propre économie. Jusqu’ici le déficit commercial avait mis le dollar dans
les mains de la Chine. Maintenant, il est en train de mettre les entreprises
financières américaines dans les mains des fonds souverains. Jusqu’ou cela
durera-t-il ? Quel est le scénario de l’ajustement ?
Plus ça va, plus je me dis que ce système fonctionnera
jusqu’à tant que la Chine décide de déclarer les hostilités avec les Etats-Unis
pour prendre leur place comme centre du capitalisme mondial.
Les Etats-Unis dépendent de la chine pour le financement
de la Dette Américaine.
Mais les chinois dépendent des Etats-Unis pour les marchés à l’exportation.
Les chinois auront moins besoin des Etats-Unis le jour ou ils exporteront plus
vers l’Europe que vers les Etats-Unis.
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Subprime
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
ContreInfo
reproduit aujourd’hui un article de Martin Wolf, du Financial Times, intitulé Crise financière : le krach parfait, où celui–ci
reprend à son compte les douze « étapes vers le désastre financier » de Nouriel
Roubini, professeur à l’Université de New York. Je résume ici ces douze étapes
:
1. La plus grande récession immobilière qu’aient connue
les USA.
2. De nouvelles pertes, au-delà des estimations actuelles de 250 - 300
milliards, dans les emprunts subprimes.
3. Lourdes pertes sur les crédits - non garantis - à la
consommation associés aux cartes de crédit, aux prêts d’acquisition de
véhicules, sur les emprunts étudiants, et ainsi de suite.
4. La dégradation de la note attribuée aux assureurs monolines.
5. Krach du secteur de l’immobilier commercial.
6. Faillite d’une grande banque régionale ou nationale.
7. Grosses pertes sur les opérations de rachat d’entreprises financées par
l’emprunt.
8. Vague de défaillances d’entreprises.
9. Krach des fonds d’investissement et les établissements non régulés.
10. La valeur des actions poursuivrait sa chute.
11. Assèchement des liquidités dans de nombreux marchés financiers.
12. « Un cercle vicieux de pertes, de réduction de capital, de contraction du
crédit, de liquidation contraintes et de ventes en urgence d’actifs évalués en
dessous de leurs fondamentaux de prix. »
Cela m’a rappelé le chapitre intitulé « Le scénario
catastrophe… », d’un ouvrage rédigé en 2006 et publié
en janvier 2007. Je le reproduis ici, à l’intention de ceux qui n’auraient pas
un exemplaire de « Vers la crise du capitalisme américain ? » sous la main :
1. Les consommateurs parviennent par la vente à
tempérament, qui n’est rien d’autre qu’un prêt consenti par le vendeur, et
surtout par l’emprunt renouvelable qu’autorise la carte de crédit, à dépasser
significativement le niveau de dépenses que leurs ressources leur permettraient
sinon d’atteindre. La capacité des consommateurs à s’endetter est cependant
contrôlée par leur cote de crédit : celle-ci baisse significativement quand le
rapport de leur dette par rapport à leurs revenus augmente. Mais la norme en
ces matières évolue selon le risque perçu par les bailleurs de fonds et alors
qu’il y a vingt ans ils renâclaient quand 30% du revenu d’un ménage était
consacrée au remboursement de ses dettes, ils considèrent aujourd’hui qu’un
niveau de 50% est parfaitement tolérable.
2. L’endettement des ménages se portant prioritairement
sur des biens d’importation, à défaut pour les États-Unis de pouvoir encore
produire ces biens de technologie avancée, crée un déficit de la balance
commerciale. Celui-ci entraîne une chute de la valeur du dollar. Pour compenser
celle-ci, la dette de l’État fédéral (les obligations d’État, les Bons du
Trésor qu’il émet) est forcée de présenter un rendement plus élevé. Deux cas de
figure ici :
– 2.1. La Chine continue de financer la
dette budgétaire américaine en achetant des Bons du Trésor et des Mortgage-Backed Securities à l’aide de
son surplus de dollars et cette demande neutralise la
tendance des taux à grimper.
– 2.2. La Chine cesse de financer la
dette budgétaire américaine en achetant des Bons du Trésor et des Mortgage-Backed Securities à l’aide de
son surplus de dollars ; les taux d’intérêt grimpent.
3. Les paiements des nouveaux contrats de vente à
tempérament sont réévalués dans le cadre de la hausse des taux d’intérêt, ce
rééquilibrage s’applique en particulier aux prêts hypothécaires. Les dettes qui
sont indexées sur les taux variables (par exemple sur le Prime Rate, un taux sur lequel les
banques s’accordent et qu’elles consentent aux
consommateurs dont la cote de crédit est excellente) sont réévaluées, leur coût
augmente. Ceci vaut pour les prêts hypothécaires de type ARM (Adjusted-Rate Mortgages), c’est-à-dire
« prêt hypothécaire à taux ajusté (variable) » et pour les cartes de crédit.
4. Le relèvement du coût des prêts hypothécaires restreint
la capacité des consommateurs à emprunter : un paiement mensuel identique
n’autorise plus qu’un emprunt d’un montant plus faible. La hausse des taux
affecte le marché immobilier résidentiel et le prix des maisons baisse, y
compris bien sûr celui de celles qui sont grevées d’une hypothèque. Ce qui conduit
les créanciers à réclamer des appels de marge, des réajustements financiers
portant sur les dettes dont le logement constitue le gage. La valeur de la
maison risque maintenant dans certains cas d’être inférieure au montant du prêt
restant dû. Faute de réserves, les familles ne peuvent revendre une habitation
dont le prix de vente ne couvrirait plus la somme à rembourser Leur mobilité en
est affectée : il leur est devenu impossible de se déplacer pour s’adapter à un
contexte de l’emploi devenu moins clément (les Américains sont davantage
enclins que les Européens à plier armes et bagages pour répondre aux
vicissitudes du marché de l’emploi).
5. Les ménages ont de plus en plus de mal à faire face à
leurs engagements financiers. Leur cote de crédit s’en ressent. Leurs dettes
sont réévaluées par leurs créanciers du fait de la baisse de leur cote. Cet
accroissement des sommes dues aggrave leur difficulté à acquitter les échéances
à venir : les consommateurs sont victimes d’une « falaise du crédit ».
6. Les ménages font d’abord défaut sur les paiements
mensuels liés aux cartes de crédit. L’étape suivante est la défaillance sur les
paiements mensuels de leur prêt hypothécaire. La marge de tolérance coutumière
est de trois mois de retard. Après quatre-vingt dix jours, la procédure de
saisie se met en route. Leur maison est remise sur le marché immobilier par
leurs créanciers. Comme ils ne sont pas seuls dans leur cas, le nouvel afflux
d’habitations saisies contribue à déprimer le marché immobilier encore davantage.
7. Les ménages se déclarent en faillite. Dans le cadre de
la nouvelle loi, beaucoup sont obligés de se tourner vers la faillite de «
chapitre 13 » avec rééchelonnement de leurs dettes. La plupart échouent
rapidement à effectuer les paiements prévus. La loi devient lettre morte.
L’État fédéral affligé d’un déficit budgétaire record s’avère incapable de
venir à leur secours. »
(Paul Jorion, « Vers la crise du capitalisme américain ?
», La Découverte 2007 : pp. 242–244)
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y
aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
24 Avril 2008
EGTLP :
Et
cela commence : cf La Chine s’irrite de
la dévaluation du dollar. Les Chinois commencent tout doucement à se
réveiller. Il n’y a que deux manières de trancher le problème : les USA sont
traités par la communauté internationale de la même manière qu’eux traitaient
leur débiteur ou les USA affrontent leurs créditeurs…
(Ci-après
l’article concerné sur Contre-info)
La Chine s’irrite de la dévaluation du dollar
23 avril 2008 Sur contre-info
« Les
actifs libellés en dollars possédés par la Chine sont une richesse gagnée par
son peuple à la force de son dur travail. Le gouvernement central a donc
l’obligation de les préserver au lieu de permettre la dépréciation du dollar
américain, » rappelle M. Mei Xinyu, appartenant au Ministère du
Commerce chinois. Depuis le 1er janvier seulement, le dollar a baissé de 5%
face au Yuan. Sur les 1 500 milliards de réserves en dollars détenues en Chine,
cela représente une perte sèche de 75 milliards.
Mei Xinyu, Shanghai Daily, 21
avril
Le Secrétaire du Trésor américain Henry Paulson
s’est récemment rendu à nouveau en Chine avec pour principal objectif de
prendre des dispositions en vue de la quatrième session de dialogue économique
stratégique Chine Etats-Unis, qui se tiendra aux USA
en Juin.
À un moment où le dollar américain connaît une
baisse continue et provoque une énorme pagaille dans l’économie mondiale, la
Chine doit insister pour faire de la dévaluation du dollar un thème de ce
prochain dialogue.
Les effets négatifs du déclin du dollar sont évidents :
hausse des prix de toutes les matières premières, intensification de la
pression inflationniste au niveau mondial, perturbations dans le règlement des
transactions internationales, etc...
Mais le pire de tous, c’est qu’il s’agit là pour
les Etats-Unis d’un moyen déguisé pour éviter de régler leurs dettes envers les
pays étrangers.
Il convient de noter que les États-Unis sont le
plus grand pays débiteur dans le monde.
Selon les statistiques du Départment du Commerce
américain, les États-Unis sont devenus un pays débiteur dès 1986 avec une dette
nette annuelle équivalente à 36,2 milliards de dollars au cours d’aujourd’hui.
Les États-Unis avaient en 1989 une dette nette annuelle, calculée à la valeur
du marché, atteignant 47 milliards de dollars.
À la fin 2006, ils avaient accumulé envers
l’étranger une dette nette de 16 000 milliards de dollars.
Dans la mesure où la plupart de ces dettes ont été
libellées en dollars américains, les États-Unis font en fait défaut de façon
malveillante sur leurs dettes en permettant la dévaluation du dollar US.
La Chine, qui est le pays ayant les plus grandes
réserves de change au monde, dont la plupart sont libellées en dollars
américains, est donc touchée beaucoup plus durement par la dévaluation du
dollar US.
La dette elle-même n’est pas un problème aussi
sérieux que le fait que les États-Unis ne maintiennent pas le statut de leur
crédit.
Pour ce qui est du remboursement des dettes, ils
appliquent deux poids deux mesures selon qu’ils s’agisse
d’eux-mêmes ou des pays étrangers.
Lors qu’ils exigent le remboursement de leurs
dettes par des pays étrangers, ou évaluent des demandes d’aides sous forme de
prêts émanant de pays étrangers en raison d’une crise financière interne, les
États-Unis attachent une grande importance à la protection de leurs propres
intérêts en tant que créanciers.
Le pays débiteur doit modifier ses règles
économiques internes conformément aux exigences des États-Unis, payer d’énormes
frais sur le prêts, gager en échange du pétrole ou d’autres recettes d’exportation
fiables, réviser sa législation sur les faillites afin d’assurer la priorité
des revendications provenant des créanciers étrangers, et ainsi de suite.
Mauvais antécédents
Lorsqu’ils sont en situation de créancier, le
gouvernement américain, ainsi que les gouvernements de nombreux autres pays
occidentaux, ont également appris à faire un plein usage de leur influence
politique pour obtenir des avantages supplémentaires.
Toutefois, lorsque les États-Unis sont en situation
de débiteur la situation est totalement différente.
Leurs mauvais antécédents d’emprunteur de crédits
internationaux peut être retracés dès le moment où ce
pays n’était qu’un marché émergent qui dépendait largement des investissements
des pays européens.
Au cours de la récession des années 1840, la valeur
marchande des obligations municipales américaines avait chuté de 1 dollar à 50
centimes.
Pourtant, cinq États, à savoir la Pennsylvanie, le
Mississippi, l’Indiana, l’Arkansas, le Michigan et la Floride, ne furent
toujours pas en mesure de payer leur intérêts dûs. En
1990, l’État du Mississippi n’avait pas encore réglé ses dettes vieilles de 150
ans.
Aujourd’hui, les moyens qu’emploie l’oncle Sam pour
ne pas honorer sa dette envers les créanciers étrangers sont encore plus
directs et plus insupportables.
En 2005, les USA ont fait à la Chine une
proposition consistant à permettre dans les six mois l’appréciation de yuan de
27,5% face au dollar, tout en menaçant dans le cas contraire d’imposer une
pénalité sous forme d’une taxe douanière de 27,5% sur les importations
chinoises.
Cette mesure aurait été équivalente à la demande
que la Chine réduise la dette des États-Unis envers elle de 27,5%.
Aussi déraisonnable que cette exigence ait été, les
Etats-Unis l’ont proposée comme si elle était tout à fait justifiée.
D’une manière générale, concernant notre commerce
extérieur et les négociations économiques, en particulier avec les pays
développés, la Chine se trouve encore dans une situation de passivité. La
meilleure preuve en est que les principaux thèmes abordés sont souvent proposés
par nos homologues étranger alors que la Chine ne se contente que de répondre à
ces propositions, ce qui est particulièrement le cas dans nos négociations avec
les États-Unis.
En raison des contraintes objectives que
constituent notre niveau de développement économique et nos limites en terme de compétences disponibles, il est peu probable que la
Chine fasse la différence dans ces situations dans un futur proche. Mais nous
ne devons pas non plus tenir cet état de fait pour acquis.
La Chine devrait également mettre en avant ses
propres exigences en faveur des intérêts de son peuple, et les exprimer avec
force et en toute confiance, tout en faisant également ses propres
propositions.
Les actifs libellés en dollars possédés par la
Chine sont une richesse gagnée par son peuple à la force de son dur travail. Le
gouvernement central a donc l’obligation de les préserver au lieu de permettre
la dépréciation du dollar américain.
Par conséquent, la Chine a d’autant plus de raisons
de proposer que la dépréciation du dollar soit un thème du prochain dialogue
économique stratégique entre la Chine et les Etats-Unis.
(M. Mei Xinyu occupe la fonction de chercheur
senior auprès du Ministère du commerce. Les vues exprimées ici sont les
siennes. Il peut être joint sur le site www.meixinyu.com
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Monde
financier, Subprime
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
La deuxième moitié des années 1980 a vu disparaître
l’Empire soviétique dans un long processus de déliquescence. A la chute du mur
de Berlin, en 1989, le monde entérina la fin annoncée d’un système politique
liberticide et du capitalisme d’état qui l’accompagnait sur le plan économique.
Rares furent ceux qui furent surpris.
Le capitalisme d’état était la seule alternative connue au
libéralisme qui régnait en maître en-dehors de la zone d’influence communiste.
La Chine et le Vietnam n’étaient encore en 1989 que des puissances
insignifiantes à l’échelle de l’économie mondiale. Le capitalisme d’entreprise
se retrouvait de fait seul, et ceux qui avaient toujours considéré que la fin
du capitalisme d’état signifierait la confirmation définitive de sa supériorité
ne se sentirent plus de joie. Dans un mouvement appelé ici « Reaganisme », là «
Thatchérisme », ils entreprirent d’éliminer au sein de leur économie tout ce
qui pouvait encore rappeler le géant vaincu.
La question qui se pose aujourd’hui est si oui ou non le
capitalisme d’entreprise est lui-même entraîné à son tour dans un processus de
décomposition comparable à celui qui signa la liquidation du capitalisme d’état
soviétique.
Certains s’étonneront de ma question : « La situation
n’est pas comparable ! », diront-ils. A quoi je leur répondrai : « En êtes-vous
si sûrs ? ». Le degré de décomposition du capitalisme d’entreprise n’est
peut-être pas encore sensible à ceux qu’une ligne directe ne relie pas
directement au cœur du monde économique et financier. Or, je vous propose
depuis quelques temps l’équivalent d’un tel fil.
Les revenus des établissements financiers américains ont
baissé de 53 % au cours du seul deuxième trimestre – un commentateur suggérait
aujourd’hui que les grandes banques d’affaires de Wall Street : les Goldman
Sachs, Merrill Lynch, Morgan Stanley, ne retrouveraient jamais leur lustre
d’antan et que le mieux qu’elles puissent espérer est leur absorption par une
banque commerciale – comme ce fut déjà le cas en mars de Bear Stearns. Les taux
que doivent consentir certaines municipalités américaines sur les obligations
qu’elles émettent ont doublé entre hier et aujourd’hui (de 4,5% à 9%) et ceci
en raison de la rétrogradation par les notateurs des deux principaux
rehausseurs de crédit qui garantissaient ces obligations. Les actions des
compagnies aériennes américaines – déjà en situation précaire – étaient
aujourd’hui en chute libre en raison de la hausse du carburant. De même pour
les constructeurs automobiles, dont Standard & Poor’s envisage de
rétrograder la notation de crédit : Ford perdait 8,1% de sa valeur dans la
journée et General Motors, 6,8 %.
« Il s’agit du pétrole, c’est un facteur extrinsèque ! »,
diront certains, à qui je demanderai alors s’il n’y avait personne, selon eux,
en Union Soviétique pour blâmer les « facteurs extrinsèques », alors qu’elle
était engagée dans le lent processus de sa désintégration.
A propos du projet de réforme de la monnaie que nous
avons entrepris sur mon blog, un ami m’a fait observer : « Tu n’as pas remarqué
que ça ressemble au système pratiqué en URSS entre 1933 et 1987 ? » et ma
réponse a été : « Ça prouve peut–être que tout n’était pas à jeter ! »
Un autre ami m’a fait parvenir un article paru mardi dernier dans le New
York Times :
Les officiels
chinois expriment leur dédain lors de séminaires internationaux. Ainsi, dans
une communication présentée le mois dernier au British Museum à Londres, Liu
Mingkang, le président de la Commission des Régulateurs du secteur bancaire
chinois, a reproché au gouvernement américain sa responsabilité dans la crise
des subprimes qui gela pratiquement le marché des capitaux du monde occidental
et exigea l’intervention de la Federal Reserve. Ces turbulences, déclara-t-il,
« vont à l’encontre du processus global de civilisation ».
« Le désir de faire
de l’argent ou de faire des affaires justifie-t-il que les régulateurs
négligent leur devoir de supervision prudentielle et leur tâche de prévention
de la mauvaise conduite ? », interrogea-t-il.
L’un des collègues
de Mr. Liu, Liao Min, déclara fin mai au Financial Times que « Le consensus
occidental quant à la relation entre le marché et le gouvernement devrait être
réexaminé ».
« Ils ont tendance,
dans les faits, à surestimer le pouvoir du marché et à ignorer le rôle de
régulation du gouvernement, et cette conception faussée est à la source de la
crise des subprimes », affirma Mr. Liao, directeur général de la commission.
Ma réponse à mon
ami, à propos des Chinois : « Oui, ça ne m’étonne pas d’eux : leur attitude a
beaucoup changé depuis qu’ils lisent mon blog ! ».
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Réponse à « Scénario connu »
KABOULI :
De même que la classe comme organisation sociale des
marchands semblait devoir libérer l’humanité de l’Etat, ce monstre froid, il
apparut avec l’aventure bolchevique que l’état commerçant était la vérité de la
classe des commerçants. De même que l’Etat moderne ne peut se passer de l’argent,
l’argent moderne ne peut plus se passer de l’Etat… L’argent moderne avait
toujours été pour l’Etat, le désordre… et l’Etat était pour l’argent, pour le
commerce, l’obstacle qu’il fallait abattre et qui fut abattu. Les deux anciens
rivaux dans l’impossibilité où ils se trouvent… se réconcilient dans un
compromis… L’Etat est le capitaliste mondial. Le capital s’empara de
l’exploitation et créa le salariat. Que croyez-vous qu’il arriva ? C’est le
capital qui creva….
(Voyer, Jean-Pierre - Une Enquête - éd Champ Libre 1976 )
Cette petite
citation que m’inspire l’idée de la Chine apparaissant comme l’avenir de notre
monde et offrant une porte de sortie bien morose à un capitalisme à bout de
souffle et d’humanité.
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Histoire,
Monde
financier, Subprime
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Donc hier soir, les autorités financières américaines sont
venues au secours des Government–Sponsored
Entities, Fannie Mae et Freddie Mac. Elles s’y sont mises toutes
ensemble : la Fed, le ministère des Finances, la Fed de New York et elles ont
déclaré – avant l’ouverture du marché de Tokyo – que ça ne se passerait pas
comme ça, que des mesures importantes allaient être prises, qu’il faillait que…
euh, qu’on allait… ben… euh…
L’optimisme est bien sûr revenu ! La bourse de New York à
l’ouverture affichait un bond à la hausse, les actions de Fannie Mae et de
Freddie Mac grimpaient de plus de 30 %. Puis je suppose qu’on a dû se mettre à
réfléchir, parce qu’à la clôture, le cours de Fannie Mae était reparti à la
baisse, ayant perdu 5,07 % de sa valeur par rapport à vendredi et celui de
Freddie Mac, 8,26 %. On a réfléchi, et on a dû se dire – comme moi – que tous
ces grands discours revenaient à dire aux GSE : « Non, Jeff, t’es pas tout seul
! », mais qu’à part ça, de leur point de vue, pas grand-chose n’avait changé.
Le seul résultat concret, c’est que les autorités
financières américaines ont transformé leur soutien implicite aux GSE en soutien explicite. Pour celles–ci, les implications sont minimes.
Pour Oncle Sam, cela change tout : hier soir, les États–Unis ont basculé du
libéralisme dans la social-démocratie. Ce n’est pas la première fois : ça
s’était déjà passé en 1933, avec le New
Deal. Ça, c’est très important, sur un plan symbolique d’abord et
puis, quant aux modalités que ça prendra. A propos de ces dernières, on ne sait
évidemment encore rien : tout ce qu’on sait, c’est qu’il faudra pour que ça
marche, que ce soit neuf : vraiment neuf, parce que la planète Terre n’est plus
ce qu’elle était en 1933 ! Une social-démocratie avec à sa tête, Obama, ce
serait intéressant. Avec McCain, ce serait encore beaucoup plus intéressant
bien sûr !
Le plus fascinant
sans doute, c’est que c’est le petit tango que la Chine et les États–Unis
dansent ensemble depuis quelques années qui nous a conduits là. J’ai la chance
que les prévisions que je fais depuis quatre ans sur l’évolution de la crise
financière se vérifient jour après jour. Cela me rend audacieux. Alors voici :
dans cinq ans, les systèmes politique et économique de la Chine et des
États–Unis seront quasi-identiques : un capitalisme d’Etat comprenant comme une
enclave en son sein un capitalisme de marché sous très haute surveillance. J’y
reviendrai bien sûr.
17 Juillet 2008
Publié par Paul Jorion
dans Economie,
Monde
financier, Subprime
Ce
texte est un « article presslib’ » (*)
Les États–Unis
ont-ils été manipulés par la Chine et la crise qui est en train d’engloutir le
monde en est-elle la conséquence ?
Je ne le pense pas : les États–Unis creusèrent leur propre
tombe quand dirigeants d’entreprises et investisseurs conclurent une union
sacrée dont la stock-option fut longtemps l’emblème et dont la folie des
start-ups marqua le point culminant, et ceci aux dépens des salariés. On permit
aux ménages américains, dont les salaires déclinaient en dollars réels au fil
des ans, de substituer du crédit facile (accès simplifié et taux défiant toute
concurrence) à l’argent qui faisait défaut. C’est la Chine qui alimenta la
pompe. Quand la source se tarit, l’édifice s’écroula.
Ce scénario avait-il été mis au point par la Chine de la
manière dont il s’est déroulé ? Je l’ignore. Ce qui est certain, c’est que les
Chinois avaient dû envisager deux cas de figure : le premier, celui où le petit
ballet chorégraphié conjointement avec les États–Unis se déroulerait dans les
meilleures conditions possibles, et le second, celui où les événements
prendraient un autre tour, et il n’avait pas dû leur échapper que, dans un cas
comme dans l’autre, il en résulterait pour eux un immense bénéfice : économique
avec le premier scénario, politique avec le second, et ceci précisément pour la
raison que je viens de mentionner : que les États–Unis avaient délibérément
créé une situation explosive en laissant patrons et actionnaires mettre KO les
salariés, alors que la tâche qui demeurait assignée à ceux-ci était de
continuer à consommer au même niveau que celui que la prospérité exceptionnelle
des années 1950 avait déterminé.
La fin des années 1980 vit apparaître la titrisation des Asset–Backed Securities, les
Obligations Adossées à des Actifs, où sont agrégés, sous forme aisément
transférable, plusieurs milliers de crédits personnels : prêts immobiliers,
prêts automobiles, prêts accumulés sur les cartes de crédit, prêts obtenus pour
payer les sommes exorbitantes qu’exige aux États–Unis l’obtention d’un titre
universitaire. Quand la Chine se mit à accumuler en quantités astronomiques non
seulement des Bons du Trésor américain mais aussi ces Asset–Backed Securities, elle contribua
par sa demande insatiable à déprimer ce marché dont les taux baissèrent pour
refléter l’aisance avec laquelle ces obligations trouvaient acheteur (la Chine
possède aujourd’hui des Mortgage–Backed
Securities émises par Fannie Mae et Freddie Mac à hauteur de 422
milliards de dollars, l’équivalent de 10 % de son PIB). Ces taux bas
encouragèrent à leur tour les consommateurs américains à emprunter davantage.
Une dynamique s’était créée qui bénéficiait aux salariés
américains qui tentaient de maintenir par l’emprunt leur train de vie antérieur
(1). La Chine y trouvait également son compte : la plupart des biens de
consommation achetés par les consommateurs américains étaient produits par
elle, offrant ainsi un débouché tout trouvé à son industrialisation rapide.
Bien entendu, cela durerait ce que cela durerait. Les
Chinois ont dû penser à ce qui se passerait quand cette belle mécanique
s’enrayerait : les organismes de financement du crédit à la consommation
américains se révéleraient rapidement déficitaires ; menacés par la faillite,
ils iraient quémander pour échapper à une fin indigne. La Chine désormais riche
se porterait à leur secours, investissant les sommes qui leur épargneraient ce
déshonneur et prenant pied du coup au cœur-même du système financier américain.
Mieux : les États–Unis entrés alors dans la seconde partie d’un de leurs cycles
économiques typiques, celle où l’Etat mobilise ses ressources (celles de la
communauté bien entendu) pour venir à la rescousse des investisseurs et des
patrons en mauvaise posture, abandonneraient provisoirement le modèle du
capitalisme de marché pour celui du capitalisme d’Etat – à l’instar de la Chine
elle-même.
Ceci offrirait à la Chine le répit qu’une Amérique riche
et arrogante lui aurait refusé, se montrant au contraire autocratique et peu
disposée à tolérer un rival en pleine ascension. C’est là que nous en sommes et
la Chine n’a rien à craindre en effet : toutes les ressources militaires
américaines sont mobilisées – et immobilisées – en Irak et en Afghanistan. La
garde prétorienne du Président Bush voudrait sans doute en découdre avec l’Iran
mais n’en a plus les moyens. Alors, pensez, affronter la Chine !
––––––
(1) Artemus Ward, un humoriste américain avait déjà dit au milieu du XIXe siècle
: « Vivons heureux dans les limites qu’imposent nos moyens – même si nous
devons pour cela emprunter un peu ».
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y
aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Réponses à
“La Chine tire-t-elle les ficelles ?”
LEDUC :
Intéressant comme hypothèse. Force est de constater
plusieurs choses. Tout d’abord la Chine a sans doute gardé un très mauvais
souvenir de l’occupation occidentale fin 19è debut 20è siècle, des traités
injustes, de l’occupation de Hong Kong et de tant d’autres sombres moments de
l’histoire chinoise. Un empire qui fut aussi grand, puissant, avec une si
longue histoire, et qui est asservi et malmené par les puissances occidentales,
les Chinois ne l’ont certainement pas oublié, ni l’épisode de l’invasion
japonaise pendant la seconde guerre mondiale.
Que les Chinois se soient réfugiés dans le communisme dans
un premier temps pour rejeter en bloc toutes les valeurs occidentales, le
capitalisme et sa cupidité qui mène à la domination brutale militaire et
coloniale, leur arrogance et suffisance à cette époque, les soi-disant valeurs
comme les droits de l’homme et la démocratie, cela pourrait me paraitre une
possibilité.
Ensuite qu’ils aient compris que leur système économique
communiste ne permettrait pas de se protéger efficacement contre les puissances
capitalistes et que cela les mènerait dans une impasse comme l’URSS, c’est
aussi une idée intéressante. Peut-être ont-ils réalisé qu’ils ne pourraient
jamais vaincre une puissance comme celle des USA avec leur système économique
archaïque, et ainsi adaptant les anciens arts de la guerre, le manuel de guerre
de Sun Tzu, ils ont compris que le point faible des USA pourrait être
précisément leur économie et ainsi ils ont simplement adapté leur économie afin
qu’elle puisse rivaliser et mettre en difficulté celle des USA. Il est certain
que la Chine ne veut plus connaître occupation et humiliation comme elle l’a
connu depuis le début de l’ère industrielle.
Ce que les Chinois ont fait en si peu de temps, depuis le
début des années 1980 est tout simplement incroyable : ils ont réussi à
transformer un pays archaïque, sous développé, ruiné en un pays qui est une
puissance économique majeure incontournable. Je ne pense pas qu’une telle
réussite soit le fruit du hasard. Certes les Chinois sont travailleurs,
méthodiques, intelligents, disciplinés. Mais on ne peut pas expliquer une
réussite aussi fulgurante, je pense, sans imaginer une arrière-pensée
politique, un plan murement réfléchi pour permettre à la Chine de devenir un
pays puissant qui ne sera plus jamais menacé par un pays voisin ou lointain.
En tout cas, que ce soit une stratégie politique bien
déterminée ou alors le hasard du développement économique, je pense que la
Chine a fait un noeud coulant, et les puissances occidentales se sont
précipités dedans avec empressement, les USA en premier. En voulant produire
moins cher, faire plus de bénéfices, faire baisser les prix à la consommation
des biens, être plus performant que les entreprises concurrentes, en
délocalisant en Chine, les entreprises occidentales ont donné le bâton qui
servirait à les battre plus tard. Nous avons aidé ce colosse à s’ériger, nous
l’avons aidé à construire toute une infrastructure et toute une économie
puissante, un pays puissant.
Je crois que les Chinois sont conscients que la chute de
l’économie américaine, des autres économies par ricochet, de la puissance des
USA aura forcément un impact très important et certainement négatif sur la
Chine. Mais je pense que la Chine a compris aussi à un certain moment de son
développement économique qu’elle deviendrait de facto l’adversaire numéro un
des USA en l’absence de superpuissance après la désintégration de l’URSS.
La Chine a très bien compris que tôt ou tard les USA
verraient la Chine comme leur principal adversaire dans la lutte pour conserver
leur leadership mondial. Et si affrontement il doit y avoir tôt ou tard, alors
je pense que la Chine aurait très bien pu penser que la guerre économique était
la meilleure façon de mettre à terre le géant américain, de broyer son économie
et ainsi par onde de choc pulvériser la domination américaine dans les autres
domaines dont notamment le domaine militaire.
Paul, cet article me surprend un peu, et je sais sans
doute qu’on ne pourra pas vous taxer de voir des complots mondiaux, à l’ordre
géopolitique comme certains auteurs un peu trop excités mentalement ici ou là
sur la toile. Ceci dit certains disent finalement que les actions américaines
dans le monde, les positionnements et conflits armés ne serviraient en dernière
analyse qu’à encadrer la Chine, la cerner, verrouiller son accès aux zones
stratégiques importantes, ressources et routes commerciales. Si les USA ont
creusé leur propre tombe, les USA leur ont certainement vendu la pelle “made in
China” qui sert à la creuser. Peut-être qu’un jour les USA se rendront compte
qu’ils ont été berné par ses rusés Chinois et que les carottes sont cuites. La
réaction américaine serait sans doute moins diplomatique à ce moment là.
OUFTI :
L’image qui me vient est celle d’une partie de poker où
l’un des joueurs est bien trop sur de lui.
On peut imaginer soit qu’il ait mal caché les cartes de son jeu, soit qu’il ait
trop bluffé.
TIGUE :
1945, ont eu lieu les accords secrets de Yalta. Pourquoi
ne pas imaginer qu’après la chute du mur de Berlin, de tels accords aient été
passés. Dans ce cas, nous ne connaissons pas les termes du contrat, mais ils
pourraient prévoir, un partage des zones d’influence. L’absence de réaction de
la Chine face au “containtment énergétique” américain laisserait penser que
tout se déroule conformément aux accords pour le moment. Qu’a obtenu la Chine
en échange ? Si ce n’est pas sur le plan stratégique, c’est peut-être sur le
plan économique : “on vous finance les conquêtes énergétiques, et vous nous
laissez des parts de votre domination économique, zavez rien à craindre, vous
contrôlerez le robinet énergétique”.
Si on réfléchit en termes de positionnement dans une
partie d’échecs, le pari est gagnant pour les deux, et l’affrontement est
reporté.
Pour ma part je pense que l’Occident s’est fait avoir, car
l’animosité anti-occidentale qui va résulter de ces conquêtes énergétiques ne
fera que grandir, et la Chine peut attendre…”
FRANCK :
Excellent article, qui pour une fois fait preuve
d’originalité et d’une réflexion à mon avis très pertinente de la crise
actuelle ! Car ce qui est à l’oeuvre aujourd’hui, n’est-ce pas tout simplement
l’effondrement du modèle de développement capitaliste. Les événements nous
montrent à mon avis que le marché, invention théorique des économistes, est
très performant pour gérer allocation des ressources entre les plus forts mais
strictement incapable de gérer le stock (L’épuisement des ressources
halieutiques en sont un bon exemple, de même que la crise des subprimes).
Maintenant que nous sommes confronté à une crise majeure
des divers stocks (dettes, pétroles, matières premières …) ce soi-disant modèle
supérieur des marchés s’effondre et on en revient au bon vieux schéma de toute
cour de récréation : celui qui domine, c’est celui qui pisse le plus loin. Car
à mon avis et n’en déplaise à beaucoup les Sciences Economiques (pour plagier
Clausewitz) ne sont que la prolongation de la politique par d’autres moyens.
ALL :
Oui c’est cocasse ! Pour faire la guerre à la Chine les
USA devraient emprunter de l’argent… À la Chine.
YANN :
@JLS
Les Chinois seront peut-être les gagnants de
l’affaissement (au mieux) des Etats-Unis ou de l’effondrement, mais
économiquement la Chine sera touchée ainsi que tous les pays qui amassent des
dollars sans discernement (Extrême-Orient et Pays du Golfe).
Vous oubliez une chose : ils ont les usines et le
savoir-faire, la chose la plus importante.
Fabriquer des consommateurs, ce n’est pas difficile. Les
Américains en savent quelque chose, par contre fabriquer les ingénieurs les
ouvriers et les techniciens qu’on ne forme plus depuis des années à cause de la pseudo société post-industrielle et de l’hypertrophie des
services en est une autre. Les Américains et les Occidentaux en général, se
sont appauvris physiquement, usines, machines-outils, système de production,
une fois qu’ils ne pourront plus importer il leur faudra à nouveau tout
reconstruire mais la matière grise va manquer. Transformer un ingénieur en
vendeur de pizza sous-prolétarisé est plus simple que faire l’inverse.
Une fois que la Chine sera privée de la demande
occidentale, il lui suffira de mettre un salaire minimum, de stimuler le crédit
et de réduire la propension à épargner pour compenser les baisses des
exportations chez nous, les Chinois sont plus d’un milliard : accroitre la
demande n’est pas trés difficile. En Occident, en revanche, la pénurie risque
de durer, et les écoles de commerces ainsi que les métiers de service n’auront
plus trop la cote. Je vois déjà les annonces : “cherche ouvrière textile
impérativement lol”. Le jour ou l’Occident perdra sa domination monétaire, le
monde verra la réalité économique des pays développés.
Vos analyses sont très intéressantes.
Je me permets juste de signaler que les Chinois ont un
problème immédiat d’importation de pétrole et de charbon et que pour le gaz
cela sera vers 2020 (voir Laherrère dans ASPO France). Sans même évoquer les
défis écologiques, cela risque de compliquer très sérieusement l’avenir
économique et social de ce pays.
De plus, sachant que la production de pétrole baisse aux
USA depuis près de 40 ans tandis que la production de gaz va chuter bientôt,
les relations de puissance risquent de se corser entre les deux !
RUMBO :
J’aimerais bien pouvoir répondre individuellement, ici, à
chaque intervenant, mais cela semble hors de portée vu l’amplitude du sujet.
Voici quelques réflexions.
C’est peut-être une partie de jeu de Go “mondial” qui se
déroule en notre époque.
Il me vient à l’esprit les rapports Yin-Yang dans le jeu
économique et stratégique actuel, conforme à l’histoire à cette échelle.
Si l’on est un tant soit peu imprégné de logique chinoise,
tel que l’est votre serviteur, comment ne pas considérer ce rapport Yin-Yang
dans un monde devenu circumplanétaire, après avoir été longtemps dominé par la
seule structure Est-Ouest depuis 1917, ou 1945, selon comment on règle la
“lunette historique”.
En effet l’Occident depuis presque toujours (1) fut un
conquérant “absolu”. Soumettre le monde à ses normes était, et reste, son
attitude, une attitude YANG. Dans les mêmes temps historiques, la Chine, comme
étant le centre de gravité de l’Asie orientale ou l’Asie sinisée, la Chine,
“centre du monde”, donc édifiait ses murailles pour se protéger contre les
barbares, ici attitude YIN. L’Occident apparaît clairement comme la partie YANG
du monde, tandis que la Chine apparaît non moins clairement comme la partie YIN
du monde.
Aujourd’hui les rapports Est-Ouest ou/et Ouest-Est sont
donc circumplénétaires, et c’est l’océan Pacifique qui constitue l’espace
structurant du monde contemporain. Méditerranée—> Atlantique—> Pacifique,
tel est le “tracé Occidental” et son sens géographique de civilisation. Cet axe
des parallèles est croisé, forme une croix, par l’axe méridien Nord-Sud
Europe-Afrique et son jumeau américain Amérique du Nord-Amérique du Sud, les
Caraïbes étant, en quelque sorte, une réplique “méditerranéenne” du continent
américain dans la totalité de son ensemble.
Le piquant des rapports de l’Occident avec les autres
régions et zones non occidentales du monde donc la Chine en particulier, le
“bélier” actuel de l’Occident étant les États-Unis, c’est que les occidentaux,
étatsuniens en têtes, croient que les autres peuples sont en train d’ “entrer”
dans leur histoire d’occidentaux, puisqu’il semble implicite qu’ils “doivent”
se mettre au “standard” occidental, s’il le faut, on les y force… C’était
l’attitude typique des Européens au dix-neuvième siècle. C’est celle, typique,
des Américans du Nord au vingtième siècle. Cette attitude étant en train de se
“résoudre” au vingt-et-unième siècle… Et le malentendu ne manquera pas de sel
lorsqu’il sera sans doute patent que les occidentaux se rendront enfin compte
qu’eux aussi “rentrent” dans l’histoire d’autres peuples, particulièrement de
la Chine. La Chine en est sans doute le cas le plus typique.
Certes il existait déjà séculairement la diaspora chinoise
en de nombreux endroits du monde, mais la Chine n’avait pas encore ce présent
rôle qui grandit à vue d’œil chaque jour et qui ne fait, sans doute, que
commencer.
(1) “Origines” de l’Occident. Il y eut l’Égypte pharaonnique,
la mère des nations, “fécondée” en quelque sorte par Israël, puis la Grèce,
puis Rome prit la relève cinq siècles (prolongée de dix siècles avec Bysance),
puis l’Europe, formée sur les fragments de l’Empire romain, domina le monde au
travers cinq principales nations concurrentes : la France, l’Espagne, le
Portugal, l’Angleterre et les Pays-Bas. Ces nations firent l’”histoire” durant
quatre à cinq autres siècles. l’Allemagne, arrivée
trop tard, frustrée et privée de l’exutoire colonial, vira et percola comme
l’on sait dans la première moitié du vingtième siècle. Aujourd’hui ce sont les
USA qui finissent la “tournée” occidentale. À partir de la fin du dix-neuvième
siècle, l’Angleterre, peu à peu, laissa la place stratégique aux États-Unis,
dernier “dépositaire” en date du “bélier” occidental. Telles sont, dit très
rapidement, les principales couches historiques de civilisation du monde
occidental.
Voici donc évoquées en très résumé, les strates
occidentales dont la Révolution bourgeoise protestante, marginalisant la
monarchie britannique de la fin du dix-septième siècle est le vecteur principal
qui aboutit, après la Réforme protestante, puis le siècle des “Lumières”, à la
Révolution Bolchévique de 1917 dont ses partisans militants au vingtième siècle
disaient eux-mêmes qu’elle était la fille de la Révolution française en l’An
II. Mais en même temps, car la révolution bourgeoise historiquement
d’inspiration protestante se trouve aux deux “extrémités” marxiste ET
capitaliste, cette révolution bourgeoise aboutit donc au “triomphe du
capitalisme”, essentiellement le capitalisme financier qui fourbit
historiquement les mouvements révolutionnaires. Ce capitalisme financier,
commencé dans la dernière décennie du dix-septième siècle avec la formation de
la Banque d’Angleterre, banque devenue modèle mondial du système financier
auquel nous payons tous un très lourd tribut, un tribut mortifère. Ainsi
l’apogée des États-Unis commença vraiment à partir de 1945 pour aboutir en 1989
à la chute du communisme, le communisme qui fut le prototype de mondialisme
alors jeté à la ferraille, et dont le signal fut la chute du mur de Berlin,
tandis que l’Europe entrait dans l’ombre du mondialisme en même temps que dans
l’ombre de l’islamisme.
BENOIT :
Extrait d’un billet de Paul datant de plus d’un an (le 13
juin 2007) et qui a pour titre : “Les Etats-Unis otages de la Chine”
Je cite Paul :
Avant-hier, Alan Greenspan a déclaré à l’occasion d’un
colloque consacré à l’immobilier, que la Chine n’entendait pas liquider son
énorme portefeuille d’obligations américaines. Ses auditeurs ont du pousser un
soupir de soulagement.
Mais quand ils l’entendirent préciser que la raison en
était qu’il ne trouverait pas preneur, ils ont du s’étouffer.
Question a tous :
Sincèrement, pensez-vous que les Chinois les auraient achetées s’ils avaient
prévu l’illiquidité ?
Si vraiment il y a eu au monde quelques dirigeants qui ont
vu venir la crise, ils ne doivent pas être bien nombreux… Peut-être se
comptent-ils sur les doigts d’une seule main ?
D’ailleurs… y en a-t-il seulement un ?
PAUL JORION :
@ Benoît
La réponse se trouve dans un autre de mes billets :
Hystériques et hypocrites http://www.pauljorion.com/blog/?p=166
Qui a raison ? C’est difficile à dire : la perspective
adoptée par la BNP Paribas et l’AMF, consiste à affirmer que ces instruments
financiers sont faits pour être conservés jusqu’à leur maturité de trente ans,
pas pour être revendus le lendemain du jour où ils ont été achetés. Il est d’ailleurs
à noter que c’est dans ce même esprit flegmatique que les Chinois envisagent
ces obligations, la presse révélait en effet hier les chiffres exacts –
exprimés en milliards de dollars – des ABS adossées à des prêts immobiliers «
subprime » dans les portefeuilles de banques chinoises, information qui laissa
de marbre leurs investisseurs. L’agence de notation Moody’s répondait à ceux
qui s’interrogeaient sur l’impact financier de ces quantités astronomiques de
prêts « subprime » sur la bonne santé des banques chinoises : « Ce sont des
banques commerciales de type classique, dont les fonds sont essentiellement
constitués des dépôts de leurs clients et disposent d’une bonne liquidité :
elles n’ont nul besoin de recourir à des obligations adossées à des actifs ou à
des billets de trésorerie. C’est pourquoi la détérioration récente des marchés
du crédit n’a eu qu’un impact mineur sur leurs liquidités. Ce qui leur
permettra aussi de conserver leurs investissements adossés à des prêts
“subprime” jusqu’à maturité, sans être obligées d’encourir des pertes au prix
défini par le marché lors d’une vente forcée ».
LOU :
J’ai du mal à comprendre en quoi les chinois seraient
gagnants, et quant à penser que la Chine produit à tour de bras ingénieurs et
matière grise contrairement aux pays occidentaux (yann), c’est vraiment
surestimer leurs universités et leurs étudiants, même si depuis qq années
l’argent est massivement investi en matière de recherche et développement. Peut
etre ai je une vision déformée par la fréquentation d’une partie peu
représentative de cette population estudiantine chinoise, mais pour l’instant
je ne suis pas convaincue. Et cette nouvelle classe, sortie à bac+4 de
l’université connait déjà le déclassement que nous vivons en Occident: une part
de plus en plus croissante des jeunes diplômés ne trouve pas d’emplois à la
sortie de l’université.L’impression que j’ai, c’est plutot que le “phénomène”
Chine relève comme l’immobilier, le pétrole, les céréales…d’une Bulle. Le monde
s’est shooté au crédit, faisant prendre la second life pour la real life. On
parle d’économie réelle, c’est hallucinant: on s’est tellement perdu dans le
virtuel qu’on a du mal à croire à la réalité de l’économie. En Chine c’est
quand même des millions de gens qui n’ont pas de quoi manger. Avec l’inflation
qui va largement dépasser les 10%, on peut meme dire 15, les salaires ont
intérêt à suivre. A ça s’ajoute l’effondrement des exportations: le marché
intérieur est très loin d’être en mesure de prendre le relais.
18 AOUT 2008
Publié par Paul Jorion
dans Economie
Ce
texte est un « article presslib’ » (*)
Sur le plan économique, la Chine semble la seule région du
monde capable de confirmer, au moins partiellement, une thèse qui fut très
populaire il y a quelques années : celle du découplage, qui ferait qu’une crise
économique aux États–Unis ne se refléterait plus nécessairement au sein des
autres nations. La récession larvée aux États–Unis depuis le début de l’année
n’a pas tardé à se répercuter, avec le décalage habituel d’un semestre, et
commence à affecter maintenant le Japon et l’Europe. La Chine a réagi aux
premiers signes de ralentissement chez elle, dû à la baisse des achats par les
ménages américains, par une politique qui met l’accent sur le maintien de la
croissance et du taux d’emploi. Une campagne de développement de
l’infrastructure des moyens de transport est en cours depuis 2005 et fait
partie d’un plan quinquennal au budget équivalent à 380 milliards d’euros. Des
grands travaux sont lancés en ce moment au Sé-Tchouan, visant à reconstruire la
région qui fut dévastée en mai par un tremblement de terre dont le bilan
définitif est de 69 000 morts, mais aussi les régions qui avaient été affectées
par des chutes de neige catastrophiques en janvier et février. Il s’agit de
reconstruire ces écoles effondrées dont nous avons vu les images à la
télévision, les maisons, les usines mais aussi des ponts ainsi que des lignes à
haute tension.
La Chine adopte ici la même attitude déterminée dont elle
a fait preuve pour juguler l’engouement pour les paris en bourse, modifiant les
conditions du jeu de manière à minimiser l’impact d’un mini-krach sur le marché
boursier intérieur qui ne manquerait pas de se manifester et qui eut
effectivement lieu, l’indice de la bourse de Shanghai - qui, durant trois mois
en 2007 fut la plus active du monde - perdant 55 % de sa valeur entre janvier
de cette année et aujourd’hui, modifiant aussi sans cesse les conditions
d’attribution de prêts ainsi que le niveau des réserves obligatoires des
banques dans une tentative de “micro-gestion” de l’inflation.
Stephen Green du Wall Street Journal commentait en juin
que la Chine n’avait pas encore compris que l’inflation est un phénomène monétaire
et que “les dirigeants qui déterminent sa politique économique ne sont pas
particulièrement disposés à prendre les mesures difficiles nécessaires pour
résoudre le problème, comme relever les taux d’intérêt ou permettre l’appréciation
du yuan”. Ce que Mr. Green ne comprend pas de son côté, c’est que la Chine sait
qu’en haussant le taux d’intérêt à court terme elle attirerait encore davantage
d’”argent facile”, c’est–à–dire à la recherche d’un simple avantage spéculatif
- dont elle ne sait déjà pas quoi faire - et qu’elle a choisi une approche
entièrement différente.
Avec un surplus fiscal représentant 1,5 % de son PIB, des
réserves en devises se montant à 45 % du PIB et une dette publique qui n’en
représente que 15 %, la Chine dispose d’une marge de manœuvre confortable pour
expérimenter dans un cadre conceptuel différent : très éloigné en effet de
celui de l’”Ecole de Chicago”, qui inspira pendant trente ans la Banque
Mondiale et le Fonds Monétaire International, et dont des chercheurs
britanniques ont récemment montré qu’ils coïncida avec la recrudescence de la tuberculose dans les
pays de la zone autrefois communiste où son dogme monétariste furent appliqués.
La Chine, première puissance mondiale ? La progression de
son PIB est de l’ordre de 10 % depuis 2003 (11,4 % en 2007) mais son économie
ne représente encore que 15 % de celle des États–Unis. Si la Chine parvient à
combiner une dynamique de demande intérieure soutenue avec celle de ses
échanges internationaux, le facteur déterminant d’une telle évolution sera
celui de la vitesse à laquelle l’économie américaine de son côté plongera.
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Réponses à « La particularité
chinoise »
LEDUC :
Autant dire que si le dragon chinois sort à peine décoiffé
de la crise alors que l’aigle américain y laisse une bonne partie de ses
plumes, on va droit vers un affrontement de plus en plus direct entre les deux
géants.
J’attends déjà avec impatience le verdict des médailles
des JO pour voir quel sera le rapport des médailles entre USA et Chine.
Personnellement j’ai toujours peu cru aux vertus “olympiques”, les jeux d’été
principalement ont toujours été un prétexte pour afficher tout un contenu
politique derrière et des rapports de forces. Les nations puissantes y
affirment leur puissance.
A Atlanta en 1996, la Chine était 4è avec 16 médailles
d’or
A Sydney en 2000, la Chine était 3è avec 28 médailles d’or
A Athènes en 2004, la Chine était 2è avec 32 médailles d’or
Quel sera le message des JO 2008 ?
Est-ce que 2008 sera l’année de l’affront suprême pour les USA avec la Chine
passant en 1er ?
ARTHUR :
Cher ami bonsoir,
J’adore vos commentaires ils sont très intéressants. Je
passe l’ena dans 2 semaines et votre blog occupera une place de choix dans ma
copie d’éco.
Mais en tant que sinisant, je voudrais juste vous dire que
le pinyin (transcruption latine du mandarin) est meilleure que l’ancienne.
Aussi “Sichuan” est plus efficace et contemporain que “si-tchuang”.
merci d’avance!
Arthur
Chapitre II
Sur la pensée occidentale
et la pensée chinoise
PAUL JORION :
Comme cela me paraît
pertinent dans la discussion que certains d’entre vous ont engagée, un chapitre
de « Vers la crise du capitalisme américain ? » (La Découverte 2007 : 186-192).
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme
Les citoyens américains dans leur quasi-totalité
considèrent le système économique qui est le leur comme idéal, n’envisageant sa
réforme possible que sur des aspects mineurs. Suggérer à un Américain que
certaines des institutions de son pays pourraient être améliorées si l’on
s’inspirait de l’expérience d’autres nations, produit toujours chez lui la même
consternation : s’il lui paraît admissible que certains détails sont
révisables, l’idée que d’autres nations auraient pu faire mieux à ce sujet, lui
est inacceptable. Et c’est pourquoi on pourrait être tenté de qualifier le
capitalisme sous la forme qu’on lui trouve aux États-Unis, non pas de « sauvage
», mot qui suggère un certain archaïsme, mais de « fondamentaliste ».
Il n’est donc pas superflu de réexaminer la thèse de Max
Weber relative à la consubstantialité du capitalisme « fondamentaliste » et du
protestantisme et pour ce qui touche à ce dernier, à sa forme spécifique aux
États-Unis, le Puritanisme, et à la source de celui-ci dans l’enseignement de
Jean Calvin. Le calvinisme suppose la prédestination : Dieu réalise son dessein
du triomphe historique du bien sur le mal et chaque individu a son rôle à jouer
dans le déroulement du drame, positif pour l’élu et négatif pour celui qui est
exclu de ce nombre. La place de chacun dans la réalisation du plan divin a été
déterminée antérieurement à ce qu’il soit déployé dans l’histoire. En
conséquence, le libre-arbitre est une illusion : l’individu est seul,
prisonnier d’un destin qui s’effectue malgré lui, apte seulement à constater
quel est celui-ci au sein du projet de la divinité.
Selon Weber le capitalisme moderne fut fondé en
Nouvelle-Angleterre au XVIIe siècle par les Pèlerins, un groupe de colons
puritains. Cela paraît incontestable. Je résume brièvement sa thèse qui fait
émerger du calvinisme l’individu possédé par l’esprit d’entreprise.
Tout sujet ignore s’il appartient ou non au cercle des
élus. Cette incertitude est source d’anxiété et il guette les signes éventuels
de son élection. Sa capacité à se préserver du péché, ainsi que sa réussite
personnelle dans les entreprises séculières, telle l’obtention du confort
matériel, voire même de la fortune , constituent le test
de son élection. L’apparition de signes encourageants le motive davantage.
L’enthousiasme ne tarde pas à engendrer le succès qui confirme le sujet dans le
sentiment qu’il appartient bien au nombre des élus. On assiste à un
renforcement progressif, une amplification, où chaque succès contribue à
assurer la réussite de nouvelles entreprises. Le processus est celui d’une «
rétroaction positive », où le succès engendre le succès. Convaincu désormais
d’appartenir au camp des « bons » au sein du drame cosmique, le sujet
s’enhardit : sa confiance en soi devient infinie. La preuve est faite à ses
propres yeux, mais aussi à ceux du reste des hommes, que Dieu compte sur lui
dans la réalisation de son dessein.
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur l’époque à laquelle
cette domination idéologique du puritanisme aux États-Unis a pris fin, certains
considèrent qu’elle entre en déclin au début du XVIIIe siècle, d’autres pensent
qu’elle ne s’éclipsera qu’au début du siècle suivant. Pour ma part, je
considère que cette influence n’a probablement pas connu d’interruption puisque
je l’observe encore dominante à l’heure actuelle. Ses formes sont sans doute
sécularisées aujourd’hui à des degrés divers mais elle demeure intangible : les
tentatives demeurent constantes d’instaurer en institutions des règles morales
dont le respect est laissé dans des contextes moins répressifs à la
délibération de chacun. Ainsi les prohibitions anciennes ou actuelles de
l’alcool, du tabac, de la marijuana, de la nudité, de l’euthanasie, ainsi les
infractions de la Federal Drug Administration à ses propres règlements dans
l’interdiction à la vente libre de la pilule dite « du lendemain ». Bien
entendu, aucune société moderne n’est réellement unanimiste et il existe sur
toute question un éventail d’opinions, il n’en demeure pas moins que les vagues
migratoires successives qui ont suivi la fondation de la colonie de Plymouth
par un groupe de puritains anglais appelés « les Pèlerins » n’ont jamais réussi
à modifier le moule : elles se sont toutes assimilées sur le plan idéologique
au courant à dominante puritaine après en avoir adopté, bon gré mal gré,
l’éthique. Il en est allé ainsi pour des ethnies que l’on imaginerait mal
assimilables au modèle calviniste : pour les Irlandais et les Italiens, chacun
catholique à sa manière, pour les Russes et pour les Arméniens, pour les Juifs.
Les États-Unis se vantent à juste titre d’être une société
plurielle sur le plan religieux qui n’a jamais connu de guerre civile sur ces
questions. Il s’agit en effet d’une gageure. Steve Fraser suggère dans son
Every Man a Speculator consacré à l’influence de Wall Street sur la vie
américaine au fil du temps que l’unification s’est faite autour de Mammon.
Évoquant l’état d’esprit dans lequel baignait l’opinion publique en 2005, alors
que de nouveaux scandales étaient découverts journellement dans le
fonctionnement du monde financier, il écrivait : « Même au sein de la tourmente
causée par les fraudes les plus choquantes depuis le krach de 1929, le public
demeure enamouré. Les retombées politiques sont mineures. Les sources de la
contestation semblent taries. Non seulement – et la chose est essentielle –
dans le monde politique, mais plus intimement dans la manière dont le public se
représente la relation qui existe entre Dieu et Mammon, par exemple. Ceci bien
entendu au cas où l’idée les effleurerait…. Ou dans la manière dont nos
fictions littéraires et cinématographiques, voire notre dose quotidienne de
journalisme, présentent le règne du marché libre, chez nous comme à l’étranger,
comme étant d’une inéluctabilité fatidique ».
Certains immigrants italiens qu’évoque Lendol Calder dans
son Financing the American Dream évoquent en riant l’unanimité qui s’est faite
autour des « dolci dollari ». Sentiment partagé qu’il définit de la manière
suivante : « L’éthique de la gestion pécuniaire victorienne devint prévalente
dans la culture américaine non parce qu’elle transforma les salariés de
misérable en millionnaire ou les employés de la classe moyenne, de la vie
duraille à la vie de pacha, mais parce que ses doctrines servaient les
intérêts, tels qu’ils les percevaient, des misérables autant que des puissants
». J’avais observé, à ma grande surprise, parmi les pêcheurs bretons, le même
assentiment à un système économique dont ils pouvaient apparaître a priori
comme les perdants.
Le gouvernement de George W. Bush se distingue de ses
prédécesseurs en ce qu’il constitue le retour à une forme peu sécularisée du
Puritanisme. Un journaliste allemand commentait à la radio à l’occasion de sa visite
en Europe en février 2005, je cite de mémoire : « Nous avons aussi connu des
dirigeants qui parlaient en termes de certitudes dans leurs discours. Nous ne
pouvons plus faire confiance à quiconque affirme ‘Dieu nous enjoint de faire
ceci ou cela’. Nous avons déjà donné ! ».
Dans son adresse à la nation, à l’occasion de sa seconde
inauguration en janvier 2005, le Président annonçait : « Nous allons de l’avant
avec une confiance absolue dans le triomphe ultime de la liberté. Non pas parce
que l’histoire progresse du train de l’inévitabilité : ce sont les choix
humains qui animent les événements. Non pas parce que nous nous considérons
comme une nation élue ; Dieu meut et choisit comme il l’entend. Nous avons
confiance parce que la liberté est l’espoir permanent de l’humanité, la faim
dans les ténèbres, l’aspiration de l’âme […] L’histoire voit la justice fluer
et refluer mais elle possède aussi une direction visible, définie par la
liberté et par l’auteur de la liberté ». (J’ai rendu par « liberté » l’anglais
freedom ainsi que l’anglais liberty).
Le message créa la consternation, y compris aux
États-Unis. Si bien que le Président se vit obligé d’en clarifier la
signification quelques jours plus tard. Il précisa alors qu’il s’agirait pour
la réalisation de son programme du « travail de plusieurs générations ».
Certains commentateurs évoquèrent le ton « messianique » du message. Ce qui le
caractérisait en fait n’était pas le « messianisme », mais le recours à la
rhétorique calviniste : l’évocation d’une théocratie mondaine construite selon
un plan divin, une Cité de Dieu préfigurant par sa forme le Royaume des Cieux.
La tombe de Phoebe Gorham décédée à Cap Cod dans le Massachusetts en 1775 a
pour épitaphe : « Dès à présent mon Âme, dans l’Unité la plus douce, rassemble
les deux supports du bonheur humain dont certains affirment à tort qu’ils ne
peuvent se rejoindre : le Vrai Goût pour la Vie, et la pensée constante de la
Mort ». Les Puritains ne se détournent en effet pas du monde matériel d’Ici–Bas
qui ne se limite pas à être une antichambre de la vie future : le bonheur
s’acquiert d’abord dans ce bas–monde, du moins pour l’élu.
Je me suis livré à un petit exercice : j’ai légèrement
retouché le discours de Bush, en remplaçant le renvoi à la notion de liberté par
celui à la volonté divine. Mes retouches sont en italique, voici ce que ses
paroles deviennent à la suite de ce petit traitement : « Nous allons de l’avant
avec une confiance absolue dans le triomphe ultime de la volonté divine. Non
pas parce que l’histoire progresse du train de l’inévitabilité : ce sont les
choix humains qui animent les événements. Non pas parce que nous nous
considérons comme une nation élue (parce que ce sont les hommes qui sont élus à
titre individuel par la prédestination et non les nations) ; Dieu meut et
choisit comme il l’entend. Nous avons confiance parce que la volonté divine est
l’espoir permanent de l’humanité, la faim dans les ténèbres, l’aspiration de
l’âme […] L’histoire voit la justice fluer et refluer mais l’histoire possède
aussi une direction visible, définie par la volonté divine et par l’auteur du
dessein divin ».
Il peut bien entendu sembler que la teneur du message a
changé de manière radicale : la notion de libre–arbitre à laquelle le mot de
liberté est attachée a été entièrement éliminée, comme c’est le cas en effet
pour le calvinisme. La substitution a, au passage, éliminé la contradiction,
sinon flagrante, entre deux passages : « ce sont les choix humains qui animent
les événements » et « Dieu meut et choisit comme il l’entend ».
Le sentiment que la majorité, dans une nation dont le
succès révèle qu’elle bénéficie incontestablement de la sollicitude divine,
comprend nécessairement l’ensemble des élus de Dieu dans la population, conduit
à l’absence de sollicitude envers les autres, les losers. C’est à cette dureté
du « Vae victis ! », du « Malheur aux vaincus ! », d’un État vis–à–vis de ses
propres citoyens que pensait de Tocqueville, quand il évoquait la « tyrannie de
la majorité » :
« Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique,
tel qu’on l’a organisé aux États–Unis, ce n’est pas, comme beaucoup de gens le
prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et
ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y
règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie. Lorsqu’un
homme ou un parti souffre d’une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous
qu’il s’adresse ? À l’opinion publique ? C’est elle qui forme la majorité ; au
corps législatif ? Il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au
pouvoir exécutif ? Il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif
; à la force publique ? La force publique n’est autre chose que la majorité
sous les armes ; au jury ? Le jury, c’est la majorité revêtue du droit de
prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par
la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous
frappe, il faut donc vous y soumettre ».
Mais il s’agit en même temps, avec les États-Unis, d’une
société qui avait découvert avec le New Deal de Franklin Roosevelt une voie
moyenne, respectueuse des libertés, ni fasciste, ni communiste. Ce qui avait
permis ce développement, c’est la perplexité du Puritanisme lorsque la nation
tout entière se retrouve en difficulté, quand la majorité se retrouve elle
aussi dans la dèche, dans ce cas–là, la distinction entre élus et exclus du
dessein divin se brouille. Il faut alors se retrousser les manches,
provisoirement tous ensemble, jusqu’à ce que des temps plus cléments permettent
à nouveau de s’y retrouver entre les bons et les méchants.
Le rejet spontané des « paresseux » par les Américains est
dans la droite ligne du calvinisme : celui qui n’aime pas le travail produit du
fait même la preuve qu’il se situe en-dehors de la sphère des élus. Le reproche
le plus généralement adressé aux Noirs américains est celui de paresse, c’est
là une manière pratique de signifier leur exclusion du cercle des élus. À
l’inverse, bien entendu pour les fermiers, dont le caractère industrieux les
situe à leurs antipodes. La conséquence, c’est l’acceptation de principe de la
ségrégation par la fortune, plus insidieuse que celle par des lois
discriminatoires puisqu’il est dans sa logique de se reproduire, sans nécessité
pour cela de mesures oppressives, et qui apparaît en surface à l’occasion d’une
catastrophe comme celle de la Nouvelle–Orléans, quand l’Amérique blanche
découvre avec stupeur sur ses écrans de télévision que ces événements
calamiteux n’ont pas lieu en Haïti mais sur le territoire national.
Pourquoi alors ce rappel de Weber, parce qu’à mon sens,
c’est cette confiance dans la Providence qu’exprime le « In God we trust » qui
conduit le citoyen américain à outrepasser en permanence les limites de la
prudence financière. Le fait de se savoir, sur un plan religieux, au rang des
élus plutôt que se constater simplement bénéficier, sur un plan profane, de la
chance, vient renforcer l’optimisme qui caractérise déjà a priori celui ou
celle qui a choisi le pari de l’émigration et ses aléas, plutôt que de se
satisfaire de la médiocrité qui constituait son lot au pays natal.
Les détails
du débat lancé par Paul Jorion sur « L’éthique protestante et l’esprit du
capitalisme »
1) PIERRE YVES
D. :
Je trouve décidément ce blog très intéressant. Les propos
les plus techniques sur le monde de la finance y font bon ménage avec la
réflexion politique, sociale, culturelle, anthropologique et même
philosophique. C’est suffisamment rare pour le souligner.
La bonne audience de votre site, même si elle n’était pas
“prédestinée”, est donc tout à fait méritée !!
S’agissant de l’éthique protestante et de l’esprit du
capitalisme j’aimerais faire une remarque. S’il est vrai que le calvinisme a
fourni une éthique au capitalisme à même de le justifier aux yeux de ceux qui
en sont les acteurs et a donc en ce sens contribué à son dynamisme, il
n’explique pas tout. Vous le savez aussi bien que moi, mais il me semble qu’il
faut le rappeler car sinon on mesure mal l’ampleur de la crise que traverse
aujourd’hui l’humanité dans son ensemble, crise dont la crise financière n’est
qu’un symptome. La crise est d’abord celle du modèle de la croissance infinie
pour un monde aux ressources illimitées. Le monde est (re)devenu fini mais nous
agissons, pensons encore, et ce d’autant plus s’agissant des acteurs
économiques, comme si le monde était encore celui qui existait à l’aube de la
Révolution industrielle. Adam Smith pouvait croire en un monde meilleur où la
richesse des nations résulterait de la somme des intérêts individuels car le
monde d’alors semblait receler des richesses inépuisables. Mais ce temps est
révolu. Les crises de l’energie, écologiques, climatiques sont passées par là.
Mais nous pouvons remonter encore plus loin dans le temps
pour trouver les origines du capitalisme, son substrat anthropologique, son
noyau conceptuel. La rupture s’est faite lorsque à une éthique de pauvreté, de
charité portée par l’Eglise s’est substituée, sous la Renaissance, une éthique
de l’intérêt individuel. Paradoxalement c’est au sein même de l’Eglise que le
mouvement a pu s’enclencher lorsque la haute bourgeosie montante désireuse de
se racheter une bonne conduite en vint à acheter des indulgences que l’Eglise vendait
alors pour asseoir sa puissance. Le mouvement religieux dit de la Réforme —
dont le calvinisme fut un moment fort — n’était pas autre chose qu’une réaction
à cette dérogation de l’Eglise à ses propres principes. Mais curieusement,
c’est le mouvement réformiste qui allait incarner le mieux la nouvelle éthique
de l’intérêt individualiste en reprenant à son compte la vision d’un homme
calculateur et, j’ajouterais, prudent en afffaires. La Réforme inventait la
passerelle idéale pour faire coincider monde divin monde matériel et c’est ce
qui lui donne autant de puissance.
Mais il n’en reste pas moins vrai que le paradigme de
l’homme calculateur, autrement dit l’homme de l’intérêt qui calcule au mieux la
rentabilité financière de ses entreprises et vise déjà des marchés réguliers,
préexistait à la Réforme (le premier capitalisme est né dans les cités
italiennes, comme Florence, Milan, Venise) et donc à l’éthique protestante.
L’humain, d’un être jusqu’ici défini qualitativement, devient lui-même l’objet
d’un calcul et tous les secteurs de la vie sociale entrent dans ce domaine.
Dans le domaine politique Machiavel est emblématique de ce
nouvel état d’esprit. Bref, peu à peu s’est constituée une société de marché.
Ce qui veut dire que, comme l’avait très bien analysé Karl Polanyi, il n’y a
pas d’un coté le monde de l’économie et de l’autre tout le reste. Le marché est
une institution qui tend à englober tous les aspects de la vie sociale. Le
marché suppose aussi une construction sociale porté par un imaginaire fort sans
lequel il ne pourrait perdurer. Nous vivons toujours sur ces conceptions qui
ont présidé à la destinée de l’occident depuis cinq siècles, avec une montée en
force progressive si bien qu’aujourd’hui le paradigme de l’homme calculateur a
colonisé les esprits de pratiquement tous les habitants de la planète, que
ceux-ci y adhèrent ou le subissent à leurs corps défendant. La Chine en
particulier, domaine qui m’est familier, a dépassé son ancien maître
occidental. Sans éthique protestante elle place ses pions un peu comme au jeu
go. Elle investit massivement en Afrique, achète par exemple en Asie du Sud-est
des terres pour y assurer son approvisionnement en caoutchouc dont elle est une
grande consommatrice. Je ne parle pas des fonds souverains et maints autres
aspects de la stratégie à la chinoise qui consiste à avancer à petit pas en
contournant les obstacles. L’électrochoc (anti) culturel de la Révolution
culturelle (1966-1976) a coupé les Chinois de leurs racines culturelles
séculaires, plongeant le pays dans la mondialisation sans transition, lui
faisant acquérir dérechef les réflexes occidentaux de l’homo économicus.
La métaphore de Paul Jorion de la pièce en équilibre
instable sur sa tranche est très parlante. En effet, du cours que vont prendre
les èvènements aux USA va dépendre le sort du monde financier et donc
économique des années qui viennent.
Mais le sort du
monde ne dépend plus seulement des USA. Les Chinois, par exemple, sans
messianisme calviniste, peuvent très bien imposer au monde un capitalisme à la
chinoise en reprenant du capitalisme ce qui constitue le noyau, cette
conception de l’homme calculateur congruent à la logique de la croissance
économique exponentielle.
Evidemment il ne
faut pas naturaliser la Chine, de par sa tradition philosophique — même si
cette dernière a été fortement occultée par le pouvoir en place pour n’en
garder que les aspects utilitaristes –, dispose des ressources intellectuelles,
tout comme nous, pour penser un nouveau monde. La tradition confucéenne,
taoiste est à titre d’exemple imprégnée de l’idée de régulation. Rien n’est
plus étranger à la pensée chinoise traditionnelle que l’idée de croissance
illimitée. La période actuelle que traverse la Chine comporte à cet égard
certaines similitudes avec celle que fut le Premier empire chinois,
dictatorial, voué à la course à la puissance.
L”humanité a vécu des millénaires sans l’institution du
marché et cet esprit d’intérêt privatif qui lui est consubstantielle.
De là l’idée que la question de la régulation des marchés
financiers, ou celle des questions liées aux cycles économiques, est loin
d’aborder le fond du problème, qui est celui des limites atteintes par le
système du monde-marché.
Je rejoins donc beaucoup des commentaires et des analyses
de Paul lui même qui insistent sur le caractère culturel, anthropologique de la
crise actuelle.
La question essentielle est donc : où se trouvent les
leviers pour susciter l’émergence d’un nouvel imaginaire social propre à
constituer une économie fondée sur d’autres bases anthropologiques ?
Sinon, faudra-t-il une catastrophe majeure — économique, écologique — pour
renverser la tendance actuelle à l’autodestruction des équilibres sociaux,
économiques, écologiques ?
2) RUMBO :
Intéresant et rafraîchissant la mémoire, Paul, votre intervention.
Entre autres choses bien vues et rappelées, ceci:
“”La place de chacun dans la réalisation du plan divin a
été déterminée antérieurement à ce qu’il soit déployé dans l’histoire. En
conséquence, le libre-arbitre est une illusion : l’individu est seul,
prisonnier d’un destin qui s’effectue malgré lui, apte seulement à constater
quel est celui-ci au sein du projet de la divinité.”"
Il y a également une attitude fataliste, mais très
spécifique, dans l’Islam…
Autre chose qui étonne toujours et encore, c’est
l’extraordinaire actualité (environ 170 ans après!) des écrits de Tocqueville
sur la société américaine. Ça pourrait être écrit aujourd’hui! Alors que les
États-Unis n’avaient peut-être que 50 ans d’existence environ.
Pierre-Yves D.
Il est bien vrai que l’origine de la “banque moderne” se trouve chez les
Lombards aux XIV et XVèmes siècles (à Londres il y a la Lombard street). Les
tenants du protestantisme n’ont fait que reprendre et afiner ce système
bancaire, le développer et le déployer comme on ne sait que trop à travers le
monde à partir de la souche anglo-saxonne.
Quand à la Chine,
je crois que c’est bien vu de votre part. J’ajouterais que le grand intérêt de
l’actuelle entrée en lice de la Chine est son caractère Yin (féminin,
introverti et équivalences symboliques), en oposition au caractère Yang
(masculin, extraverti et équivalences symboliques) de l’Occident, toujours et
encore extraverti et conquérent, au moins depuis Alexandre le Grand, puis Rome,
puis les cinq principales nations colonisatrices le Portugal et l’Espagne, la
France, les Pays-Bas, l’Angleterre (1), jusqu’aux États-Unis aujourd’hui, sur
leur fin semble-t-il. Pendant que la Chine, féminine et impériale par nature,
bâtissait ses grandes murailles, durant les mêmes temps historiques,
l’Occident, masculin et conquérant par nature, s’élançait à la conquête du
monde. Il y a là une authentique qualification géographique et historique grâce
au Yi King.
Comme vous le dites
si bien, et je rejouterais: sans idéaliser personne: “(….) La tradition
confucéenne, taoiste est à titre d’exemple imprégnée de l’idée de régulation.
Rien n’est plus étranger à la pensée chinoise traditionnelle que l’idée de
croissance illimitée(….)”.
Avec l’importance
croissante de la Chine, ça va être probablement être un grand changement dans
la nature des rapports dans le monde.
(1)
quant à l’Allemagne, elle “percola” durant la première
moitié du XXème siècle avec le nazisme, car privée d’un vrai empire colonial,
si elle en avait eu un, ça l’aurait sans doute vaccinnée, ou déviée du nazisme.
3) CATHERINE :
Merci à vous Paul, votre blog est une source revigorante
de réflexion, on remet à l’ouvrage des pensées un peu figées.
On se dit que l’on n’aura pas assez d’une vie pour
découvrir tout ce qu’il y a à découvrir.
Cette vision puritaniste des américains qui vient servir
la soupe du capitalisme est un pur avatar du calvinisme. La conception
luthérienne s’appuie sur le socle augustinien de la prédestination gratuite,
donc sans mérite et sans volonté, c’est le pur amour qui s’y déploie, se la
réapproprier de la sorte nous rappelle que TOUT peut servir à arraisonner, à
justifier, à rationaliser un comportement. Et ce n’est pas prêt de s’éteindre,
je suis d’accord avec vous, ça se renforce même.
4) ALAIN A :
La lecture de ce blog me convainc de plus en plus que «
économie + anthropologie = philosophie politique ». La lecture par Paul de
l’héritage de l’esprit puritain/calviniste aux Etats-Unis est très éclairante.
Les interventions de Pierre-Yves D. et de Rumbo abordent, elles aussi, cette
approche que je tente d’approfondir depuis quelque temps. Je me sens dès lors
encouragé à vous propose la lecture de deux analyses lparues sur le site
d’Etopia http://www.etopia.be
(le centre d’étude et de prospective des écologistes francophones de Belgique).
La première analyse est de André Verkaeren http://www.etopia.be/IMG/pdf/verkaeren.pdf
et s’intitule «Europe et écologie politique : une approche anthropologique». La
seconde, que j’ai commise en juillet 2007 est une tentative de mise en
perspective de l’excellent livre anthropo-économique de Jacques généreux « La
dissociété »: http://www.etopia.be/spip.php?article686&var_recherche=adriaens
.
Je constate aussi que beaucoup de ce qui se dit sur ce blog recoupe les textes
que j’explore progressivement et qui sont publiés par le MAUSS (Mouvement
anti-utilitariste en sciences sociales) . Pas étonnant
que « La revue permanente du MAUSS » se trouve dans les liens recommandés par
Paul.
Je viens de lire l’extrait d’Alexis de Tocqueville, on
croirait un texte écrit aujourd’hui!
Les tenants du pouvoir américain détournent de manière
fallacieuse la conception de la prédestination gratuite qui n’a bien sûr rien à
voir avec leur univers, ceci bien sûr pour asseoir et justifier leur domination
éhontée.
Le pire dans l’histoire, c’est qu’ils finissent par y
croire à leurs balivernes,ils font corps avec ce
qu’ils disent, quand ça atteint un tel degrè de congruence, ça s’appelle en
psychopathologie, du délire.
La caractéristique d’un délirant c’est l’incapacité totale
à critiquer, c’est le tableau clinique d’une société psychotique avec déni de
la réalité et création d’une néo-réalité, c’est vraiment tout à fait ça, vous
ne trouvez pas.
Amusant, c’est eux qui ont inventé la Bible de nos chers
psychiâtres, le fameux dcm 4 ou 5…
6) HENRI B. :
Bonjour,
je lis Jorion et ce site
depuis quelques jours avec un maximum d’intérêt.
Je suis perplexe devant les aspects “anthropologiques” qu’on peut y lire de
plus en plus. Weber et Tocqueville c’est pas un peu
poussif comme poncif ? Mhmm ? Les origines coloniales et ségrégationnistes des
USA (et de l’Angleterre) ne suffisent-elles pas à éclaicir bien des choses d’un
point de vue purement historique ?
Les envolées vers la Chine
me paraissent carrément saugrenues. Si je lis bien on fait un amalgame entre
Confucianisme et Taoisme qui sont précisément les deux faces antagonistes
traditionnelles, tout aussi convenues, de la Chine ( Tao/Anarchisme/Juridisme
vs Confucius/Tradition/Rite /Famille/Empire), et après ?
Amicalement
7) KERCOZ :
Bonjour.
Je suis perplexe devant les aspects “anthropologiques”
qu’on peut y lire de plus en plus. Weber et Tocqueville c’est
pas un peu poussif comme poncif ? Mhmm ? Les origines coloniales et
ségrégationnistes des USA (et de l’Angleterre) ne suffisent-elles pas à
éclaicir bien des choses d’un point de vue purement historique ?
Je ne le pense pas.
Les dérives actuelles du système de gestion des groupes humains me semblent
remonter a des fondamentaux plus évidents.
Il me semble que le problème est un problème de “taille”
et de changement d’ “outil”. Depuis l’animalité, l’homme s’est formaté comme
animal social, et ce pendant des millions d’années. Ce formatage a utilisé des
notions de “face” et de “rites” pour annihiler l’”agressivité intra-spécifique
(K Lorenz et Goffman) et permettre la socialisation.
Ces interrelations necessitent des groupes “restreints “ou
chaque face connait l’autre. Cette gestion est complexe et tres stable (Théorie
du Chaos/ Attracteurs étranges/ E Morin (Paradigmes perdus).
Vouloir augmenter la taille du groupe c’est utiliser des outils de gestion
“simplifiés “, linéaires et non complexes donc instables et fragiliser le
système.
C’est pour moi, la cause des echecs répétés et des
hypertrophies catastrophiques actuels.
Un système naturel vivant n’augmente sa taille que par une
seule procédure : La scissiparité, qui lui permet de conserver la complexité.
Le gigantisme actuel et passé des systèmes humains, ne
respectant pas la “face sacrée” des individus et les systèmes complexes des
interractions sont voués a l’echec et ne peuvent faire
notre bonheur.
8) PIERRE YVES
D. :
“Si je lis bien on fait un amalgame entre Confucianisme et
Taoisme qui sont précisément les deux faces antagonistes traditionnelles, tout
aussi convenues, de la Chine (Tao/Anarchisme/Juridisme vs
Confucius/Tradition/Rite /Famille/Empire), et après ?”
Il ne s’agit pas de faire un amalgame, mais seulement de
souligner le fait que Taoisme et Confucianisme sont deux courants de pensée aux
résonances tantôt philosophiques (dans le sens d’une recherche de la sagesse)
tantôt politiques, ou les deux, qui partagent une même cosmologie. Dès
l’antiquité chinoise a prévalu une conception immanente de l’univers, par
opposition à une conception judéo-chrétienne, mais aussi grecque, d’un monde clivé
en monde visible et monde de l’au delà, ce dernier relevant du Dieu créateur,
par définition en position d’extériorité au monde, puisqu’il l’a créé et a tout
pouvoir sur lui.
L’univers est dans le monde chinois incréé et tout ce que
peut faire l’homme est d’accorder le mieux possible sa conduite, sa sensibilité
aux rythmes, aux cycles de la nature. De ce point de vue confucianisme et
taoisme ne sont pas antagonistes mais plutôt complémentaires. Bien évidemment
suivant les individus un aspect peut prédominer sur l’autre. Le confucianisme
est plus engagé dans la vie sociale tant que le taoiste recherche est plus
porté à une spontanéité naturelle qui ne s’embarrasse pas des conventions
sociales. Un dicton populaire résume bien la chose “confucianisme le jour,
taoiste la nuit.”
Egalement taoistes et confucéens ne raisonnent jamais dans
l’abstrait d’où l’absence d’intérêt des chinois pour l’ontologie.
Quand je dis qu’ils ne raisonnent pas dans l’abstrait je
ne veux pas dire que la pensée chinoise est rétive à l’abstraction, loin de là.
Seulement, le développement de la pensée abstraite est toujours relié à une
préoccupation pratique, morale, politique. Un monde des idées platoniciennes
développé pour lui-même n’y a pas grand sens, et ce précisément parce que tout
comportement, action, attitude humaine est toujours appréhendée comme un moment
dans l’ordre cosmologique. Un ordre dynamique de l’univers qui dans le cas du
confucianisme englobe la sphère sociale et dans le cas du taoisme concerne la
Terre et le Ciel, c’est à dire la Nature.
Pour faire le lien avec la régulation, je dirais que le
confucianisme suppose l’intervention humaine, précisément pour accorder le
monde terrestre (l’ordre socio politique) et le monde naturel. Le taoisme
suppose, lui, l’auto régulation. L’univers dans sa totalité a ses cycles, il
s’agit alors pour l’homme de s’y accorder le mieux possible, avant de ne plus
faire qu’un avec elle.
Certes, l’idée de régulation, que j’associe au
confucianisme et au taoisme, on peut la retrouver dans la pensée occidentale. A
cet égard, la main invisible d’Adam Smith, que d’aucuns disent être la main de
Dieu, représente aussi la capacité de la Nature à s’autoréguler, s’agissant des
mécanismes qui régissent le marché, via les prix, étant supposé par ailleurs
que les acteurs économiques ont une vue transparente de l’état du marché ce qui
permet précisément l’autorégulation du marché. Mais le régulationisme smithien
comporte une grande différence avec le régulationisme chinois. Il intègre la
notion de progrès infini.
Autrement dit de croissance. Je ne parle pas ici de la
théorie des sentiments moraux, autre volet majeur de l’œuvre de Smith, qui
ouvre d’autres perspectives que celle d’une économie qui fait de la richesse
des nations l’agrégation des intérêts individuels. A ce sujet je ne saurais que
trop recommander la lecture du livre de Marouby : L’économie de la nature.
Lecture éclairante des présupposés smithiens, de ses erreurs, mais aussi de sa
perception du rôle de l’imaginaire dans l’économie, une toute autre économie
pouvant alors être esquissée à partir de l’idée que ce qui sous-tend les
sociétés humaines ce ne sont pas simplement les intérêts égoïstes, mais ce
qu’il appelle la sympathie.
A partir de là, que peut-on tirer de ces quelques
considérations ?
Que la Chine actuelle, ou plutôt l’élite chinoise au
pouvoir, a tourné le dos aux principes qui avaient permis jusqu’ici de
pérenniser l’empire chinois. A savoir que l’ordre économique est imbriqué dans
l’ordre social et politique, lui même imbriqué dans l’ordre de la Nature. De
l’idée de régulation, si développée dans la pensée chinoise, déclinée en sa
médecine, ses arts martiaux, etc. le pouvoir chinois n’a gardé que le coté
adaptatif. La vision du monde comme processus ou procès l’a beaucoup aidée à
réaliser la transition du communisme vers capitalisme. Par exemple en créant
d’abord des zones économiques spéciales avant de généraliser l’expérience
capitaliste à l’ensemble du pays. De même cette vision procédurale dont elle a
fait un élément clé de sa stratégie — car elle en a une en dépit du
développement chaotique, destructeur, en bien des domaines, notamment
écologiques –, était congruente de celle du néo-libéralisme où il s’agit sans
cesse de saisir des opportunités, profitant des différences de potentiels de
développement qu’offre la division internationale du travail.
Mais du coup, manquait la dimension éminemment morale de
la philosophie chinoise, puisque l’économie était désormais développée pour
elle-même, et bien sûr, pour le plus grand profit des élites économiques et
politiques chinoises.
En somme le développement actuel de la Chine c’est un
amalgame plutôt réactif d’autoritarisme — qui rappelle la folle volonté de
puissance du premier empereur chinois, et de pensée du process qui s’accorde
bien avec le processus de la mondialisation.
Mon propos n’est pas du tout de dire que la Chine va
supplanter le monde, car son sort est largement dépendant du reste du monde,
et, pour l’heure, encore de l’économie américaine. Le développement de la Chine
n’est pas plus irrésistible que celui de l’économie mondiale. La Chine bute, et
butera de plus en plus sur les mêmes écueils que ceux que nous rencontrons.
C’est le système actuel de l’économie monde qui est à
revoir. En attendant le monde occidental comme la Chine fonctionnent
sur les mêmes présupposés économiques de la croissance. La volonté de puissance
demeure. Reste que le système politique chinois n’est pas non plus éternel et
que des évolutions peuvent se produire en Chine, tout comme ici.
Mais, hélas, ce que nous pouvons actuellement observer de
façon générale c’est une course mondiale pour l’accaparement des ressources non
renouvelables. On glisse peut-être alors du néo-libéralisme vers un
néo-mercantilisme et-ou néo-colonialisme. Chacun dans son pré-carré essayant de
grappiller ce qu’il peut ailleurs.
9) HENRI B :
La tradition Taoiste Chinoise de l’individualisme
indifférent me parait parfaitement éligible pour la ” croissance illimitée” de
même que la notion Confucéenne de Prospérité actuellement remise en valeur par
le pouvoir, la modération et le juste milieu sont bien Confucéens mais
probablement fortement influencée très tôt par le … Bouddhisme.
Comme quoi… (j’ajouterai que si
il y a une tradition indifférente à l’Autre c’est bien la Chinoise).
A l’appel sempiternel à Tocqueville (hello BHL) je préfère la mention que fait
Jorion de la nature de Migrant sautant dans le bateau (police et église aux
fesses) et de Colon défricheur/tueur qu’il y a dans chaque américain, avec ce
que cela comporte de volontarisme, de violence, d’énergie créatrice et
d’individualisme forcené.
En tant que fils de colons..
algériens, j’ai toujours été frappé de la similitude des mentalités avec celle
des USA (un stupéfiant optimisme, un communautarisme armé et un mépris absolu
du pauvre et du… bicot/nigger). Ca me parait plus concret et pragmatique que
Tocqueville.
Il me semblait qu’en Orient, une religion ou une
philosophie n’était jamais incompatible avec une autre, certaines sectes, on le
sait, incorporèrent au bouddhisme des éléments du taoïsme et du confucianisme.
“La tradition Taoiste Chinoise de l’individualisme
indifférent me parait parfaitement éligible pour la ” croissance illimitée” de
même que la notion Confucéenne de Prospérité actuellement remise en valeur par
le pouvoir, la modération et le juste milieu sont bien Confucéens mais
probablement fortement influencée très tôt par le … Bouddhisme.
Comme quoi… ( j’ajouterai que si il y a une tradition
indifférente à l’Autre c’est bien la Chinoise).”
Pourriez-vous expliciter svp, développer, l’individualisme
indifférent avec la croissance illimitée, l’indifférence à l’Autre dont serait
dépositaire la tradition chinoise?ça m’intéresserait
bien!
12) HENRI B. :
Catherine, je voulais tenter de relativiser le caractère
“différent” de la Chine au regard de l’économie/capitalisme.
On voudrait s’illusionner sur le prochain “leadership” Chinois ? J’espère que
c’est aussi naîf parce que je trouverais saumâtre un “essentialisme des
profondeurs” à base de clichés. La figure du capitaliste n’est pas chinoise ? A
t’on oublié le Shanghai de la première république ? Et la Corée, Le Japon, très
largement sinisés ? Pas commerçante la nation chinoise ? Pas entreprenante ? Vraiment
Zen ?
Le syncrétisme chinois n’a pas toujours été tel et il a une histoire
conflictuelle comme toutes les histoires des religions (il s’agit bien de
religion, avec des dieux !) C’est essentiellement une construction du pouvoir
impérial qui s’est faite en plusieurs fois avec différentes alliances “de
classes” et de cultes ; Confucius/Lao tseu vs Bouddha, Confucius/Bouddha vs Lao
Tseu.
Oui je trouve Weber et cette sociologie dépassés. Si on trouve Weber et
Tocquevillle (héros de Giscard et BHL) encore d’actualité c’est parce que ces
oeuvres n’ont pas de traduction pragmatique possible et ne sont pas
scientifiquement validable. On ne peut pas fonder dessus. Pour moi c’est de
l’histoire des religions.
13) CATHERINE :
Merci Henri, certes la Chine d’aujourd’hui a bien des
racines taoïstes, mais c’est le seul lien qui reste il me semble, son économie
de marché( un vrai gros mot!) orientée profit au
détriment de l’humain est à mille lieues de la Voie.
Quant à Weber et Tocqueville ,
vous les trouvez dépassés, cela vous revient bien sûr, je n’ai pas lu
suffisamment ces auteurs pour m’en faire une opinion tranchée, vous ne semblez
guère apprécier l’histoire des religions, quelqu’un comme Mircéa Eliade par
exemple construit les fondations de nos perceptions et présente à ce titre un
grand intérêt, mais cela reste personnel bien sûr.
Quant à la notion de scientifiquement validable, j’avoue
que je ne sais pas trop de quoi il s’agit, merci en tout cas d’avoir pris le
temps de répondre.
14) PIERRE YVES
D. :
“La tradition Taoiste Chinoise de l’individualisme
indifférent me parait parfaitement éligible pour la ” croissance illimitée” de
même que la notion Confucéenne de Prospérité actuellement remise en valeur par
le pouvoir, la modération et le juste milieu sont bien Confucéens mais
probablement fortement influencée très tôt par le … Bouddhisme.”
Cetes, il faut nuancer, car est difficile de résumer en
quelques lignes deux millénaires de pensée chinoise.
Il existe bien dans l’histoire de la pensée chinoise une école égotique ou
égoiste, distincte du taoisme proprement dit d’ailleurs, mais cette école est
un courant tout à fait marginal. De même je ne pense pas que l’on puisse
assimiler le taoisme à une attitude existentielle faite d’indifférence, ou un
égoisme, ou alors c’est une indifférence toute métaphysique : beau et au laid,
richesse et pauvreté, honneur et disgrace que l’on considère avec un égal
détachement. ll faut souligner ici qu’il y a plusieurs
niveaux d’effectuation du taoisme. Les fameux lettrés qui allaient se cacher ou
se retirer dans les montagnes n’y allaient pas pour y faire des retraites comme
il était d’usage dans la tradition indouiste, mais parce disgraciés ou opposés
au pouvoir en place, il cherchaient un refuge dans le
silence et la Nature un hâvre de paix pour se resourcer, un réconfort en
attendant des jours meilleurs, c’est à dire en attendant d’être éventuellement
rappelés par l’empereur à la faveur d’un changement de politique ou de
dynastie.
IL y a un taoisme métaphysique (dans le sens d’une immanence
transcendante) comme je viens de le dire, mais il y a aussi un usage plus
politique de celui-ci, notamment à travers la référence au livre de la Voie et
de son Efficace, le fameux Tao De King. Ce livre n’est autre qu’un enseignement
destiné au prince. Par extension, bien entendu, il vise aussi à s’appliquer à
la conduite de toute affaire humaine, individuelle ou collective. IL s’agit par
une pratique du non-agir de parvenir à ses fins, c’est à dire régner sur le
royaume en prenant appui sur les cycles naturels lesquels relèvent autant du
monde terrestre et celeste que du monde humain. “Non agir” (une
traduction plus correcte serait pluôt “ne pas avoir la volonté de faire mais
agir de sorte que les les choses se font tout naturellement”, ne signifie pas
ne rien faire, mais, en épousant le cours naturel des choses, imposer un
certain ordre politique. Pour le taoiste politique l’ordre social et politique
s’impose de lui-même, il n’y a qu’à l’accompagner, créer les conditions pour
qu’il perdure. Par opposition, le confucianisme est si l’on peut dire,
constructiviste. Il pense nécessaire l’établissement des rites, fondations de
l’ordre social et politique. Bref, il y aurait beaucoup à développer, le tout
est qu’il existe diverses combinaisons du taoisme et du confucianisme. Je vous
concède qu’une version édulcorée du taoisme métaphysique peut s’accomoder du
capitalisme le plus sauvage et le plus individualiste. Mais il s’agit alors du
taoisme comme recettes de la réussite dans un domaine cloisonné, comme par exemple
celui de l’économie. Pensez par exemple à la psychanalyse. Une version dévoyée
de celle-ci, lorsqu’elle fut récupérée par le neveu de Freu, Edward Bernays,
donna naissance au marketing, dans le sens le plus large du teme, lequel joua
un grand rôle dans la fabrication de l’opinion politique américaine ainsi que
dans l’orientation du consommateur.
Lea notion de juste milieu (zhongyong) 中庸 ( qui
fut aussi le titre d’un traité célèbre du corpus confucéen) est apparue dans
l’antiquité chinoise, avant même l’introduction du boudhisme, à l’époque dite
des Printemps et Automnes, période pendant laquelle vécut Confucius, soit au VI
siècle avant notre ère. Elle s’est intégrée à l’idéologie officielle impériale
dès la dynastie des Han. Les notions de bienveillance (ren) 仁et de d’équité(yi) 義 apparues à la même époque, et qui
représentent les valeurs morales du plus haut degré, sont inséparables du juste
milieu. La réflexion économique n’est pas absente de la pensée chinoise, mais
elle est, du moins dans le cadre confucéen toujours intégrée à une réflexion
politique et sociale dont les principes éthiques dérivent de la notion de
régulation. Il y a l’exception légiste et dictatoriale du premier empire
chinois, subséquent aux poltiques appliquées dans les royaumes de l’antiquité
chinoise qui rivalisaient de puissance, mais ce fut un court épisode au regard
de la longueur de l’Histoire chinoise. Et cette
épisode a toujours été regardé avec circonspection, sinon franche hostilité.
Mao et sa révolution culturelle se revendiqua expressément du légisme et
d’aileurs, comme je l’ai déjà dit, il en reste quelque chose, ce quelque chose
qui a facilité la transition capitaliste en opérant une coupure culturelle.
S’il est vrai que l’idée de prospérité n’est pas du tout
contradictoire du confucianisme, cela ne veut pas dire pour autant que
la prospérité y est supposée en progrès constant et infini. Comme je le disais
dans le précédent commentaire, la pensée chinoise a une vision cyclique des
choses. A telle enseigne qu’à chaque changement de dynastie les “compteurs”
étaient en quelque sorte remis à zéro. Un nouveau calendrier était proclamé. De
même un même empereur découpait son règne en autant d’ères, correspondantes en
réalité à des phases politiques et culturelles d’un plus vaste ensemble, celui
de l’Histoire chinoise. Il y avait d’ailleurs des historiens officiels chargés de
consigner au jour le jour les faits et gestes, évènements de l’empire chinois,
mais aussi et surtout, d’écrire l’Histoire de la précédente dynastie, en
laquelle il cherchait les signes du déclin ou au contraire de la prospérité,
autant matérielle que morale. Au niveau individuel, le
réussite métérielle, l’enrichissement personnel n’est pas le signe tangible
d’une grâce divine. La notion d’un invidivu considéré comme atome social n’a
pas beaucoup de sens dans une société où c’est d’abord le groupe, la société
qui définie l’individu. Le taoiste, même s’il peut êre indifférent au jeu
social, ne se sent pas moins solidaire de la Nature, une Nature immanente qu’il
n’est pas question pour lui de maîtriser mais au contraire avec laquelle il
s’agit de faire corps afin d’en épouser toutes les potentialités. En ce sens il
y a bien une efficace de la nature mais celle-ci n’est pas un objet qui puisse
se façonner en fonction d’un modèle idéel comme dans la pensée “occidentale”.
Si aujourd’hui la Chine, ou plutôt le pouvoir
politico-économique de la Chine, semble adhérer au dogme de la croissance
infinie, c’est, il me semble un effet d’optique. Nous projetons nos conceptions
du progrès. Il est vrai la pensée marxiste-léniniste est aussi une idéologie du
progrès économique, lié à la croissance, mais la notion de régulation, de
procès, donc processus qui a son début, sa maturité puis son déclin, est une
notion très prégnante dans l’habitus de pensée chinois, que ceux-ci soient
éduqués ou non. Un peu comme le christianisme a durablement informé la pensée
européenne.
Ce qui se passse en réalité, c’est que la sphère économique s’est automisée,
d’où la tendance générale chez les chinois qui ont accès aux espaces de
prospérité, à vouloir en profiter. Après des décennies de pénurie il est
évident qu’il y a eu un appel d’air en ce sens. Mais cela ne veut pas dire que
les chinois pensent que les choses dureront eternellement. Soit dit en passant
les tensions sociales sont très vives. L’arbitraire du pouvoir et
l’accroissement des inégalités est de plus en plus mal ressenti. Les chinois,
beaucoup plus que les américains, ont une vision historique cyclique des
choses, — les américains comme le dit Paul Jorion à la suite de Tocqueville,
une vision plus eschatologique, messianique de l’histoire — quand bien même,
des pans entiers de leur histoire sont instrumentalisés par l’idéologie d’un
pouvoir qui tient à garder toute sa puissance.
Bref, pour conclure, le capitalisme chinois est en phase
depuis deux décennies environ avec la mondialisation, mais cela ne signifie pas
qu’il se pense voué au progrès infini. C’est plutôt un capitalisme
d’opportunités lié aussi au désir de renouer avec une grandeur passée,
humiliée, selon la vision chinoise la plus commune, et qui sert surtout les
intérêts d’une élite économico-politique qui sans états d’âmes (encore que
depuis peu, au sein du parti communiste chinois émerge un courant régulateur qu
s’oppose au “libéraux” ) s’est convertie au
capitalisme. Ou alors cela signifierait que la société chinoise serait
tellement acculturée qu’il ne resterait rien de sa culture millénaire, au sens
de culture vivante, ce qui n’est pas le cas. N’étant pas devin, je ne sais
évidemment pas dans quel sens va évoluer la Chine, même s’il est probable
qu’elle continue sur sa lancée actuelle, tant que les conditions extérieures et
intérieures au pays le permettront.
15) RUMBO :
L’un des piliers de la pensée chinoise est le YI- KING,
livre des transformations ou des mutations. C’est l’un des rarissimes “livres”
(1) arrivés jusqu’à nous, c’est à peu près certain, dans son état originel. Le
YI-KING peut être considéré comme l’un des “versants” de la pensée humaine.
(1)
Le YI-KING “tient” sur peu de surface, sa seule
“épaisseur” est, en fait, formée par les réflexions des philosophes chinois
accumulées durant les millénaires sur la composition et le sens de ses 64
hexagrammes.
Rumbo,
Entièrement d’accord, c’est un bon condensé du substrat de la pensée chinoise.
Il formalise symboliquement et subtilement - à l’aide de
lignes continues et brisées combinées de 64 façon différentes et selon un ordre
précis — l’ordre des phénomènes humains, lesquels sont pensés sur le modèle de
la dynamique processive et régulatrice des phénomènes naturels.
C’est le premier manuel chinois d’éthique pour la conduite
des affaires humaines dans un contexte ritualiste. On réduit souvent cet
ouvrage à sa dimension divinatoire, mais celle-ci est tout à fait secondaire et
même rejetée par certains commentateurs.
La spécificité du Yi King, comparé aux ouvrages des
philosophes de l’antiquité grecque, est qu’il est tout à la fois une réflexion,
une description au sujet du procès à l’oeuvre dans la nature et dans l’odre des
choses humaines, et un instrument pour penser, adopter la meilleure attitude,
disposition possibles, en fonction du cours des évènements et du milieu
spécifique dans lequel on se trouve. Ce livre est donc tout sauf prescriptif,
il laisse libre court à l’interprétation, interprétation qui ne peut se faire
qu’en temps et en heure par un individu singulier. L’interpréte se projette en
quelque sorte dans les figures du Yi King, pour, à travers elles, penser une
situation particulière. Le livre permet ainsi de faire coincider le générique
et le particulier. Pensée et pratique sont fondamentalement associés
dans la culture chinoise, et ce livre rend la chose palpable, pourvu qu’on s’y
colle un peu.
Toute la pensée chinoise n’est pas réductible à ce livre,
mais il offre en effet une clé pour saisir beaucoup de ses linéaments.
J’ajouterais tout de même qu’il présente une vision particulière de la réalité.
Si en effet il éclaire certains aspects de la pensée humaine de façon générale,
il comporte néanmoins un aspect idéologique, voire normatif. Comme l’a très
bien expliqué le sinologue et philosophe François Jullien, la conception de la
réalité comme ordre dynamique et immanent n’est pas anodine.
Elle s’oppose à une conception plutôt grecque ou occidentale qui pose un monde
des idées en dehors des contingences matérielles et temporelles, ce qui a
permis de penser le politique de façon autonome. Et de là d’inventer la
démocratie. En “Chine” ordre politique et ordre naturel tendent à être
confondus. L’idée d’équité est donc d’abord reliée à celle de régulation,
plutôt qu’à celle du débat contradictoire propre à l’espace publique de la
Cité. Evidemment il ne s’agit pas de dire que la démocratie n’est pas pour la
Chine. Seulement qu’une certaine orthodoxie chinoise ne l’y prédispose pas.
Mais, heureusement la Chine n’est pas faite toute d’une pièce et de nombreux
courants la traverse, dont le boudhisme comme l’a rappelé Henri B. Pour le
moins la tradition chinoise ne présuppose pas la nécessité de la dictature,
puisque dès l’antiquité le mandat du ciel pouvait être révoqué par le peuple,
dès lors que le souverain manque à ses devoirs, ou trouble l’ordre naturel.
17) RUMBO :
Oui, je partage votre réponse.
En résumé bien sûr, la pensée chinoise ferait l’économie de: ce qui EST. Être,
cette “obsession” grecque et occidentale à travers l’histoire et l’actualité.
Tandis que la pensée chinoise inclinerait d’abord à ne s’intéresser qu’au
devenir des êtres, des choses et du monde. Soit, à la dynamique du devenir, y
compris à travers, donc, les “contingences”. Dans la pensée chinoise le
contingent comme le prosaïque s’interpénètrent avec la philosophie à la manière
Yin-Yang, tel ce qu’on nomme: T’AI TCHI, ou principes suprêmes de l’existence.
Cette attitude aurait donc la faculté de rappeler à l’ordre des choses, à
l’ordre de la nature des choses, un pouvoir qui s’éleverait un peu trop “haut”
dans les nuages, fut-ce celui de l’empereur (1) ce qui inclurait, sans la
nommer, une certaine dimension démocratique puisque, effectivement, vous
rappelez que: “pensée et pratique sont fondamentalement associées dans la
culture chinoise”. Entre autres, vous précisez: “L’idée d’équité est donc
d’abord reliée à celle de régulation, plutôt qu’à celle du débat contradictoire
propre à l’espace public de la Cité”. Il n’y a pas dans l’attitude chinoise ce
passage par l’ “être”, sous-entendu presqu’obligatoire dans la pensée
occidentale, avec tout ce que cela implique d’ “élaboration politique
laborieuse et conflictuelle”, pour la conduite personnelle et collective.
Dans le fond, il est intéressant de s’inspirer de la
pensée d’autrui, ici la pensée chinoise, et ainsi mieux cultiver mutuellement
nos héritages recpectifs, en sachant bien qu’ils ne sont pas exclusifs les uns
des autres.
Mais alors, en ce qui me concene, étant impliqué, avec
d’autres, dans la possibilité réelle, certifiée par l’expérimentation,
d’instaurer un système monétaire juste fonctionnant selon le reflet exact de la
production des biens d’un espace économique donné, et bien le mode chinois de
penser et d’agir est ici d’un secours sans pareil! Car rien n’est plus
contre-nature que le fonctionnement financier, bancaire et monétaire parti
d’Occident (l’Angleterre) et, finalement, ayant modélisé tout le fonctionnement
bancaire mondial, lequel est en train de nous aspirer dans son vortex
destructeur pour déboucher sur un appauvrissement généralisé (sauf quelques
groupes d’affidés) sinon un (ou des) conflit incontrôlable aux conséquences
incalculables.
J’en termine avec ce propos tiré d’un entretien du
philosophe et écrivain que j’ai pratiqué, à mon avis d’un grand intérêt,
Raymond Abellio (1907-1986) au sujet de l’ “harmonique” constatée entre les 64
codons du code génétique et le Yi-King avec ses 64 hexagrammes.
Raymond Abellio. : Il est certain que les soixante-quatre
codons de l’ADN, avec leurs triplets et leurs sextuplets, évoquent
immédiatement la constitution du Yi-King, avec ses trigrammes et ses
hexagrammes. Les quatre bases nucléiques évoquent les quatre pôles équatoriaux
de la structure absolue, et aussi les deux couples “Vieux Yin-Jeune Yin”,
“Vieux Yang-Jeune Yang”. Cela ouvre tout un champ de recherches. Nous assistons
ici à un rapprochement de la science et de la tradition extrêmement
significatif.
(1)
aujourd’hui gouvernement chinois d’obédience “communiste”,
cependant la dimension “impériale” est toujours présente dans la Chine
contemporaine qui reste un “empire” au sens strict. C’est ce qui fait mettre
les mots “empire” ou “communisme”, et d’autres encore, entre guillemets. La
civilisation chinoise n’a jamais connu de “rupture” au sens occidental du
terme, même depuis 1949, ou même 1911, ce qui est remarquable.
18) HENRI B :
Catherine, j’apprécie énormément l’histoire des religions
et la mythologie. C’est dit sans ironie. Mais je dis qu’on entre là sur un
terrain glissant, Eliade en est la preuve. Même des gens aussi irréprochables
que Dumézil hier et Sergent aujourd’hui ont souffert des rapprochements faits
avec les dérives indo-européanistes, des manoeuvres des idéologues d’extrème
droite, et de la vigilance indispensable des victimes. Car victimes il y a eu.
Les discours nationalistes et impérialistes se nourrissent de théories
identitaires et essentialistes de supériorité (ou d’originalité) qu’il faut
combattre en science et en méthode, y compris dans les sciences humaines.
La Chine n’échappe pas à ses dangers, et elle est particulièrement accueillante
aux mythologies identitaires de supériorité. L’impérialisme japonais a-t-il été
ineffablement Zen ?
19) ALAIN A :
C’est étonnant comme un débat sur ce blog, évolue… Après
les questionnements anthropologiques sur l’évolution de l’Occident allant du
christianisme vers le néolibéralisme capitaliste, voilà des informations (que
je trouve super riches) sur l’évolution de la Chine, allant de ses fondements
traditionnels (taoïsme/confucianisme/bouddhisme) jusqu’à la phase
communisto-capitaliste d’aujourd’hui.
Si j’ai bien compris, cette phase ne serait qu’une parmi d’autres d’un grand
cycle et qui aurait pour effet de permettre à l’Empire du Milieu de retrouver
sa place (centrale comme le nom l’indique) dans un monde globalisé. Mais alors,
ne faut-il pas craindre d’abord pour les peuples voisins, vietnamien, coréen,
thibétain…, qui ont déjà eu a souffrir de
l’impérialisme Han ?
Merci de l’éclairage de nos 3 spécialistes…
20) HENRI B :
Craignons en effet, Alain.
Et ajoute à la liste l’Inde Himalayenne la Birmanie le Laos la Thailande la
Mongolie, toute l’Asie Centrale et le monde malais…
L’économie globalisé est une réalité nouvelle et la Chine n’y “retrouve” pas sa
place, mais la prend. En croissance ou en crise l’économie mondiale est là, la
démographie est là , les mentalités, les motivations
et les standards de vie sont là même si un crunch énorme rabat les économies
régionales sur elles mêmes.
On est loin du Vieux Sage de la Montagne…
Rumbo,
¨Vous semblez bien connaître la philosophie chinoise, en
vous lisant , j’ai buté sur le concept de devenir qui
serait selon vous une priorité de cette pensée.
Mon interrogation vous paraîtra peut-être naïve mais elle
est nécessaire pour que j’avance dans ma compréhension.
Pour les bouddhistes comme pour les taoïstes, il me
semblait que la dimension temporelle, était purement attachée à la “personne”,
qu’elle avait donc une fonction de repèrage sans avoir d’objet réel en dehors
de la “persona”.
Le devenir est une projection de la pensée qui s’inscrit
dans l’avenir proche ou lointain, mais dans l’après.
Or le temps me semblait observé par les taoïstes comme un
attribut illusoire de cette existence humaine , d’où
l’inconvenance de se projeter dans un devenir. Mais il y a sans doute des
subtilités qui m’échappent…
22) PIERRE YVES
D. :
catherine,
S’il s’agit de devenir ce que l’on est, ou de devenir des
choses, des idées, il n’y a pas à proprement parler de notion du devenir dans
la pensée chinoise. Cette idée du devenir des choses ou des êtres est propre à
la métaphysique occidentale, calquée sur le modèle de la fabrication, la tekné.
Le potier à une idée préconçue de ce qu’il va fabriquer et, effectivement, il
modèle sa création en fonction de son idée, selon une méthode de fabrication
bien précise, pour arriver à un résultat anticipé. C’est toute la métaphysique
artistotélicienne de la puissance et de l’acte. L’acte est déjà contenu en
puissance. il n’y a plus qu’à déployer son effet pour
créer ce que l’on voulait effectivement créer, ou parvenir aux fins que l’on se
destinait. Derrière cela il y a la vision cosmologique d’un monde crée. Qu’il
s’agisse d’un démiurge comme dans Platon ou d’un principe créateur qui serait
mis en branle chez Aristote.
La conception chinoise du temps n’est pas linéraire.
L’univers étant incréé, il n’a ni début ni fin. L’univers, en perpétuel
renouvellement, en ce sens mû par un mouvement chaotique, n’en est pas moins
soumis à un ordre interne, que sont les cycles naturels et la vie céleste et
terrestre. Il n’y a donc pas de moment sécable, qui puisse être identifié comme
tel, tout au moins si l’on appréhende la question du temps sous l’angle de la
durée, encore que ce terme aux résonances bergsonniennes n’est
pas non plus tout à fait approprié. Certes, les chinois, très tôt, fabriquèrent
des clepsydres. Ils mesuraient donc bien le temps. Mais il s’agissait alors de
trouver des repères disponibles pour faciliter la vie en société. Le temps
mesuré n’avait pas de signification en termes de temps maîtrisable. Le temps
occiddental est d’abord le temps de la maîtrise de la nature et par extension
des affaires humaines.
Comme le temps (traditionnel) chinois n’est pas constitué
d’entités objectives et homogènes, il ne s’écoule pas. Plutôt, il passe. Comme
le vent, son effet est perceptible mais impalpable. Le temps est une
manifestation toujours changeante, qualitative, qui prend les couleurs des dix
milles transformations et mutations de l’univers. IL n’y a donc pas lieu pour
l’homme de se projecter dans un devenir. L’humain, partie intégrante de la
Nature, est lui-même soumis au mouvement à la fois chaotique et régulé de
l’univers. L’humain ne maîtrise donc rien de façon absolue. Tout ce qu’il peut
faire est d’essayer de saisir la tendance, la propension (shi) 勢 des choses (phénomènes) à aller
dans une direction plutôt qu’une autre, et, partant de ’surfer”. sur la réalité des phénomènes, c’est à dire d’en tirer, naturellement,
le meilleur parti. C’est ce dont parle, entre autres, le Livre de la Voie et de
son Efficace (anciennement traduit par vertu), le premier grand livre du
taoisme. Bref, le temps chinois est lié au procès, ou processus, que sont les
phénomènes. Et, logiquement, l’univers entier est lui-même un procès, ce qui
explique la solidarité de tous les procès. Comme l’a bien décrit le grand
sinologue et scientifique Joseph Needham, la vision chinoise de la réalité est
organiciste.
Ce dont vous parlez plus précisément, le temps comme
illusion, on le retrouve plutôt dans un autre grand classique du taoisme : Le
Tchouang T’sseu. J’imagine que vous connaissez. Notamment la fameuse fable du
rêveur qui ne sait plus s’il rêve qu’il est un papillon ou l’inverse. Ce livre
n’invite pas à se projeter dans un devenir, qui n’existe pas en effet, mais il
ne dédaigne pas pour autant la réalité physique, ou plutôt la nature, la nature
devant aussi bien être considérée comme celle de du corps propre que la nature
des phénomènes naturels. Il invite à developper, cultiver les dispositions
mentales et corporelles, mais c’est tout un, pour justement épouser les
mouvements de la Nature. En cela le taoisme n’a pas cette attitude distante à
l’égard de la vie comme peut l’avoir un certain boudhisme, plus quiétiste lui,
du moins pour certains de ses courants les, plus subjectiviste ou idélaliste
dans le sens d’une projection illusoire. Dans l’ouvrage de Tchouang T’sseu il y
a un passage célèbre dans lequel il est rapporté l’histoire du boucher qui,
sans regarder son animal qu’il découpe, passe son couteau dans les interstices
du cartilage de sorte que son couteau semble comme brasser du vide. En vérité,
si le boucher a atteint une telle aisance, presque surnaturelle, c’est qu’a
force de pratique, il ne s’agissait plus pour lui de voir avec les yeux mais
avec l’esprit, donc de percevoir les formes dans leur plus grande globalité.
Autant dire que la volonté de maîtrise n’intervient pas, c’est une longue
pratique qui permet d’atteindre un tel résultat. Il en est de même de la
perception des phénomènes et de leur évolution. Les phénomènes n’ont pas
d’existence brute, leur perception suppose une vision entretenue, une écoute
particulière. En somme le temps est une chose à la fois concrète et toujours
singulière. Le temps est partie intégrante de la perception des phénomènes.
Mais, évidemment, pas à la manière de Kant pour qui le temps est seulement une
forme de la sensibilité. Dans la philosophie chinoise, le temps est plus que
cela. Il est aussi et surtout une qualité. Une qualité relationnelle qui, comme
telle, a une efficace.
23) RUMBO :
Catherine
2 eptembre à 12h25
Probablement, je ne suis pas vraiment un “spécialiste” de
la philosophie chinoise. J’ai utilisé le terme: devenir, surtout par association
avec l’idée de transformation ou mutation propre à la formation des hexagrammes
du Yi-King et ce que cela signifie, ainsi que les indications que ce procecus
de formation et de lecture des hexagrammes nous donne. S’il fallait simplifier
en essayant de comparer la pensée occidentale et la pensée chinoise. En
Occident nous sommes intrigués au plus haut point par l’Ëtre, ou le verbe être,
nous cherchons toujours l’identité “ulltime” de ce qui “est” (1)
scientifiquement, comme philosophiquement (2). Tandis que la pensée chinoise,
elle, semble axée sur une dynamique du moment, qui peuvent
être vécu comme un monument d’éternité, comme une essence “éternelle”,
attrappée au passage du mouvement vital des êtres, des choses, de la nature où
agit un équilibre (le Milieu) dynamique car assymétrique et garant de l’ordre.
Henri dit:
“”L’économie globalisé est une réalité nouvelle et la Chine n’y “retrouve” pas
sa place, mais la prend. En croissance ou en crise l’économie mondiale est là,
la démographie est là , les mentalités, les
motivations et les standards de vie sont là même si un crunch énorme rabat les
économies régionales sur elles mêmes.”"
C’est vrai. Il n’y a pas eu de précédent dans cette
situation. Puisse les tensions des marchés, les tensions financières
(d’ailleurs, les Chinois viennent de réagir aux agissements financiers
américains, mais ils ont d’énormes réserves de dollars…!), les tensions des
matières premières, etc, ne pas déboucher sur une séries d’impasses qui,
pendant que les humains comprendraient trop tard leur aveuglement, signerait le
moment, une fois de plus douloureux, où chacun devra, éclopé et infirme, faire
avec les moyens de “son” bord. La Chine est dans une situation nouvelle et
inédite. Quelle va être la réaction YIN dans le monde entier? Jusqu’à présent
on ne connaissait que l’attitude occidentale YANG. Tout ceci dit en simplifiant
beaucoup.
Alain A. dit:
“”Si j’ai bien compris, cette phase ne serait qu’une parmi d’autres d’un grand
cycle et qui aurait pour effet de permettre à l’Empire du Milieu de retrouver
sa place (centrale comme le nom l’indique) dans un monde globalisé. Mais alors,
ne faut-il pas craindre d’abord pour les peuples voisins, vietnamien, coréen,
thibétain…, qui ont déjà eu a souffrir de
l’impérialisme Han ?”".
Je crois qu’en Asie, il existe, surtout en Asie Orientale,
les pays dit sinisés, en somme presque tout ceux qui entourent la Chine (sauf
la Russie bien sûr), reste à savoir la place que doivent garder les pays
directement sous influence de l’ “Empire”. Il y a une trentaine d’années, l’on
parlait déjà des “Dragons”: Corée du Sud, Singapour, Taïwan, puis le Vietnam
qui fit plusieurs “faux-départs”, etc. Ces payss semblent avoir été plus ou
moins eclipsés par la montée en puissance de la Chine. Un nouvel équilibre en
Asie Orietale est sans doute en train de se reformer.
(1) Des millions d’euros sont mis à contribution (mon
propos, ici, ce n’est pas forcément une critique) dans l’immense accélérateur
de particules construit sur la frontière franco-suisse pour créer des
collisions de plus en plus violentes de façon à “casser de la matière” au
niveau atomique et subatomique et exploiter ces expériences par tous les
procédés connus et possibles et ainsi chercher, encore et toujours, quelle
serait l’identité “ultime” (???) de la matière. Il se peut que l’on ne cesse,
comme c’est déjà le cas, de trouver de nouvelles particules élémentaires, à
l’infini (?). Mais peut-être que cela nous amènera des lots de connaisance
importants, encore à émerger, car actuellement ces domaines, dont on ne sait
pas si certains seraient fondamentalement nouveaux, ne sont que “subodorés”.
(2) La religion chrétienne, quant à elle, y a répondu dans
les Évangiles. Mais la révélation chrétienne ne signifie pas que les recherches
scientifiques et philosophiques seraient “achevées”, pour autant que la science
reste au service des êtres humains et que les mêmes êtres humains ne succombent
pas aux sirènes de philosophies dévergondées. Très vieux problème! Source
intarissable de débats!
24) PIERRE YVES
D. :
Je voudrais juste à ajouter une chose pour donner le
pendant “chinois” à la métaphore du potier.
A la conception du temps comme projection, du potier, on
peut opposer celle de l’artisan qui travaille une pièce de jade.
La pièce de jade — ici métaphore de la réalité — comporte des zones “tendres”
et des zones plus “dures”.
Le tailleur de jade ne peut donc tailler sa pièce selon un modèle préconçu. Il
est obligé de tenir compte de la singularité de sa matière première. Il
parviendra à un résultat mais ce résultat ne dépendra pas seulement de lui. Il
s’inscrit d’abord dans la configuration des choses.
Sur la question du temps voir l’ouvrage du sinologue et
philosophe François Jullien :
Du “temps”, Eléments d’une philosophie du vivre, Grasset,
2001
Ce livre, de façon beaucoup plus développée et élaborée
que je ne l’ai fait, compare les notions occidentales (Saint Augustin, Kant ..) et chinoises du “temps”.
Un extrait de mon Typologie
des savoirs et transmission informatique (1991)
La logique du signe est essentiellement statique, rien
n’interdit cependant qu’une dynamique en dérive, et ceci de deux manières
distinctes :
1) ou bien le temps est autorisé à varier, tandis que l’espace
est maintenu fixe : les entités qualitativement distinctes se remplacent alors
par la métamorphose.
La pensée chinoise traditionnelle relève de ce cas de
figure : pensée de la métamorphose où la ressemblance dénote les avatars d’un
être (shi = chose) sous ses formes “cycliques”, telle la “transformation du rat
des champs en alouette” (Gernet 1974 : 65). Su Tung-po (dynastie Sung,
correspondant à notre Haut Moyen Age) écrit dans ses Propos sur l’Art :
“Montagne, rocher, bambou, arbre, rides sur l’eau, brumes
et nuages, toutes ces choses de la nature n’ont pas de forme fixe ; en
revanche, elles ont chacune une ligne interne constante. C’est cela qui doit
guider l’esprit du peintre” (in Cheng 1979 : 44-45).
Rien de plus permanent dans notre pensée occidentale
contemporaine que le nombre, rien de plus labile dans la pensée chinoise : “Les
Nombres sont susceptibles de mutations”, note Granet (1934 : 128), et van der
Meersch observe à propos de la divination :
“Cependant, alors que le sept était considéré comme le
principe mâle jeune, ne pouvant que se développer jusqu’à neuf, neuf était
considéré comme le principe mâle vieilli, prêt à se muer dans le principe
femelle huit. De même, huit était considéré comme le principe femelle jeune, ne
pouvant que se concentrer jusqu’à six, alors que six était considéré comme le
principe femelle vieilli, prêt à se muer dans le principe mâle sept” (van der
Meersch 1974 : 49).
Disposition universelle à la métamorphose que Gernet
résume ainsi :
“Alors que la logique du discours (occidental) vise, par
une suite de propositions enchaînées les unes aux autres, à dégager des vérités
immuables, la pensée chinoise apparaît au contraire orientée tout entière vers
une réflexion sur le changement”. (Gernet 1974 : 68).
2) ou bien le lieu est autorisé à varier, tandis que le
temps est maintenu fixe : d’où l’ubiquïté, la manifestation simultanée.
La conception de l’identité qui sous-tend nécessairement
une telle “logique” est de nature essentielle : ni la différence de forme, ni
la distinction dans l’espace-temps ne sont pertinentes, un être est identique à
lui-même quels que soient sa forme, son moment ou son lieu. Ainsi s’expliquent
les faits d’ubiquïté notés par Lévy-Bruhl : le loup-garou peut être au même
moment au fond des bois et dans sa demeure et, blessé dans la forêt, il portera
sa blessure chez lui (Lévy-Bruhl 1910, 1931 ; Hallpike 1979). Ce mécanisme fut
fort bien analysé par Wallon :
“Les différences de lieu sont moins des localisations
différentes dans l’espace que des circonstances locales s’ajoutant à la
personne, à l’objet ou à la situation, et capables par suite d’être
simultanément soit une seule pour plusieurs individus, soit plusieurs pour le
même individu.” (Wallon [1932] 1959 : 348).
Des phénomènes du même type ont été récemment mentionnés
en physique. La covariation (corrélation dans le temps) en l’absence de
contiguïté spatiale, est au centre du débat autour du “principe de
séparabilité” en mécanique quantique. Diverses expériences autour des
inégalités de Bell (cf Jammer 1974 : 302-312), dont celles de Clauser, de Fry
et d’Aspect, suggèrent que des particules ayant été en contact continuent de
covarier, quelle que soit la distance qui les sépare désormais (cf d’Espagnat
1985 : chapitre 5). Le phénomène est de la même nature exactement que
l’ubiquïté postulée par la “mentalité primitive”.
26) CATHERINE :
En prise directe avec la co-naissance, claire, souple et
fluide, c’est tout simplement merveilleux. Merci à tous pour ces informations
précieuses qui ouvrent des portes sur d’autre lecture notamment celle
concernant le temps de Jullien qui me tente très fort. C’est cadeau vraiment!
27) PIERRE YVES
D :
Paul Jorion,
Merci pour ces citations très éclairantes qui synthétisent
de longs développements qui peuvent être parfois paraître quelque peu abscons,
surtout quand ils sont écrits par des esprits plus analytiques que
synthétiques, comme c’est mon cas. Je lirai à tête reposé votre exposé sur la
“typologie des savoirs et transmission informatique”. Enfin j’essaierai, car je
ne connais pas grand chose à l’informatique.
Vous puisez aux meilleures sources de la sinologie. Les
plus anciens sinologues — les pionniers en la matière — avaient un regard neuf
sur la culture chinoise, leur intuitions n’en étaient que plus profondes. On
saisit toujours mieux les choses à leur commencement. IL faut dire aussi qu’ils
passaient des années à étudier les classiques chinois, en Chine même, au
contact des lettrés dépositaires de la tradition chinoise, et avec beacoup de
temps disponible pour accomplir leur patient labeur. Bref, ils s’immergeaient
dans le monde culturel chinois. Aujoud’hui c’est sans doute encore possible
mais alors il ne faut pas s’enfermer dans le cadre étroit des études universitaires.
L’université offre des jalons pour la connaissance, mais la connaissance
elle-même doit faire l’objet d’une quête toute personnele. Donc, les meilleurs
sinologues, je veux désigne par là ceux qui ont une intelligence des principes
fondamentaux et des traits spécifiques de la culture chinoise — ne sont pas
forcément ceux qui ont les diplômes requis. Vous en êtes un peu la preuve
vivante.
C’est fascinant de pouvoir constater à quel point science,
éthique, politique, esthétique, littérature forment un continum dans le fonds
culturel chinois. Nous occidentaux, il nous faut passer par l’étude
intellectuelle, ou l’immersion dans un domaine particulier comme la science
physique, ou la philosophie, pour concevoir, et surtout percevoir ce niveau de
réalité où tous les phénomènes semblent de façon évidente, solidaires. Or la
théorie des quantas, que vous citez, qui relève de la science la plus abconse
pour le commun des mortels, dont je suis, car très mathématique, devient
presque limpide dès lors que l’on s’intéresse un peu sérieusement à la pensée
chinoise et-ou de manière plus générale à la culture chinoise dans son ensemble
à travers l’étude d’une de ses diverses “branches” : arts martiaux, médecine,
jeu de go, calligraphie-peinture, poésie-littérature-Histoire, et
mathématiques-sciences naturelles.
Le caractère organiciste, global d’une réalité dont tous
les phénomènes sont solidaires, est tellement prégnante dans la culture
chinoise que l’organisation des connaissances — la culture lettrée et
scientifique — reproduit elle-même le modèle organiciste. Le corpus de la
pensée lettrée s’il a pu subir certains réaménagements au fil des siècles, a
une cohérence extraordinaire. De quelque coté qu’on aborde cette culture, le
coté choisi offre toujours, plus ou moins, une clé pour comprendre les autres
élements de ce qui constitue la culture chinoise dans son ensemble. Et il n’est
pas besoin d’avoir une attitude volontariste et une approche cumulative de la
connaissance. IL suffit de cultiver une confiance faite d’ouverture à même
d’aiguiser la sensibilité et l’intelligence des choses. Ce qui le peremet,
c’est le fait que toutes les branches ont une même visée pratique qui est celle
de s’accorder du mieux que l’on peut à l’ordre dynamique de l’univers-monde. Un
commentateur du Yi King avait résumé la philosophie du livre, et donc de la
Chine, en trois mots : continuité, changement, facilité.
Les résonances qu’entretiennent entre-elles les diverses
branches de la connaissance chinoise ne permettent pas pour autant une approche
éclectique, ni ne doit faire considérer que tout est dans tout à la manière des
monades de Leibnitz, dont le modèle reste fixiste. En Chine, chaque domaine a bien sa spécificité, mais la co-naissance d’un domaine
particulier fait entrevoir la solidarité foncière de tous les aspects de la
connaissance, c’est à dire des différents domaines d’application d’une
connaissance qui n’est jamais que globale.
Le calligraphe chinois ne devient pas du jour au lendemain
médecin ou mathématicien, mais l’un comme l’autre ont affaire à des savoirs qui
entretiennent entre eux des liens évidents. On a un accès d’autant meilleur au
tout que l’on saisit mieux un aspect particulier. Et inversement, pour la
saisie de tel aspect particulier il est nécessaire d’avoir une disponibilité,
une ouverture, une sensibilité au réel saisi comme tout dynamique et ordonné,
régulé. Peut-être en serez-vous d’accord, je tiens cette idée d’un
mathématicien français avec lequel j’avais parlé de la structure des
idéogrammes chinois, Jacques Vallée, il y a aussi un coté fractal dans la
cosmologie ainsi que dans la façon dont s’organisent les différentes branches
de la connaissance.
Si à l’instant j’ai parlé du calligraphe c’est que je me
suis plus particulièrement intéressé à l’art de la calligraphie chinoise sous
le double et complémentaire abord de sa littérature esthétique (où pratique et
esthétique ne sont pas disjoints) et de sa pratique artistique proprement dite,
c’est à dire pinceau, papier et encore en mains. J’ai pu, à la suite des lettrés-calligraphes
(à mon modeste niveau) constater qu’une “oeuvre réussie” relevait d’une
certaine vibration, perceptible dès le premier coup de pinceau et qui
s’effectue, se matérialise, par un trait homogène dans l’ensemble du rouleau
sur lequel on calligraphie. Je précise qu’en calligraphie il n’est pas question
de revenir sur un ratage. Le premier jet est le bon ou …le mauvais.
Cette perception particulière existe bien dans la
tradition artistique occidentale. Nous parlons alors d’inspiration. On “sait”,
dès le départ, et même avant d’avoir levé le pinceau, si ce que l’on crée va
être bon ou pas, pour parler vulgairement. Mais l’idée, la création, vient d’un
ailleurs, qu’il s’agisse des muses ou d’une divinité. En Chine, rien de tel. La
création ou plutôt le “procès” y est d’emblée explicitée par un certain nombre
de notions qui traduisent autant un niveau d’accomplissement artistique qu’un
niveau de perception de la réalité, et par par dessus tout — c’est la valeur
esthétique sommitale — un accomplissement éthico-moral.
Pour en revenir à la question du temps, tout se passe
comme si la forme globale de l’oeuvre calligraphique effectivement réalisée
avait dès le départ toute sa consistance, par delà la linéarité du temps. De
toute évidence, la structure à la fois discontinue et déployée dans l’espace —
l’espace carré — de l’idéogramme chinois potentialise le dit phénomène. De même
le callligraphe n’invente pas les formes qui font “l’objet” de sa création. Les
formes, parties intégrantes de son expression, sont celles de l’écriture
chinoise ainsi que celles stylisées qui appartiennent au corpus de l’histoire
de l’art calligrahique. Il s’agit donc de singulariser des formes communes.
Toujours ici la prégnance du tout sur les parties. Le phénomène culturel qu’est
l’écriture chinoise, et l’art calligraphique qui en est issu, est congruent à
la vision cosmologique propre au monde chinois.
En ce sens, l”oeuvre d’art, le procès artistique, sont de
l’ordre du surgissement, ou pour donner une image plus parlante, une
cristallisation. Le créateur ne construit pas n’invente pas son oeuvre, il
n’est que le médium, l’agent de ce surgissement, d’une concrétion singulière et
locale produite par l’univers dans son entier. Si effectivement on a affaire à
un certain niveau vibratoire de la réalité foncière, le temps n’existe pas, en
tant que flèche du temps linéaire et entropique, puisque ce niveau vibratoire
consiste en la perception subtile d’une solidarité, d’une connexion
particularisée entre tous les ‘”moments” qui ont constitué la réalisation de
l’oeuvre. Depuis son murissement dans l’esprit de l’artiste jusqu’à l’oeuvre
acomplie.
Les critiques-esthéticiens calligraphes pour qualifier les
oeuvres “réussies” disent qu’elles sont faites d’un seul trait, d’un coup de
pinceau. Ils disent aussi pour qualifier une belle peinture chinoise qu’il y a
“une (con)figuration au delà de la (con)figuration. Le
rendu particulier d’une oeuvre doit donc sa singularité, sa particularité, sa
“beauté” à un niveau de perception particulier, lié en définitive à une plus ou
moins grand capacité à se relier au tout dynamique, ici et maintenant. De là il
est facile de comprendre que dans l’univers chinois il n’y a pas de hiatus, de
dichotomie, entre esprit et matière. L’esprit n’y est jamais que de la matière
affinée, d’une plus subtile vibration. La matière elle-même est une concrétion
de l’énergie fondamentale, le Qi 氣、Je note au passage que
l’idéogramme chinois pour énergie ou souffle, “qi” ou ch’i, indique la vapeur
émanant du riz distillé. ON rejoint là encore la thématique vibratoire, et ici
plus précisément métamorphique.
Si je ne m’abuse, certains théoriciens de la phyisque
quantique parlent de particules et d’antiparticules. Les particules allant dans
un sens apparemment entropique, tandis qu’en sens inverse, les antiparticules
“remonteraient” le temps, le tout assurant la consistance de l’univers.
Evidemment cela semble être une métaphore, car espace et temps sont relatifs.
Je ne sais pas si cela a un rapport avec la covariation dont vous parlez, mais
cela y ressemble bien. Toutes ces considérations me font penser aussi à la
nature à la fois ondulatoire et corpusculaire de la réalité physique dont parle
aussi la mécanique quantique. Toujours la même idée du tout et des parties
indissolublement liées, y compris “à distance” et, vérifiable en pratique. Ce
qui ne veut pas dire objectivable, bien entendu, car si l’on s’en tient à la
vision chinoise des choses, la nature métamorphique et toujours renouvelée de
l’univers rend impossible une position de surplomb, et donc une prédiction des
phénomènes naturels. La “science” chinoise pose d’emblée le lien intrinsèque
entre sujet et ‘”objet” de l’observation. Il n’y a pas d’objet en fait, le
monde, l’univers est lui-même sujet au même titre que le sujet observateur. La
distinction entre les deux instances est finalement purement opératoire et non
pas subtantielle. Ce n’est même pas une question pour la science chinoise. La
science chinoise traditionnelle j’entends. Encore que, d’après certains échos
que j’ai pu avoir, les scientifiques chinois actuels ont parfois une manière
bien à eux d’envisager certains problèmes scientifiques, dans certains
domaines, laquelle manière n’est sans doute pas étrangère à un certain habitus
résultant à la fois de la tradition scientifique et du substrat anthropologique
de la société chinoise.
28) RUMBO :
Pierre-Yves D. dit:
“”La “science” chinoise pose d’emblée le lien intrinsèque
entre sujet et ‘”objet” de l’observation. Il n’y a pas d’objet en fait, le
monde, l’univers est lui-même sujet au même titre que le sujet observateur. La
distinction entre les deux instances est finalement purement opératoire et non
pas subtantielle. Ce n’est même pas une question pour la science chinoise. La
science chinoise traditionnelle j’entends.”"
Tout votre précedent message confirme bien le fait que
l’observation et la préhension chinoise des choses et des êtres réduit à son
minimum, sinon “surplombe” ou n’envisage même pas la dichotomie sujet-objet
omniprésente dans l’approche occidentale sur de nombreux plans fondamentaux,
donc, scientifiques, philosophiques, éthiques, “artistiques”, etc. Raymond
Abellio, dans le même entretient que j’ai cité dans un message précédent,
rappelle bien l’attitude occidentale. Les recherches de R. Abellio, polytechnicien,
philosophe disciple de Husserl et écrivain, apportent nombre de jalons, de
repères, de liens entre les diverses disciplines, les philosophies, les
sciences, les grandes traditons et spiritualités de l’humanité.
Raymond ABELLIO. — Les théories de la connaissance, depuis
deux mille cinq cents ans, se posent la question : comment l’objet est-il
appréhendé par le sujet ? Qu’implique cette perception de l’extérieur par
l’intérieur ? Et depuis deux mille cinq cents ans, il faut bien le dire, toutes
les théories de la connaissance ont été dualistes : elles ont opposé un sujet
et un objet, et n’ont pu sortir de l’impasse de la dualité statique qu’en
faisant à leur tour des présupposés : cela a été tantôt l’idéalisme, tantôt le
matérialisme, tantôt tout était préformé dans l’esprit, tantôt inversement la
pensée n’était plus qu’une conséquence, un épiphénomène sortant de la matière.
Ces deux écoles, depuis deux mille cinq cents ans, se sont entrebattues, et ont
disserté sans fin. —
Il n’en est donc pas ainsi dans la pensée chinoise.
Ce qui suit est un concentré tiré d’un article de
l’architecte jean Gaston Bardet où il fait référence à la recherche
scientifique quand elle est faite par des chercheurs (ici des physiciens)
d’horizons culturels très différents: Israëlite, Chrétien, Hindou, Chinois.
On peut citer l’exemple, hélas peu connu, des deux
physiciens chinois vivant aux États-Unis lorsqu’ils recurent le prix Nobel de
physique en 1957, Chen Ning Yang et Tsung Dao Lee. Ils eurent l’idée que la loi
de la - parité -, si importante pour pour les physiciens, ne s’appliquait pas
toujours, c’est ainsi qu’on aurait le moyen de distinguer la droite de la
gauche. Cette hypothèse était à peu près improbable aux physiciens occidentaux
qui ne tentèrent jamais rien dans ce sens là.
Les deux physiciens chinois passèrent donc au crible les
expériences alors connues qui faisaient intervenir des - interactions faibles
-. Ils publièrent un article rapportant leur recherche sur ce sujet en octobre
1956 dans “The Physical Rewiew”. Aucun écho ne s’en suivi. Sauf auprès d’une
chinoise, Madame Chien Schiung Wu qui expérimenta les recherches de ses deux
compatriotes. En effet, pour le Chinois, pas de distinction entre le profane et
le sacré comme pour l’Occidental.
L’héritage spirituel des Chinois est très différent de
celui des Occidentaux. Quelles que soient les alluvions occidentales récentes
qu’ils ont reçues, ils sont marqué par la logique
chinoise. C’est bien le T’ai Tchi (principe suprême de l’existence), un cercle
dans lequel s’enlacent le Yin et le Yang du Tao. À l’intérieur du cercle du
Tao, le symbole Yin-Yang est asymétrique - il n’est pas superposable à son
image dans le miroir - mais bien que le Yin et le Yang soient asymétriques, ils
sont tous les deux de même sens. L’asymétrie fondamentale du symbole chinois a
joué son rôle subconscient dans la prise de position des physiciens Chen Ning
Yang et Tsung Dao Lee, se distinguant ainsi de l’orthodoxie scientifique. Ils
ont ainsi proposé à leurs collègues occidentaux ce que ces derniers, à
structure mentale symétrique, ne conceptualisait pas “naturellement”.
L’expérience de Madame Chien Schiung Wu, qui avait donc suivi les travaux de
ses deux compatriotes chinois, réussit. La parité ne se conserve pas.
Et Jean Gaston Bardet, investigateur perspicace s’il en
est, et après avoir cité des exemples et des réactions relatifs à la culture
d’origine de physiciens d’autres cultures (citées plus haut) continue ainsi.
Nos savant physiciens, que tous
croyaient rationalistes, sont — en réalité — menés par leur méta-physique, au
sens exact. Les plus libres sont, certainement, les Chinois, car la pensée
chinoise traditionnelle ne distingue pas entre la matière et l’esprit.
Enfin, pour approcher la Chine de façon interessante,
outre le YI-KING, il y a des auteurs tels que le français Marcel GRANET, cité
par Paul, et l’anglais Joseph NEEDHAM (une mine à lui seul!). Ce sont des
auteurs que j’avais abordé, mais il y a longtemps
La remise en question en Occident de cette dualité postulée
entre sujet et objet n’est pas si nouvelle. Il me semble que j’en ai entendu
parler il y a déjà quelques décennies. L’expérimentateur a une influence sur
l’expérience. À moins bien sûr que mes sources de l’époque n’aient été
influencées par la pensée chinoise.
En ce qui concerne la notion de temps en physique, je
voulais ajouter à la covariation une autre évolution/découverte de la pensée
occidentale en la matière (sans jeu de mots) : alors que l’on nous présentait
il y a quelques décennies l’atome comme un système solaire en miniature, avec
les électrons orbitant sagement autour du noyau, l’idée qui semble dominer
aujourd’hui est qu’il est impossible, contrairement à ce qu’il en est pour la
position des astres dans l’univers, de déterminer avec précision la position
d’un électron sur son “orbite”. Si j’ai bien compris, on parle désormais de
probabilité.
Enfin, pour les néophytes qui souhaiteraient aborder ce
domaine, je conseille la lecture du livre du physicien austro-américain Fritjof
Capra “Le Tao de la physique” (Paris, Sand, 1975).
30) RUMBO :
Oui, la mécanique quantique, ainsi que ses avancées en
physique subatomique ont révolutionné les sciences, et une partie non
négligeable de la “pensée”. La mécanique quantique est à l’origine de toute l’
“électronique” existante aujourd’hui. Le liens de la
macrophysique avec les prolongements de la mécanique quantique, plusieurs fois
annoncé, ne s’est pas produit (sauf erreur de ma part) s’il doit se produire un
jour. Il y aura sûrement des développements, mais sûrement des surprises à ce
sujet… D’après certains physiciens toujours en activité, il n’y a eu que très
peu d’avancées scientifiques réelles et concrètes depuis, maintenant, une
trentaine d’années environ. Seul le perfectionnement industriel incessant fait
croire à certains (bien peu curieux!) que les
découvertes scientifiques en physiques subatomiques avanceraient à grand pas
encore aujourd’hui. Il n’en est rien. En ces domaines, les attentes et les
paliers sont longs.
J’avais lu le Tao de la Physique peu après sa parution,
mais je me souviens de ne pas avoir eu l’apport que j’espérais, je n’étais sans
doute pas assez “mûr” (guère plus aujourd’hui). Je crois que ce livre aura été
comme un “point d’orgue” de tout un courant “philosophique” (ou plutôt mode
intellectuelle?) s’inspirant des reflexions de certains chercheurs en physique
subatomique, et voyant là une voie magistrale à un relativisme à tout crin. Ici
aussi, un équilibre doit être respecté. Car dans ce cas précis, c’est bien
l’occasion de rappeler ici que la logique chinoise est - complète - en
elle-même, comme - en relation -. Si la logique chinoise s’applique ici, elle
s’applique aussi là… Il y a des conséquences relativistes, certes, dans certaines
découvertes scientifiques, ou encore certaines phases conduisant à des
découvertes (avant d’autres découvertes, bien sûr), mais ces conséquences
relativistes n’infirment nullement les autres options cognitives qui ont
précédé, et qui ont joué et jouent leur rôles. Je pense à la logique dite de
l’identité et du tiers exclu qui affirme qu’une chose est ce qu’est et ne peut
pas, à la fois, être son contraire, cette logique peut être “dépassée” dans
certains domaines, mais pas éliminée. Évidemment, il manquaient
des gardes fous à cette logique, qui poussée plus loin peut devenir meurtrière,
et l’a été parfois; il y a des domaines ou la logique du tiers exclu peut faire
des “ravages” et d’autres non ou elle devient alors un garde fous. Ainsi, le
relativisme fait souvent dire trop vite que: “c’est bonnet blanc et blanc
bonnet”… Les pièges philosophiques et ontologiques ne sont jamais loin. Du
moins tel que cela se traduit, à présent, dans maint domaines, humain,
sociologique, juridique, éthique et même moral, philosophique, économique et
financier (ex. financer avec profit à la clé la production de revues ou films
pornographiques est pareil que financer une maternelle ou un service de
pédiâtrie) etc, etc.
·
* * *
Pour répondre à la suggestion de Paul, ce serait bien, effectivement, de
procéder ici sur la pensée chinoise comme l’a bien fait Étienne Chouard pour la
monnaie (surtout que je suis très concerné vraiment à plus d’un titre par le
sujet de la monnaie et ses divers traitements). Mais franchement, je manque de
moyens tel que la connaissance du maniement aisé des ordinateurs, des
programmes informatiques. De même, mon environnement domestique se prête très
peu à ce genre d’intervention technicienne, qui est que sûrement à la portée de
beaucoup. Il y a aussi mon agenda qui, pour le moment, me laisse relativement
“tranquille” (c’est pour ça que le viens plus souvent ces jours-ci sur cet
intéressant blog) mais se rempli vite, sans vraiment prévenir.
31) KERCOZ :
MDR, Avec tout le respect que je porte a la confiture , je me permets de pouffer.
Je n’ai probablement pas le niveau de vos délires mais de ma planète je ne peux
qu’affirmer que “le roi est nu”.
Si vous avez un problème avec le temps, je pense que les thèses de Prigogine
sur la fleche du temps et l’irreversibilité liée aux “biffurcations” qui ont
été révèlées par les études sur le chaos vous donneront des ouvertures plus solides .
La planète est ds le mur et des découvertes récentes en matiere de mathématique
comme en sociologie permettent d’en étudier au moins les raisons .Les
éllucubrations mysthico philo me paraissent sinon déplacés ,
du moins obscènes.
(Bon , ce n’est que le point de vue d’un hétérodoxe
exogène comme disait Assimov.)
Retour à l’index
32) CANDIDE :
“Puissent les tensions des marchés, les tensions
financières (d’ailleurs, les Chinois viennent de réagir aux agissements
financiers américains, mais ils ont d’énormes réserves de dollars…!), les
tensions des matières premières, etc, ne pas déboucher sur une séries
d’impasses qui, pendant que les humains comprendraient trop tard leur
aveuglement, signerait le moment, une fois de plus douloureux, où chacun devra,
éclopé et infirme, faire avec les moyens de “son” bord. La Chine est dans une
situation nouvelle et inédite. Quelle va être la réaction YIN dans le monde
entier? Jusqu’à présent on ne connaissait que l’attitude occidentale YANG.”
Eh bien, si j’ai bien compris l’article du WSJ
(marketwatch) en ligne daté de cet après-midi, l’une des premières réactions
chinoises est d’autoriser… la vente à découvert, afin de booster les gains de
son secteur financier !
La gastronomie asiatique viendrait-elle de s’enrichir d’un
nouveau met, le pigeon à la chinoise ? Recette : prenez un grand peuple qui a
grandi pendant des siècles dans une bonne vieille sagesse traditionnelle,
laissez-le mariner pendant plusieurs décennies dans un bocal en verre bien clos
mais immergé dans un monde dominé par le mode de vie bling-bling occidental.
Cassez le bocal et observez en connaisseur le mélange des saveurs qui ne
manquera pas de s’opérer…
P.-S. sans lien aucun avec ce qui précède : c’est Asimov,
pas “Assimov”. Il était loin d’être un “ass”, lui, et notre pauvre civilisation
aurait bien besoin d’un Hari Seldon.
33) RUMBO :
Kercoz
S’agissant de confiture, il aurait fallu écrire: délices
au lieu de délires
Candide dit:
“”La gastronomie asiatique viendrait-elle de s’enrichir
d’un nouveau met, le pigeon à la chinoise ? Recette : prenez un grand peuple
qui a grandi pendant des siècles dans une bonne vieille sagesse traditionnelle,
laissez-le mariner pendant plusieurs décennies dans un bocal en verre bien clos
mais immergé dans un monde dominé par le mode de vie bling-bling occidental.
Cassez le bocal et observez en connaisseur le mélange des saveurs qui ne
manquera pas de s’opérer”"
Les allégories sont bonnes et la recette retenue!
L’opposition sujet-objet pratiquée en Occident, l’Occident
qui a tant créé et tant anéanti, d’abord dans la pensée politique, économique
et scientifique, rien qu’avec la pensée marxiste, ensuite en moins d’un siècle,
avec le tout-libéral-tout-marché-tout-financier, etc. Puis dans la matière,
soit, avec la vampirisation des réserves d’énergie fossile, charbon, pétrole,
gaz, et la désintégration de l’atome avec le nucléaire, etc, débouche sur une
une désintégration dont, en principe, les hommes et leur environnement ne
ressortent pas indemnes. Pourquoi les chinois feraient exception?
Les Chinois ont et gardent, de toutes façons, des
ressources de par leurs structures mentales, exactement comme nous avons les
nôtres. Les Chinois ont inventé la poudre à canon, le papier, le parachute, la
vis sans fin, les feux d’artifices, le vilbrequin, peut-être le système
piston-bielle. Léonard de Vinci, de son côté, inventa pas mal de choses, dont
certaines citées ici. Les Occidentaux, en pleine concurrence entre eux, firent
systématiquement barrage à toute prééminence possible d’autres “puissances” à
travers le monde, occidentales ou pas par impérialisme. Et en plus, les
inventions faites pas les Chinois ne pouvaient appartenir aux individus qui les
avaient faites et qui se seraient donc enrichis avec leur exploitation
industrielle et comerciale, car selon la loi de l’Empire, - tout - appartenait
à l’Empereur. Celui-ci, de son côté en jouïssait, mais n’avait pas (ou peu) de “dessein
instinctif ” de conquêtes, d’embargo, de monopoles, etc, puisqu’étant, “par
nature”, et ceci à l’ - intérieur - d’un pouvoir politique et d’un espace
“achevés”, de par la pérennité même de l’Empire du Milieu, force Yin. Tandis
que les Occidentaux, force Yang, toujours “en manque”, n’ont eu de cesse de
faire exactement l’inverse, - en direction de l’extérieur -.
Il n’y a d’ailleurs pas de “supériorité” de l’une sur
l’autre d’une des deux structures mentales, l’occidentale et la chinoise. Le
mode chinois pourrait être un complément assagissant et modérateur des exès et
des exigences occidentales. Quant aux Chinois, sûrement moins “conscients” de
leur mode d’agir et de penser, ils tombent dans un premier temps dans les
travers et les dangers (ce qui se constate) du mode occidental dans lequel ils
se jettent frénétiquement depuis environ 30 ans maintenant. Ainsi, leur propre
inclinaison toute naturelle à l’équilibre, l’équilibre tenu par le fléau de la
balance symbolisant, justement, l’Empire du Milieu, devraient les alerter de ne
pas dépasser les signaux de danger qui se manifestent de partout. Il est bien
dit que toute atteinte ici au fléau de la balance, qui est le “Milieu” (il
faudrai que je recherche l’expresson exacte lue dans la traditon chinoise) du
monde (ou de l’univers) est donc une atteinte au monde entier, qui peut en
trembler… Donc, l’heure de vérité devrait approcher. Tôt ou tard…
34) KERCOZ :
Candide dit:
“c’est Asimov, pas “Assimov”. Il
était loin d’être un “ass”, lui, et notre pauvre civilisation aurait bien
besoin d’un Hari Seldon.”
Effectivement, sorti de la litterature SF, on est effaré
de constater la quantité de publications qu’il a produites … du bas de gamme du
reader’s, …. pourtant, de façon collatérale il a
soulevé un point majeur dans une de ses compilations pseudo-scientifiques :
Il y défend la thèse que c’est perdre son temps que de
vérifier toutes les affirmations, inventions , découvertes … produites par des
personnes qui ne sont pas du domaine concerné et “adoubés” par le système. Il
ne nie nullement que des grandes découvertes aient été faites par des “exogènes
hétérodoxes”, mais que de toutes les façons ces découvertes étaient
inéluctables et l’auraient été qqs temps plus tard.
Ce mode de raisonnement est d’une variante inédite de la
religion dominante actuelle : le Scientisme.
Il montre aussi que la plupart des adeptes de cette “foi” pensent que nous
sommes au maximum des découvertes possibles ds chaque domaine (ou peu s’en
faut).
De façon annexe il me persuade un peu plus qu’une
“croyance” ne peut etre qu’inconsciente……… Le fait de la verbaliser, c’est deja
douter.
35) HENRI B :
Bon, en tant que sociologue platement matérialiste je ne
souhaitais pas vraiment réagir, mais je ne résiste pas (le sage se tairait bien
sûr).
Je pense que les pensées orientales traditionnelles ( y compris indiennes) et la culture (pas la religion car
les rites sont coriaces), sont depuis longtemps écrabouillée par la
mondialisation de l’économie, de la pensée… et de la science (je souligne), cette
mondialisation se produit avec une coloration occidentale, on est bien
d’accord.
Le signe extérieur de richesse des familles chinoises
n’est pas le pipa mais le piano (pour la chère tête brune).
La culture traditionnelle est désormais “revivaliste” et identitaire,
ce qui m’amène à faire un parallèle avec la reprise/invention du Shintoisme en
tant que pensée “Japonaise” par les nationalistes impérialistes japonais avant
guerre… brrr…
Le Taoisme, avec son fond ethnique, sa part de violence
spontanée et populiste, son dérivé légiste et égalitariste, est le meilleur
candidat pour prendre la place d’une pensée “völkisch” à la chinoise/Han.
Alors sacrifions à Confucius.
“et la culture (pas la religion
car les rites sont coriaces),”
Enfin un peu de lucidité ! Les religions ne sont que des
squatters tardifs (tres tardifs) des rites qui perdurent depuis l’animalité. Il
eut été dommage que ces “lieux de pouvoir” restent sans bénéfices.
C’est vraiment dans cette direction qu’il faut chercher si l’on veut chercher
nos erreurs sociétales. Goffman, trop méconnu bien que souvent exploité, serait
une bonne base.
Fin provisoire des
débats. A suivre…