L’actualité de la crise: Grèce, tous les tiroirs du test ne sont pas encore ouverts, par François Leclerc

Billet invité.

GRECE, TOUS LES TIROIRS DU TEST NE SONT PAS ENCORE OUVERTS

Des deux tests européens identifiés début janvier, celui de l’Islande semble s’acheminer par un compromis en cours de négociation, plus tenable pour les Islandais. L’autre, celui de la Grèce, n’en finit pas de déraper et de produire des effets imprévus.

Il est même devenu un feuilleton à rebondissements immaîtrisés. Au prétexte de remettre de l’ordre dans des règles budgétaires bafouées par la Grande Crise, et de préparer les opinions publiques à une politique d’austérité – choisissant pour mieux le démontrer un cas exemplaire – l’affaire a échappé des mains de ceux qui l’avaient engagée, au premier rang d’entre eux le gouvernement de coalition allemand. Montrant la légèreté de ceux qui sont aux manettes.

Le test grec a, dans un premier temps, déclenché une spéculation internationale imprévue sur les obligations souveraines de plusieurs pays – ainsi que monétaire sur l’euro – mettant en danger l’équilibre déjà fragilisé de la zone euro, qu’il a fallu juguler dans une grande improvisation. Il apparaît aujourd’hui qu’il a sur les opinions publiques – principalement aux Pays-Bas, en Allemagne et en Autriche – des effets qui n’étaient pas ceux que l’on attendait. Induisant une très forte poussée bien peu partageuse, afin de prioritairement préserver la paix et le bouclier social, tels qu’ils sont en vigueur dans ces pays.

Différentes hypothèses avaient pu être envisagées sur la manière dont allait évoluer la crise, s’agissant de la zone euro. Résultant d’un effet domino pouvant atteindre d’autres pays, Portugal, Espagne et Italie, pour ne pas élargir la liste à d’autres pays de l’Union européenne; ou bien aboutissant à redimensionner et recentrer cette zone, à l’initiative de l’Allemagne. D’un soutien financier à la Grèce, au départ considéré comme inévitable, on en était venu à se dire qu’il allait faire défaut, entraînant des ruptures. Puis l’on revenait en arrière, comprenant que l’on allait trop vite en besogne, après avoir mesuré à quel point le système bancaire européen n’était pas en mesure de supporter un nouveau coup de ce genre, que la stabilité de la zone euro restait essentielle et qu’il fallait la préserver.

Le mal était cependant fait. Chauffée par d’unanimes déclarations catégoriques et démagogiques, relayées dans toute l’Europe, (« C’est aux Grecs de régler leurs problèmes ! »), l’opinion publique allemande réagissait, confortée en cela par la révélation, arrivant à point nommé, d’une « tricherie » des cueilleurs d’olives, fréquentables uniquement à l’occasion du farniente estival. Non sans des relents profondément déplaisants envers les pays du Sud de l’Europe, aimablement qualifiés de PIGS par certains britanniques s’oubliant également un peu. Le risque que chacun cherche refuge derrière un intérêt national illusoire grandissant, porteur d’une traduction politique en suspens. Illustrant cette situation, 53% des Allemands se déclareraient si nécessaire en faveur de l’expulsion de la Grèce de la zone euro, selon un sondage paru dans Bild am Sonntag,

S’agissant de l’Allemagne, c’est bien son modèle social fait de concertation qui pourrait être mis en péril, alors qu’il est devenu évident que la croissance ne sera pas au rendez-vous, permettant à la fois de diminuer les prélèvements fiscaux et de subventionner à grande échelle le chômage partiel, quitte à ne pas augmenter les salaires avec l’accord des syndicats (l’inflation a été de 0,4% en 2009). Les libéraux membres de la coalition ont déjà rappelé leur préférence pour la première de ces deux politiques. Provocateur, Guido Westerwelle, ministre libéral des affaires étrangères, a assimilé le système social allemand à la « décadence digne du bas empire romain ». Il sera facile de l’affubler du surnom de Néron.

Or, le seuil des 4 millions de chômeurs pourrait être atteint cette année. Environ 11,4 millions d’Allemands disposeraient, d’après l’institut de recherche économique DIW, de moins de 60% du revenu moyen allemand, soit 2.000 euros mensuels (considéré dans ce pays comme le seuil de pauvreté). Les communes, qui supportent une partie du coût des programmes sociaux, sont en général dans une très mauvaise passe financière, suite à la baisse des recettes de la taxe professionnelle – la crise économique en étant à l’origine – accrue par les mesures gouvernementales de baisse des impôts, qui la pénalise également. Le plan de soutien à la création de bad banks a été finalement peu utilisé par les banques, qui considèrent qu’il est plus avantageux pour elles de conserver au bilan leurs actifs toxiques (comme aux Etats-Unis, où elles ont sabordé le plan du Trésor public PPIP – Public-Private Investment Program for Legacy Assets). Ce qui a pour conséquence la poursuite de la crise du crédit, qui affecte durement le tissu des PME allemandes. Bref, les marges de manoeuvre dont le gouvernement dispose sont réduites. L’opinion publique tranche à sa manière.

Dans ce contexte, Angela Merkel tente de reprendre l’initiative, arrêtant de faire de la Grèce sa principale cible pour s’en prendre aux banques, coupables d’avoir contribué au maquillage des comptes grecs, provoquant ainsi une crise se propageant dans toute la zone euro. « C’est un scandale s’il s’avère que les banques, qui nous ont déjà amené au bord du précipice, ont également participé à la falsification des statistiques budgétaires de la Grèce », s’est-elle indignée. C’est qu’elle est prise à contre pied, dans l’obligation de défendre l’intégrité de la zone euro, sans en avoir les moyens politiques. Préparant discrètement des mesures de soutien financier, sans pouvoir en faire état. Ses alliés européens entrant dans son jeu afin de ne pas envenimer les choses, d’autant qu’aucune décision n’a vraisemblablement été prise, contrairement à ce qui est affirmé.

La leçon est pourtant là, ni les banques allemandes, ni les françaises, ne peuvent se permettre une nouvelle crise financière qui les affecterait durement si après la Grèce d’autres pays devaient être touchés par la spéculation. Il faut donc gagner du temps, louvoyer, en espérant que les Grecs pourront tenir le prochain examen de passage du 16 mars prochain devant la commission de Bruxelles, les marchés attendant leur heure.

Une véritable tutelle budgétaire de la Grèce a été mise en place, donnant des idées à ceux qui voudraient aller au-delà. Le pacte de stabilité européen ayant volé en éclats, la crise actuelle pourrait être l’occasion de rebondir, le dispositif de prévention ayant tout bonnement été contourné et devant être remplacé. Non sans volontarisme, les plus optimistes échafaudent des projets de gouvernance économique, qui s’appuieraient sur les mesures de gestion de la crise grecque péniblement mis en place. Les think tanks communautaires plancheraient sur les moyens de coordonner les politiques macro-économiques des Etats, au lieu de se contenter de fixer ensemble des seuils à ne pas franchir (dont il est vraisemblable de penser qu’ils devront de toute façon être revus). Mais ces bons esprits, ce faisant, continuent de n’appréhender la problématique européenne que sous son angle institutionnel, un pêché mignon qui est devenu une véritable tare.

Si les gouvernements européens veulent sortir par le haut de la crise (une formule vide de sens, dans le cas présent, car aucune sortie de crise n’est en vue), ils devraient pour ce faire définir les grandes lignes d’une stratégie économique commune, et s’en donner les moyens financiers. Cela supposerait de faire sauter certains verrous, alors qu’ils sont loin de l’envisager, et moins encore de l’admettre. Car il serait nécessaire de traiter le problème de la dette publique autrement qu’il n’est actuellement considéré, et de se donner les moyens d’une solidarité affirmée, devant une crise qui s’annonce de longue durée et qui imposera tôt ou tard des dispositifs autres que de circonstance. Il serait aussi indispensable de définir un plan d’investissement, incluant la sauvegarde du bouclier social dont il est nécessairement partie prenante, assorti de son financement. Qui donc pourrait aujourd’hui être porteur d’une telle vision ?

Si la relance s’obstine, comme probable, à être aussi anémique – tangente à la récession – il faudra bien de toute façon en venir à de fâcheuses remises en question, mais lesquelles ? La circonspection dont font preuve les gouvernements européens ne fonde pas une politique.

Demain sera un autre jour.

Partager :

141 réponses à “L’actualité de la crise: Grèce, tous les tiroirs du test ne sont pas encore ouverts, par François Leclerc”

  1. Avatar de zébu
    zébu

    http://goldcoin.org/gold/changing-attitudes-amoungst-european-central-banks/561/

    Où l’on voit que certains pays risquent, en cas de grosses attaques spéculatives sur leur monnaie, d’être à court de ‘munition’ : c’est le cas du RU, qui a vendu 60% (!) de son stock d’or grâce à Gordon Brown, à ‘vil’ prix.
    Si la livre est attaqué, le RU se retrouvera en slip. Car il n’a pas les ‘garanties’ que peuvent avoir les autres pays d’europe (notamment) en termes de stocks d’or, qui jouent un rôle d’assurance. En effet, si les monnaies sont attaquées, en principe (pas forcément toujours le cas à court terme), l’or augmente. Ainsi, les BC qui ont un stock d’or peuvent ‘voir venir’ car si leur monnaie est attaquée (ou à travers de leurs obligations d’Etat) et chute, en contre-partie, l’or augmente dans leurs réserves. Or qui pourra être monnayer le cas échéant dans la monnaie la plus ‘intéressante’ ou pour valoriser le cours de la monnaie du pays (ou de l’UE, par exemple).
    C’est pourquoi des pays, comme l’Allemagne, la France et même l’Italie (!) sont plus ‘risqués’ ou plus difficiles à attaquer pour les spéculateurs car ils reposent sur des stocks d’or considérables (>60% des réserves de change). A l’inverse, on peut constater que l’Espagne a un % de stock d’or pratiquement deux fois inférieur (34%). Et que celui du RU est ridicule, comme celui de la Chine.
    Le Portugal, lui, sur lequel la spéculation a moins pesé (il est vrai qu’il est aussi moins endetté que les deux pays visé, la Grèce et l’Espagne) a un stock d’or à plus de 80%.
    Je serais curieux de connaître le stock d’or de la Grèce et son pourcentage dans ses réserves de change …

  2. Avatar de Mike Martin
    Mike Martin

    @ Zébu

    n’oubliez pas les polémiques datant de l’année dernière sur la réalité de ces réserves en or.
    particulièrement les réserves américaines.
    Il y a apparemment des soupçons de fraude massive sur ces réserves. En particulier avec la découverte l’année passée de faux lingots de très bonne facture à Hong Kong.
    Je me rappelle avoir lu certains émettre l’hypothèse que les BC ont assuré les arrières de plusieurs banques d’affaires en leur fournissant de l’or pour leur permettre d’assurer leurs engagements sur des contrats d’or papier…
    Désolé de ne pas avoir plus d’infos si quelqu’un à plus de souvenirs que moi…

  3. Avatar de liervol
    liervol

    « Kyrié, Sans apostropher ma rhétorique dans l’emphase et la pléthore, j’analyserai elliptiquement, sans nul gallicisme, le dédale synchrone du cosmos politique caractérisé par des syndromes de crise paralysant l’organisation systématique de notre économie. Nous sommes périodiquement sceptiques et neurasthéniques devant ces paroxysmes périphrastiques, cette boulimie des démagogues, ces hyperboles, ces paradoxes hypocrites et cyniques qui symbolisent une démocratie anachronique et chaotique. Les phénomènes fantastiques qu’on nous prophétise pour l’époque astronomique détrôneront les programmes rachitiques, hybrides et sporadiques de notre cycle atomique. Seule une panacée authentique et draconienne métamorphosera cette agonie prodrome de l’apocalypse et une genèse homologue du Phénix. Les économistes technocrates seront les stratèges d’un théâtre polémique et dynamique et non les prosélytes du marasme. Autochtones helléniques, dans une apologie cathartique, psalmodions les théorèmes de la démocratie thésaurisante et héroïque, soyons allergiques aux parasites allogènes dont les sophismes trop hyalins n’ont qu’une pseudodialectique. En épilogue à ces agapes, mon amphore à l’apogée, je prophétise toute euphorie et apothéose à Monsieur Giscard d’Estaing, prototype enthousiasmant de la néo-orthodoxie économique et symbole de la palingénésie de son ethnie gallique. »

    Un texte célèbre de Xenophón Zolótas a été écrit en français, et a été composé en utilisant uniquement des termes d’origine grecque. Il me semblait d’actualité.

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. Paul, Je n’ai vu de ce film, il y a longtemps, que ce passage (au début du film, je crois)…

  2. Faut reconnaitre que le site fait positiver … du moins la première illustration du vivant.

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta