Billet invité.
En évoquant la mort d’Alexander McQueen, Paul a touché quelque chose de sensible, dans tous les sens du terme, même s’il ne s’attendait peut-être pas à tant d’impétuosité de la part de ses lecteurs. La vigueur des réactions en atteste. A la réflexion, la mode n’est pas un sujet anodin, qui serait simplement de l’ordre du frivole, du superficiel, et raison de plus si l’on en vient à critiquer vertement cet aspect, quand bien même interviennent des considérations sur l’aspect commercial de la chose, qui est bien évident.
De tous temps la parure est venue affirmer la culture dans la nature, celle-ci est donc toujours venue en excès du simplement fonctionnel. Il n’y a donc pas d’excès de la mode, puisque le vêtement est déjà par elle-même manifestation d’un excès, cet excès sans lequel nous ne serions être humains.
C’est donc au titre même de cet excès, qui est la culture par essence, puisque la culture se trouve être manifestée sur nos corps mêmes, que la mode devient l’objet de toutes les passions, de l’admiration au dégout en passant par le rejet, fût-il d’indifférence. Il est alors tout à fait loisible qu’à travers le jugement sur la mode, à propos d’une mode, d’un créateur de mode, s’expriment des sensibilités, des opinions fort contrastées, tranchées, voire tranchantes et vindicatives. Le jugement sur la mode cristallise, révèle, sensiblement, par l’affect, ce qu’il en est dans une société donnée du rapport entre nature et culture d’une part, et des rapports sociaux, d’autre part. Bref, la mode est doublement un enjeu de la culture et un enjeu de société avant d’être un jeu de société réservé à une élite, car la mode se voit, et est même faite pour cela.
Dans Le corps utopique (*), qui vient d’être réédité, court texte limpide de Michel Foucault, le corps est d’abord ce lieu d’où l’on ne s’évade pas, en un mot notre prison, puis, par un de ces retournements littéraire et dialectique rondement mené, Foucault fait du corps, de nos corps, le lieu par excellence de l’utopie, des utopies :
Mon corps, en fait, il est toujours ailleurs, il est lié à tous les ailleurs du monde, et à vrai dire il est ailleurs que dans le monde. Car c’est autour de lui que les choses sont disposées, c’est par rapport à lui – et par rapport à lui comme par rapport à un souverain – qu’il y a un dessus, un dessous, une droite, une gauche, un avant, un arrière, un proche, un lointain. Le corps est le point zéro du monde, là où les chemins et les espaces viennent se croiser le corps n’est nulle part : il est au cœur du monde ce petit noyau utopique à partir duquel je rêve, je parle, j’avance, j’imagine, je perçois les choses en leur place et je les nie aussi par le pouvoir indéfini des utopies que j’imagine. Mon corps est comme la cité du Soleil, il n’a pas de lieu, mais c’est de lui que sortent et que rayonnent tous les lieux possibles, réels ou utopiques.
Foucault, dans le troisième et dernier temps de son essai conclut :
… c’est le miroir et c’est le cadavre qui assignent un espace à l’expérience profondément et originairement utopique du corps ; c’est le miroir et c’est le cadavre qui font taire et apaisent et ferment sur une clôture – qui est maintenant pour nous scellée – cette grande rage utopique qui délabre et volatilise à chacune instant votre corps. C’est grâce à eux, c’est grâce au miroir et au cadavre que notre corps n’est pas pure et simple utopie. Or si l’on songe que l’image du miroir est logée pour nous dans un espace inaccessible, et que nous ne pourrons jamais être là où sera notre cadavre, si l’on songe que le miroir et le cadavre sont eux-mêmes dans un invincible ailleurs, alors on découvre que seules les utopies peuvent refermer sur elles-mêmes et cacher un instant l’utopie profonde et souveraine de notre corps.
A la lumière, si on peut dire, de ce texte éblouissant – que je vous invite à lire dans son entier – me vient alors une idée, une hypothèse. Et si ces mannequins « porte-manteaux » étaient la métaphore du cadavre, en tant que corps sans regards, absents de toute utopie, le rôle de l’utopie se voyant alors dévolu à la seule parure ?
La question qui pourrait suivre serait alors : mais pourquoi les défilés de mannequins d’aujourd’hui sont-ils ce qu’ils sont, à savoir ce que je viens d’en dire ? La mode, on le sait, a toujours été associée au pouvoir, qu’il fût pouvoir politique ou celui de l’argent, ce qu’il est surtout aujourd’hui. On a beau dire que c’est la rue qui fait la mode, en dernier ressort, la mode n’est dite comme telle que lorsqu’elle s’affiche, autrefois à la cour, aujourd’hui dans les magazines ou encore à la télévision. La télévision est devenue le lieu du déferlement des affects, mais le rituel de la mode, télévisé, échappe toujours à ce déferlement.
Le rituel, avec quelques variantes, est toujours immuable. Même un artiste écorché vif et excentrique comme Alexander McQueen n’y échappe pas, comme on peut le voir dans la vidéo d’un de ses défilés.
La mode, disais-je, est donc associée au pouvoir. Or le pouvoir est de l’ordre du sacré, ce qui transcende tout affect, même et surtout si l’on doit souffrir pour cela. La dignité de la fonction veut que l’on n’affecte point. Fort logiquement les affects individuels et sociaux s’y investissent alors d’autant plus.
Ainsi s’expliquerait le paradoxe qui fait que les femmes ne sont jamais aussi belles, ou du moins naturelles – au sens de social naturé – que lorsqu’elles sont affectées, occupées, préoccupées, qu’un rien les habillent ou les déshabillent pour qui les observe dans la rue, ou en tout lieu dit public, cela, en l’occurrence, parce que dedans et dehors sont en quelque façon réconciliés en échappant au rituel scénographié de la mode. La mode disait Barthes est ce qui se démode. Or la rue jamais ne se démode, la rue est, point. Ainsi le corps paré, la femme vêtue ne sont jamais si beaux que hors du lieu privilégié de leur exposition. Un défilé de mode sans photos, sans film, sans vidéo, c’est un happening, un happy few, voire une performance, pas un défilé de mode. La mode ne devient mode que lorsque le monde de l’extérieur la voit effectivement.
Est-il pensable alors dans ces conditions qu’il existe dans un avenir plus ou moins proche une mode qui échapperait au rituel ?
La réponse à cette question nous ramène alors à la question du pouvoir. D’où l’on peut se demander s’il pourrait advenir un pouvoir désacralisé ? C’est, dira-t-on, le propre de la démocratie. Or la démocratie, surtout l’actuelle, ne semble pouvoir vivre que par et pour le spectacle, au sens où le capitalisme est devenu le spectacle de lui-même. D’où l’on voit que l’on se sort difficilement du – stade – du miroir, qu’il s’agisse des individus ou de la société.
Quelle société future pourra donc sans nier le miroir, indispensable à la construction de nos identités individuelles et collectives, comme l’avait vu Lacan, trouver les formes sensibles par lesquelles se conjugueront un rapport nouveau de l’individuel au collectif, créatif et moins aliénant, pour tout dire moins sujet au pouvoir exclusif ?
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(*) Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies, Nouvelles éditions Lignes, 2009
67 réponses à “La métaphore du cadavre, par Pierre-Yves D.”
Paul voulait un argument, il en a un… Et il y en a beaucoup d’autres.
Par exemple le philosophe maudit dont le nom commence par un H. et qui dans « Qu’est ce qu’une oeuvre d’Art » (à rapprocher de « Qu’est ce qu’une chose? » évidemment) rappelle que l’Art a à voir avec la Vérité et non avec l’Esthétique (Cassirer explique très bien le moment de ce passage d’ailleurs), ce pourquoi ces chaussures ne sont pas de l’art, alors que les sabots de paysan peints par Van Gogh, si.
Ou encore H. Arendt, qui rappelle combien les anciens Grecs (!!!) avaient peu de considération (c’est le moins qu’on puisse dire) pour ce type de production humaine (et on parle de chef d’œuvres architecturaux pourtant). Ceci pour rassurer notre réparateur…
Il n’y a rien de plus agaçant que le politiquement correct culpabilisateur, paternaliste et sirupeux d’une certaine catégorie de personne, qui au contraire de Paul ne font pas même l’effort d’argumenter (la citation de Hegel est bien la seule chose qui puisse sauver de telles « créations » comme relevant de l’Art plutôt que de « l’entertainment »), et qui loin d’imposer leur « goût » imposent carrément leurs catégories métaphysiques, comme si elles allaient de soi, se contentant de mettre en avant le « manque d’ouverture d’esprit » dans une version « paternaliste » (ou la sacrosainte « peur de ce qui est inconnu, différent ») , ou « l’inculture crasse » dans une version « méprisante » de leur contradicteur. Ils sont tout simplement incapable d’imaginer qu’il puisse y avoir des raisons solides au fait de refuser leurs catégories métaphysiques (sur ce qui est de l’art ou ce qui n’en est pas)!
Merci AntoineY. pour le texte de Baudrillard qui précède.
Voilà du lourd, du concret. Quand Baudrillard décidait de temps en temps de nourrir la réflexion de ses contemporain, il préparait une grosse gamelle et remplissait bien les assiettes. Rien à voir avec beaucoup d’essayistes, qui lui ont hélas survécus, et qui nous jettent régulièrement un os à ronger emballé dans des bouquins écrits en gros caractères.
C’est drôle, j’aimerais vous suivre dans votre tentative d’ouverture de dialogue avec Paul Jorion (notons que jusqu’à présent, et peut-être par manque de temps, il ne s’est pas beaucoup découvert! Quelques photos prises dans des défilés d’Alexander Mc Queen, deux ou trois phrases pour recadrer un débat qui dévisse, une réflexion presque allégorique dans son « temps qu’il fait » d’avant-hier …c’est peu), j’aimerais donc vous suivre car de récentes lectures m’ont armé sur le sujet de l’art, et qu’entre autres choses je fais profession de peintre. Une autre raison est un échange récent de courrier avec vous.
Si je renâcle à vous suivre c’est pour une raison très simple: avant que le débat de savoir si la mode et de la haute couture faisaient ou non partie des arts, je n’avais même jamais penser à ce sujet.
Quand aux qualités propres d’Alexander Mc Queen, c’est encore plus simple: je n’ai appris sa naissance que le jour de sa mort.
Les quelques mots que j’ai écris ailleurs sur la classification des arts par Hegel, poursuivie par d’autres jusqu’à arriver arbitrairement à neuf, résume mon sentiment que l’art ne peut être enfermé dans quelques formes uniques. Baudrillard ne dit pas autre chose, et il me semble qu’il aurait été le premier à ne pas dénier le qualificatif d’art à la haute couture, à la pantomime ou aux ikebanas.
C’est lorsqu’il s’agit de mettre un signe d’égalité aux enjeux des différents arts que Baudrillard aurait bien tapé de son poing lourd sur la table des débats.
Je ne sais plus lequel de nous critique dans un commentaire le « relativisme » supposé de Jorion, coupable de mettre la haute couture au rang de la peinture ou de la musique. Il ne voit pas que le sujet est ailleurs.
J’ai constaté que, sur le sujet de l’économie, Jorion avait pu être soupçonné il y a quelques mois d’un certain « jésuitisme » ou d’une faiblesse de constitution dans son retard à répondre fer contre fer à un texte de Frédéric Lordon (qui ne lui était pas destiné pourtant). Sa réponse suivante nous avait démontré que, loin de refuser la partie, il avait simplement poussé ses pions un peu plus loin que les autres, hors du plateau de jeu.
La haute couture, art ou pas art? Mc Queen, artiste ou pas artiste? Je ne connais pas les arguments de Jorion puisqu’il n’a toujours pas apparu à la table de jeu. Je le soupçonne cependant d’être déjà ailleurs, à trois ou quatre coups de là.
Et d’ailleurs Baudrillard, si on le lit bien, nous invite nous aussi à aller jouer ailleurs. Et là, je veux bien vous rejoindre!
@ Jean-Luc
Vous avez raison : lorsque l’un d’entre vous exprime ce que j’aurais voulu dire moi-même, je n’éprouve aucun besoin de le répéter. Est-ce que cela vous convient si je dis que j’ai trouvé chez laurence, Jean-Yves D. et vous-même essentiellement ce que j’aurais dit sur le sujet ?
@ Paul Jorion
Bien sûr que ça me convient, mais tout me convenait très bien avant votre petit mot, vous l’avez compris.
http://insomnia.ac/essays/contemporary_art/ (navré je n’ai pas trouvé la traduction en français)
Extraits:
« Finie l’aventure de l’art moderne. L’art contemporain n’est contemporain que de lui-même. Il ne connaît plus de transcendance vers le passé ou le futur, sa seule réalité est celle de son opération en temps réel, et de sa confusion avec cette réalité. Rien ne le distingue de l’opération technique, publicitaire, médiatique, numérique. Plus de transcendance, plus de divergence, plus rien qu’une autre scène : un miroir du monde contemporain tel qu’il a lieu. C’est en cela que l’art contemporain est nul : c’est qu’entre lui et le monde, c’est une équation à somme nulle. La double malédiction de l’art moderne et contemporain : est celle d’une immersion dans le réel et la banalité, et celle d’une absorption conceptuelle dans l’idée de l’art.
On devine alors vers quelle direction se tourne une grande partie des productions actuelles :
La logique de l’inutilité ne pouvait que mener l’art contemporain à une prédilection pour le déchet – lui-même inutile par définition. A travers le déchet, la figuration du déchet, l’obsession du déchet, l’art s’acharne à mettre en scène son inutilité. Il manifeste sa non-valeur d’usage, sa non-valeur d’échange – en même temps qu’il se vend très cher.
Conséquence de cette inutilité :
Il est donc absurde de dire que l’art contemporain est nul et que tout cela ne rime à rien, car c’est là sa fonction vitale ; celle d’illustrer notre inutilité et notre absurdité, mieux : de faire de cette déchéance son fonds de commerce, tout en l’exorcisant comme spectacle.
Finalement, à quoi donc « sert » l’art contemporain ?
A l’image des politiques qui nous soulagent de la pénible responsabilité du pouvoir, l’art contemporain, par son artifice incohérent, nous soulage de l’emprise du sens par le spectacle du non-sens – ce qui explique sa prolifération : indépendamment de toute valeur esthétique, il est assuré de prospérer en fonction même de son insignifiance et de sa vanité. Tout comme le politique perdure en l’absence de toute représentativité ou crédibilité. »
Vous voilà donc ailleurs, loin des défilés de mode. Là j’y entends quelque chose. Voilà un autre bon débat qui s’ouvre.
La citation que vous faites rappelle bien que l’art contemporain, « n’est contemporain que de lui-même ». Contemporain ne veut dire que « du même temps ».
D’où la difficulté à trouver notre cible. Beaucoup de contempteurs de l’art contemporains sont surtout critiques de notre époque. Si tout l’art de notre temps était du même acabit, si notre temps était tout entier à honnir, les choses seraient simples.
Je ne sais plus qui (peut-être Alain Paucard, le fameux directeur du bien nommé « Club des Ronchons »que j’ai eu le plaisir de rencontrer il y a peu à l’occasion de la sortie de son « Manuel de résistance à l’art contemporain »), avait pour contourner l’obstacle, et préciser bien le sujet, décider avec à-propos de dénommer « AC » l’art contemporain qu’il voulait combattre, pour continuer malgré tout à préserver de ses coups « l’art qui nous est contemporain ».
Je trouve cela très pratique. Je décide aujourd’hui, si je m’engage dans le débat, à appeler AC cet art transesthétique dont nous parle Baudrillard.
Jean-Luc,
l’importance que vous accordez à mes propos est tellement bienveillante…
Il y a tant de choses à dire….
je ne sais pas par où commencer……
Le plus facile : au cours de ‘ la bataille-de-polochons-Alexander Mac Queen’, très vite j’ai trouvé stupéfiantes ces réactions masculines, un peu étranges, au delà de ce que nous identifiions comme facteur d’opposition . Mais c’était diffus et surtout très rapide étant-donné la dynamique un peu ‘mitraillette’ qui s’est mise en place.
Et puis d’autres billets sont arrivés et je passais à autre chose…Mais cela ne m’a pas été permis, les intervenants revenant de manière incessante sur le sujet (merveilleux sujet souvent qualifié de ‘futile’ mais o combien révélateur, bref).
Sujet ou objet de réflexion tellement riche et vaste et tentaculaire qu’il est difficile d’en maîtriser ici et sous cette forme (échanges +/- rapides) les différentes facettes. Il est symbolique.
Mais sans avoir envie d’entrer plus avant dans les détails, cette petite précision que j’ai apportée me paraissait nécessaire.
En l’écrivant j’ai bien compris que je touchais à nouveau des pistes ‘bien plus importantes’ comme vous dites mais je me suis arrêtée là.
Monsieur Jorion avait voulu rendre un hommage et a presqu’été amené a gérer une guerre civile.
Mieux valait m’en tenir là.
Je ne m’étonne pas que vous ayez relevé le potentiel de reflexions que soulèvent certains concepts mais peut-être n’est-ce pas le lieu idéal pour en débattre 😀
Pour le reste, je suis confuse.
Je préfère ne pas trop m’attarder à comment et pourquoi mes petits commentaires sont reçus de telle ou telle manière même si ce regard sur la ‘méta-communication’ me fascine chez les autres!
Juste ceci : la vie est courte (ou très longue -ps- j’ai cessé d’avoir 25 ans officiellement depuis longtemps) et si au cours de cette période , on ne dit pas ce qu’on SENT, je ne sais pas ce qu’il faut dire ni quand.
Chaque billet ou article (bien sûr- quelle qualité!) m’apprend une infinité de choses mais ils gagnent en ‘valeur ajoutée’ (je suis contaminée!) grâce aux commentaires qu’ils suscitent, ce vivier, cette manne vivante et drôle et grincante et incisive et poétique et « douce-amère » ….
Et quel esprit!!
Il souffle en permanence mais comme une brise légère et vivifiante et… finalement indispensable.
Chaque intervention est un trésor.
Nous sommes des ‘Jorion’s addict’. J’assume avec bonheur.
A bientôt
Chapeau Laurence, rien à ajouter, d’accord 5/5
Il y a plusieurs sortes d’artistes : ceux dont l’art est destiné à tout le monde et ceux dont l’art n’est destiné qu’à une élite souvent autoproclamée… Les artistes qui ne s’adressent qu’à cette élite prennent le risque de ne pas être compris par leurs pairs surtout quand ils doutent de leur « génie »… Ils se sentent alors obligés de leur poser la question : avez-vous bien compris ce que je voulais exprimer (dire) ?…
@ Phil,
😀
Le point de vue de Paul s’explique très bien par son passé d’anthropologue et la référence à Hegel. Et il se défend aussi bien. Le point de vue de Jean-Yves s’accorde avec le sien (comme très souvent). C’est pourquoi j’ai posté ici (ça revient au même).
Je n’ai mentionné ce texte que pour qu’il y ait les 2 « points de vue » de disponibles, Paul faisant remarquer dans l’autre billet, à juste titre, que ça manquait d’argumentation « anti-« . En me relisant je trouve le ton un peu trop abrupt (mes excuses). Surtout que j’ai visionné la vidéo du vendredi après coup… :-/
Bonsoir AntoineY,
Je pense à quelque chose après vous avoir lu.
Vous serez d’accord avec moi que le sujet de l’art en général était un peu mal placé après le billet de Jorion sur McQueen. Mal placé au sens propre, comme un dossier mal rangé.
Et surtout le ton employé par certains était mal placé, déplacé, collait très mal à ça: « Alexander McQueen (1969-2010) ».
Je suis très vieux jeu. Mes parents, qui se résument aussi aujourd’hui à deux noms et quatre dates, m’ont appris le respect dû aux morts, sans considération pour ce qu’ils ont été.
Pablo75, duquel j’aurais pu me sentir proche si il n’avait pas eu ses outrances stupides, nous a malgré tout lancé sur un sujet très important.
Ce serait bien qu’à l’occasion d’une prochaine guignolade artistique (du genre Boltanski au Grand Palais) nous reprenions le débat. Je sens que nous avons des arguments à faire valoir, et nous pourrions tenter de convaincre quelques « artistolâtres » ou d’autres ravis de la crèche contemporaine.
Qu’en dites-vous?
Un grand merci à Laurence pour ses remarques très éclairantes que je n’oublierai pas.
je n’oublie pas les vôtres non plus …
A très bientôt!
Merci à Laurence pour ces précisions fort pertinentes à propos du regard des femmes sur la mode.
Je m’étonnais d’ailleurs qu’il n’y ait pas plus de commentaires venant de femmes, même si les pseudos n’indiquent pas forcément le sexe des intervenant(e)s. Je ne peux évidemment vous contredire, puisque tel est votre regard, qui me semble d’ailleurs corroboré par des idées approchantes que j’ai déjà pu lire par ailleurs, même si, à l’heure ou j’écrivais, toutes ces considérations me sont sorties de la tête, ce qui bien entendu n’est peut-être pas tout à fait le fruit du hasard ! 😉
Ce que vous nous dites finalement c’est que la présentation de la mode joue en sens contraire de l’effet qu’elle produit sur les hommes, les hommes regardant des corps-personnes qui portent des vêtements et les femmes seulement des supports de parures, parures qu’elles s’approprient en tant que spectatrices et/ou consommatrices.
Il me semble que cela confirme l’idée qu’à travers la mode contemporaine se crée bien un clivage entre corps vêtement, même s’il ne faut sans doute pas faire de cette distinction une règle absolue — ne serait-ce que pour les hommes du métier de la mode qui eux s’intéressent bien au vêtement. Ce qui change donc, selon les sexes, c’est selon le cas l’attention pour le vêtement plutôt que pour le corps et inversement. La mode, si on l’appréhende comme un fait social total, est une institution par laquelle le monde de l’argent de l’art et du spectacle divertissant ne forment plus qu’une seule et même chose à travers des formes sensibles qui en tant que telles jouent un rôle dans la vision et la division du corps social * (et individuel) et ce d’autant plus qu’il s’agit des corps parés ce sans quoi il ne saurait y avoir de culture au sens générique et anthropologique du terme. Le vecteur de base de toute culture est notre corps, corps propre, c’est à dire tel qu’on le ressent et se le représente, et le corps vu de l’extérieur, le sien, pour ce qu’on en voit, et celui des autres.
La mode, objet de désir, par son rituel, exerce un pouvoir en niant la subjectivité ou la présence du corps présent sur la scène de son exposition et au delà via dans les images qu’offrent ses relais médiatiques. Or il se trouve que la société capitaliste et hyperindustrielle produit et se nourrit de la tendance à la dissociation des sujet(s) d’avec leur corps de même qu’elle tend à dissocier producteur et consommateur.
En poussant le trait — mais à peine — je dirais qu’aujourd’hui dans un système capitaliste en bout de course les corps ne sont plus bons qu’à éprouver des émotions, des sensations de l’ordre du stimuli pavlovien ou de la pulsion tels ceux que l’on retrouve par exemple dans les jeux vidéos qui mobilisent la vue, et de plus en plus le corps en son entier, pour une liberté purement factice, car paramétrée, faisant des corps les objets d’une machine, au lieu que le corps puissent se saisir d’un outil ou d’un instrument qui seraient alors l’occasion de faire travailler l’imagination, au sein d’une société qui a une histoire et se constitue en communauté politique. Le rapport de l’individuel au collectif est de plus en plus médiatisé par des artefacts qui nient les corps utopiques et leur sublimation dans la civilisation.
On comprend alors que la place pour la subversion des valeurs, de l’ordre esthétique dominant se traduisant par le clivage corps-vêtement soit limité à la portion congrue dans un tel cadre. Même si elle demeure possible car aucune structure, aucun dispositif, se sont jamais complètement refermés sur eux-mêmes. La mode n’a pas un pouvoir si grand qu’elle puisse dominer de sa superbe tout le champ social. Et encore heureux ! Seulement la mode contemporaine a son sort lié au développement du système capitaliste. Lorsque l’institution de la mode changera ce sera sans aucun doute le signe que quelque chose est en train de changer en profondeur dans notre société.
Les femmes n’investissent pas les corps féminins de la mode comme le font les hommes lorsqu’ils regardent ces défilés ou ces photos de mode, mais leur non investissement, leur indifférence devant ces corps est en soi révélateur d’un certain ordre esthétique, ordre esthétique constitué globalement de la vision des hommes et des femmes et qui renvoie à un certain ordre social, inégalitaire et sexiste. J’entends ici le mot sexiste en son sens habituel mais aussi au sens où l’érotisme, l’amour courtois, s’effacent devant ce qu’on appelle couramment « le sexe » . L’institution de la mode est historiquement liée au pouvoir, pour être apparue d’abord dans les sociétés de cour.
Lorsqu’à la cour une reine ou une courtisane lançait une nouvelle mode c’était tout aussi bien la parure que la personne qui la portait que l’on voyait et imitait ensuite. A contrario les mannequins contemporain contre-exemplaires qui prennent le dessus sur les vêtement dont elles n’auraient dû être que les porteuses, confirment la règle contemporaine qui veut que vêtement soit sur scène dissocié du corps, pour des raisons in fine économiques et politiques.
Plus en amont la mode a un rapport avec le costume d’apparat, apanage de sociétés à mobilité sociale inexistante, ou assez réduite comme dans les sociétés de cour. Le puissant qui porte son costume d’apparat lors des cérémonies est lui aussi comme dans la mode un homme ou une femme désaffectée, qui s’efface par le rituel. De ce point de vue la mode est un vestige archaïque des sociétés très compartimentées et hiérarchisées où l’effacement du corps sous le costume d’apparat résulte aussi d’un certain rapport au sacré, au religieux, lequel confère symboliquement à ceux qui sont porteurs de marques distinctives, le pouvoir, du pouvoir. C’est ici que je peux peut-être emprunter une idée développée par Paul Jorion, à savoir celle de la douleur que l’on grave dans le corps de celui qui subit le rite d’initiation lequel en provoquant l’effroi — de ce qui s’apparente à une torture — structure une vision du monde selon un mode de classification de type symétrique qui procède en réalité de l’association d’idées, propre au fonctionnement naturel de la mémoire **. La structure sociale et ses classifications afférentes plongent ainsi leurs racines dans le rite d’initiation. Il me semble que dans la mode se produit quelque chose de comparable. Les femmes mannequins doivent souffrir dans leur corps et donc forcément psychiquement, pour être à même d’assurer la fonction de mannequin.
Vu de l’extérieur, coté spectateur, elles sont désaffectés, mais c’est en réalité l’affect qui a joué le rôle principal lorsqu’elles se plient à l’impératif de la mode qui veut qu’elles disposent d’un corps répondant à une certaine norme. A la différence des puissants qui portent les costumes d’apparat ces femmes n’ont aucun pouvoir, car c’est ici le dispositif de la mode dans son ensemble, dont je parlais plus haut, qui constitue le pouvoir de la mode.
* Les règles de l’art, Pierre Bourdieu, Seuil, 1992
** Comment la vérité et la réalité furent inventées. Paul Jorion, Gallimard, 2009, pp. 28-58
Heu, il y’a quand même un truc à ajouter sur l’art en règle générale.
Un point de vue de musicien amateur : Si je travaille « Giant Steps » de John Coltrane, il va me falloir un niveau en harmonie, je ne pourrai jamais improviser si je ne connais pas les règles du II V I en Jazz, sinon je vais me retrouver aux fraises et je jouerai à côté de la plaque . Quand est-ce qu’un créateur de mode joue faux ? Est-ce que le public a assez d’oreille pour apprécier le travail des gammes, des arpèges qu’il y’a eût pour créer des vêtements ? C’est tout le problème que j’ai comme non initié au business de la mode, tandis qu’en musique, lorsqu’on gratifie Mr Kenny G d’un grammy awards et qu’il joue faux lorsqu’il s’essaie au « free », je sais que c’est de la daube ! Mon oreille ne me trompe pas : Il y’a désormais de la mauvaise musique, avec ses fautes en harmonie et ses beaux décalages rythmiques non maitrisés dans un flux de notes épouvantable, qui est défendu par des commerciaux en Art… Il y’a désormais plus de mauvaise musique en jazz qu’ailleurs, c’est mon oreille entrainée qui me le dit, l’art à ses rentiers fumeux.
@ Bertrand,
je ne peux donner que mon petit-minuscule point de vue, vous savez…
Ce n’est pas mon domaine!! Je n’y connais rien en coupe et/ou couture , RIEN .. mais :
ce que je peux dire (pour moi) à force de regarder assez minutieusement ce domaine depuis des années, c’ est qu’à force, on ‘sent’ quand quelqu’un a du talent (ce qui ne veut pas dire plaire tout court, et encore moins au plus grand nombre)…
Je pensais que la réponse allait être courte 😀
Donc, je dirais un peu comme vous : il me semble qu’aujourd’hui -par rapport a il y a 20 ou 25 ans, on monte parfois en épingle des gens qui, pour moi,( j’ insiste sur la subjectivité de mon point de vue car il n’y a pas dans ce domaine d »harmonies’, de notes et autres règles techniques de référence et en plus je n’ai pas l’oreille musicale, hélas)
Donc, un peu comme en art, je dirais qu’il y a une sorte de sensibilisation, une évolution dans la perception et que ca devient comme ‘une émotion’ c’est-à-dire que la vision n’a plus besoin d’être cérébralisée (hum) pour être ‘intégrée ou rejetée’ , sachant que cela peut évoluer en fonction de ‘l’éducation permanente’ que nous choisissons (ou avons la possibilité) de nous
offrir ou pas .
Donc le ‘mécanisme’ devient ‘immédiat’, ‘instantané’.
Houlà!!
Ainsi moi (moi), je vois des gens qui ‘jouent faux’ .
Alors, je ne sais pas ce qui se passe dans la tête de ma voisine mais j’ai l’impression qu’elle est à côté de la plaque et qu’on lui fait gober vraiment n’importe quoi.
Est-ce parce que j’ai tort??
Est-ce parce qu’elle a mauvais goût ???
Est-ce parce que la Culture, dans sons sens le plus large, ne va pas en s’amélorant et que ma voisine n’est pas assez ‘éduquée’….???? Je ne sais pas.
En tout cas, on peut dire que ,comme en jazz, on ne va pas vers le raffinement et que ca ne tend pas à s’arranger.
Il n’y a pas de raison que la mode soit épargnée par le niveau ‘tirant vers le bas’ de la civilisation (dont elle est un puissant révélateur).
Voilà… J’espère avoir ébauché une réponse à votre question..
Mais vous devez atrocement souffrir, vous qui aimez la musique, en ce moment?
(Sur ce point je suis épargnée : j’aime le silence, le chant des oiseaux et la musique populaire des années 70-80 et tout début 90 😉
Dès 89, chute du mur de berlin,ca ne m’a plus parlé… Si vous avez des suggestions à me faire pour sortir de mon ignorance, n’hésitez pas surtout!!!
A bientôt
@ Pierre-Yves D,
(en tapant le ‘à’ sous une autre forme: ‘@’, je me plie à un rite de ce site… sans savoir ce que cela entraîne! Aïe! Il faudra que vous me l’expliquiiez).
Houlala!! C’est compliqué!!
Je vais tenter quelques réponses et dans le désordre…
une chose que je trouve étrange et que je n’ai pas évoquée, exprès, dans le commentaire auquel vous faites allusion : les individus (à gande majorité masculine me semble-t’il ?) qui répondaient au billet de Monsieur Jorion, ne ce sont à aucun moment demandé ce qu’une femme, elle, pouvait penser de ces créations (chaussures). Or après tout, c’est pour les femmes qu’A. Mac Queen avait imaginé cette parure.
En gros la femme, première intéressée, était complètement niée. Totalement.
Je vous laisse réfléchir…
Deuxième chose : les intervenants ‘se substituaient’ presqu’à la Femme: ‘Oh, c’est moche’,Oh, c’est jaune’
‘Oh, c’est beau’ d’une manière un peu hystérique.
Je vous laisse réfléchir …
Troisième chose : dans les ricanements, le persiflage, moqueries etc… moi, je percevais une forme de malaise …
Je vous laisse réfléchir…
Et pour le reste,… ce sera pour demain car j’ai besoin de relire votre commentaire qui n’est pas d’accès super-facile ;D pour ne pas répondre n’importe comment!!
Cet échange est bien intéressant (pour moi!!)
A bientôt!!!
Laurence, vous allez finir par m’obliger à utiliser les fameux « smileys »!
Fond et surtout forme, vous tapez juste.
Je m’en vais réfléchir…
@Laurence,
Vous écrivez bien vos émotions !
« on sent quand quelqu’un a du talent » écrivez-vous, j’en suis persuadé moi aussi ! Mais lorsqu’il s’agit de haute couture, j’essaye avec mes facultés de comparer un chapeau haut de forme et une paire de chaussure de clown taille 80 avec un chorus jazz que je ne comprend pas encore, ou complètement faux ! Un jour on m’a expliqué que l’important dans la haute couture n’était pas mon ressenti, mais le travail des matériaux, des tissus, qu’aucun robot pour le prêt à porter ne serait capable de produire ! L’art était là ! Sans ignorer le talent des couturières, et comme en jazz parfois, à quoi sert un chapeau haut de forme de 2.20 m de haut, parfois en forme d’égo insolent ?
Comparer…
Pourquoi comparer? Ou je n’ai pas compris votre propos ou je vous dirais : surtout ne comparez rien! Chaque univers est singulier et s’approche de manière singulière…
D’autre part votre ‘ressenti’ est intouchable, ‘juste’. La seule chose, c’est que votre ressenti peut toujours, au fil d’une sensibilisation , d’une proximité tjs plus grande avec le domaine auquel vous vous intéressez, évoluer.
Cette éventuelle évolution est de l’ordre de l’intime. Et c’est imprévisible.
Vous évoluez sans cesse. Donc votre regard évolue (tout ca à ‘l’insu de votre plein gré’) et vous découvrez un jour que vous vous sentez en affinité avec qlq chose qui ne vous ‘parlais pas’ avant. (ou l’inverse…)
– je ne détiens pas la vérité- !!!!!!!!!
@ Pierre-Yves D,
1ère étape : le créateur (et tous les intervenants autour de lui) donne à voir ,dans un spectacle-rituel, ses créations.
Ceci sur des ‘porte-manteaux conceptuels à caractère féminin’.
La Femme n’existe presque pas, le vêtement, parure est mis en avant.
‘Une oeuvre d’art portée’.
(Je dirai pour faire un lien avec la suite de mon propos : donc une ‘OEUVRE D’ART’ PORTABLE.)
Il me semble que jusqu’ici, nous sommes encore, au sein de ce spectacle, dans un prolongement de l’univers du créateur. Et que tout ceci est réservé à un cercle d’ ‘initiés’. Car même si il y a des magasines spécialisés et coûteux, des shows télévisés…, il y a quand même un tas de gens qui ne connaissent pas Alexander Mac Queen ;D)
2ème étape : tout le monde veut voir rentrer des sous, les financiers (tjs eux), en premiers.
Donc ils distribuent, offrent ces vêtements, ces accessoires, parures etc…
à d’ autres porte-manteaux un peu différents mais à peine :
des starlettes, icones et autres créatures ‘people’ que les médias nous confectionnent soigneusement.
!! 9 fois sur 10 ce sont des femmes insipides, inodores et incolores.Vaines, creuses, non-signifiantes.(comme les mannequins sauf qu’elles sont ‘connues’.)
On les affuble donc, elles qui représentent ‘un modèle auquel s’identifier'(snif!), des robes… du créateur.
Ces femmes-vides ont cependant -et toujours grâce aux médias- ‘réussis’.
(chanson,cinéma, filles d’un tel etc…).
Réussir dans notre belle société = AVOIR BCP D’ARGENT (strictement).
Argent = pouvoir.
Les vêtements, sur ces -femmes-qui-ont-réussis-et-ont-du-pouvoir-de l’argent-, sont désormais visibles PARTOUT : TOUS les magasines féminins, presse people, magasines cinéma, musique…. Tous ces hebdos débiles dont les gens s’abreuvent.
Identification :
Je veux ressembler à Britney Spears, mon idole (une femme qui a réussi-argent-POUVOIR) > je vais acheter ce qu’elle porte ou une imitation.
Le vêtement est maintenant associé au pouvoir pour le tout venant.
De savantes campagnes marketting* se chargent de transformer une simple envie, un désir (éros/vie) en besoin,compulsif (thanatos/mort).
Tout le dispositif de cette société de consommation est donc mis en place afin de ‘construire’ des femmes creuses,vides,’INEXISTANTES’ comme les mannequins du début.
Des ‘femmes’ qui ne se sentiront exister, qui n’auront l’impression d’avoir du pouvoir qu’en consommant.
C’est bien sûr la même chose pour tout, absolument tout ce qui s’achète.
Je pense qu’il y a bien plus qu’une rupture corps /objet dans notre société.
Je pense qu’il y a un clair anéantissement de l’être au profit de l’objet.
Le zombi restant ayant pour seule fonction de consommer avec cette illusion d’y gagner un pouvoir QUI LUI A ETE TOTALMEMENT retiré dans tous les domaines
Dans les sociétés où des rituels d’initiation avaient lieu , il me semble que le but était d’être DAVANTAGE VIVANT, en gros. (Je crois)
Notre société et ses rituels nous amènent à être toujours davantage passifs, inexistants, morts.
Le vêtement, lui, au fil ce mécanisme, d’objet d’art (comme fruit donné à voir d’un processus créatif) devient une marchandise comme comme les autres un peu plus prestigieuse que la margarine.
(Ceci peut expliquer en partie le malentendu qui régnait à la suite du billet de Monsieur Jorion consacré à A. Mac Queen)
La parure-symbole- de -pouvoir n’est donc plus confiné à la cours et aux vrais détenteurs de pouvoir.
Un des pères du marcketting est : Monsieur Edward Berneys (pas sûre orthographe) et…. devinez quoi???
C’était le neveu de Freud.
Désolée pour le style… J’ai tapé ‘comme ca me venait’ et c’est encore terriblement superficiel.
‘Les enjeux des symboles du pouvoir’ , c’est une thèse qu’il faudrait!
Peut-être n’ais-je pas vraiment répondu à vos questions???
A bientôt!
@ Laurence
Désolé si je répond un peu en retard à votre commentaire. Je ne devais répondre que quelques mots à Pascal, mais du coup tout le fil de ma pensée s’est déroulé ! Puis ai ensuite vaqué à d’autres occupations.
Autre chose, juste un petit détail, mon prénom est réellement Pierre-Yves ! Plusieurs commentateurs après Paul qui m’avait nommé ainsi dans un moment d’inattention (ou lapsus) ont repris Jean-Yves », la force du mimétisme sans doute ! 😉
En tous cas, merci de m’avoir lu si attentivement. C’est un plaisir.
Vous avez développé un aspect de mon propos qui était seulement implicite, à savoir qu’en effet le pipole est une prolongation de l’univers de la mode. Les pipoles sont un peu des clones des mannequins et d’ailleurs parfois les rôles sont interchangeables.
Vous dites ensuite que ces femmes ont le pouvoir de l’argent semblant alors me contredire. En réalité ce n’était pas tout à fait mon propos. Lorsque je disais que ces femmes n’ont pas de pouvoir c’est dans le sens qu’elles ne sont pas aux postes de commande du dispositif de la mode, car elles n’en sont que les instruments.
L’argent qu’elle gagne est peu de chose par rapport aux bénéfices qu’en retirent les sociétés financières qui tiennent la mode entre leurs mains. Par contre elles véhiculent un modèle de réussite et une norme esthétique ce en quoi tient leur pouvoir, mais alors c’est encore un pouvoir qui ressortit à l’institution de la mode toute entière avec ses ramifications que vous évoquez.
Sur la disparition de l’être au profit de l’objet, nous sommes d’accord, puisque je disais qu’il y a négation de la subjectivité.
Concernant les rituels d’initiation il faudrait s’adresser au spécialiste, c’est à dire l’auteur de ce blog, plus compétent que moi en la matière.
Nonobstant, pour ce que j’en sais, les rites d’initiation sont conçus comme des morts-métamorphoses, suite à quoi il y a renaissance et l’initié peut alors intégrer une place, une fonction spécifique dans la société.
En un sens, vous avez raison, après l’initiation on devient plus vivant, car on trouve une place dans la société, une place assignée d’avance. Mais ce dont je parlais c’était de ce moment particulier dans la vie sociale qui est celui où l’homme ou la femme de pouvoir apparaît en costume d’apparat. Dans ces circonstances la personnalité propre du « costumé » s’efface derrière la fonction, le regard est impassible, et si des sentiments s’expriment, ils sont très ritualisés, si bien qu’au lieu d’avoir affaire à des visages vivants ce sont plutôt des masques. Le pouvoir a donc le visage de la mort. Le pouvoir non démocratique communique avec l’invisible.
Pour l’initiation je faisais référence à une notion introduite par Lévy-Bruhl et reprise par Paul Jorion pour l’exploiter dans le champ de l’épistémologie des sciences, à savoir que » … la mentalité primitive recourt aux capacités brutes de la mémoire plutôt qu’à la classification (les connaissances sont stockées « en vrac ») et que « ce qui tient lieu de classification dans la pensée primitive est une disposition à regrouper les notions selon l’équivalence de la réponse émotionnelle qu’elles suscitent ». (cf. Comment la vérité et la réalité furent inventées », Paul Jorion, p.36
Paul en vient à dire dans ce chapitre consacré au mode de pensée primitif que l’affect, et en particulier l’affect qui s’est gravé dans la mémoire à la faveur d’une grosse frayeur organise un rapport de symétrie spécifique entre les choses, ce à partir de quoi s’établit une classification extrêmement peu ramifiée si bien qu’il ne s’agit pas de classification au sens où nous l’entendons, à savoir une organisation du savoir selon le principe de l’inclusion, qui fut explicité d’abord par Aristote.
Dans la société primitive, et jusqu’aux sociétés non démocratiques, le pouvoir n’est pas une question, car il s’enracine dans la naturalité. La légitimité du pouvoir ressortit alors aux rites lesquels scellent par l’affect
représentations et corps, ce à partir de quoi se distribue les places occupées par chacun dans la société.
Nous sommes des hommes et des femmes de l’age moderne, héritiers des Grecs, nous avons par conséquent une approche rationnelle du monde humain, lequel s’y distingue nettement du monde naturel.
Mais demeurent dans nos sociétés certains lieux, certaines institutions, ou du moins certains de leurs aspects, qui échappent à la rationalité scientifique et / ou philosophique.
Par exemple le pouvoir présidentiel dans la République française n’est pas complètement affranchi de l’idée et de la pratique monarchique.
L’institution de la mode avec son rite, ses sacrifices — nombre de récits de mannequins rapportent tout le parcours qu’il s’agit d’accomplir à son corps et son esprit souffrant pour assurer la fonction — est, me semble-t-il, un exemple de ces institutions qui ont partie liées avec un pouvoir qui ne se légitime de rien d’autre que du pouvoir de l’affect, qui nous affecte tous car la mode touche à ce qui nous est de plus précieux, l’usage de nos corps, corps par lesquels nous vivons, ressentons, imaginons et pensons.
Beaucoup de choses sont mortifères, mais la mode, parce qu’elle touche l’affect et nos corps dans notre société, dans le sens que j’ai indiqué dans mon raisonnement, de façon insistante et insidieuse.
Je ne pense pas que dans le fond ce soit la mode en soit qui soit critiquée, ni l’art bien entendu : je ne suis pas spécialiste de ces questions mais j’ai le sentiment que c’est plus le milieu de la mode qui est en cause, le fait qu’il y ait eu une perversion, une manipulation de l’art ; c’est la jet-set qui est (à juste titre) mal perçue ainsi que tout les gogos qui la suivent, pas les créateurs ou la mode elle-même. D’où peut-être certaines critiques violentes ici , reflétant un fort agacement, lui-même compréhensible, mais portant sur un autre sujet.
Tout à fait, ce n’est pas le geste créateur que je critique, ni même les vêtements de la mode en eux-mêmes, ce d’autant plus que chacun est libre d’apprécier ou pas telle ou telle création.
Je ne fais pas mienne la définition d’une beauté qui serait purement formelle, c’est pourquoi j’ai employé le terme de « formes de la sensibilité ». Nous nous saisissons des formes autant que nous les recevons. Les formes sont du lien, elles n’ont pas de signification en elles-mêmes. L’iconologie permet de rendre compte d’un contexte mais elle ne dit rien de l’art en tant que forme vivante. Les formes sont un passage par lequel on s’introduit dans un monde sensible, qui affecte notre rapport à nous-mêmes et au monde. La beauté passe par le regard que l’on porte sur des formes, mais ces formes procèdent elles-même d’une culture, spécifique à chaque art, et au delà de tout ce que l’on connaît et imagine du monde. Les formes sont ainsi le rapport du créateur au monde dans toutes ses dimensions, dont ses créations sont une façon de vivre, et de transformer le monde. De même le regard sur l’art est une expérience du monde, à tel point que l’on éprouve de besoin de l’exprimer à d’autres.
Ce que je critique c’est un certain ordre esthétique, mortifère, qui ne ressortit pas à l’art tel que je viens de l’évoquer dans les lignes précédentes, mais au dispositif de la mode en tant qu’institution, ce que vous appelez le milieu de la mode, mais qui pour moi définit la mode à part entière. Sans le dispositif de la mode les créations de la mode contemporaine n’auraient pas vu le jour. La mode c’est de l’art mais en même temps toute son activité de présentation est une négation de l’art. La mode se tient finalement sur la corde raide d’une contradiction. On pourrait en dire autant de pratiquement toute les autres activités artistiques, toujours contradictoires, car la réalité est contradictoire, dialogique, mais la mode en étant liée d’emblée au monde de l’argent, du pouvoir, du médiatique par excellence, exerce une plus grande influence sur la société et affecte plus gravement nos sensibilités.
A titre de comparaison, quelle influence ont aujourd’hui sur la société les peintres et leur peinture ?
Elle n’est pas nulle évidemment mais elle beaucoup moins grande car il manque une éducation artistique, une pratique artistique relative à la peinture qui permettrait à plus de gens d’apprécier les oeuvres à leur juste valeur. La mode est plus accessible, car tout le monde porte des vêtements, par nécessité.
Tout le monde n’apprécie pas les créations de la mode, mais tout le monde subit l’influence de la mode, car elle est partout.
Evidemment dans ce que je dis de l’art, et de la mode en particulier, il y a un jugement de valeur. Mais, justement, l’art n’échappe pas au jugement de valeur, car en art tout n’est que valeur. Reconnaître une certaine valeur esthétique c’est s’opposer à une autre. L’art n’est pas seulement qu’un regard, c’est un regard qui engage, nous engage.
@ Jean-Yves,
tout est mortifère dans cette société, ‘le dispositif de la mode’ comme le reste.
Il est juste, comme vous le dites, plus visible.
Pierre-Yves, bonjour!
je réponds à brûle pourpoint à ce qui vient de faire ’tilt’ dans vos propos :
Je crois qu’on nous fait vivre de « grosse frayeurs » avec le désir (clair me semble t-il) qu’elles suscitent les les conséquences que vous dites !!
ET que tout est installé pour que le pouvoir ne soit pas une question
MAIS une approbation sans possibilité de réflexion.
Quand à l’ « apparat » , il me semble qu’il a été uniformisé. Répendu comme la norme :
chacun, quelle que soit sa place , son rôle , son job, sa tâche dans la société
a adopté ‘le costume du pouvoir’. ( femmes et hommes : costume/tailleur)
Au point que chaque mini-audace est largement soulignée par la presse :
« Michèle obama a ‘OSE’ une robe d’Alexandre Mabille ».
Ceci est d’ailleurs paradoxal avec le spectacle de la mode : tout le monde s’habille, se vêt (or nous savons quelle importance cela a) de la même manière (voir Monsieur Jorion quand il passe à la télé ;D)
Ceci me pose question ou plutôt me préocupe depuis longtempts.
Pour avoir une chance d’être entendu, il faut d’abord être ‘reconnu’ SUR SEULE BASE DE L’APPARENCE. Bref, ceci serait trop long…
Quant aux mannequins, oui bien sûr elles s’imposent cette torture : s’affamer pour répondre au désire du ‘dispositif de la mode’.
Il n’est pas rare d’ailleurs que cela frise la maladie mentale (anorexie) .
Ce n’est quand même pas rien.
Les ‘bénéfices secondaires’ doivent être diablement importants pour s’infliger cela !!
Je serais curieuse de parler avec l’une d’entre elle.
D’évoquer avec elle aussi les cas de suicides dans ce métier, qui ne sont pas rares. (Il n’y a pas que dans ce métier là, mais celui de mannequin est censé prestigieux et enviable, hum).
Je relirai votre commentaire , il est très interréssant… comme toujours 🙂
A bientôt!