Sortie de l’euro de la Grèce : quels scénarios ?
L’arrêt des aides financières à la Grèce, le référendum de dimanche prochain, poussent un grand nombre de responsables politiques et économiques à envisager une sortie pure et simple de la zone euro de ce pays. Quels en seraient les scénarios et les conséquences ? Analyse avec Paul Jorion, spécialiste financier.
En cas de sortie de la monnaie unique par la Grèce, qui en prendrait la décision ? Comment cela peut-il se passer ?
Paul Jorion : En fait le cas n’est pas prévu. Il n’y a donc pas de procédure à suivre. Les pays qui sont rentrés dans la zone euro ont rempli des conditions, ou bien ont fait semblant de les remplir, mais rien n’est prévu ensuite. Il n’y a pas non plus de procédure d’expulsion, personne n’a imaginé de porte de sortie. Personne n’envisage ce scénario, ni en Grèce, ni dans les autres pays européens. Donc par conséquence, je ne pense pas que cela aura lieu. Il n’y a personne qui veut ça !
Rien n’est prévu, personne ne désire une sortie de l’euro de la Grèce, mais si par une contrainte, une obligation quelconque, on en arrivait quand même à une sortie de l’euro de la Grèce ? La Grèce pourrait-elle émettre sa propre monnaie rapidement ? Une cohabitation de l’euro et du drachme serait-elle envisageable ?
P.J : Ce ne serait pas facile du tout l’émission de monnaie aussi rapidement. Ce serait plutôt une cohabitation du drachme et de l’euro. C’est ce que les techniciens envisagent, avec une situation provisoire d’utilisation de reconnaissances de dettes que le gouvernement peut faire circuler. Comme les banques sont fermées, les échanges extérieurs avec d’autres pays se font toujours en euros, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen, et à l’intérieur de la Grèce on travaille avec de la reconnaissance de dettes. Ca a déjà existé, en Californie par exemple, il y a quelques années au moment où l’Etat de Californie était en cessation de paiement. Ce sont l’équivalent des lettres de change, des obligations. On peut les acheter, les revendre, ça a une valeur marchande.
Sur les emprunts d’Etat, la Grèce pourrait-t-elle de nouveau emprunter sur les marchés financiers, ou bien seulement auprès de sa propre banque centrale ?
P.J : Bien sûr, la Grèce pourrait de nouveau emprunter sur les marchés financiers. Il y a des cas connus, comme la Russie en 1997 qui a fait défaut. Si les marchés financiers estiment que le problème de la dette a été réglé, par un défaut ou une restructuration de la dette, et qu’ils estiment que la situation est saine à nouveau, et bien, ça repart assez rapidement. La banque centrale peut aussi prêter à l’Etat, ce sont des jeux d’écriture qui sont possibles, mais ce qui joue c’est la confiance du monde extérieur. Si le monde extérieur considère que c’est de la monnaie de singe parce qu’il n’y a plus aucunes ressources, ou plus de rentrées fiscales, les marchés ne voudront plus prêter. Si c’est l’inverse, ça fonctionne.
Economiquement parlant, quelles sont les premières conséquences de sortie de l’euro pour un pays comme la Grèce ?
La première chose qu’il se passerait c’est qu’il y aurait une devise basée sur un Etat qui a fait défaut, et donc ce serait une devise extrêmement dévaluée. Pour la Grèce ce serait une bonne chose parce que son commerce extérieur étant essentiellement basé sur le tourisme, cela ne coûterait pas grand chose d’aller en vacances là-bas, cela rendrait le pays attractif. Ceci dit la situation intérieure pourrait ne pas être très bonne, et s’il y a des manifestations violentes dans les rues, cela remet en cause cette perspective. La difficulté de la Grèce, c’est qu’elle est devenue très riche (comparée à sa situation antérieure, ndlr) parce qu’elle se trouvait dans une zone globalement très riche, mais ça a permis aussi à des pays de venir spéculer sur la Grèce et de déséquilibrer son système financier. Donc avec une nouvelle devise, il est possible que les choses reviennent à leur place, puisque dans les 4 ou 5 années à venir, spéculer en Grèce ne serait pas du tout intéressant.
Sur le long terme, au delà de deux ou trois ans, peut-on imaginer une meilleure « respiration économique » de la Grèce hors de l’euro ?
Oui, mais on pourrait arranger ça maintenant, au sein de la zone euro. Ce qui est le plus révélateur en ce moment, ce sont les dissensions à l’intérieur même de la troïka (BCE, FMI, Commission européenne, ndlr). Le ministre allemand des Finances voudrait laisser sortir la Grèce de l’euro, mais il est le seul, et il contredit Madame Merkel. Monsieur Blanchard, l’économiste en chef du FMI a dit en 2012 « on a fait une erreur sur l’austérité, on aurait dû prôner la relance », et depuis, est-ce que le FMI a changé de politique ou s’est débarrassé de son économiste en chef ? Non. Il ne change pas d’opinion, ce qui souligne que ce n’est pas un choix technique de continuer l’austérité, mais un choix politique. Ce n’est pas de l’austérité pour de bons calculs économiques, mais parce que c’est de la politique qu’on achète.
Il y a de nombreuses déclarations sur une possiblecatastrophe interbancaire équivalente ou pire à celle de 2008. Avec le risque d’un « effet domino ». Qu’en pensez-vous ? L’accord européen du 26 juin sur le bail-in (système pour limiter le recours à des fonds publics pour sauver des établissements financiers de leurs créanciers) pourrait-il empêcher cette catastrophe ?
J’ai parlé à des gens, je ne peux pas vous dire qui ils sont, parce que c’est un peu confidentiel, mais ils sont bien placés pour parler de ce genre de choses. Sur le bail-in, ces personnes disent qu’en cas de crise, le bail-in, c’est très bien sur le papier, mais quasiment impossible à mettre en œuvre. On l’a vu à Chypre, c’était du n’importe quoi. Pour le risque de catastrophe inter-bancaire et d’effet domino, y a eu une déclaration du patron de JPMorgan Chase (banque américaine, l’une des plus grandes au monde, ndlr) à ses investisseurs et actionnaires. La déclaration était : « il y a une leçon que nous avons tirée, nous banquiers, c’est que la prochaine fois qu’il y a une crise importante, on ne jouera pas le jeu, parce que ça nous a coûté trop cher ». Le patron de JPMorgan nous dit que même le sentiment de solidarité qui est apparu en 2008 ne sera pas là, et que ce sera pire, parce que les banquiers ne voudront pas perdre trop de plumes. Ce ne sera même pas un effet mécanique des marchés, mais une politique délibérée des grands banquiers qui mènera à une catastrophe. Je peux vous dire qu’en ce moment, au niveau des banques centrales, ils ne sont vraiment pas à l’aise. Le risque sur le système bancaire est très important.
Un détail… Au 1/1/2025 D. TUSK succède à V.ORBAN… https://www.letemps.ch/monde/donald-tusk-nouvel-homme-fort-europeen-figure-de-proue-du-soutien-a-l-ukraine