Le Credit-default Swap (I) Définition

Deux cas d’erreurs grossières dans le calcul du prix d’un instrument financier : 1) les rehausseurs de crédit ou monolines

Les rehausseurs de crédit s’avérèrent avoir eu tort lorsqu’ils évaluaient la prime de crédit au tiers ou à la moitié de son niveau implicite au taux d’intérêt des obligations qu’ils acceptaient d’assurer. La faillite d’Ambac, MBIA, la déroute de FSA devenue partie intégrante de Dexia, sont là pour en témoigner.

La théorie économique suppose que si une différence de prix pour le même produit peut être constatée sur divers marchés, l’arbitrage y mettra fin rapidement : les « arbitrageurs » l’achèteront là où il est bon marché et le revendront là où il est cher, arasant rapidement l’écart, or ce n’est pas à cela que l’on assista dans le cas des monolines : certaines banques qui se réassuraient sur leur portefeuille d’obligations comptabilisaient immédiatement au bilan la différence entre la prime de crédit qu’elles touchaient comme composante du taux d’intérêt des emprunts de leur portefeuille et la prime qu’elles versaient dorénavant à leur rehausseur de crédit. L’opération avait d’ailleurs un nom : le « negative basis trade », opération sur la base négative, que les banques qui la pratiquaient comptabilisaient comme profit (Jorion 2008 : 221).

J’ignore sur quelle base les monolines opéraient le calcul qui débouchait sur un chiffre d’un tiers ou de la moitié seulement du montant de la prime de crédit. Une hypothèse envisageable est qu’ils écartaient la part du montant de celle-ci qu’ils reconnaissaient comme spéculative pour ne conserver que celle qu’ils considéraient attribuable véritablement à une probabilité de défaut et déterminable par une évaluation de type actuariel.

Le Credit-default Swap (CDS) constitue une autre manière d’appréhender le risque que s’efforce de couvrir la prime de crédit implicite au taux d’intérêt associé à un instrument de dette : la prime de crédit est détachée du taux d’intérêt pour en faire un produit autonome, objet de transactions sur un marché qui lui est propre.

Comment la prime de crédit implicite au taux d’intérêt d’un instrument de dette, telle une obligation, traite-t-elle le risque de non-remboursement du principal, c’est-à-dire la somme prêtée, ou de non-versement des intérêts, deux risques dont la matérialisation constitue ce que l’on appelle dans le vocabulaire de la finance, un « événement de crédit » ? De la manière dont le ferait un assureur : il exigerait une prime et gérerait le risque de manière statistique sur l’ensemble de son portefeuille. La prime de crédit d’une obligation particulière irait alimenter un fonds de réserve où l’on irait puiser dans les sommes accumulées pour couvrir les pertes essuyées lors d’un sinistre particulier, le sinistre dans ce cas-ci étant un événement de crédit.

Je rappelle en deux mots la manière dont procède un assureur classique. L’assureur réclame à l’assuré une prime composée de deux éléments : une composante fixe et une composante variable. La partie fixe comprend les frais et le profit de l’assureur. La partie variable intègre le risque financier que court l’assureur si le sinistre couvert devait se matérialiser ; elle doit tenir compte du montant probable du sinistre et de la probabilité qu’il ait lieu. Le calcul de la probabilité se fait à partir de données historiques portant sur des événements passés du même ordre, intégrées dans des tables dites « actuarielles ».

Comme, je viens de le dire : la prime de crédit implicite au taux d’intérêt met le prêteur en position d’assureur : il doit gérer de manière statistique les événements de crédit qui pourraient affecter son portefeuille, or d’une part, le métier d’assureur n’est pas le sien et d’autre part, il lui faut déjà disposer d’un portefeuille de taille considérable pour pouvoir gérer sur un mode statistique le risque de contrepartie, le risque d’événement de crédit, auquel il est exposé.

C’est pour éliminer cette difficulté : pour débarrasser le détenteur d’obligations de la nécessité de jouer le rôle d’être son propre assureur qu’a été introduit le Credit-default Swap, un produit financier dérivé inventé au début des années 1990. Le CDS gère le risque de contrepartie d’une autre manière que ne le font les rehausseurs de crédit : en faisant de la prime de crédit un produit financier « dérivé » autonome car disposant de son propre marché. Je rappelle qu’un produit dérivé est un produit financier dont la valeur est indexée sur celle d’un autre produit financier appelé son sous-jacent. Le sous-jacent d’un CDS, ce sont les pertes essuyées sur un instrument de dette : les sommes qui avaient été contractuellement promises, et qui n’auront pas été délivrées quand l’emprunt arrive à échéance.

Deux dangers guettaient le Credit-default Swap : qu’on ne sache pas comment calculer le prix d’un tel produit financier et celui de le voir détourné par la spéculation de la fonctionnalité envisagée pour lui. Or les praticiens se trouvaient ici dans une position très délicate parce que la théorie économique n’était pas (et n’est toujours pas) en mesure de prévenir ces deux dangers : ne reconnaissant pas la spéculation comme une activité financière distincte, elle ne pouvait ni s’en prévenir, ni ne pouvait distinguer la part jouée par la spéculation dans la formation du prix de la prime du Credit-default Swap.

L’affaire était donc très mal engagée et ne pouvait que se terminer en catastrophe. L’euro faillit y perdre la vie. Je vais raconter pourquoi et comment.

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Jorion, Paul, L’implosion. La finance contre l’économie. Ce que révèle et annonce la « crise des subprimes », Paris : Fayard 2008

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