(I) Quand plusieurs mécanismes se greffent les uns sur les autres
(II) Keynes et le double mécanisme de détermination du prix
(III) L’intervention du temps dans la détermination du prix
Le « prix » d’un emprunt ou d’une obligation au moment de son émission, c’est son taux d’intérêt. Le montant du « principal », la somme prêtée, n’est pas un prix, c’est précisément une somme d’un montant donné sur la base duquel le montant des versements d’intérêts sera calculé au prorata du taux d’intérêt sur lequel prêteur et emprunteur se sont mis d’accord.
Le prêteur éventuel compare en termes de rendement, c’est-à-dire de taux d’intérêt, des placements de même durée. S’il est quelque peu familier de l’investissement, il décomposera le taux en ses deux composantes majeures que sont le rendement marginal du capital et la prime de crédit (j’ignore pour la facilité d’autres primes qui devraient être prises en compte dans certaines circonstances, comme la prime de change ou la prime de conversion) et évaluera chacune des deux en tant que telle. Le montant du rendement marginal du capital propre à tel emprunt est-il celui qu’offre le marché, toutes autres conditions étant par ailleurs égales ? La part prime de crédit évalue-t-elle correctement le risque de contrepartie, le risque de non-remboursement, de non-versement des intérêts promis ?
Comment distinguer au sein d’un taux d’intérêt, ses deux composantes : le rendement marginal du capital et la prime de crédit ? C’est simple : en prenant comme étalon un emprunt pour lequel la prime de crédit est nulle ou quasiment nulle. Le 16 juillet 2014, le taux sur l’emprunt allemand à 10 ans est de 1,20%, sur l’emprunt portugais à 10 ans, il est de 3,82%. Dans un contexte financier où l’on considère que le risque de défaut de l’Allemagne est nul, la prime de crédit que l’on réclame à cette nation quand elle emprunte sur le marché des capitaux est du coup nulle aussi. Il est alors possible de considérer que le rendement marginal du capital sur le marché international des capitaux pour des emprunts à 10 ans le 16 juillet 2014 est égal au taux de l’emprunt allemand, autrement dit qu’il est de 1,20%. En conséquence de quoi la prime de crédit du Portugal est elle de 3,82% – 1,20% = 2,62%.
Dès qu’un emprunt a été émis, il y a basculement : son « prix » cesse d’être son taux pour devenir le prix auquel il s’achète, c’est-à-dire une somme dont la base de calcul est le principal : le montant initialement prêté. Pourquoi ce basculement ? Parce qu’un nouvel acheteur de l’emprunt est quelqu’un qui se substitue au prêteur initial et parce que le taux d’émission ayant été attaché à l’emprunt une fois pour toutes, il a cessé d’être négociable. Expliquons cela.
Au moment où l’emprunt est émis, où l’on se trouve sur ce que l’on appelle le marché primaire des capitaux,la somme prêtée n’est pas négociable parce que l’emprunteur a besoin de tant, un point c’est tout, mais le taux lui est négociable et c’est sur lui que porte la négociation. Quand l’emprunt est revendu (et racheté), quand on se trouve sur le marché secondaire des capitaux, ni la somme prêtée : le montant du principal, ni le taux ne sont plus négociables : il s’agit d’un donné ; la chose qui est négociable est le prix auquel le prêteur est disposé à vendre son emprunt à quelqu’un d’autre qui est disposé à se substituer à lui en tant que prêteur. Pourquoi ce prix serait-il distinct de la somme prêtée ? Parce que des versements d’intérêts ont déjà pu intervenir, parce que le rendement marginal du capital a pu changer entre-temps, et le montant de la prime de crédit aussi.
À mesure que le temps s’écoulr entre le moment de l’émission de l’obligation et celui où elle arrive à maturité, c’est-à-dire le moment de son remboursement, des événements interviennent tels que des versements d’intérêts, ou une évolution dans la santé financière de l’emprunteur ou dans le rendement marginal du capital à l’échelle du marché des capitaux. Voyons sur un exemple.
J’ai contracté un emprunt de mille euros à cinq ans à du 7%. Ceci veut dire que j’ai prêté mille euros et que je reçois chaque année en « coupons », en intérêts, 70 € (1.000 € x 0,07).
Au bout d’un an et demi, j’entends revendre mon emprunt. Je rencontre un acheteur éventuel et je lui dis : « Voilà, c’est 1.000 euros ! » Il me répond : « Vous avez payé 1.000 euros pour quelque chose qui rapporte 70 € chaque année et vous avez déjà reçu le premier versement. Je suis prêt à vous acheter mais je ne paierai que 1.000 € – 70 € = 930 € ».
Le calcul est trop simplifié : il faudrait que compte soit tenu du temps qui reste à courir jusqu’aux prochains « coupons », tenir compte aussi du climat du marché des capitaux qui a pu évoluer, mais cela n’a pas d’importance car ce que je veux souligner, c’est qu’un événement est intervenu qui fait que l’emprunt revendu maintenant vaut moins que la somme initialement prêtée.
De même, la santé financière de l’emprunteur a pu se dégrader. Au bout d’un an et demi, je trouve un acheteur et, ayant retenu la leçon de ma première tentative, je lui dis : « Voilà, c’est 930 euros ! ». Il me dit : « L’emprunteur a maintenant des ennuis, vous le savez bien ! Quand vous lui avez prêté, les 7%, c’était 2% en prime de crédit, et 5% qui reflétaient le rendement marginal du capital de l’époque. Aujourd’hui, la prime de crédit pour ce gars-là, c’est 3%, ce qui fait qu’il ne reste que 4% pour le prix de la richesse qui se crée pendant ce temps-là grâce à la somme prêtée, alors que le rendement marginal du capital sur les marchés, lui n’a pas bougé. Quatre versements de coupons pour lesquels il manque 1%, c’est 40 € de moins, je vous offre 930 € – 40 € = 890 € ». Encore une fois, le calcul est hyper-simplifié, mais une fois encore, il ne s’agit que d’exposer le principe à l’œuvre.
Enfin, dernier élément susceptible d’avoir évolué depuis l’émission de l’emprunt : le rendement marginal du capital. Sur l’année et demie écoulée, l’économie étant en superforme, il est passé de 5% à 6%. L’acheteur éventuel dit cette fois : « Écoutez, cet emprunt n’a que 7% comme rendement, mais je peux trouver maintenant une obligation équivalente sur le marché avec un coupon de 8%, je suis prêt à vous l’acheter pour 890 € – 40 € = 850 € », les 40 € étant mon manque-à-gagner quand j’achète un emprunt à 7% plutôt qu’à 8%.
On aura compris sur ces exemples l’évolution possible du prix d’un emprunt ou d’une obligation avec le temps qui passe. À part la décote due au versement du premier « coupon » qui est liée à une évolution irréversible du temps, les deux autres évolutions du prix auraient bien entendu pu avoir lieu dans la direction opposée à celle de mes exemples : la santé financière de l’emprunteur aurait pu s’améliorer, ce qui aurait signifié une baisse de la part prime de crédit dans le taux d’intérêt global et une hausse concomitante de la part rendement marginal du capital, ainsi qu’une hausse du prix de revente de l’emprunt ; de même, le montant du rendement marginal du capital aurait pu baisser sur le marché des capitaux, ce qui (paradoxalement) aurait fait grimper le prix à la revente de cet emprunt, et ceci en raison de l’avantage comparatif en sa faveur par rapport aux obligations du même type émises depuis qu’a été constatée l’évolution à la baisse du rendement marginal du capital.
Trois facteurs déterminent donc le prix d’un emprunt sur son marché secondaire où il s’achète et se revend dans la période qui s’ouvre aussitôt après qu’il a été émis : 1) le temps qui passe et qui rapproche l’emprunt du moment de son remboursement, avec la scansion marquant une baisse du prix chaque fois que vient d’avoir lieu une tombée, un versement d’intérêts ; 2) l’évolution du rendement marginal du capital à l’échelle du marché des capitaux dans son ensemble, qui détermine la part « universelle » du taux d’intérêt attachée à l’emprunt : celle qui vaut pour tous les prêts consentis au même moment et est indépendante de la personne de l’emprunteur et de sa capacité à remplir ses obligations qui sont le remboursement in fine de la somme prêtée et le versement des intérêts d’ici-là ; 3) l’évolution de la bonne santé financière de l’emprunteur qui détermine la prime de crédit, qui est la part « singulière » du taux d’intérêt attachée à l’emprunt : celle qui est liée à la personne de l’emprunteur et est spécifique à sa capacité à remplir ses obligations qui sont le remboursement in fine de la somme prêtée et le versement des intérêts d’ici-là ; c’est sur cette part là du taux que va pouvoir influer la notation qu’attribuent les agences de notation telles Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch.
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…