Tiraillé entre les devoirs associés aux fonctions – parmi d’autres – de professeur d’université, de banquier et d’homme d’État, John Maynard Keynes n’eut jamais une minute à lui. Il masqua les articulations manquantes de ses théories économiques en suggérant qu’intervenaient à ces endroits des « mécanismes psychologiques » au fonctionnement et aux aboutissements également insondables. Keynes affirma que les taux d’intérêt ne pouvaient s’aligner sur le rendement marginal du capital du fait qu’une telle hypothèse débouchait rapidement sur un « raisonnement circulaire ». C’est pourtant là que réside selon moi la véritable explication.
Les mécanismes financiers postulés par Keynes étaient très certainement le produit de la modélisation de ses propres cogitations en tant que spéculateur, d’où sa conviction que les taux d’intérêt se fixent en fonction des attentes des investisseurs (prêteurs éventuels). Il n’a jamais considéré le rapport de force entre prêteurs et emprunteurs comme pertinent pour la fixation du taux d’intérêt : la dimension politique des mécanismes financiers est restée en permanence en-dehors de son horizon. Pourtant, recourant ici au métayage comme au patron d’une situation génératrice de versements d’intérêts, je crois avoir pu montrer que ce rapport de force constitue le cœur même d’une explication satisfaisante.
En invoquant la préférence pour la liquidité, Keynes mit en évidence une borne inférieure d’importance primordiale pour les taux d’intérêt. La représentation qu’il s’était faite du mécanisme présidant aux taux de marché n’était cependant pas suffisamment aboutie pour l’empêcher de confondre une borne inférieure des taux d’intérêt avec le facteur premier de la fonction qui détermine où ceux-ci vont s’établir.
En mélangeant l’effet de facteurs objectifs, reflets des conditions prévalant dans le monde tel qu’il est, avec l’influence éventuelle sur ce monde de représentations conçues dans l’esprit des acteurs financiers, Keynes a produit un modèle brouillon de la manière dont les taux de marché sont générés. En réalité, les taux comme les prix portent l’empreinte du rapport de force existant entre les parties en présence : ils sont l’aboutissement d’un tir à la corde entre prêteurs et emprunteurs, entre vendeurs et acheteurs. L’influence du rapport de force entre les parties en présence fixe les taux et les prix bien plus sûrement que la matérialisation éventuelle des représentations astucieuses par l’une ou l’autre des parties en présence des transactions qui prennent place, quelle que soit l’ingéniosité qu’elle mobilise dans l’élaboration de ces représentations.
En examinant comment les taux d’intérêt se fixent dans les faits pour les activités productives, à savoir en tant que part de nouvelle richesse créée, il m’a été possible de proposer une définition adéquate de la fonction qui détermine la fraction du taux d’intérêt distincte de son éventuelle composante prime de risque et de l’identifier au rendement marginal du capital : le produit du labeur, combiné aux aubaines dont la nature nous gratifie généreusement, les fameuses « externalités négatives » : le fait que la générosité de la nature combinée au travail est traitée par nous comme un « gain sans cause » redistribué entre les parties en présence selon le rapport de force existant entre elles.
Il me faudra approfondir tout cela : je reviendrai en particulier par la suite sur
(1) la distinction taux fixe / taux variable dans le cadre d’une logique de type métayage, et son interprétation dans le cas des instruments de dette et des actions de sociétés,
(2) la prime de risque et sa sensibilité à d’autres facteurs que le risque, à savoir le rapport de force entre les assurés, déboursant la prime de risque, et les assureurs, touchant la prime de risque, à l’occasion du transfert de ce risque, de l’assuré à l’assureur,
(3) lesdites « externalités négatives ».
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