Billet invité.
Dans sa théorie fondatrice de l’économie véritable, de la science économique, du calcul des prix et de la monnaie, Aristote pose une éthique de l’acteur économique en le définissant comme citoyen de la démocratie. L’échange n’a de matérialité qu’à l’intérieur d’une société politique constituée, où les acteurs puissent se reconnaître comme parties intéressées à des choses communes qui puissent circuler au fil du temps. L’intérêt du citoyen est de reconnaître ses alter-ego dans la cité afin d’échanger avec eux ce qu’il ne peut pas produire tout seul.
La monnaie est selon Aristote comme pour nous encore, ce qui matérialise le calcul économique. Le prix est la loi d’égalité matérielle entre ce que deux citoyens achètent et vendent pour eux-mêmes dans une même transaction conclue publiquement dans la démocratie. La démocratie est à la fois la condition d’existence de la chose publique qui s’échange et la raison de comparabilité des droits entre les citoyens qui transigent sur les choses et sur les prix.
La transaction détermine la monnaie qui fait le lien mathématico-logique entre les acteurs de l’échange, la matière de la chose échangée et la réalisation de la loi qui forme l’économie de l’échange. Dans sa description de l’échange économique toujours en vigueur depuis 24 siècles, Aristote constate à la marge et à la racine du prix en monnaie, une réalité nécessaire mais parfaitement immatérielle qui est la philia. Les deux notions contemporaines forment la philia aristotélicienne sont l’amitié et la fraternité.
L’amitié signifie l’intérêt commun entre les parties à l’échange. La fraternité signifie la même loi à laquelle les parties se soumettent. La philia nécessaire à l’économie dans la démocratie exprime que l’égalité entre la chose et le prix échangés est analogue à l’égalité de droit entre l’acheteur et le vendeur. La philia exprime aussi que l’existence de la chose échangée est analogue à la loi d’égalité entre les parties. En langage moderne, la chose, le prix, la loi d’économie et les parties n’existent pas sans un capital de solidarité qui donne matière à la réalité sous le prix.
Dans la mathématique aristotélicienne du prix, la mise en équilibre des intérêts des parties sur la chose dans l’éthique de la démocratie, est dénommée « diagonalisation ». La diagonalisation est un calcul logique de mise en équivalence par la chose et par le prix de la réalité des droits entre l’acheteur et le vendeur. La diagonalité effective de la matière formée dans la finalité ajustée des parties, est matérialisée dans la monnaie qui se définit alors par les trois fonctions comptables de réserve du prix dans le temps, d’unité de compte quantitatif et de moyen de règlement des dettes formées sur les prix.
Pour expliquer la fonction de la philia dans la diagonalisation de l’échange par le prix, Aristote pose l’existence du statut des parties. Le statut entre dans le rapport de calcul de la matière et de la forme par la force de la démocratie. La recherche de l’accord sur la chose et sur le prix passe par la comparaison des statuts dans la réalisation finale d’un échange véritablement ajusté aux vœux des parties. Aristote voit que l’accord sur la chose et sur le prix ne suffit pas à la justice entre les citoyens. Il faut également rétribuer la participation spécifique de chaque partie à l’existence diagonale du bien entre la chose et le prix. La rétribution des parties est la proportion du prix.
En théorie financière moderne du prix, on peut poser que la part du statut des acteurs dans le prix d’échange est le capital. Un prix est liquide, c’est à dire démocratiquement conforme à l’intérêt licite des parties, si chaque partie qui livre ou qui règle au présent s’estime correctement rémunérée du capital qu’elle cède dans la transaction. Le capital est dans la causalité du prix, ce qui est propre à chaque partie dans l’existence objective et juste d’un bien livrable contre un prix.
Il est évident dans la réalité économique de la démocratie d’Aristote que le capital ne peut pas exister sans une loi commune également appliquée à tous les citoyens quel que soit le prix économique du capital reconnaissable dans chaque citoyen. Il est non moins évident que l’intérêt purement individuel de chaque citoyen est d’imposer par la rhétorique sa mesure privée indiscutable du capital dans une économie faussement commune des prix. La causalité du capital statutaire est chez Aristote autant individuelle que collective, autant matérielle que formelle, aussi finalisée qu’effective.
La cause formelle de la réalité du capital est pour Aristote l’éthique de la démocratie. La cause matérielle du capital dans la diagonalisation des prix est la régulation du marché financier par la démocratie. La cause efficiente du capital à l’application de la loi commune dans la durée est la philia. Le capital n’a pas de réalité dans le prix, si la finalité des choses échangées n’est pas partageable dans une amitié économique fraternelle.
Le prix juste s’il existe, n’est pas dissociable d’un ordre social où les statuts soient mesurables même quand ils évoluent très rapidement comme dans notre modernité. Si l’on pousse jusqu’au bout le raisonnement aristotélicien sur la conditionnalité du prix juste dans la philia, on en vient à dire que la philia elle-même doit être mesurable pour que le changement des statuts sociaux soit incessamment réintégré dans la diagonalisation des prix. Le capital est la mesure collectivisée de la philia dans tous les prix possibles des biens livrables du présent au futur.
On voit bien que la logique capitaliste spéculative consiste à produire une avance de phase permanente de l’équilibre des prix sur la philia afin que personne n’ait le temps de poser des rapports de force sur des statuts objectifs dans la production de « valeurs ». Il faut que la valeur soit mesurable uniquement par rapport à sa notionalité spéculative et non par rapport à la réalité des statuts humains dans un devenir commun descriptible.
En fait, la spéculation financière se saisit par le prix à terme, du changement des statuts pour accaparer immédiatement à son profit la variation induite sur l’équilibre de diagonalisation des prix. La mystification repose sur l’idéalisation par la monnaie de la réalité sociale où se calculent les prix. La monnaie matérialise l’idéalité des prix entre le présent et tous les futurs possibles. Elle matérialise la plus-value possible de la démocratie avant qu’elle ne soit effective.
En rendant libre les anticipations de prix, c’est à dire exonérées de tout contrôle social et politique, le libéralisme accorde au capitaliste le prix arbitrairement positif de tous les changements possibles de statut dans l’économie des échanges. L’anarchie libérale des prix repose sur l’idéalisation du marché par la monnaie, laquelle se retrouve matérialisée hors de la politique par le dogme libertarien de la neutralité monétaire.
Le prix est dissocié des statuts par le signe monétaire exclusivement défini par le banquier privé ; lequel est statutairement dispensé de connaître réellement donc publiquement, la citoyenneté des personnes, la société et les lois. Le dogme de la monnaie neutre pose que le prix est scientifiquement objectif, donc que la valeur de la chose n’est pas négociable entre des sujets ; donc que la force du prix n’a rien à voir avec les statuts sociaux ni avec la loi politique qui les établit.
La négation des statuts du vivre ensemble permet de jouer les prix au profit exclusif des individus qui contrôlent la diagonalisation des prix par l’allocation de la liquidité monétaire issue du crédit. La falsification libérale du crédit, de la monnaie et des prix consiste à fixer arbitrairement dans le secret de la « politique monétaire » un prix de la liquidité des prix nominalement justes qui soient réellement injustes : le loyer de la monnaie est fixé pour quelques privilégiés à un prix inférieur à la croissance réelle de la valeur ajoutée mesurée en monnaie.
La différence entre la croissance réelle de la valeur et la croissance décrétée dans le prix bancaire de la liquidité est mécaniquement attribuée aux emprunteurs et émetteurs de titres qui accèdent à un marché financier de la liquidité exclusivement privé. Le marché libéral de la monnaie est un marché privé par la réservation des crédits de la banque centrale aux banques et à leurs clients privilégiés. Les privilégiés fixent eux-mêmes la contribution de leur statut aux prix, de telle sorte que l’intérêt, c’est à dire le taux de croissance générale moyen de la valeur ajoutée, leur soit systémiquement réservé.
Le renversement de la falsification libérale dépend de la volonté politique de définir les prix par la démocratie et la comptabilité des prix par le crédit de tous les citoyens. Si la monnaie est définie comme unité comptable du droit au crédit, égal pour toutes les personnes morales ou physiques, alors n’importe qui doit pouvoir proposer ses titres de crédit en collatéral de l’émission monétaire. Pour que l’égalité des droits au crédit soit effectivement réalisée et mesurable en prix de monnaie, il faut que tous les statuts soient mesurables à n’importe quelle échéance du présent au futur.
Une telle mesure universelle du crédit consiste à titriser le crédit de toute personne à un prix nominal et à coter la liquidité nominale personnelle par la prime de crédit librement négociable sur un marché public compensé. Ce marché de garantie universelle du crédit pré-existe dans l’actuel marché virtuel des CDS (Credit Default Swap, c’est à dire prime de garantie de crédit). Dans le marché réaliste du crédit, l’acheteur d’une prime de crédit acquerrait le statut de garant du prix statutaire de l’émetteur des titres de crédit.
Si l’emprunteur honore intégralement ses échéances de crédit, la prime de crédit est définitivement acquise aux acheteurs de la prime. Un marché public universel réel du crédit indexe statutairement la monnaie sur la démocratie. L’unité monétaire y est statutairement adossée au prix moyen de la liquidité de tous les débiteurs de l’économie réelle. Le loyer de la monnaie vendue par la banque centrale anticipe le prix unitaire net de la croissance réelle des biens effectivement livrés par tous les producteurs de la démocratie emprunteurs de la liquidité monétaire.
La théorie aristotélicienne du prix suppose la démocratie formée sur la philia. La démocratie n’est pas comme pratiquée aujourd’hui la dictature de la majorité manipulée par les ploutocrates ; la démocratie, c’est l’égalité des droits à participer par son statut économique et politique réel à la diagonalisation des prix de tout ce qui peut légalement avoir une valeur marchande. Mais la démocratie est également la liberté de négocier les lois et les règlements comme valeurs négociables qu’on paie par un prix si l’on est personnellement d’accord et qu’on vend si l’on n’est pas d’accord ni donc engagé.
Il se trouve que 24 siècles après Aristote, l’histoire de la monnaie montre que la loi et la politique sont négociables par la différenciation démocratique des monnaies. La liberté responsable du citoyen, c’est d’acheter la justice qu’il veut par la fiscalité des biens qu’il achète dans la légalité à laquelle il adhère. Si le citoyen ne veut pas se soumettre à des lois données et échapper par conséquent au prix de la solidarité qui les finance, il est de fait possible de vendre la monnaie de l’État de droit dont on est créancier.
Mais vendre un État de droit n’est jamais que devenir créancier d’un autre État de droit. Là où le régime actuel des monnaies est économiquement ontologiquement absurde, c’est dans le dollar achetable sans avoir à respecter la loi des États-Unis et dans l’euro achetable contre l’obligation de respecter toutes les lois de la zone euro, lesquelles sont contradictoires entre elles sur le prix de la protection nationale des citoyens. L’actuelle anarchie libérale détruit l’économie par l’impossibilité de prix qui signifient des droits humains.
Le chaos prendra fin le jour où des sociétés politiques se reconstitueront sur des chambres de compensation keynésienne. La compensation est la mécanique de diagonalisation des prix qui rétablit une limite calculable entre le droit et le non-droit, entre le citoyen et le prédateur, entre l’acheteur et le vendeur, entre le travailleur et le menteur. Les prêtres de la religion féroce du capital virtuel nous immobilisent dans la nuit de l’intelligence par des mots sans limite de réalité. Le citoyen de bonne volonté ne peut pas douter que les libéraux qui occupent le pouvoir de la démocratie sont partis détruire toute réalité.
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…