Billet invité
Dans ma réflexion (permanente) sur l’époque que nous vivons, j’ai le pressentiment assez clair que nous allons traverser, que nous traversons déjà, une des zones de turbulence les plus critiques de l’histoire de l’humanité. Si je n’étais pas si réservé dans mes propos, je parlerais même d’une conviction car la conjonction de toutes mes connaissances pointe massivement vers ce futur/présent turbulent. Concrètement, je suis fort convaincu que le régime socio-technique actuel, pour utiliser un terme de théorie de la transition, ne peut en aucun cas se maintenir à moyen et à long terme.
La conjonction d’une évolution parallèle défavorable de nombreux paramètres qui caractérisent notre système, sous l’effet de l’évolution parallèle défavorable de nombreuses variables qui le déterminent, ainsi que l’absence manifeste de reconnaissance sociétale et politique de cet état de fait, et l’absence consécutive de toute action collective massive susceptible d’inverser les tendances précitées, me convainc chaque jour davantage qu’il est inévitable que nous allons percuter un mur.
Je ne vois à l’heure actuelle aucune force majeure à l’oeuvre capable d’éviter ce scénario.
C’est là que je voudrais préciser ce que j’entends par « ce scénario ».
Car je veux relativiser « la fin du monde » que certains pourraient assimiler à « ce scénario ».
1) L’espèce humaine n’a pas les moyens techniques de détruire la planète en tant que corps céleste en orbite autour du soleil ;
2) Je suis hautement convaincu (sur ce point là, c’est une conviction totale) que l’espèce humaine n’a pas les moyens techniques d’éradiquer toute forme de vie sur la planète. Et que toute forme de vie résiduelle sur la planète est capable de faire émerger une nouvelle ère de diversification et d’expansion du vivant, quel que soit l’état de l’environnement que nous laisserions avant de disparaître.
3) Je suis quasiment certain que l’espèce humaine aurait beaucoup de mal à s’éradiquer complètement elle-même, même si elle dispose théoriquement des moyens d’y parvenir. Je crois que notre capacité d’adaptation phénoménale nous rend vraiment coriaces à éliminer complètement. Il restera bien quelque part suffisamment de spécimens pour survivre et provoquer une nouvelle expansion dès que les conditions seront à nouveau favorable.
4) Ce que je crois plausible par contre, ce sont différents scénarios dont la plupart conduisent à moyen ou long terme à une baisse importante de la population mondiale, un effondrement majeur de la complexité socio-technique que nous connaissons, et de nombreuses turbulences désagréables telles que des guerres, des émeutes, des famines, une nouvelle féodalité, etc. Le tout avec une possible baisse importante de la qualité de vie, pour ceux qui ont en une positive sur Terre.
5) Ce serait le résultat à long terme et la tendance à moyen terme issue de la perpétuation de la sortie de nombreux paramètres de leurs bandes de fluctuation antérieures (émissions humaines, population, extraction de ressources naturelles, empreinte territoriale, taux d’extinction des espèces, modifications climatiques, etc.)
6) On pourrait déjà observer aujourd’hui des signes avant-coureurs de ces désastres.
7) Le changement risque de ne pas être linéaire mais de fonctionner selon le mécanisme d’effet de seuil, avec des points d’inflexion brutaux et dont le timing précis est impossible à prévoir. Par à coups violents, avec périodes intermédiaires trompeuses de rémission, ces inflexions vont nous conduire selon moi à atteindre l’état dégradé décris au point 4).
8) Aujourd’hui, la connaissance scientifique accumulée est suffisante pour diagnostiquer le risque de catastrophe, et observer l’évolution dangereuse des paramètres, ainsi que pour savoir ce qui doit changer pour faire revenir les variables dans des bandes de fluctuation acceptables. Concrètement : GIEC, IPBES, évolution de la production énergétique fossile + solutions socio-techniques durables de logement, mobilité, production alimentaire, santé, enseignement, production de biens et services, etc.
9) Par contre, aucune force politique majeure n’existe aujourd’hui, aucune mobilisation populaire d’ampleur, pour mettre concrètement et massivement en oeuvre une transition de la société qui permettrait d’éviter le scénario catastrophe. (en supposant que nous n’aurions pas déjà dépassé le point de non retour, ce qui me semble une hypothèse également plausible).
10) J’ai donc une quasi-certitude : nous allons connaître un ou plusieurs chocs violents et majeurs qui vont ébranler notre civilisation, à court ou moyen terme.
11) Rien ne va changer d’ici là. Il faut un infarctus pour commencer la méditation à 50 ans, un accident de voiture pour arrêter de rouler à 180km/h, se piquer aux orties pour ne plus s’y frotter. Vous comme moi ne subissons aucune contrainte extérieure significative pour engager des changements majeurs de fonctionnement quotidien aujourd’hui. Si nous faisons quelques efforts individuels (vélo, potager, isolation), cela reste en général marginal par rapport aux changements nécessaires au niveau de la société, et l’apanage d’une avant-garde éclairée.
12) Je récapitule : constat scientifique de course vers la falaise, constat politique d’absence de force contraire, conclusion qu’un choc majeur est inévitable à court ou moyen terme, possibilité d’avoir dépassé le point de non retour (hypothèse à ne pas utiliser dans l’incertitude car peu porteuse en terme d’action), enjeu d’envergure civilisationnelle, risque pour l’espèce réel mais à plus long terme. Conviction qui se forge progressivement qu’il est impossible d’infléchir la situation à l’échelle de l’Humanité avant de subir au moins 1 choc majeur.
13) Ma question : que faire en tant qu’honnête homme ? C’est là qu’il ne faut pas se résigner. Faisons un peu de back-casting. Imaginons qu’il y ait au moins un scénario possible dans lequel l’Humanité se retrouve à moyen et long terme dans une situation d’équilibre favorable à la civilisation, et au bien-être maximal de ses membres, à partir de la situation actuelle. (Je concède à ceux convaincus du contraire qu’il est rationnel de brûler la chandelle par les deux bouts dès aujourd’hui 😉 ) Pour les autres, back-castons. On sait déjà grosso-modo que, sauf saut technologique magique, ce scénario va advenir par l’universalisation de moyens aussi « incroyables » que des maisons passives, une mobilité durable avec usage de transports doux et publics, manger moins de viande, garder ses objets le plus longtemps possible, produire autrement en économie circulaire, maîtriser la demande énergétique et produire renouvelable, etc. Ça c’est au niveau technique-économique. Un honnête homme pourrait aussi parler de maîtriser la démographie sans passer pour un nazi dans les médias (ça viendra un jour). Pour atteindre ça, on sait aussi qu’il faut un changement culturel massif. Ce que nous avons appelé la « Révolution des consciences ». De sorte que rouler en vélo, faire son potager, isoler sa maison, manger moins de viande, privilégier les activités peu consommatrices de ressources devienne désirable, au lieu de rouler en Ferrari, manger du caviar sur un resto suspendu à une grue, vivre dans une maison de 1000 m², manger du steak argentin et changer son gsm tous les 6 mois. De sorte que maîtriser la population nationale, supprimer ses sous-marins nucléaires, ne pas envoyer de fusée sur la lune pour planter des drapeaux, et encourager la paix et la simplicité ne soit pas vu comme un signe de décadence mais de prestige de l’Etat.
Back-castons encore. Est-ce qu’on a déjà connu pareille transition socio-technique sociétale ? Selon moi, ce qui s’en rapproche le plus dans les siècles récents est la mise en oeuvre d’une « économie de guerre » aux USA et au Royaume-Uni en 40-45 (voir article ci-dessous). Bien que les motivations soient négatives (maximiser le potentiel de guerre de la nation pour vaincre l’ennemi, c’est-à-dire détruire l’ennemi ou le pousser à se rendre suite à des destructions sévères), c’est la seule expérience récente concrète et documentée que je connaissance d’une forme de « transition » à l’échelle d’une société toute entière, avec pour résultat une recombinaison totale des flux d’énergie et de matière, accompagnée par une descente énergétique individuelle importante (bien que la résultante totale soit inverse vu la production matérielle de guerre exacerbée). Il faut bien étudier ce qui a conduit à ces bouleversements, et mesurer qu’ils n’ont duré que le temps de la guerre… avec tout de même des effets durables chez nos grands parents (qui coupaient leurs croutes de gouda au micron près dans ma famille).
Back-castons encore. Comment parvenir à ce type d’élan sociétal massif ?
Le scénario enchanté part du constat scientifique, avec une touche de couverture médiatique, une pincée de pédagogie et un zeste de courage politique, avec une transition déclenchée de manière ordonnée et pilotée de main de maître. (bien que la complexité rend impossible la gestion rationnelle d’une telle transition).
Le scénario favorable que je juge le dernier crédible commence plutôt par une grosse baffe dans la gueule de l’Humanité, avec une signification inétouffable : « homo sapiens, si tu continues à déconner, c’en est fini de toi ! »
(crise pétrolière de plusieurs mois, avec émeutes, famines, maladies, ou encore renversement brutal du régime normal d’un écosystème comme la forêt amazonienne, ou vague majeure de catastrophes météo sur une zone riche du globe) (là d’un coup je me dis qu’en fait, on y est peut-être déjà, ce qui mettrait à mal tout le raisonnement de mon texte 🙂 mais je considère que ces disruptions n’ont pas encore atteint suffisamment les élites dirigeantes via citoyens riches interposés)
C’est là que le momentum se crée. Et il faut avoir bien fourbi ses « armes » en prévision. C’est l’équivalent de Pearl Harbor en 1941, du torpillage du Lusitania en 1915, ou du massacre d’une légion en Germanie, de l’immolation par le feu d’un chômeur tunisien, ou encore l’effondrement des Twin Towers. Malheureusement souvent guerriers, ces épisodes autorisèrent les Gouvernements ou des révolutionnaires à engager leur pays dans des actions fortes et immédiates car la population était soudain prête à les suivre.
Sans ce choc, je ne vois pas comment une vraie transition va s’engager.En attendant, il faut grappiller les points de résilience et de progression dans la transition. Tout acquis est bon à prendre. Mais il faut surtout construire une trousse d’intervention d’urgence, qui permette de déployer rapidement les solutions déjà toutes connues aujourd’hui dès que le momentum se présentera. Déclencher par exemple un plan national massif d’isolation du bâtiment, ou coordonner les navetteurs de manière scientifique et supprimer les voitures de société, ou mettre un moratoire sur la dégradation du moindre hectare de nature supplémentaire et criminaliser les destructions environnementales…
Veuillez ne pas voir en moi un petit Lénine en puissance. Je suis pour la démocratie et le changement souhaité. Mais je ne me leurre pas, je crois qu’il faudra un gros coup de semonce pour secouer les citoyens et obtenir un effet de masse significatif. À ce moment, il faut pouvoir saisir le momentum et engager les réformes nécessaires.
@Mango (« J’imagine qu’il n’y avait personne d’intéressé à votre recherche il y a près de 40 ans… Personne ne l’a…