Philippe Barbrel de Contre Info m’a communiqué son intention de « dérouler le tapis rouge » à l’occasion de la parution mercredi de L’implosion. La finance contre l’économie. Ce que révèle et annonce « la crise des subprimes » (Fayard). Je l’en remercie chaleureusement. Il m’a aussi fait comprendre que recycler à cette occasion la quatrième de couverture ou un texte déjà publié ferait – je reprends son expression, toute d’actualité – « service minimal ». Je me suis laissé faire douce violence. Voici ce que j’ai écrit à l’intention des lecteurs de Contre Info.
Vendredi dernier, j’ai assisté au séminaire du programme Human Complex Systems à UCLA. La communication était consacrée aux avancées récentes en statistiques, dans la perspective en particulier de leur application aux systèmes complexes. J’ai lu une certaine perplexité dans le regard de mes confrères et la rareté des questions en fin d’exposé m’a confirmé que le sujet était neuf pour la plupart d’entre eux. Je n’ai pour ma part rien appris cet après–midi là, ce qui ne remet en cause ni l’excellente qualité du conférencier – Cosma Shalizi – ni celle de sa présentation, mais résulte du fait que ces développements récents en statistiques font partie de mon ordinaire d’ingénieur financier. C’était là une de ces occasions – relativement fréquentes – où je me dis philosophiquement : « C’est après tout pas mal que les choses aient tourné de la manière dont elles l’ont fait ! ».
Je n’envisage cependant pas toujours le tour des événements avec la même équanimité : il m’arrive souvent de regretter avoir perdu le contact avec l’enseignement universitaire en 1984 et avec la recherche en 1989. Les opportunités de débats avec les étudiants et avec les collègues m’ont beaucoup manqué depuis et je suis d’autant plus reconnaissant à ceux (Jacques-Alain Miller, Maurice Aymard et Doug White) qui m’ont offert au cours des vingt dernières années l’occasion de renouer momentanément avec ces expériences. Il m’a fallu cantonner l’écriture et la recherche aux périodes de chômage forcé (dont la finance est heureusement prodigue), en les subsidiant alors à l’aide de l’argent épargné entre-temps ; ce qui n’a pas toujours été simple, cela va sans dire.
Un manuel de travail de terrain, populaire à l’époque où je rédigeais ma thèse d’anthropologie à l’université de Cambridge, rappelait que toutes les activités humaines ne se prêtent pas aussi bien à la méthode princeps de l’anthropologie : l’« observation participante ». Je me souviens des deux exemples offerts de milieux dont il était dit qu’il serait particulièrement difficile aux anthropologues de les pénétrer : celui des chirurgiens et celui des banquiers. Jean-François Casanova m’a ouvert celui des seconds et au cours de ces vingt dernières années, il m’est arrivé de me représenter en culottes golf comme « Tintin au pays des banquiers ». Pas très souvent, il faut bien le dire : l’apprentissage de la finance sur le tas exige de l’application. Aussi quand on me demandait – comme on l’a fait quelquefois : « Mais peut-être qu’en ce moment-même vous nous étudiez, puisque vous êtes anthropologue ! », je haussais les épaules – de bonne foi.
Ceci dit, quand j’ai vu en 2004 se dessiner à l’horizon la crise des subprimes, ces vingt années de banque, pareilles à l’eau se transformant instantanément en glace, sont devenues soudain rétrospectivement autant d’années passées sur le terrain. Je n’avais rien oublié de mes formations, de sociologue d’abord, d’anthropologue ensuite, et j’avais pris des notes tout au long, comme ça ! parce qu’il est dans ma nature de prendre des notes. J’avais rédigé Investing in a Post–Enron World (McGraw-Hill 2003) grâce à un emploi perdu en 2002, Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte 2007) grâce à un autre, perdu lui en 2005, L’implosion (Fayard 2008) n’a pas failli à la tradition, cette fois en 2007.
Quelles leçons en tirer ? Serais-je devenu stupide si, en toute bonne logique, on m’avait confirmé dans mon poste d’enseignant à Cambridge ? Honnêtement, j’en doute. Mais aurais-je découvert l’Afrique, comme il a été mon privilège de le faire ? Probablement non. Aurais-je pu meubler au fil des ans ma palette éclectique, comme il me l’a été possible ? Sans doute pas non plus. Aurais-je aperçu la crise des subprimes à venir ? Peut-être, mais aurais-je pu la décrire, comme j’ai eu la chance de pouvoir le faire, en combinant les points de vue, interne du technicien grandi dans le sérail et externe du sociologue mâtiné d’anthropologue ? Certainement pas !
Alors, si le hasard a oui ou non bien fait les choses en m’offrant le destin compliqué qui est le mien, c’est vous qui en déciderez, vous les lecteurs – nombreux j’espère – de L’implosion ! En tout cas, bonne lecture ! (*)
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(*) Ayez la gentillesse de me signaler les coquilles – en vue d’une réimpression éventuelle.
2 réponses à “La manière dont le hasard fait les choses”
[…] Original post by Blog de Paul Jorion […]
vivement demain, on préfère votre tête à celle de Carlos Slim !
donc, le grand jour, le compte à rebours vient de commencer avant « L’implosion » ; on fera notre possible pour les coquilles éventuelles, selon nos moyens.
Votre destin hasardeux forge la necessité.
euh, dans la banque, vous aviez votre petit chien blanc …?