Billet invité.
Je commente le billet de Jean-François Le Bitoux : De quoi les marées vertes sont-elles le message ?, en particulier sur la question des nitrates, en montrant à sa façon en quoi elle est un impensé.
Si cette réflexion sur l’écologie en baie bretonne et les nitrates me parait très pertinent dans son message et ses lignes générales (un retour intelligent au « hands on »), il me semble que l’humanité n’est pas très consciente de l’énorme modification que MM. Haber et Bosch nous ont permis de faire dans le cycle de l’azote depuis 1913 (voir les écrits de Vaclav Smil, par exemple celui-ci ou encore celui-là – avec mes remerciements à « blob » pour ces liens).
On n’en est pas conscient car bien sûr il n’y a strictement aucun manque d’azote possible ou imaginable, vu ce que dame atmosphère en contient (et que, de plus, on n’utilise pas pour respirer). Ce sont des gens comme Liebig qui ont compris que les plantes manquaient d’azote assimilable, et on y pourvoyait par les fumures (urée, etc.), le guano (« beancake » en Chine), le nitrate des mines chiliennes d’Atacama (eh oui, s’il fait humide, le nitrate migre dans tous les sols et murs poreux, c’est le salpêtre), recherché avant la guerre de 1914.
Il n’y a donc pas à craindre d’un équivalent pour l’azote du « peak oil », contrairement au carbone fossile, qui deviendra rare et dont le rejet massif sous forme de CO2 n’est pas souhaitable.
Mais au résultat des courses :
(i) nous sommes, en purs kg, l’espèce vivante la plus « lourde » en azote ou quasi (à peu près à égalité avec « le » krill, je crois), avec nos 400 millions de tonnes sur patte (60kg x 7 milliards) ; ceci doit valoir aussi pour le compte de la matière biologique réduite aux seules protéines, dont nous sommes bien pourvus.
(ii) Nous sommes, dans les pays développés, faits à environ 50% de protéines dont l’azote est passé par un réacteur d’Haber-Bosch, via la chaine chimique puis trophique (ammoniac, nitrate pour la seule chimie, puis mis sous forme d’engrais, passage aux plantes, bétail, laitage et viande, et enfin métabolisme humain). Nous sommes donc des azo-cyborgs sans le savoir.
Un peu d’herbe de pré s’est quand même glissé pour faire les autres 50% de nos protéines, cela ou des nourritures utilisant l’engrais naturel (fumure, guano).
Donc sans contester le bien-fondé du message sur l’écologie complexe du littoral breton, il faut aussi que nous soyons conscients de la façon dont nous gérons carbone ET azote (ce que je compte appeler « Éléments vitaux » dans l’Encyclopédie au XXIe siècle. Si nous devenions « intelligents » sur ce « plat de résistance » (par exemple comme le suggère Vaclav Smil en restreignant drastiquement les pertes d’azote dans le processus), le reste de la classification de Mendeleiev, métaux, terre rares, etc., pourrait n’être qu’un dessert, en caricaturant bien sûr.
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