Quand la Pologne fut envahie le 1er septembre 1939, la France et l’Angleterre déclarèrent la guerre à l’Allemagne. La Belgique, la Hollande, le Luxembourg et la France furent envahis le 10 mai 1940. Rotterdam fut rasée quatre jours plus tard. La période de sept mois entre les deux invasions fut appelée la « drôle de guerre », faite d’escarmouches et de montée de la tension.
Si j’évoque cette époque, c’est que la finance est entrée dans sa « drôle de crise ». Depuis le sauvetage de Bear Stearns, le 17 mars, un vague espoir s’est installé que la Fed entendra de la même manière venir à la rescousse de toute institution-clé au sein du système financier américain. Avec l’interdépendance qui existe aujourd’hui entre établissements financiers, ils sont désormais très nombreux à jouer un rôle-clé.
On compte depuis leur création que les Government–Sponsored Entities, Fannie Mae et Freddie Mac, au statut ambigu de semi-privatisées, seront sauvées par l’administration s’il fallait en arriver là. J’ai expliqué il y a quelques jours qu’elles soutiennent aujourd’hui à elles deux, 97,6 % des titres adossés à des prêts hypothécaires américains. Fannie Mae annonçait ce matin son intention de se refinancer à hauteur de 6 milliards de dollars pour faire face à une perte de 2,5 milliards de dollars au premier trimestre 2008.
Les organismes de financement privé de prêts étudiants fuient ce secteur depuis l’été dernier et vendredi, la Fed décidait d’accepter d’échanger pour des Treasuries – des obligations d’Etat américaines et pour des périodes renouvelables de 28 jours – les titres adossés à ces prêts étudiants. Les titres adossés à des prêts immobiliers sont eux acceptés depuis décembre, et la liste s’allongeait vendredi également aux titres adossés à des dettes sur cartes de crédit ou sur prêts automobiles. On apprenait hier que le Ministère de l’Education a mis en place un système d’urgence, actif à partir du 1er juin, qui accordera des prêts aux étudiants si ceux–ci ne parviennent plus à trouver de financement dans le secteur privé.
L’article qui fait la une du Wall Street Journal ce matin explique que le plan de redressement de Citigroup n’a fait aucun progrès au cours des semaines récentes, ce qui – bien entendu – n’augure pas bien de la suite. Si Citigroup, encore la principale banque commerciale américaine en 2007 mais désormais en chute libre, était en péril, avec ses dizaines de millions de clients répartis sur cent pays et ses 370 000 employés aux États–Unis seulement, il va de soi que le gouvernement américain ne pourrait pas l’abandonner à son sort.
Au plan international, les nouvelles ne sont pas meilleures : Union de Banques Suisses annonce ce matin le licenciement de 5 500 employés. Avec des pertes équivalentes à 38 milliards de dollars liées à la crise des subprimes, UBS se trouve au deuxième rang, juste derrière Citigroup qui mène la colonne avec 40,9 milliards de dollars de pertes cumulées (le Crédit Agricole est 14ème de ce hit–parade affligeant avec 4 milliards d’euros de pertes et la Société Générale, au 17ème, avec 2,4 milliards d’euros).
Un commentateur demandait récemment que la Fed déclare officiellement dans quels cas d’insolvabilité elle interviendrait et dans quels autres elle refuserait de le faire. En continuant de se taire, elle laisse entendre que ses 889 milliards de dollars en réserve seront disponibles pour sauver tout le monde. Ce ne sera bien évidemment pas le cas. En attendant, elle porte à bout de bras un système financier américain saignant de mille plaies.
10 réponses à “La « drôle de crise »”
[…] Original post by Blog de Paul Jorion […]
J’imagine que ce qu’on peut penser de tout cela, c’est que ce n’est finalement qu’une question de temps. Quelques investisseurs ragaillardis vont faire quelques bonnes affaires (enfin, vont croire faire de bonnes affaires avec les prix cassés sur les marchés financiers, boursiers), leur moral au beau fixe et rasséréné par les discours encourageants des autorités, anticipant une reprise graduelle, une hausse. Mais finalement la chute finale n’en sera que plus dire et lorsque le rideau de fumée lancé par les autorités politiques et économiques tombera, je suppose que les cours vont retomber bien plus bas que leur dernier point de chute ?
On pourrait aussi faire une autre comparaison encore plus audacieuse avec la seconde guerre mondiale comme conséquence logique de la première guerre mondiale, et comparer l’état de grâce actuel qui semble animer l’économie (bien malgré de nombreux signes peu encourageants) avec les années folles (2008, l’année folle, quoique l’euphorie ambiante ne va certainement pas durer la majeure partie de l’année) ? Si la drôle de crise exprime un point de vue plutôt pessimiste où on sait très bien que le pire va arriver et où on attend nerveusement, celui de l’année folle pourrait être assez complémentaire et montrer l’insouciance et la naïveté (réelle ou feinte) de la part d’une partie des acteurs de cette tragédie.
Bravo, Paul, pour l’image de la « drôle de crise »
La confiance des Gamelin modernes ressemble drôlement à celle portée à la ligne Maginot!
le problème reste les conséquences de l’effondrement à venir, par bonheur, pour l’instant, je ne perçois pas l’ombre d’un dictateur galvaudant les foules et préparant sa guerre. Il y a bien l’Irak et l’Iran, mais l’ère Busch se termine avec le pic oil. N’est-ce pas plutôt la fin d’une autre forme de dictature, celle de la « finance déconnectée de l’économie » ? Car le monde ne va pas s’arrêter de tourner, ni rester contemplatif devant la catastrophe. D’autres pistes sont régulièrement évoquées sur ce blog, c’est peut-être vers ce quoi nous devons tendre, non ? Enfin, c’est vrai que le pic oil, c’est la tyrannie de l’indispensable pénurie, avant de se transformer en scories brûlants…
Le problème n’est pas dans l’effondrement de la « finance déconnectée », et dont l’inutilité est démontrée dans la présentation de ses produits de pointe par ses serviteurs eux-même tels que l’on peut le voir dans cette présentation des produits dérivés par Phirst Vanilla, cabinet de conseil financier spécialisé.
« Avant même de rentrer dans les détails, on peut se demander pourquoi les marchés de produits dérivés ont pris une telle place depuis la création du premier marché organisé en 1973 (Chicago Board Options Exchange). La réponse quelque peu tautologique est que cela doit répondre à un besoin. Fondamentalement, les produits dérivés permettent de se couvrir contre certains risques, de la même façon qu’un contrat d’assurance habitation couvre contre les dégâts consécutifs à un sinistre domestique. En effet, un contrat d’assurance (respectivement un actif dérivé) est un produit contingent qui génère un flux lorsqu’un événement tel qu’un sinistre (respectivement une variation du prix d’une action, une baisse des taux d’intérêt etc.) se réalise. Or, en environnement incertain, les économistes montrent que le bien-être d’un individu augmente lorsqu’on lui donne la possibilité de s’assurer. »
Comme les contrats d’assurance pour vous et moi n’ont pas attendu 1973 pour apparaître il reste à déterminer quels sont ces individus dont le mal-être a été enfin traité par les aberrations financières actuelles.
J’ai reçu ce commentaire d’une connaissance oeuvrant dans le milieu financier et à qui j’ai fait lire ce texte: La drôle de crise.
«Il semble croire que la fed ne joue pas son rôle. Alors que c’est précisément son rôle. Au cours des 10 dernières années la fed a engrangé près de 23 Billions venant de ses mêmes institutions financières. Aujourd’hui elle joue précisément son rôle avec une marge de manœuvre jamais égalé auparavant.
C’est exactement le même scénario du côté Européen, La Banque centrale Européenne à des liquidités plus qu’il n’en faut pour supporter toutes ses institutions.
Bye………… Christian»
Je lis avec intérêt vos articles depuis 6 mois, mais il me semble qu’il y a une dimension qui manque ou qui est très peu abordée si ce n’est quelques articles sur la décroissance, c’est la quantité limitée des ressources au niveau de la terre (pétrole, eau, minerais …). Or on commence à s’en apercevoir de plus en plus avec l’augmentation de la demande en ressources au niveau mondial pour les économies émergentes. La théorie du « peak oil » de plus en plus confirmée dans les faits n’est pas abordée non plus, (il y a un très bon site à ce sujet « theoildrum.com »), pourtant au-delà de la crise financière actuelle l’impact pourrait être beaucoup plus violent dans un proche futur. Toutes les économies modernes sont basées sur le pétrole (bon marché) même la France malgrè son important parc nucléaire.
Un de vos articles parlait du soleil comme ressource pour le fermier pour produire et créer une « plus value ». Les économies actuelles sont elles armées (sans jeu de mot !) pour faire face à un resource-crunch en particulier des énergies fossiles ?
[…] (**) Voir La « drôle de crise ». […]
[…] J’hésite depuis plusieurs jours à parler des GSE, de Fannie Mae et de Freddie Mac, les Government–Sponsored Entities, encore appelées « Agencies » – les deux piliers de la titrisation des crédits immobiliers américains, les autres éléments du système étant tous récemment décédés – et ceci pour plusieurs raisons. La première est que j’ai déjà parlé d’elles ad nauseam dans ce blog et dans mes livres (1), la seconde est qu’il n’y a rien de très précis à en dire, si ce n’est qu’elles sont entrées dans une période que j’ai appelée ici de « drôle de crise » sur le modèle de la « drôle de guerre » : les huit mois d’expectative qui séparèrent l’invasion de la Pologne et l’invasion par l’Allemagne de la France et du Benelux (voir La « drôle de crise »). […]
[…] même année fut caractérisée par un tarissement généralisé du crédit, vous vous souvenez que j’ai introduit l’expression de “drôle de crise” pour me référer à la période qui s’ouvrit à l’été 2007 et qui se poursuit au […]