Billet invité.
Connaitrions-nous trois crises financières distinctes ? C’est ce que l’on pourrait croire à observer les politiques divergentes de la Fed, de la Banque du Japon et de la BCE. Les deux premières déversent sans compter des liquidités dans leur système financier. Mais la première étudie la possibilité de stopper progressivement son programme, en prenant de multiples précautions, tandis que la seconde vient de s’engager au contraire sans retenue. La troisième se contente de ruser, en raison des contraintes de son mandat, et se trouve paralysée par ses dissensions internes.
Les principales banques centrales agissent donc en ordre dispersé, or la crise est unique dans notre monde globalisé, même si elle a des caractéristiques spécifiques à chaque pays ou région. Elle réclamerait une action conjointe, mais laquelle ? Elles prennent, chacune à sa manière, des risques qui apparaissent maintenant au grand jour, en raison des effets secondaires de ses mesures, ou de son inaction actuelle pour la troisième.
Une nouvelle bulle financière est-elle en train de se créer, s’interroge-t-on aux États-Unis, alors qu’elle fait peu de doute ? Cela donnerait un signal fort à la Fed. Mais, de toute manière, il est hors de question pour elle de continuer à déverser des liquidités à ce rythme et il faudra bien un jour, sinon arrêter, commencer à le réduire. Mais comment sevrer un système financier dont une profonde addiction à la liquidité est soupçonnée ? Quelles en seraient les conséquences, non seulement sur le marché des actions, mais surtout sur celui de la dette américaine, dont les taux grimperaient, faisant rebondir la question non résolue de la dette ?
Du côté japonais, les choses ne se passent pas comme prévues. En dépit de propos se voulant rassurants, la tentative de sortir à tout prix de la déflation se solde dans l’immédiat par des effets non désirés, inattendus et problématiques. La bourse de Tokyo vient deux semaines consécutives d’enregistrer des chutes brutales du Nikkei, et des tensions apparaissent sur le marché de la dette japonaise, ce qui pourrait la rendre ingérable si elles s’amplifiaient étant donné son volume gigantesque. On a tendance à l’ignorer à tort, la crise de la dette japonaise pourrait vite mettre à terre le système financier du pays, et celui-ci par la même occasion, si elle devait éclater.
La BCE est pour sa part paralysée par ses désaccords internes, et ne parvient pas à prendre deux mesures dont les effets sont envisagés avec scepticisme. Si elle devait finalement adopter un taux négatif pour les dépôts des banques, ainsi qu’un mécanisme permettant de développer le crédit aux entreprises des pays du Sud de l’Europe, cela a peu de chances d’aboutir au développement du crédit par des banques : celles-ci ont d’autres priorités. Même limité à maintenir les entreprises à flot, l’objectif ne serait pas atteint, car le crédit ne supplée pas à une diminution du chiffre d’affaires, il repousse le problème et crée un risque de défaut pour les banques (ou ceux qui en fin de chaîne prennent le risque, si le crédit est titrisé).
Le taux d’inflation descendu à 1,4%, le syndrome japonais prend de la consistance dans la zone euro. Mais la BCE, dont la mission d’origine est de lutter contre l’inflation, n’est pas outillée pour le faire remonter à son taux d’objectif de 2%. Une franche entrée dans la déflation pourrait résulter de la poursuite de la récession, dont la sortie est toujours vainement annoncée pour le lendemain. Le Japon y est plongé depuis vingt ans et l’on observe combien il est problématique de s’en échapper.
Nos trois banques centrales sont bien embarrassées car partageant une même impuissance. Elles évitent le pire mais ne règlent pas la crise et favorisent même son rebondissement.
Dix ans sont maintenant accordés pour réaliser et conclure le désendettement en Europe. Cela a l’avantage de se donner du temps avant d’être démenti – à condition d’en disposer – mais illustre une incapacité endémique à prendre la mesure d’une crise dont les origines ne sont même pas recherchées, expression accomplie d’un déni qui ne cesse depuis de sévir. Les faits sont là : non seulement la machine à fabriquer de la dette (et de la rente) a perdu son rendement d’antan, mais le stock de dette est trop volumineux pour être résorbé par enchantement. Que faire ? Au Japon, la dette continue de s’accroître, et aux États-Unis le désendettement résulte de coupes budgétaires automatiques qui ne peuvent perdurer. En Europe, son calendrier n’est plus assuré, sans que cela garantisse pour autant sa faisabilité.
Les réformes structurelles très orientées sur lesquelles les autorités européennes sont arc-boutées n’apportent pas de contribution au remboursement du stock existant de la dette, la question reste donc entière. Pour l’avenir, une réforme fiscale et une distribution égalitaire de la richesse – a contrario de l’inégalitaire qui s’accentue – permettraient par contre de diminuer les besoins de financement des États et des particuliers, et donc leur niveau d’endettement.
Il y a comme un malentendu dans l’air : ne serait-ce pas plutôt le système financier qui a besoin de ces réformes structurelles ? Pris entre les nécessités contradictoires d’en sécuriser le fonctionnement et de lui laisser la bride sur le cou, la caste des décideurs n’est pas en mesure de le concevoir et c’est là tout le problème.
Ruiz tu écris : « Le coffre fort de l’argent public est grand ouvert grâce au mouvement écologiste de gauche » C’est…