Billet invité. Paru dans « L’Humanité-Dimanche » du 28 mars.
La crise financière et ses conséquences économiques, sociales et politiques font l’actualité, mais d’autres bouleversements planétaires se poursuivent simultanément. L’échéance du basculement économique du monde en faveur des pays qu’il faut désormais appeler « émergés » est arrivée, et la finitude de la planète et de ses ressources – une contrainte à laquelle il ne peut être échappé – fait désormais toile de fond. Enfin, de nouvelles innovations technologiques se présentent, dont les impacts économiques et sociaux ne sont pas maitrisés. Tous ces éléments se combinent et concourent à rendre obsolètes les descriptions du monde auxquelles nous sommes accoutumés, ainsi que des modèles économiques et de société présentés comme intangibles.
Sous le titre « Chindiafrique », un livre vient de paraître qui offre une vision saisissante de ce basculement en s’appuyant sur la description du triangle formé par la Chine, l’Inde et l’Afrique, dont il analyse avec brio l’avenir proche. Que ce soit sous l’angle démographique et des ressources humaines (leurs ensembles humains sont de tailles semblables), ou de ceux de leurs perspectives économiques, de leurs progrès technologiques et scientifiques ou de leurs ressources naturelles et agricoles. Les auteurs Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski évoquent les cartes politiques que ces pays ou ces continents ont dans les mains et se préparent à jouer. On ressort impressionné et convaincu par cette lecture perspicace, car la machine est en marche, comme ils le montrent sans ambages.
C’est pourquoi les auteurs préconisent un jeu à somme positive (auquel tout le monde gagne), qu’ils opposent à une vision d’affrontements et de guerres inéluctables sur une planète où vont devoir coexister dix milliards d’être humains. Leur conclusion, qu’ils intitulent « pour une mondialisation modérée », n’est cependant pas la partie la plus forte de l’ouvrage. Changer de lunettes et voir le monde autrement, tel qu’il s’annonce, n’est pas innocent et impose d’aller plus loin, afin d’appréhender ce que pourrait être une issue positive, le modèle de la société de demain.
De nouvelles réflexions sur les modèles économiques et sociaux émergent, dont les écologistes sont souvent à l’origine, bien que pas exclusivement. Elles ont pour noms « économie circulante » (une systématisation du recyclage des ressources naturelles ou biologiques) ou « collaborative », mettant l’accent sur le caractère collectif de la production et de la distribution et touchant tous les aspects de la vie, le logement, l’éducation et la formation, la santé, la nourriture… Elles ne s’en tiennent donc pas uniquement à des considérations environnementales mais abordent également des problématiques sociales. Lorsqu’elles s’aventurent plus loin encore, elles adoptent une autre approche reposant sur une réflexion sur le travail, sa rareté engagée et à venir, et sur la nécessité sacrilège de déconnecter le revenu de l’activité salariée (sauf pour les rentiers qui en font leur beurre). Elles préconisent alors une définanciarisation succédant à la financiarisation à outrance, résultant de la sortie d’un certain nombre d’activités de la sphère des échanges marchands, ainsi que l’élargissement à de nouvelles activités ou ressources du statut de « bien commun » (qui échappe à la propriété individuelle et au secteur marchand, et est géré de façon collective par la communauté de ses usagers).
Ces réflexions – comme ces pratiques sociales – peinent à trouver leurs racines dans une histoire oubliée ; confrontées à d’immenses inconnues et à la nécessité de sortir du cadre de l’orthodoxie imposée, elles partent naturellement dans de nombreuses directions. Souvent parcellaires, alors qu’une vision globale et transversale s’impose dans un monde devenu très complexe, elles contredisent dans les faits le totalitarisme de la dictature des marchés. Une telle émergence désordonnée de nouvelles idées et pratiques met en cause le monde établi dans un contexte où domine un pragmatisme gestionnaire qui, au nom du réalisme, s’interdit une telle ouverture de pensée. Quel dommage !
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« Chindiafrique », de Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski – éd. Odile Jacob, 369 pages, 27,90 euros.
@François M C’est témoigner d’une grande confiance dans la permanence de la rationalité de la gouvernance russe, alors pourquoi pas…