LE MONDE-ÉCONOMIE, Réglementation bancaire : six ans d’hésitations, lundi 25 – mardi 26 février 2013

Réglementation bancaire : six ans d’hésitation.

L’effondrement du prix des « Asset-Backed Securities » (titres garantis par des actifs) américaines adossées à des prêts hypothécaires subprime date aujourd’hui de six ans. C’est à la mi-février 2007 que le prix de ces titres à la réputation désormais sulfureuse subit une dépréciation brutale, reflet du défaut en masse des emprunteurs défavorisés qui les avaient souscrits.

La réglementation financière a-t-elle significativement changé en réponse à l’effondrement global du système financier en septembre 2008 ? Non : les quelques mesures qui ont été prises depuis sont en retrait significatif par rapport à ce qui avait été considéré comme indispensable à l’époque.

Chacun s’accordait à penser qu’il fallait démanteler les banques dites « too big to fail », trop importantes pour pouvoir faire défaut sans que le système financier ne s’effondre à leur suite, le risque que constituent ces banques rebaptisées « systémiques » s’étant brutalement révélé insoutenable.

Devant la levée de boucliers des banquiers, la mesure a été abandonnée : on a préféré prôner que les banques « systémiques » constituent des provisions plus importantes. La Banque des règlements internationaux à Bâle (BRI), la banque centrale des banques centrales, a proposé que l’on relève de quelques points le pourcentage de leurs réserves en fonds propres. Il est apparu rapidement qu’un tel renforcement restreignait leur capacité à prêter, et le moment où elles devraient constituer de telles réserves a été repoussé dans le temps en raison de leur « impact négatif sur la stabilité des marchés financiers ».

Neil Barofsky, qui fut jusqu’en 2011 Inspecteur général du Troubled Assets Relief Program (TARP), le plan de sauvetage des banques américaines déclenché à l’automne 2008, a évoqué le 7 février dans une tribune publiée par le Financial Times la « doctrine Geithner », secrétaire au Trésor durant le premier mandat de Barack Obama, que l’affaire du LIBOR incarne selon lui parfaitement. Cette « doctrine » consisterait à imposer aux banques des mesures « ayant sur elles un impact minime mais générant le communiqué de presse le plus impressionnant possible ». Barofsky ajoute : « Certaines banques sont aujourd’hui encore trop grosses pour faire défaut – et toujours trop grosses pour faire de la prison ».

Notons que la « doctrine Geithner » a également atteint la rive opposée de l’Atlantique où l’on n’hésite pas à requalifier les « banques systémiques » de « banques universelles », une dénomination lénifiante qui transforme, par la magie du verbe, le vice pour lequel on les blâme en vertu pour laquelle il convient de les louer.

Six années pendant lesquelles les « trois pas en avant, deux pas en arrière » des projets de réglementation financière ont prouvé que le changement en la matière ne viendra pas des politiques. Les récents développements touchant la banque britannique Barclays montrent que c’est seulement lorsque l’opinion publique s’émeut qu’un tournant dans la gestion bancaire peut intervenir.

Quand, en juin 2012, a été rendu public le fait que la Barclays aurait à s’acquitter d’une amende de 337 millions d’euro pour avoir manipulé les taux du Libor (qui détermine le taux des prêts interbancaires), l’indignation de l’opinion a pris au dépourvu les autorités britanniques. Le versement de l’amende était conçu comme une manière de clore l’affaire, et il n’avait pas été envisagé que les informations détaillées relatives à la fraude renforceraient un écœurement né l’année précédente lors de la révélation de la mise sur écoute des citoyens britanniques par l’empire de presse de Rupert Murdoch, de sa corruption des services de police et de la classe politique de tous bords. Les auditions de dirigeants de la Barclays devant une commission parlementaire ont conduit à une vague de démissions dans la direction de la banque, qui a été proprement décapitée.

Les choses ont depuis rapidement changé : le nouveau patron, Antony Jenkins, a annoncé que la Barclays, issue au XVIIe siècle des milieux d’affaire Quaker, allait renouer avec l’honorabilité de ses origines, et a annoncé dans un geste symbolique que la banque se retirait de la spéculation sur les matières premières, activité qui lui avait pourtant permis d’engranger l’équivalent de 580 millions d’euros en 2010 et 2011 sur les denrées alimentaires seulement.

L’enseignement à tirer des péripéties de la Barclays est cruel : devant l’absence de détermination de la classe politique à nettoyer les écuries d’Augias, seule une pression directe de l’opinion publique obtient des résultats tangibles. Il faut encore pour cela, comme le cas britannique le démontre, que les media embraient et se fassent le porte-voix d’une opinion publique excédée. Espérons pour l’avenir de la démocratie en Europe que le Royaume-Uni, à l’heure où il est vertement critiqué par les autres nations du continent, ne reste pas de ce point de vue un cas isolé.

 

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