POUR UNE CONTRIBUTION « HABITUELLE » DES PLUS FORTUNÉS

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Devant l’appel de seize riches Français pour une contribution « exceptionnelle » de leur part à la guerre contre la dette publique, la première réaction pourrait être le scepticisme, voire la moquerie. Si en effet le mal est chronique, pourquoi la contribution devrait-elle être exceptionnelle ? Si le problème est constant, pourquoi le « sacrifice » – qui à ce niveau là de fortune n’en est pas véritablement un – devrait-il être lui ponctuel ?

Autre dimension à la question : il est tentant de rapprocher la signature de l’appel par Maurice Lévy, P-DG de Publicis, des propos qu’il a tenus dans une tribune libre du Monde il y a moins d’une semaine, où il réclame à demi-mot d’achever le programme néo-libéral avant de se perdre plus avant dans d’oiseuses considérations. « Une profonde réforme de nos structures administratives et de nos systèmes sociaux, écrit-il, au besoin et en complément, par un programme de privatisation dédié exclusivement au désendettement… réduire sensiblement les coûts des charges qui pèsent sur les salaires », sans pour autant porter la moindre attention à ces derniers. Le rêve de Hayek donc, enfin réalisé, en échange d’un impôt « exceptionnel » affectant quelques riches Français ? On a connu des marchés de dupes beaucoup moins choquants, et François Leclerc a raison d’ironiser quand il écrit :

« Appel éminemment louable bien entendu dans son esprit, mais à condition sans doute d’en ignorer les termes : la contrepartie exigée, si l’on comprend bien, par Maurice Lévy, au nom de ces seize riches Français : « une vraie, une sérieuse, une profonde réforme de nos structures administratives et de nos systèmes sociaux, pour pouvoir à l’avenir réduire drastiquement nos coûts… ». Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, il ajoutait : « Osons nous attaquer aux vaches sacrées ». Décidément, les grands gestes généreux et désintéressés ne sont plus ce qu’ils étaient ! »

Et pourtant ! Et pourtant, il suffit de lire ce qu’écrivent quelques autres « très hauts revenus » français cet après-midi : ceux qui refusent de signer l’appel, pour que tout fin sourire qui pourrait encore égayer notre visage se fige aussitôt. Car le gouffre qui sépare les seize signataires de cet autre type de riches est profond. Jugez-en plutôt !

Bertrand Puech et Patrick Thomas, Gérants d’Hermès : « Notre seul souhait est que la charge fiscale soit appliquée sur tous les revenus afin de ne pas conduire à la vente forcée d’entreprises. L’effort des mieux nantis doit être suffisamment clair pour être perçu et compris par tous ». Autrement dit : « Il y a les bons et les mauvais super-riches. Nous, on est les bons, aussi, fichez-nous la paix ! »

Et Claude Bébéar, Président de l’Institut Montaigne : « Rapporter ces enjeux vitaux à la simple instauration d’une taxe exceptionnelle sur les riches me paraît dangereusement démagogique ». Autrement dit : « Circulez, y a rien à voir ! »

Ou encore, Henri de Castries, P-DG d’Axa : « La priorité du pays n’est pas une taxation supplémentaire, fut-elle symbolique, des « riches ». Le texte […] donne […] le sentiment que la solution à nos difficultés passe avant tout par une « amende honorable » d’une minorité ». Autrement dit : « C’est pas aux riches d’avoir honte ! ». Laurent Joffrin mentionne aussi parmi les exigences de de Castries : « modération salariale et flexibilité de l’emploi », autrement dit, et plus brutalement : « Les pauvres peuvent encore faire davantage ! ».

C’est le même Laurent Joffrin qui commente dans les colonnes du Nouvel Observateur : « Les uns y verront une avancée dans la bonne direction, les autres une simple gesticulation destinée à faire oublier une injustice fondamentale. »

Alors ? Une initiative à simplement ignorer, parce qu’il ne s’agirait que de grandes fortunes dont les unes ont le cran de dire : « Casse toi ! », tandis que les autres se sentent obligées de s’écraser parce que les circonstances de l’heure l’exigent et que faire autrement passerait pour de la provocation pure et simple ? Difficile de trancher tant qu’il reste cet « exceptionnel » dans l’expression « contribution exceptionnelle ».

Joffrin écrit : « Ce n’est pas la nuit du 4 août 1789 et Maurice Lévy, président de Publicis, n’est pas le vicomte de Noailles montant à la tribune de l’Assemblée pour proposer l’abolition des privilèges ». En effet, pour que la comparaison s’impose, il faudrait que l’« exceptionnel » se métamorphose en « habituel ».

Ils ne sont que seize en faveur de la « contribution exceptionnelle », combien seront-ils à sauter le pas et se porteront volontaires pour une « contribution habituelle » de ceux qu’ont eu de la chance, en faveur de ceux qui n’en ont pas eu ? Appelons-les à être plus nombreux : il n’y a pas de honte à être un vicomte de Noailles.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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163 réponses à “POUR UNE CONTRIBUTION « HABITUELLE » DES PLUS FORTUNÉS

  1. Avatar de René Bastian

    En lisant depuis des mois des articles de la presse économique, j’ai l’impression que le monde entier est dans la mouise parce que les États sont endettés auprès des propriétaires des entreprises (par l’entremise de banques). Ces « entrepreneurs » ne se sentent pas capables d’investir intelligemment pour faire circuler la monnaie ; ils sont freinés par des motivations d’ordre anthropologique, psychologique et aussi par une sorte de mentalité de club, de savoir-vivre de classe sociale.

    Il faudrait les aider en changeant la fiscalité : jusqu’à ce que la
    dette inacceptable soit résorbée – l’endettement acceptable
    étant défini par la « règle d’or » (il faut prendre les gens au mot),
    la tranche de revenu dépassant 10 smics est imposé à 100 % ;
    ce serait normal que les montants réellement payés (p.ex. factures, salaires, pensions) soient déductibles du revenu.

    Car l’indigent actuel et le futur indigent (la classe moyenne actuelle qui
    croit qu’elle le restera) sont imposés d’office à env. 15 % (TVA entre 5% et 20 %).
    Ils démontrent quotidiennement qu’on peut survivre avec si peu.
    Cela aiderait les propriétaires d’entreprises à augmenter substantiellement les salaires dans leurs entrerpises.

    Et cela créerait de nouveaux métiers, p.ex. des
    conseillers de survie qui, issus de la masse des gagne-peu deviendraient consultants pour les aider à gérer leurs fins de mois.

  2. Avatar de Elroy

    On a encore raté le coche sur la taxation des riches. A lire sur l’observatoire des idées http://observatoiredesidees.blogspot.com/2011/08/taxe-sur-les-hauts-revenus-on-encore.html

  3. Avatar de francois2
    francois2

    je ne crois pas que la crise actuelle soit monétaire au sens strict.

    la crise actuelle est une crise de la limite du monde. Le système financier fut créé afin d’explorer le monde, afin de s’étendre. L’homme est devenu à l’étroit dans son monde. Le temps mondain s’est accéléré et l »espace vitale s’est raccourcit. L’être humain est à l’étroit.

    IL convient ainsi soit de sortir du monde soit de ralentir le temps.

    Gadamer  » les chemins de Heidegger »

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