L’actualité de la crise : RIEN DANS LES MAINS, PEU DANS LES POCHES !, par François Leclerc

Billet invité

À la grande fébrilité des marchés correspond celle des responsables européens, du moins ceux qui ne sont pas en vacances. Avec à la clé des réunions, quelques rencontres et coups de téléphones et beaucoup de déclarations à la presse, pour mettre finalement en évidence qu’ils n’ont rien dans les mains.

Ils ne disposent comme réponse à la montée impétueuse des taux obligataires, des spreads, ou bien à la chute des bourses, que de l’exhortation à appliquer au plus vite les décisions du dernier sommet, pourtant déjà dépassées par l’ampleur de ce que représenterait l’entrée de l’Espagne et de l’Italie dans la zone des tempêtes.

Qu’on en juge… Silvio Berlusconi déclarait hier devant les députés, tout en en restant là dans l’immédiat : « La situation nous impose de donner une réponse encore plus forte, immédiate et visible sur le plan de croissance qui rendra crédible [l’assainissement des finances publiques] ». José Luis Rodriguez Zapatero appelait Herman Van Rompuy à appliquer « au plus tôt » le plan destiné à la Grèce et José Manuel Barroso à « accélérer au maximum [son] application », afin de donner aux marchés un signal de confiance. Dans un courrier adressé aux chefs d’État, ce dernier leur écrit d’ailleurs : « Je saisis l’occasion (sic) pour inviter à une rapide réévaluation des éléments relatifs au Fonds européen de stabilité financière (FESF) et au mécanisme appelé à lui succéder, afin de s’assurer qu’ils sont proprement équipés pour gérer des risques de contagion ».

Plus alarmiste, le président de la Commission européenne a également reconnu dans ce courrier que « nous ne sommes plus dans la gestion d’une crise limitée uniquement à la périphérie de la zone euro », et que « les décisions audacieuses prises lors du sommet de la zone euro le 21 juillet n’ont pas eu les effets escomptés sur les marchés ».

Le FESF étant en effet encore loin d’être opérationnel et de disposer des engagements suffisants des États membres, tous les regards se sont tournés vers la BCE, qui tenait opportunément une réunion de son Conseil des gouverneurs ce jour même. Dans l’espoir qu’elle fasse la soudure le temps nécessaire, d’ici au moins fin septembre, et relance son programme d’achats de titres obligataires suspendus il y a 18 semaines afin d’obliger les États a prendre sa succession.

Une courte et légère accalmie intervenait aujourd’hui, avant que les bourses repartent à la baisse en raison des résultats de deux émissions obligataires espagnoles. Montrant l’ampleur des dégâts, elles concédaient 4,813 % à trois ans et 4,984 % à quatre ans, ne parvenant à lever que deux fois le montant demandé, contrairement à trois à quatre fois d’habitude.

Selon la presse espagnole, le Trésor avait pris ses petites précautions en obtenant préalablement d’établissements financiers espagnols qu’ils couvrent à hauteur des 2/3 des objectifs des émissions. On retombe dans le schéma dangereux et d’une grande fragilité qui amène les banques d’un pays à majoritairement le financer, comme c’est le cas en Italie.

Le financement des banques espagnoles elles-mêmes devient très problématique avec la montée en flèche des taux. Avant leur baisse ce jour même, les spreads (la prime de risque représentant l’écart entre les taux à 10 ans allemand et espagnol) ont grimpé à un niveau proche d’être insoutenable. Ce qui conduit LCH Clearnet, la chambre de compensation qui garantit les emprunts à court terme des banques, à réclamer 15 % de marge supplémentaire pour les autoriser, avec comme collatéral des obligations d’État. Ce qui ne pourrait, par ricochet, qu’accroître leur dépendance aux liquidités dispensées par la BCE, dont elles avaient commencé à se défaire, seules source possible de financement.

La banque centrale n’est donc pas au bout de ses peines, en dépit de ses intentions initiales de désengagement, surtout si la même situation était enregistrée pour les banques italiennes. À destination des banques, elle va lancer une opération d’allocation illimitée de crédit, à taux fixe et à six mois, tout en prolongeant l’allocation à trois mois jusqu’au début de l’année prochaine. En direction des États, Jean-Claude Trichet à joué aujourd’hui les sibyllins : « Vous verrez ce que nous allons faire ! » s’est-il contenté de déclarer, précisant qu’il n’avait « jamais dit que le programme de rachats d’obligations était interrompu », pour finir par convenir : « Je ne serais pas surpris si quelque chose se passait avant la fin de cette conférence de presse ». Cela a été vite confirmé.

Les signaux se succèdent, qui montrent l’imminence d’une crise possible. Les dépôts de liquidité des banques à la BCE ont doublé et atteint leur plus haut depuis cinq mois, en dépit du fait qu’ils y sont rémunérés en-dessous du prix du marché, une solution considérée préférable à celle consistant à les prêter sur le marché interbancaire. Acquérir des dollars est devenu plus cher pour les banques, en raison de la nécessité de se les procurer sur le marché faute de pouvoir faire aussi aisément qu’à l’habitude appel aux Money market funds.

Le sujet récurrent des banques n’est pas propre aux pays au bord de la zone des tempêtes. Le BaFin, l’organisme de régulation allemand, vient de reconnaître qu’en dépit des résultats des stress tests – totalement oubliés dans la bataille – « le marché bancaire allemand reste vulnérable ». « Il est possible que la prochaine crise apparaisse dans un secteur que nous n’avons pas examiné de très près », admet Raimund Rösseler dans les colonnes du Handelsblatt, sous-entendant celui des obligations d’État. Les résultats de Deutsche Bank, phare des mégabanques, avaient il y a quelques jours par ailleurs marqué le coup, exprimant une tendance générale.

Même les banques françaises, qui se sont forgé une réputation usurpée d’invulnérabilité, sont touchées. Baudouin Prot, directeur général de BNP Paribas, tout en annonçant des résultats encore confortables en dépit des pertes provisionnées sur les titres grecs, continue de batailler avec les futures exigences de Bâle III, « fondamentalement injustifiées ». « Nous sommes toutefois légitimistes » a-t-il cru toutefois devoir rappeler, comme si cela n’allait pas de soi, pour admettre que sa banque les appliquerait malgré son désaccord. « La gestion de nos risques est tout à fait rigoureuse », a-t-il affirmé, mettant en garde contre les effets de cette « pénalisation [allant] affecter le financement de l’économie ».

L’annonce de mauvais résultats de la Société Générale, sous la forme d’un avertissement sur résultat, a été quant à elle lourdement sanctionnée par le marché. Ceux qui venaient d’être publiés à l’occasion de la fin du deuxième trimestre avaient déjà enregistré un recul du résultat d’un tiers.

Chacune à sa manière, les deux principales banques françaises, comme toutes leurs consœurs européennes, expriment une fragilité qu’elles tentaient il y a peu encore de nier. Intesa Sanpaolo a enregistré une diminution de 28 % de ses résultats, Unicredit de 25 % et Santander de 18 %.

Les unes après les autres, elles empruntent le même chemin et taillent dans leurs effectifs pour limiter la baisse de leur rentabilité. Au Royaume-Uni, c’est Lloyds Banking Group (LBG), qui vient de plonger dans le rouge et annoncé la suppression de 15.000 postes de travail, après en avoir déjà supprimé 35.000 ces deux dernières années.

Nouveauté dans ce paysage, les compagnies d’assurance entrent dans la danse alors qu’elles se faisaient discrètes. Henri de Castries, le Pdg d’AXA, qui a pris sa modeste part du sauvetage grec à hauteur de 92 millions d’euros net, n’a « pas de raison » de réduire son exposition à la dette italienne et espagnole, affectant la sérénité. Leader mondial de la réassurance, Munich Re, a fait entendre un autre son de cloche. Nikolaus vom Bomhard, son Pdg, a fait part de ses inquiétudes sur la crise de la dette mondiale. Commentant les récents événements, tant en Europe qu’aux États-Unis, il a déclaré que « il est clair pour tout le monde qu’on ne traite que les symptômes » sans toutefois préciser son diagnostic.

Le paysage est en train d’évoluer. La dette publique ne peut plus être présentée comme source de tous les maux alors qu’il apparaît de plus en plus ouvertement que les banques sont atteintes elles aussi. Placées devant la nécessité de renforcer leurs fonds propres, elles le sont aussi devant le risque de devoir assumer des pertes qu’elles avaient jusqu’à maintenant réussi à masquer.

De nouvelles restructurations de dette rendraient inévitable la recapitalisation d’un certain nombre d’acteurs financiers, et l’on pense déjà au rôle que le FESF pourrait être amené à jouer. Suivant davantage le mode d’un TARP américain que d’un FMI européen, comme on a voulu le présenter avantageusement. Mais il va falloir financer celui-ci…

Il va être difficile d’éviter, dans le contexte européen, que les actionnaires ne prennent pas leur part de l’effort, craignent les analystes qui cherchent à anticiper sur la question. La rentabilité des banques ne sera plus en tout état de cause ce qu’elle était, c’est confirmé. Les banques européennes sont à leur tour entrées dans une zone de grande turbulence.

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186 réponses à “L’actualité de la crise : RIEN DANS LES MAINS, PEU DANS LES POCHES !, par François Leclerc”

  1. Avatar de Merl Mokeur
    Merl Mokeur

    C’est la Crise acte II financière (baisse des Bourses supérieure à 10%) et économique(croissance du Nord inférieure à 1% et montée du chômage).
    Le méga-complexe financier médiatique droitier qui a pris le pouvoir en 1980 est de moins en moins cru. Les media financiarisés font au moins autant de désinformation que d’information.

    Il va falloir choisir entre le méga complexe de l’oligarchie financière (remboursement des dettes à des taux de plus en plus proches de l’usure) et le peuple des citoyens travailleurs qui veut le maintien du pouvoir d’achat et du salaire indirect. La question qui va payer des deux est politique et centrale.

  2. […] François Leclerc invité sur le blog de Paul Jorion Comments […]

  3. Avatar de Man
    Man

    quand on n’arrive pas à assurer un train de vie équitable pour tout le monde, que le monde est basé sur des privilèges « obscures », cela serait une bonne chance que les marchés s’effondrent….
    que les gens doivent se concurrencer pour chercher de nouveaux clients ou simplement trouver un boulot, moi, je dis stop…

    je ‘ai jamais compris le principe macroéconomique de prendre le facteur travail comme une variable endogène

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