Merci à Runn, qui nous offre une transcription complète :
Bonjour,
On n’est pas vendredi, on est lundi et j’ai envie de faire une vidéo et la raison pour laquelle j’ai envie de faire une vidéo est la suivante, c’est que je me suis assis et que j’ai commencé à écrire sur ce qui est en train de se passer et je me suis rendu compte que j’étais parti pour écrire 20 pages, 30 pages et ce n’est pas cela qu’il faut, ce qu’il faut c’est un billet et un billet écrit sera trop court, il ne dira pas assez de choses, je vais essayer de dire ce que j’ai à dire là dans une petite vidéo, je ne sais pas combien de temps cela va prendre, j’espère que cela ne sera pas trop long.
Mais ce qui se passe aujourd’hui, c’est… Le taux d’emprunt pour la Grèce sur 2 ans qui dépasse 20%, cela veut dire qu’il va falloir prendre des mesures rapidement. On a repoussé, on a repoussé, on a repoussé la décision de restructurer la dette grecque, il est clair que les fameux marchés ne sont pas acheteurs, il va falloir faire quelque chose. On le sait aussi, si la Grèce restructure, c’est un mauvais coup, un coup très dur, pour les banques allemandes, pour les banques françaises, il sera difficile de ne pas résoudre en même temps que le problème de la Grèce, celui qui continue à se poser : celui de l’Irlande, celui du Portugal, celui de peut-être d’autres pays encore, c’est-à-dire que c’est une crise généralisée qui se dessine.
Cette crise généralisée on l’avait déjà vue venir, en particulier au mois de mai passé. Apparemment le problème n’est pas résolu, pas résolu du tout, ici on a mis des… on change les choses pour 2013, je l’ai dit tout de suite quand il était question de 2013, on n’aura pas le temps, on n’aura pas le temps d’attendre 2013.
Alors, ces fameux marchés, qu’est-ce que c’est que cela, qu’est-ce que c’est cette dictature des marchés ? On est dedans, on ne peut pas faire grand-chose, il y a une logique là-dedans, qui est une logique de prime de risque, c’est une logique qui existe depuis toujours. Quand dans mon livre « Le prix » je parle du rapport de force entre des parties, entre des gens qui achètent et qui vendent, il est impossible de mettre entre parenthèses la question du risque. Si on veut être dans un système où on emprunte de l’argent et où on paye de l’intérêt, ces intérêts devront prendre en charge d’une certaine manière le risque de non remboursement, c’est-à-dire que dans le taux qui sera demandé, il y aura une partie de prime de risque, il n’y a pas moyen de faire autrement.
Dans « Le prix » je discute, je prends les exemples d’Aristote qui sont des exemples très simples où on a un savetier et un juge, etc., il utilise des termes qui renvoient à des « conditions » dans la société, à des classes si vous voulez, et… j’utilise un exemple, qu’est-ce qui se passe si un juge s’associe à un cordonnier pour faire une affaire, le risque se dilue d’une certaine manière, on évalue le risque à celui du cordonnier seulement ? ou à celui du juge ? etc. Il est impossible de faire abstraction de ça. Cela ne veut pas dire que si on n’avait pas un système fondé, justement, sur le capital, c’est-à-dire fondé sur le fait que l’argent n’est pas disponible là où il doit être, et qu’il faut payer des intérêts [ce serait la même chose]. Est-ce que cela peut vouloir dire que les choses pourraient être autrement ? Oui, elles pourraient être autrement. Tant qu’on a une distribution du patrimoine qui est tout à fait arbitraire, hétérogène parce qu’elle a été décidée dans le pays de manière historique dans le passé, il n’y a pas moyen de faire autrement.
Alors, on en est là. La Grèce cela ne va pas pouvoir continuer beaucoup plus longtemps. Théorie des dominos, réaction en chaine, effet boule de neige, vous appelez cela comme vous voulez, on appelle cela feedback positif aussi ou rétroaction positive en français, il y a quelque chose qui est en train de se passer. Les pertes de la Grèce vont se retrouver en France et en Allemagne essentiellement, les pertes de l’Irlande se retrouvent en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, les pertes du Portugal se retrouvent en Espagne et les pertes de l’Espagne vont se retrouver en France et en Allemagne une fois de plus, etc. Ce sont des dominos qui attendent de tomber, c’est un château de cartes qui attend de s’écrouler, ça ne s’est pas encore passé, on attend depuis 2008. On est arrivé, en Europe, à endiguer le problème en essayant, je ne sais pas, de le cantonner, on a monté des murs, on a empêché que les pertes qui ont été essuyés soient véritablement prises en compte, on aurait pu trouver des méthodes qui auraient été fondées sur la solidarité, européenne, etc ., celle qu’on nous a vendu et celle qu’on nous a raconté qu’on allait faire quand on a créé la zone euro et l’Europe en général. Cela n’a pas été fait, comme cela n’a pas été fait, le problème se pose tout à coup et quand cela se pose dans l’urgence évidemment c’est insoluble. Les Allemands se disent qu’ils sont en bout de chaine, c’est-à-dire que ce sont eux qui devront tout payer, ils ne sont pas d’accord pour le faire etc.
Et vous avez vu comment cela se passe depuis le début de cette crise ? Tout cela est rythmé par des élections, on sait que le parti au pouvoir dans n’importe quel pays qui prend la décision de dire : « Voilà on va accepter de le faire », ce parti sait qu’il va être balayé la fois suivante, dès qu’il y aura les élections parce que personne n’acceptera ça. On l’a vu hier en Finlande, qu’est-ce qui se passe ? Le parti qui dit « On ne veut pas jouer ce genre de solidarité », ce parti apparait comme étant un parti qui est en pointe et dont les résultats (un parti populiste), et dont les résultats sont encore meilleurs que ce que l’on avait pu imaginer. Qu’est-ce qui se passe ? Ce n’est pas simplement… pourquoi les peuples se rebiffent comme cela, ils choisissent l’extrême gauche ou l’extrême droite, finalement cela n’a pas tellement d’importance. Emmanuel Todd a fait la remarque l’autre jour, c’est un ami, il a bien fait de faire cette remarque. C’est mal compris ce qu’il dit, mais il a raison de dire : « Celui qui dira on ne peut plus jouer ce jeu-là, celui-là, il gagnera dans les élections » et le fait qu’il sera d’extrême droite ou d’extrême gauche ou de n’importe où, ne fera aucune différence, le fait est qu’on ne peut plus jouer ce jeu-là, cela ne marche plus comme cela, ce n’est pas possible. Parce que, regardez les exemples caricaturaux, c’est l’Islande bien sûr, 320.000 personnes, un secteur bancaire qui est devenu invraisemblable et qui a attiré les économies de toute la Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Quand cela s’écroule, il est impossible de se tourner vers la population en disant « Eh bien, c’était VOS banques », mais non cela ne marche pas comme cela, ce n’est pas possible, ce n’est pas VOS banques, c’est le secteur bancaire, et ce secteur bancaire; il a gagné beaucoup d’argent au fil des années. Il continue d’en gagner beaucoup, et il se tourne à tout moment vers la population en disant « Ah ! si nous on a des ennuis, c’est vous qui allez payer ». Et comment cela fonctionne ? Eh bien, cela fonctionne comme je l’ai expliqué l’autre jour, c’est-à-dire, que comme ce sont les mêmes qui sont au gouvernement dans ces pays-là et ceux qui sont à la tête des banques, eh bien c’est devenu quelque chose qu’on admet d’office : c’est-à-dire que quand l’argent manque dans les banques, on ne va pas le chercher dans la poche des banquiers, on va le chercher dans la poche du public, voilà, parce que c’est beaucoup plus simple, c’est beaucoup plus simple à faire, puis on se tourne vers le public, on prend un air de… , comment dire ?, il y a une expression pour cela mais elle ne me revient pas [PJ : la bouche en cul de poule], et on se tourne vers le public et on dit « Ah ! malheureusement, vous avez trop dépensé, parce que regardez, regardez, l’argent qu’on doit payer ». Ce secteur bancaire qui a gagné tant d’argent, ce n’est pas seulement les bonus des traders, les traders travaillent à la commission, non, ce secteur a distribué énormément d’argent, il a distribué beaucoup plus d’argent qu’il n’en avait. Il y a eu des paris, les banques font des paris entre elles, une banque gagne, l’autre perd, un jour c’est comme cela, le jour suivant c’est tout à fait autrement, et bon tout cela introduit simplement de la fragilité dans le système, mais il y a de l’argent qui s’accumule et on se le partage entre soi et quand cet argent manque, on se tourne vers les populations et on dit « C’est à vous de raquer, c’est à vous de casquer, c’est à vous de payer l’argent qui manque », on passe l’ardoise aux populations. Les populations disent non, si les partis de droite, si les partis de gauche, si les partis de centre-droit et si les partis de centre-gauche sont incapables de dire : « On arrête de jouer cela, eh bien ce sont les partis d’extrême-droite et les partis d’extrême-gauche qui le diront. Il n’y a pas de miracle, il faut bien que quelqu’un le dise. Alors si cela ne se fait pas au milieu, cela se fera sur les côtés. Bon, c’est très très simple.
Alors, cela c’est pour la Grèce, c’est pour les 20% des emprunts à 2 ans pour la Grèce. Qu’est-ce qu’il y a par ailleurs ? La nouvelle aujourd’hui, c’est une nouvelle, ce n’est pas nouveau parce qu’on sait très bien comment cela marche, la nouvelle, que dit Standard & Poor, les agences de notations, qui disent donc : « À l’échéance de 2 ans, il n’est pas sûr que les Etats-Unis auront toujours leur notation AAA ». Parce que de la manière dont cela se présente, cela se présente très très mal, on ne pourra pas continuer à dire que c’est sûr que les Etats-Unis pourront rembourser leur dette, voilà. Et ce qui est très intéressant… Il y a deux choses intéressantes dans ce rapport, de S&P que je viens de lire. La première chose c’est qu’il parlent en adulte. On a dit beaucoup de mal des agences de notation, il y a beaucoup à dire, il y a beaucoup à critiquer, je n’arrête pas de les critiquer moi-même, et je le fais sur plusieurs plans comme le fait qu’elles aient accepté de donner des notations à des produits complètement… pas nécessairement pourris, on n’en sait rien, mais des produits dont il est impossible de calculer le risque. Impossible de calculer le risque sur ces produits, elles l’ont fait quand même. Pourquoi ? Parce qu’il y avait des sous à faire en le faisant. Et ceci dit il est tout de même étonnant de lire qu’un rapport de S&P, c’est un rapport qui parle en adulte et qui s’adresse aux gouvernements et qui dit « Vous faites n’importe quoi, cela ne va pas continuer à marcher ». Parce que d’une certaine manière, ce n’est pas simplement des marchés qu’il s’agit, c’est du fonctionnement du système global. Et elles ont dit le système ne va pas pouvoir continuer à marcher de cette manière-là. Ce qui est intéressant, et dans les analyses que je vois, il y a une petite phrase, une petite phrase que je ne vois pas analysée par les autres, cette petite phrase, c’est du… comment dire ? ce n’est pas de la langue de bois, c’est très allusif, c’est des euphémismes etc., mais cela dit quand même la chose suivante : « Les solutions, une fois qu’on les verra, sont des solutions susceptibles de produire des remous dans la population ». Ce n’est pas dit de cette manière-là, je n’ai pas le texte sous les yeux, faut aller regarder, il y a un endroit où c’est dit pratiquement comme cela, c’est-à-dire qu’on va, et pas simplement dans des pays comme en Grèce, ou avec des émeutes de la faim ou des choses comme cela, dans des pays dit très pauvres qu’on voit à la télévision comme Haïti, le Bangladesh etc., aux Etats-Unis, S&P dit : « On n’est pas à l’abri de remous sociaux dans la rue parce que les positions sont inconciliables ».
Alors, en 2004 déjà, cela se trouve déjà dans mon bouquin « La crise du capitalisme américain » écrit en 2004-2005, publié en 2007, en 2004 déjà, une agence de notation, pas la plus connue, une des moins connues, pas S&P, pas Moody’s, pas Fitch, une autre a dit : « Il viendra un moment de la manière dont on est parti, (c’est écrit en 2004), il viendra un moment où on remettra en cause le AAA des Etats-Unis ».
Alors c’est généralisé. Problème de l’Europe, je viens d’en parler avec une certaine animation parce qu’on n’a pas encore fait grand-chose, si vous vous souvenez, remontez à la période vers février 2010, j’étais également fâché de la manière dont je le suis aujourd’hui, je ne vais pas cacher que je suis fâché, de toute manière vous l’avez remarqué, c’est très clair. « On » a tergiversé, chacun renvoie le problème, renvoie la balle aux autres, c’est finalement les autres qui devraient s’en occuper, etc. On met en place quelque chose pour 2013, c’est-à-dire après les élections allemandes, car tout cela est rythmé évidemment, comme je viens de le dire, par les élections, parce que celui qui fait la moindre concession, il est ratiboisé à l’élection suivante et il le sait, donc ce n’est pas comme cela qu’on arrange les choses, c’est trop tard, il aurait fallu le tenter avant, etc. On est de nouveau… mais de nouveau cela tombe au mauvais moment, crise pour la Grèce, cela tombe au mauvais moment avec le rapport de S&P sur l’état dans lequel se trouvent les finances des Etats-Unis, mais ils ont raison, ils ont raison.
Je voulais dire qu’il y a autre chose qu’il était important de souligner dans ce qu’avaient dit les agences de notation. Les deux choses, c’est que j’ai dit : c’est qu’elles se situent en adulte en disant « Voilà, c’est fini dans la cour de récréation », et d’autre part, qu’elles attirent l’attention sur des problèmes sociaux qui peuvent se poser dans les pays, et pas seulement dans des pays très éloignés, des pays également comme les Etats-Unis.
Alors, voilà on n’est pas vendredi, on est lundi, je me suis assis pour écrire ce que je vous ai dit ici, cela aurait pris beaucoup de temps, j’ai pris un raccourci, c’est-à-dire que je vous en ai parlé sous la forme d’une petite vidéo.
Voilà, j’espère que je n’aurai pas à faire cela trop souvent.
Les références :
* La dégradation de la dette américaine dans La crise du capitalisme américain : édition 2007 : pp. 236-238 ; réédition 2009 : pp. 237-239
* Le partage du risque : Le prix (2010) : pp. 229-236
Emmanuel Todd et « Qui dit on ne peut pas continuer comme ça » ?
Standard & Poor’s Ratings Services : « If U.S. policymakers do agree on a fiscal consolidation strategy, we believe the experience of other countries highlights that implementation could take time. It could also generate significant political controversy, not just within Congress or between Congress and the Administration, but throughout the country. »
« Si les législateurs aux États-Unis se mettent d’accord sur une stratégie de consolidation fiscale, il nous semble que l’expérience d’autres pays souligne que la mise en application prendra du temps. Ceci pourrait également constituer une source de dissensions politiques significatives, non seulement au sein-même du parlement ou entre le parlement et le gouvernement, mais dans le pays tout entier ».
324 réponses à “L’ACTUALITÉ FINANCIÈRE : USA, GRÈCE, ETC.”
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[…] tout de même il y a eu quelques « coups de tonnerre » au loin ! […]